33125 Organisation mondiale de la Santé BANQUE MONDIALE La parole est aux pauvres Un enjeu vital Catalogage à la source: Bibliothèque de l'OMS Un enjeu vital : les pauvres face à la santé et à la maladie. Publiée conjointement par l'Organisation mondiale de la Santé, la Banque mondiale et La Parole est aux pauvres. 1. Etat sanitaire 2. Pauvreté 3. Facteur socioéconomique 4. Participation consommateurs ISBN 92 4 259008 8 (Clasification NLM:WA 30) Remerciements Ce projet de l'OMS et de la Banque mondiale résulte d'un travail entrepris en commun par Eva Wallstam, Margareta Skold et Eugenio Villar à l'OMS et par Deepa Narayan, David Gwatkin et Patti Petesch à la Banque mondiale. Le présent document a été rédigé par Rebecca Dodd et Lise Munck à partir de données communiquées par l'équipe de La parole est aux pauvres, Deepa Narayan et Patti Petesch.Tout au long de son élaboration, des conseils et avis précieux ont été donnés par Eugenio Villar, Patti Petsch et Deepa Narayan. Beaucoup d'autres collègues, à l'OMS et à la Banque mondiale, ont fait des observations et donné des avis techniques ; c'est le cas en particulier de Robert Beaglehole, Andrew Cassels, David Gwatkin, Chris Lovelace, John Martin et David Woodward. Nous tenons également à remercier Anna Wieslander pour ses commentaires sur les premières versions de ce texte. © Organisation mondiale de la Santé 2002 Tous droits réservés. Il est possible de se procurer les publications de l'Organisation mondiale de la Santé auprès de l'équipe Marketing et diffusion, Organisation mondiale de la Santé, 20 avenue Appia, 1211 Genève 27 (Suisse) (téléphone : +41 22 791 2476 ; télécopie : +41 22 791 4857 ; adresse électronique : bookorders@who.int). Les demandes relatives à la permission de reproduire ou de traduire des publications de l'OMS ­ que ce soit pour la vente ou une diffusion non commerciale ­ doivent être envoyées à l'unité Publications, à l'adresse ci-dessus (télécopie : +41 22 791 4806 ; adresse électronique : permissions@who.int). Les appellations employées dans la présente publication et la présentation des données qui y figurent n'impliquent de la part de l'Organisation mondiale de la Santé aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites. Les lignes en pointillé sur les cartes représentent des frontières approximatives dont le tracé peut ne pas avoir fait l'objet d'un accord définitif. La mention de firmes et de produits commerciaux n'implique pas que ces firmes et ces produits commerciaux sont agréés ou recommandés par l'Organisation mondiale de la Santé, de préférence à d'autres de nature analogue. Sauf erreur ou omission, une majuscule initiale indique qu'il s'agit d'un nom déposé. L'Organisation mondiale de la Santé ne garantit pas l'exhaustivité et l'exactitude des informations contenues dans la présente publication et ne saurait être tenue responsable de tout préjudice subi à la suite de leur utilisation. Photos : Couverture, ©Irene R Lengui/L'IV Com Sàrl/Environmental Images. Page 4, FAO/G. Bizzarri. Page 8, FAO/G.Bizzarri. Page 11, FAO/ASUPI. Page 12, ©Clive Shirley/Environmental Images. Page 19, ©Irene R Lengui/L'IV Com Sàrl. Page 21, FAO/E Linusson. Page 22, FAO/E. Conti. Page 27, FAO/G. Bizzarri. Page 28, AO/M. Marzot. Page 31, FAO/R.Faidutti. Page 37, FAO//M.Marzot. Présentation et maquette : L'IV Com Sàrl, Morges (Suisse) Imprimé en France Organisation mondiale de la Santé BANQUE MONDIALE La parole est aux pauvres Un enjeu vital Les pauvres face à la santé et à la maladie Avant-propos Lorsqu'il s'est adressé à l'Assemblée mondiale de la Santé en Un enjeu vital est le résultat de ce travail.Son but est 2001, Kofi Annan, Secrétaire général de l'Organisation des Nations d'illustrer dans une optique qualitative ce que maintes études Unies, a déclaré : « Le principal ennemi de la santé dans le monde quantitatives ont déjà établi, à savoir que la pauvreté engendre la en développement est la pauvreté. » A l'échelle mondiale, la maladie et que la maladie conduit à la pauvreté. Le lien existant relation entre pauvreté et mauvaise santé est flagrante : dans les entre bonne santé et survie économique est également mis en pays les moins avancés, l'espérance de vie est de 49 ans à peine et évidence. Partout, les pauvres disent à quel point la santé est un enfant sur dix n'atteint pas son premier anniversaire. Dans les précieuse à leurs yeux. Un corps sain et fort est l'atout qui permet pays nantis, en revanche, la durée moyenne de la vie est de 77 ans aux adultes démunis de travailler et aux enfants défavorisés et le taux de mortalité infantile est de 6 pour 1000 naissances d'apprendre. Un corps faible et malade est un fardeau tant pour vivantes. l'intéressé que pour l'entourage qui doit le prendre en charge. La pauvreté engendre la maladie parce que les plus démunis sont Les familles démunies s'inquiètent tout particulièrement de la contraints de vivre dans un environnement nuisible à leur santé, santé du soutien de famille ­ lorsque celui-ci ou celle-ci meurt ou où ils n'ont ni logement décent, ni eau salubre, ni services a besoin d'un traitement médical coûteux, les conséquences d'assainissement dignes de ce nom. La pauvreté engendre la faim, peuvent être désastreuses. La famille peut être entraînée dans laquelle à son tour rend plus vulnérable à la maladie. Parce qu'ils une spirale de paupérisation dont elle ne pourra plus sortir. sont pauvres, les plus défavorisés n'ont pas accès à des services de santé corrects, ils n'ont pas les moyens de se traiter et les L'un des messages qui ressort avec le plus de force de cette étude enfants ne sont pas vaccinés régulièrement. La pauvreté est cause est que les pauvres éprouvent colère et frustration de se voir ainsi d'analphabétisme, de telle sorte que les gens sont mal informés exclus. Ils comprennent pourquoi ils sont malades et pourquoi ils des risques sanitaires et qu'ils sont contraints d'exercer des sont pauvres, et ils ont souvent des idées sur ce qu'il faudrait faire. métiers dangereux qui portent atteinte à leur santé. Mais dans la plupart des cas, ils sont écartés et marginalisés par ceux qui sont au pouvoir, y compris les autorités sanitaires. L'étude de la Banque mondiale intitulée La parole est aux En 2000, les dirigeants du monde ont publié la Déclaration du pauvres,qui a permis de recueillir le témoignage de plus de Millénaire, où ils se sont engagés à réduire de moitié le nombre 60 000 personnes démunies dans le monde entier, a bien mis en de personnes vivant dans l'extrême pauvreté d'ici à 2015. Pour y évidence nombre de ces problèmes. La parole est aux parvenir, nous devrons associer et mobiliser les plus démunis et pauvres, qui examine dans une perspective d'ensemble la leurs représentants, et les écouter. Depuis longtemps, les pauvres pauvreté, ses causes et ses conséquences, a montré que les ont pris conscience du lien qui unit bonne santé et problèmes de santé étaient au coeur des préoccupations des développement. Mais jusqu'à tout récemment, la réflexion sur le personnes consultées, ce qui a incité l'OMS et la Banque mondiale développement a en grande partie méconnu ce lien. à préparer ensemble une publication distincte consacrée à la relation qui existe, pour les plus démunis, entre pauvreté et mauvaise santé. 2 De même qu'une bonne santé est indispensable pour protéger la le paludisme ou l'une quelconque des autres maladies famille de la pauvreté, de même, une meilleure santé est une infectieuses qui sont le fléau du monde en développement tant condition essentielle pour faire reculer la misère. Améliorer la que nous n'aurons pas aussi gagné la bataille pour l'eau salubre, santé des plus démunis doit devenir une priorité, non seulement l'assainissement et les soins de santé de base ... Le meilleur pour les responsables de la santé publique mais aussi dans remède contre tous ces maux est la croissance économique et un d'autres secteurs du développement ­ les secteurs économique, développement de tous les secteurs de la société. » environnemental et social. Ainsi que l'a affirmé Kofi Annan : « Nous ne pourrons vaincre définitivement le SIDA, la tuberculose, Ann Kern Jo Ritzen Directeur exécutif Vice-Président et Chef de réseau Développement durable et milieux favorables à la santé Développement humain Organisation mondiale de la Santé Banque mondiale 3 4 Sommaire Introduction 6 Deuxième partie : Réflexions et premières La parole est aux pauvres 7 conclusions 28 Première partie : Problèmes de santé et pauvreté 8 Participer 30 A Ces lieux déshérités nous tuent - Les causes Améliorer la santé des plus pauvres 32 sociales et économiques de la maladie 10 1. Placer la santé dans un cadre de La brûlure de la faim 10 développement plus large 32 On n'est jamais sûr de ce qu'on boit 10 2. Donner un nouvel élan aux politiques Tourmentés par les mouches 11 de santé publique 33 Les courants d'air, l'humidité, les fuites 13 3. Faire en sorte que les systèmes de santé La saison où les enfants meurent 13 soient au service des plus démunis et les Personne n'a besoin de nous 13 protègent de la paupérisation 34 Chaque jour, je cherche du travail 14 4. Axer les efforts sur les problèmes de santé des plus démunis 36 B Ceux qui n'ont pas voix au chapitre - La santé en fonction de l'âge et du sexe 15 Références 38 Quand les femmes sont malades 15 De plus en plus, les femmes se chargent de tout 16 La violence se perpétue indéfiniment 17 Les générations à venir 18 L'épreuve de la solitude 18 C La santé passe avant tout - La mauvaise santé et ses conséquences 20 Notre vie s'arrête 20 Nous souffrons tous 21 Mon coeur saigne 23 Cela m'aide à oublier mes problèmes 23 D Pire que des chiens - Les pauvres et les services de santé 24 Si quelqu'un est malade, comment le faire sortir d'ici ? 24 Il faut attendre 24 Il n'y a pas de médicaments 25 Nous n'avons pas d'argent pour nous soigner 25 Une infirmière mal lunée 26 L'entraide n'existe pas 26 5 Introduction ... Pour moi, bien vivre, c'est être en bonne santé. -- Un vieil homme de l'Association paysanne de Dibdibe Wajtu (Ethiopie) Un enjeu vital évoque tout ce qui a trait à la santé dans le guides destinés à mener à bien les enquêtes. Cela atteste, nous projet La parole est aux pauvres,1 une vaste étude semble-t-il, que la santé est au coeur des préoccupations des réalisée par la Banque mondiale sur les perspectives et le vécu pauvres. des personnes vivant dans la pauvreté. Notre objectif est de présenter de manière succincte les points de vue et témoignages Plusieurs enseignements précieux ont pu être tirés de cette recueillis en ce qui concerne la santé. Nous espérons que ce étude, que nous avons tenté de présenter succinctement dans la travail permettra aux responsables des politiques de santé seconde partie de cette brochure. Il y a lieu d'en mentionner trois d'appréhender de manière très concrète le vécu des plus d'emblée.Tout d'abord, les pauvres considèrent leur santé et en démunis et les conséquences qu'ont pour eux les problèmes de mesurent le prix dans une perspective globale, comme étant un santé. équilibre à atteindre en ce qui concerne leur bien-être physique, psychologique et social. Cette manière de voir, conforme à la Le projet La parole est aux pauvres sur lequel est basé définition de l'OMS selon laquelle la santé est « un état de Un enjeu vital est le fruit d'une vaste étude qualitative complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas effectuée à partir d'entretiens et de discussions menés en petits seulement en une absence de maladie ou d'infirmité », se groupes avec plus de 60 000 hommes et femmes déshérités dans retrouve de manière étonnamment fréquente quels que soient 60 pays ; un bilan y est notamment fait de 81 évaluations de la l'âge, le sexe, la nationalité et l'appartenance culturelle des pauvreté avec la participation des intéressés.1 Certes, ces études intéressés. En second lieu, les gens font presque toujours le lien ne sont pas représentatives à l'échelle nationale, mais nous avons entre maladie et mauvaise santé d'une part et pauvreté d'autre le sentiment que lorsqu'un si grand nombre de gens décrivent part. Les déshérités définissent la pauvreté d'une manière tout à leur vie, leurs problèmes, leurs besoins et leurs priorités, nous fait classique ­ à savoir l'insuffisance des revenus ­ mais ils nous devons de leur prêter l'oreille. mentionnent aussi l'instabilité, l'anxiété, la honte, la maladie, l'humiliation et le sentiment d'impuissance. Or tous ces La santé est apparue comme l'une des préoccupations essentielles phénomènes ont un retentissement sur la santé. Enfin, la bonne durant les entretiens et les discussions, ce qui a souvent étonné les santé n'est pas seulement considérée comme précieuse en elle- chercheurs de la Banque mondiale car aucune question visant même, mais aussi parce qu'elle est indispensable à la survie spécifiquement la santé ou la maladie n'avait été inclue dans les économique. 1 Les évaluations de la pauvreté avec la participation des intéressés sont des études qualitatives fondées sur des méthodes faisant appel à la participation, qui visent à examiner la pauvreté et ses causes du point de vue des pauvres eux-mêmes et d'autres parties prenantes. 6 Aperçu général La première partie de ce petit ouvrage, divisée en quatre sections, Dans la troisième section,La santé passe avant tout, des personnes rend compte de ce que des pauvres ont dit à propos de la santé. démunies décrivent la façon dont elles vivent les problèmes de santé Dans la première section, Ces lieux déshérités nous tuent, des et leurs conséquences.La dernière section,Pire que des chiens,évoque pauvres décrivent la façon dont leur santé est compromise par les les rapports des pauvres avec les services de santé. dangers inhérents à la pauvreté. Il est question en particulier de ce que les spécialistes de la santé appelleraient les « causes La deuxième partie de cette brochure traite des leçons à tirer des sociales et économiques » de la mauvaise santé, c'est-à-dire la témoignages des pauvres pour l'élaboration des politiques de faim, le manque d'eau, d'énergie et de services d'assainissement santé. Ces réflexions émanent de l'OMS, qui s'est inspirée de La et de mauvaises conditions de logement. parole est aux pauvres mais aussi, plus généralement, de sa propre expérience ; il ne s'agit pas de conclusions qui auraient été La deuxième section, Ceux qui n'ont pas voix au chapitre,traite de la tirées par les pauvres eux-mêmes. santé en fonction du sexe et de l'âge. Quels sont les problèmes de santé spécifiques des femmes pauvres ? En quoi diffèrent-ils des Pour plus de simplicité, les personnes qui ont participé à cette problèmes rencontrés par les hommes ? Quelles sont les craintes étude sont souvent désignées par des expressions tels que « les des personnes âgées ? Le point de vue particulier des enfants n'est pauvres » ou « les plus démunis ». Nous avons conscience qu'il évoqué que brièvement, car les enfants n'ont guère participé au s'agit de termes approximatifs qui ne rendent pas compte de la projet La parole est aux pauvres. diversité du vécu de chacun. La parole est aux pauvres Le projet La parole est aux pauvres a été lancé à titre 2 La parole est aux pauvres est une étude qualitative. de contribution au Rapport sur le développement 2000/2001 - L'avant-propos de Ecoutons-les précise : « Faisant appel à des Lutter contre la pauvreté de la Banque mondiale, ainsi qu'à d'autres méthodes de recherche qualitative fondées sur la participation activités de la Banque mondiale. Le fruit de ces travaux a été publié des intéressés, cette étude présente de manière très directe, par la en trois volumes. Le premier, Ecoutons-les, présente une voix des pauvres eux-mêmes, la réalité de ce qu'est leur vie. ». analyse des évaluations réalisées avec la participation des L'éventail de l'échantillon constitué pour l'étude couvrait par intéressés dans 50 pays au cours des années 90, auxquelles ont exemple 85 communautés en Tanzanie ou bien, ailleurs, 10 été associées plus de 40 000 personnes. Le second volume, Il communautés spécifiquement sélectionnées. Ainsi, lorsque le faut que cela change, avait spécifiquement pour but de texte évoque la situation « en Russie » par exemple, cela renvoie à recueillir les opinions des plus pauvres. Quelque 20 000 la situation dans les communautés visitées. Le principal procédé personnes démunies vivant dans 23 pays y ont pris part. Le de collecte des données a consisté en discussions par petits troisième volume, « From Many lands » (De tous les horizons) groupes. On trouvera un complément d'information sur les (novembre 2001), présentera des études de cas réalisées dans méthodes de recherche utilisées dans les appendices aux divers pays et formulera des conclusions concernant les volumes publiés. caractéristiques régionales. 2 Ce projet a été réalisé sous la direction de Deepa Narayan, Conseiller principal, Lutte contre la pauvreté et Gestion économique, Banque mondiale. Il en a résulté 25 publications, toutes accessibles sur Internet (voir références). Les volumes sur lesquels se fonde la présente analyse sont les suivants : La parole est aux pauvres ­ Ecoutons-les par Deepa Narayan, en collaboration avec Raj Patel, Kai Schafft, Anne Rademacher et Sarah Koch-Schulte, mars 2000 ; La parole est aux pauvres : Il faut que cela change par Deepa Narayan, Robert Chambers, Meera K. Shah et Patti Petesch, septembre2000 ; et des extraits d'une version préliminaire de La parole est aux pauvres : De tous les horizons, rédigée par Deepa Narayan et Patti Petesch, septembre 2001. 7 Première partie problèmes de santé et pauvreté Nous sommes tous pauvres ici... ...car nous n'avons ni école ni dispensaire. Si une femme a un accouchement difficile, on attache une étoffe traditionnelle entre deux bâtons et on la transporte au dispensaire situé à sept kilomètres d'ici. Savez-vous combien de temps il faut pour y aller à pied ? Il n'y a personne sur place qui puisse nous aider, c'est pourquoi nous sommes tous pauvres. -- Togo, 1996 8 Dans la première partie, nous examinerons ce que les personnes démunies qui ont participé à l'étude La parole est aux pauvres avaient à dire au sujet de la santé.Tant d'aspects de la vie des gens sont influencés et déterminés par la santé que ces informations étaient disséminées un peu partout dans l'étude de départ. La présentation qui en est faite ci-après, qui s'organise autour des causes des maladies, des problèmes liés au sexe et à l'âge, des effets de la mauvaise santé et des systèmes de santé, a été élaborée spécifiquement pour la présente publication. Dans La parole est aux pauvres, les informations relatives à la santé sont présentées sous forme de citations directes, d'observations des chercheurs et des enquêteurs, et d'analyses réalisées par les auteurs. Ces trois éléments sont souvent inextricablement liés. Il est donc difficile d'en présenter un résumé et d'en extraire les éléments concernant la santé. Le contexte particulier dans lequel se sont déroulés les entretiens n'a évidemment pu être pris en considération et il est probable que l'on soit passé à côté de quelques enseignements importants. Un enjeu vital 9 A Ces lieux déshérités nous tuent ­ les causes sociales et économiques de la maladie Les lieux déshérités maintiennent les gens dans la Jamaïque, les pauvres disent qu'elle y est encore plus pauvreté. Et ces lieux déshérités nous tuent. fréquente qu'à la campagne. -- Il faut que cela change. La faim est éminemment saisonnière, tant à la Les discussions et les entretiens qui ont eu lieu dans le campagne qu'à la ville. A la campagne, la « saison de la faim » cadre de La parole est aux pauvres montrent que dépend des cycles agricoles. A la ville, elle correspond les personnes démunies perçoivent très bien le lien qui souvent à la saison des pluies, où il y a moins de travail dans existe entre leurs conditions de vie et les problèmes de la construction et le petit commerce. santé. Dans la présente section, on examinera plus en détail certains des facteurs de risque identifiés par les pauvres Au Nigeria, des femmes ont déclaré être si affaiblies comme étant des causes de maladie et de mauvaise santé. par la faim qu'elles n'ont pas assez de lait maternel pour nourrir leurs bébés. En Ethiopie, on parle de la « brûlure de la faim » et du « feu de la faim ». Les parents s'inquiètent en La brûlure de la faim permanence de ne pouvoir trouver assez de nourriture pour leurs enfants. Ils [les enfants] tombent quelquefois malades sans aucune raison. Parfois, c'est parce qu'ils n'ont rien à manger. Nous sommes pauvres. Nous ne pouvons On n'est jamais sûr de ce que l'on boit rien acheter, nous n'avons pas d'argent pour nous nourrir... J'en ai assez d'aller voir les gens de la municipalité -- Une femme de Voluntad de Dios (Equateur) [au sujet de la contamination de l'eau] pour leur demander de faire quelque chose. Bien sûr que nous La pénurie alimentaire est le manque le plus souvent sommes malades. cité. La faim et la malnutrition sont considérées comme la -- Un bulgare cause sous-jacente de nombreuses maladies. Elles entraînent faiblesse et épuisement et rendent les gens plus Si deux enfants sur trois tombent malades et vulnérables aux infections. Beaucoup disent qu'ils ne vomissent... c'est à cause de l'eau ; même en mangent qu'une fois par jour et que parfois, ils ne ajoutant du chlore, on n'est jamais sûr de ce que l'on s'alimentent pas pendant plusieurs jours de suite. Les plus boit. déshérités d'entre eux s'en remettent à ce qu'ils trouveront -- Des femmes en Argentine comme plantes poussant à l'état sauvage ou comme poissons et coquillages. Dans les villes, la faim sévit moins Les pauvres parlent de la pénurie d'eau salubre ou est moins visible que dans les zones rurales, mais à la comme d'un manque cruel et d'une cause de leur mauvaise santé. 10 Partout, les gens décrivent leur combat quotidien pour se procurer de l'eau pour la consommation humaine, mais c'est en Afrique que les pénuries sont les plus fréquentes. Des problèmes de distance, de quantité, de qualité et de sécurité de l'approvisionnement sont évoqués, mais aussi des risques environnementaux tels qu'inondations, envasement et pollution. A la Jamaïque par exemple, les moyens de production utilisés pour la culture des bananes contamineraient les réserves d'eau locales. Le mauvais entretien des puits, des canalisations et des puits tubés pose aussi un problème. A Kwalala (Malawi), les gens sont confrontés à de graves difficultés si les pompes des puits tubés tombent en panne pendant la saison des pluies. Ils savent que puiser l'eau du lac est dangereux parce qu'elle est contaminée par les déchets des hautes terres, mais ils disent qu'ils n'ont pas le choix. La pénurie d'eau pour l'irrigation est considérée comme un problème majeur par les collectivités rurales, car elle compromet les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des familles. Aller chercher de l'eau n'est pas seulement une tâche difficile et qui prend beaucoup de temps : cela peut aussi être source d'accidents, notamment pour les femmes. Des Indiennes rapportent qu'elles doivent aller chercher l'eau à deux kilomètres, en affrontant des dangers tels que « les rochers qui se détachent... les bêtes sauvages... les loups, et les hyènes ». Tourmentés par les mouches Mais regardez donc les enfants qui jouent dans la rue au milieu de la saleté. L'eau qui coule dans la rue amène des infections, c'est parce qu'il n'y a pas de réseaux d'égouts... -- Une femme de Barrio las Pascuas (Bolivie) 11 Les problèmes d'assainissement sont aigüs dans de Les pauvres vivent presque toujours dans des nombreuses communautés, particulièrement dans les zones logements ou abris de fortune et souvent dans des zones urbaines.Au Bangladesh, par exemple, les pauvres évoquent dangereuses ou instables. Beaucoup vivent dans des la rareté des latrines et disent que de longues queues se cabanes ou des taudis faits de matériaux éphémères et forment souvent devant les toilettes. fragiles ­ par exemple du pisé en Egypte, de la boue, du chaume et du bambou au Viet Nam, et « des roseaux... du Les risques sanitaires encourus notamment par les zinc vétuste » en Equateur. enfants, et les mauvaises odeurs se dégageant des égouts à ciel ouvert, apparaissent comme des causes d'inquiétude Beaucoup considèrent ces logements comme particulièrement vives dans les enquêtes menées en dangereux et nuisibles pour la santé et estiment que Amérique latine.Les eaux usées, rapporte-t-on, « s'écoulent l'amélioration de l'habitat est une urgente nécessité. Dans directement dans les rues » et constituent un danger pour les beaucoup de pays, les pauvres soulignent qu'il est difficile petits qui jouent dehors. de préserver leurs habitations de la vermine et des animaux dangereux. D'autres se plaignent que vivre dans des Les dangers que font courir les déchets et ordures non logements surpeuplés favorise les maladies. Le danger ramassés sont également souvent évoqués par les pauvres d'incendie est fréquemment évoqué, notamment dans les des villes latino-américaines.A Isla Trinitaria (Equateur), un bidonvilles où les abris sont souvent construits très près les groupe de femmes rapporte qu'elles vivent dans des maisons uns des autres et faits de matériaux inflammables. En de roseaux sur une jetée surplombant des eaux pleines Russie, des gens font valoir que les fils électriques n'ont pas d'ordures.Les habitants y sont « tourmentés par les été remplacés depuis 50 ans et qu'ils constituent un danger mouches » et souffrent de « maladies causées par la pollution ». d'incendie. Ailleurs en Russie, on affirme que les poussières Dans certaines agglomérations de Nova California (Brésil), dégagées par une usine chimique avoisinante sont la cause les habitants se plaignent de la présence d'ordures de cancers et d'autres maladies. nauséabondes, qui « causent toutes sortes de maladies dans la communauté et frappent particulièrement les enfants ». La saison où les enfants meurent En Indonésie, des bidonvilles urbains sont situés dans des zones de basse terre où le drainage se fait mal.La rivière Les pauvres associent souvent les problèmes de santé déverse de la vase et des ordures provenant de la ville.Elle à une saison particulière. Dans les climats froids, c'est l'hiver déborde en cas de fortes pluies, et elle est souvent la cause de qui est la saison difficile, cependant que les habitants des maladies de la peau et des yeux, de mauvaises récoltes et de zones tropicales appréhendent la saison des pluies. Au dommages causés aux habitations. Ghana, on affirme que « la saison des pluies est celle où les enfants dépérissent et meurent le plus », et où sévissent des affections telles que le paludisme, le ver de Guinée, la Les courants d'air, l'humidité, les fuites diarrhée, les affections cutanées et oculaires et les morsures de serpent. Tout est contaminé, la terre, l'eau, les plantes et les gens. -- Un membre d'une communauté en Equateur Personne n'a besoin de nous Il y a des courants d'air, de l'humidité, des fuites. Essayez donc de vivre ici en hiver. Nos enfants sont Tout est terrible lorsqu'on est pauvre ­ la maladie, les tombés malades et les adultes aussi. Il y a des humiliations, la honte. Nous sommes des infirmes ; bestioles, des cafards, de tout. Il fait froid. nous avons peur de tout ; nous sommes dépendants -- Des hommes et des femmes rom en Bulgarie de tout le monde. Personne n'a besoin de nous. -- Une femme aveugle à Tiraspol (Moldova), 1997 13 Tous les handicapés n'ont pas les moyens Chaque jour, je cherche du travail. Mais parfois, j'ai d'entreprendre les démarches nécessaires pour honte de sortir.Tout le monde va me regarder et obtenir une allocation d'invalidité. saura que je n'ai pas de travail et que c'est pour ça -- Moldova, 1997 que j'erre comme un chien des rues... Je suis toujours triste, je parle bas, j'ai des maux de tête et je Chez les plus démunis, les handicaps sont monnaie deviens nerveux ­ je suis déprimé. courante. Directement et indirectement, la pauvreté est -- Un Bulgare bien souvent à l'origine d'un handicap. Par exemple, un enfant ne sera pas vacciné parce que sa mère analphabète Un gagne-pain suffisant et assuré est une n'a pas été informée de l'existence d'un programme de préoccupation essentielle pour les plus démunis.Tant à la vaccination gratuite, ou bien un travailleur affecté à des campagne qu'à la ville, ils doivent travailler de longues tâches dangereuses peut être victime des séquelles heures pour joindre les deux bouts, souvent à des tâches définitives d'un accident. dangereuses. Ils sont amenés à rechercher des moyens de subsistance dans des activités qui ne sont pas seulement Le handicap devient invalidant lorsqu'il n'existe aucun dangereuses mais aussi illicites et asociales, par exemple le secours, aucune information, aucun service. La vol, le trafic de drogue, le travail sexuel, le travail et la traite discrimination et l'exclusion peuvent encore venir aggraver des enfants. la situation. En Bulgarie, les personnes handicapées et aveugles seraient considérées comme « totalement De plus en plus de pauvres, et en particulier des incapables ». Dans beaucoup de pays, les autorités hommes, n'ont aucun travail. Presque partout, les groupes s'attacheraient à rendre les allocations d'invalidité difficiles de discussion composés d'hommes font état de sentiments d'accès aux personnes handicapées. de frustration, de colère et d'humiliation engendrés par l'angoisse d'être au chômage et de ne pouvoir subvenir aux En règle générale, les soins spécialisés dont les besoins de la famille. Cette détresse est particulièrement personnes handicapées ont besoin sont inexistants. Et s'il y sensible dans les enquêtes menées en Europe orientale et en a, leur coût élevé risque d'en écarter en pratique les en Asie centrale. A Kalofer (Bulgarie), une ville de 4200 pauvres, ou de les amener à interrompre leur traitement. habitants, quatre hommes âgés de 30 à 40 ans s'étaient suicidés au cours des quatre mois ayant précédé les entretiens. Chaque jour, je cherche du travail Ils ne supportent pas cet état de tension, ils n'ont pas de travail, ils ont trois enfants à nourrir, alors ils prennent une corde et ils en finissent. -- Kalofer (Bulgarie) 14 B Ceux qui n'ont pas voix au chapitre ­ la santé en fonction de l'âge et du sexe Les données recueillies dans le cadre du projet La parole Le fait que les femmes ne bénéficient pas du même est aux pauvres donnent à penser que la « bonne accès aux soins de santé traduit leur moindre pouvoir dans la santé » et le « bien-être » ne signifient pas la même chose société. La parole est aux pauvres fait ressortir que pour les femmes et les hommes, pour les vieux et les jeunes. les femmes sont généralement exclues des prises de décision Les hommes mettent l'accent sur les biens matériels et le au sein de leur communauté comme dans d'autres temps de se reposer, cependant que les femmes insistent domaines. En Indonésie, les femmes pauvres sont sur la nécessité « d'avoir de quoi vivre », de voir la paix considérées comme « n'ayant pas voix au chapitre » lors des régner dans la famille, de subvenir aux besoins de leurs réunions organisées par la communauté : « si des femmes enfants et d'avoir de bons rapports avec leurs voisins et pauvres protestent, leur voix ne sera pas entendue, ou pire amis.3 Les jeunes appréhendent de voir les personnes dont encore, elles seront châtiées pour avoir pris la parole en ils dépendent ­ particulièrement leurs parents ­ tomber public ». malades, bien davantage que d'avoir eux-mêmes des problèmes de santé; quant aux personnes âgées, elles craignent surtout la solitude et l'isolement. Quand les femmes sont malades... Les différences entre les sexes se font sentir aussi en ce Quand les femmes sont malades, personne ne les qui concerne la nature des problèmes de santé qui soigne. Quand les hommes sont malades, ils sont affectent les hommes et les femmes, ainsi qu'en matière soignés par les femmes. -- Afrique du Sud, 1998 d'accès aux services de santé. C'est ainsi que les femmes risquent de souffrir d'épuisement davantage que les Il est généralement admis que les hommes passent hommes, cependant que ceux-ci ont davantage de avant les femmes pour ce qui est de l'accès aux structures problèmes de toxicomanie ou d'alcoolisme (voir page 25). de santé et des ressources nécessaires pour en bénéficier. Les hommes s'adressent plus volontiers aux services de En règle générale, les femmes retardent le moment où elles santé structurés, cependant que les femmes ont tendance à se feront traiter elles-mêmes afin que leur famille puisse se tourner vers la médecine traditionnelle ou autres services être soignée. de soins parallèles, moins chers et mieux acceptés par l'entourage. Les normes sociales concernant les déplacements des femmes peuvent également influer sur l'accès aux soins. Au Hommes et femmes tendent aussi à assumer des rôles Pakistan, il est rapporté que les femmes et les enfants se différents en matière de soins de santé. Ce sont en général refusent à voyager seuls. Au Baloutchistan (Pakistan), les les femmes qui dispensent les soins de santé, cependant femmes déclarent qu'elles ne sont pas « autorisées » à se que les hommes s'occupent plus souvent de prendre les rendre à l'hôpital sans leur mari. De même, au Yémen, une décisions financières nécessaires en matière de soins ainsi femme ne se rendra pas seule dans un service de santé à que de prendre en charge financièrement leurs proches moins qu'il ne soit tout proche et en tout état de cause, elle malades et de les transporter au dispensaire ou à l'hôpital. doit au préalable obtenir l'assentiment de son mari ou d'un homme de sa communauté. 3 Toutefois, La parole est aux pauvres montre qu'il est difficile de généraliser au sujet de ces différences car les rôles et les priorités de l'un et l'autre sexe sont en train de changer rapidement une peu partout dans le monde. 15 La condition sociale des femmes et la piètre opinion qu'elles ont d'elles-mêmes est aussi susceptible d'affecter la façon dont elles accèdent aux soins de santé. Au Pakistan encore, une femme a déclaré qu'elle ne voulait pas se rendre à l'hôpital parce que, étant analphabète, elle se sentait incapable de décrire son état en des termes susceptibles d'être compris par le personnel hospitalier. De plus en plus, les femmes se chargent de tout La plupart des hommes abandonnent désormais leur foyer. Maintenant, ce sont les femmes qui travaillent aux champs...Elles se chargent de tout. Elle paient un lourd tribut et doivent tout supporter. -- Un homme de Caguanapamba (Equateur) Le dénuement, cela signifie travailler plus de 18 heures par jour sans pour autant gagner assez pour nous nourrir, moi, mon mari et mes deux enfants. -- Une femme au Cambodge. Partout dans le monde, un nombre croissant de femmes assument le double fardeau du travail salarié et des tâches ménagères. Beaucoup de femmes sont de ce fait épuisées en permanence. Au Viet Nam, les chercheurs disent que les femmes qu'ils ont interrogées étaient « manifestement surchargées de travail », ce qui ne faisait qu'aggraver leurs problèmes de santé. Les femmes n'ont guère le temps de se reposer, de réfléchir, de mener une vie sociale ou de prendre part à la vie de la collectivité. Cette surcharge de travail peut aussi les amener à négliger leurs enfants. Beaucoup de femmes subviennent à leurs besoins et à ceux de leur famille en travaillant dans le secteur non structuré, comme domestiques, dans le petit commerce et la vente ambulante. Des cas de harcèlement et de violences sexuelles sont souvent signalés, en particulier par les employées de maison. Les foyers où le chef de famille est une femme ­ veuves, femmes abandonnées ou divorcées et mères célibataires ­ sont particulièrement vulnérables. Dans de nombreuses cultures et tout particulièrement en Afrique et en Asie, il semble que ces femmes sont souvent considérées avec mépris et traitées de manière systématiquement discriminatoire. Des pratiques consistant par exemple à envoyer les veuves au bûcher sont maintenant illégales. Mais le veuvage continue d'être une véritable catastrophe Dans 30 pour cent environ des groupes de discussion, tant pour les veuves que pour leurs enfants. Dans beaucoup il a été dit que les violences physiques avaient diminué au de groupes de discussion, il a été dit que les veuves et les cours de la dernière décennie. Il s'agissait pour la plupart de mères célibataires sont traitées avec mépris et brutalisées. groupes d'Amérique latine et des Caraïbes et de quelques- uns d'Asie. Dans ces régions, les femmes se montrent Il ressort de l'étude La parole est aux pauvres davantage conscientes de leurs droits et tolèrent de moins que des activités visant spécifiquement à faire prendre en moins les comportements violents. Elle citent plusieurs conscience des injustices dont sont victimes les femmes et moyens de faire face aux mauvais traitements : aller se à améliorer les relations entre les sexes ont parfois un effet réfugier en lieu sûr, porter plainte, recourir à un service de favorable. En Argentine, en Bulgarie, en Equateur, à la consultations familiales, et mettre fin à un mariage entaché Jamaïque et en République kirghize, on constate une de violence. Les femmes disent que le recul de la violence certaine évolution et on observe que des hommes aident est à rapprocher du travail des organisations non parfois à la maison. En Indonésie, les hommes de moins de gouvernementales et de leur accession à davantage 35 ans participent davantage aux tâches ménagères et aux d'indépendance économique.Toutefois, le travail des soins des enfants lorsque leurs épouses travaillent en usine femmes peut aussi susciter la violence masculine : les ou à l'étranger, mais non lorsqu'elles travaillent de manière hommes peuvent être irrités par le travail des femmes ou occasionnelle. s'estimer délaissés lorsqu'elles sont absentes du foyer. Mais 30 pour cent des groupes de discussion ont La violence se perpétue indéfiniment estimé que la tendance n'allait pas dans ce sens. En Europe orientale, en Asie centrale et au Brésil, il a été dit que la Ici, tout le monde se tape dessus. Les femmes violence s'était accrue. frappent les hommes, les hommes frappent les femmes et tout le monde bat les enfants. Quoi qu'il en soit, les violences et les sévices physiques -- Une jeune fille de Novo Horizonte (Brésil) au sein de la famille ont partout été qualifiés de très répandus. Ils ont le plus souvent été imputés aux difficultés « Qu'est-ce que vous avez fait pour qu'on vous économiques et à l'évolution du rôle assigné aux deux viole ? » [La police] pose toutes sortes de questions sexes et des relations entre les sexes. L'alcoolisme et la mais se garde bien de vous aider. toxicomanie, la passion du jeu, la polygamie et la -- Afrique du Sud. multiplicité des partenaires sexuels ont également été cités à cet égard. Au Brésil et en Argentine, l'alcoolisme et la Les violences familiales dont sont victimes les femmes toxicomanie ont souvent été évoqués à propos des sont monnaie courante dans tous les pays visés par l'étude violences familiales. et sont évoquées dans 90 pour cent des communautés. Etant donné que cette question est très souvent taboue, il est remarquable qu'elle ait même été mentionnée. Dans les Certains hommes maltraitent leur entourage groupes de discussion en Ethiopie et en République physiquement, verbalement et psychologiquement kirghize, il a été impossible d'aborder ce problème et au au point que l'un des membres de la famille se Bangladesh, les discussions ont eu lieu à voix basse. retrouve à l'hôpital ou même y laisse la vie. [Les Les femmes brutalisées ne présentent pas seulement des hommes]...qui ont connu la violence dans leur lésions corporelles telles que fractures et ecchymoses ; elles enfance...croient qu'ils doivent agir de même chez souffrent aussi de troubles psychologiques, d'un sentiment eux ; ainsi, la violence se perpétue indéfiniment. de honte, d'isolement et de dépression. Dans certains cas, -- Une femme à Isla Trinitaria, (Equateur) les mauvais traitements les conduisent au suicide. Les femmes maltraitées ont souvent trop peur et sont trop découragées pour demander de l'aide, que ce soit auprès 17 de la police ou des services de santé. Les générations à venir à la violence, aux sévices et à la maladie. Dans beaucoup de pays, il est indiqué que des enfants sont utilisés pour des Il y a des enfants que ne reçoivent pas de leurs travaux dangereux, et l'on signale l'existence de la traite des parents l'affection dont ils ont besoin. Sur leur petit enfants, de la prostitution et de la toxicomanie enfantines. visage, on peut lire la tristesse due au manque d'amour. A la place, ils reçoivent des coups et des Maintenant, il y a des enfants de neuf ans qui se injures. droguent. Leurs parents les retrouvent dans un tel -- Une femme à Isla Trinitaria (Equateur) état qu'ils ne peuvent rien faire, alors ils se contentent de protéger les autres enfants. Dans certaines familles, on voit bien que les filles sont -- Une femme en Argentine victimes de sévices sexuels ; elles sont battues, elles ont des marques, de multiples brûlures. Je crois que L'épreuve de la solitude tout ça résulte de frustrations. -- Une femme à Isla Trinitaria (Equateur) Je suis vieux et je ne peux pas travailler, donc je suis pauvre. Même ma terre est vieille et fatiguée, donc le Nous ne croyons pas que la vie sera meilleure pour peu que j'arrive à cultiver n'est pas suffisant. nos enfants, ni même pour les générations à venir. -- Un vieil homme au Togo en 1996 -- Une femme au Malawi Dans beaucoup de traditions, les vieillards sont traités Très peu d'enfants ont participé au projet La parole avec respect et continuent de jouer un rôle important dans est aux pauvres.Toutefois,lorsque leur voix se fait la maisonnée. Mais il ressort de l'étude La parole est entendre, on en reste saisi. aux pauvres, que « la vieillesse devient de plus en plus souvent une épreuve de tristesse et de solitude ».Des A Ho Chi Minh Ville (Viet Nam), on a demandé à des témoignages recueillis en Egypte, à la Jamaïque, en Somalie et enfants déshérités de quoi ils avaient peur et ce qu'ils ailleurs montrent que les personnes âgées sont souvent n'aimaient pas. Aucune question spécifique ne leur a été abandonnées par leurs enfants, qui partent à la ville en quête posée concernant la santé et pourtant, la maladie et ses d'une vie meilleure.En beaucoup d'endroits, des parents conséquences sont souvent mentionnées dans leurs démunis refusent de devenir un fardeau pour leurs enfants réponses. Les filles ont notamment peur de manquer adultes tout aussi pauvres : « notre mort est prochaine d'argent pour acheter des médicaments, de n'avoir personne maintenant ; nous ne souhaitons rien pour nous-mêmes ; nous pour s'occuper d'elles lorsque leurs parents sont malades, et espérons seulement que nos enfants échapperont à la misère » de la toxicomanie. Les garçons craignent que leurs (Viet Nam, 1999). enseignants tombent malades, ils ont peur des accidents, de la toxicomanie, du VIH/SIDA et des maladies dans la famille. Dans les pays où le VIH/SIDA fait des ravages, c'est Garçons et filles mentionnent le fait que leur quartier est l'inverse qui commence à se produire : des parents âgés sont sale et pollué et qu'ils sont mal logés. Parmi les autres peurs, obligés de prendre en charge leurs enfants en train de mourir ils citent les hommes ivres qui battent leurs femmes et leurs du VIH/SIDA, et de s'occuper de leurs petits-enfants en bas âge. enfants, les querelles, le divorce et l'endettement. Ces nouvelles familles ­ composées des grands-parents et de petits-enfants très jeunes sont en général indigentes. Des adultes interrogés dans d'autres pays parlent d'enfants battus et ne se sentant pas en sécurité chez eux. Dans les pays où les gens comptaient sur les retraites de Des jeunes de Sacadura Cabral (Brésil) rapportent que leur l'Etat pour leurs vieux jours, les crises financières ont laissé les père rentre ivre ou drogué à la maison pour les battre ou les personnes âgées les plus démunies particulièrement violer. Ces enfants réagissent parfois en fuguant. Ils risquent vulnérables ; elles n'ont pas les moyens d'acheter des de devenir des enfants des rues et ils seront dès lors exposés médicaments ou de la nourriture et doivent compter sur la générosité de leur entourage ou sont réduites à la mendicité. 18 CLa santé passe avant tout ­ La mauvaise santé et ses conséquences Mettons la faim en premier parce que si on a faim, on ne Notre vie s'arrête peut pas travailler ! Non, la santé passe avant tout car si l'on est malade, on ne peut pas travailler ! Lorsque mon mari tombe malade, c'est la catastrophe. -- Village de Musanya (Zambie) Notre vie s'arrête jusqu'à ce qu'il se rétablisse et retourne travailler. Le plus souvent, les pauvres décrivent la mauvaise -- Une femme en Egypte santé et le « mal-être » comme présentant de multiples facettes ; ils ne parlent pas seulement de maladie mais aussi L'état de santé des pauvres ne peut pas s'améliorer car ils de faim, de douleur, d'épuisement, d'exclusion, d'isolement, vivent au jour le jour et s'ils tombent malades, les ennuis de mauvaises relations à l'intérieur de la famille et avec les commencent, car ils doivent emprunter de l'argent et autres, d'insécurité, de peur, d'impuissance et de colère. payer des intérêts. -- Une femme à Tra Vinh (Viet Nam) Ce n'est que rarement que des maladies et affections précises sont citées (voir ci-après Nous souffrons tous).Les L'une des grandes peurs des personnes démunies est gens démunis parlent beaucoup plus souvent des que le soutien de famille tombe malade. Cela signifie que conséquences catastrophiques de la mauvaise santé que de tout à coup, il n'y a plus ni nourriture ni argent. Il faut payer telle ou telle maladie. pour le faire soigner, ce qui aggrave encore la misère ­ il faudra peut-être vendre ce que l'on a et s'endetter. La A l'inverse, une bonne santé est décrite comme un spirale descendante est amorcée : la pénurie de nourriture aspect fondamental de la qualité de la vie. Le bien-être entraîne la malnutrition et les enfants sont retirés de l'école est défini en fonction de trois critères différents : le car ils doivent aller travailler. Si un adulte qui travaillait bien-être matériel, souvent présenté comme le fait d'avoir décède, la proportion des personnes à charge par rapport « suffisamment pour vivre » ; le bien-être physique, c'est- aux adultes augmente. Si celui ou celle qui travaillait se à-dire le fait d'être fort, sain et agréable à regarder ; et le retrouve avec un handicap définitif, il y a une personne à bien-être social, qui consiste à avoir des enfants et à s'en charge de plus. occuper, à avoir une bonne opinion de soi, à se sentir en sécurité et confiant en l'avenir, à disposer d'une liberté de Tout au long de l'étude, la maladie a souvent été citée choix et d'action et à être en mesure de venir en aide aux comme une cause d'indigence. Sur les 15 causes expliquant autres. le glissement vers la misère évoquées par les personnes interrogées, c'était la plus souvent mentionnée ­ avant le fait de perdre son emploi, qui venait en deuxième position. La santé des pauvres est plus exposée parce que leur travail est physiquement dur et souvent dangereux. Or, ils risquent davantage, s'ils sont blessés ou tombent malades, 20 de ne pas avoir les moyens de se faire soigner. Des chercheurs de Bedsa (Egypte) écrivent : « les pauvres disent toujours que leur principal atout est leur force ou leur santé ». La maladie transforme très vite cet atout en son contraire. Nous souffrons tous C'est à cause de la pauvreté que j'ai perdu ma femme. Lorsqu'elle est tombée malade, j'ai fait de mon mieux pour la soigner avec le tebel [eau bénite] et les woukabi [esprits], car ce sont les seuls remèdes qui sont à la portée des personnes démunies. Mais Dieu me l'a prise. Mon fils aussi est mort du paludisme. Maintenant je suis tout seul. -- Un vieil homme en Ethiopie Les problèmes de santé signalés aux enquêteurs étaient les suivants : blessures telles que fractures des membres et brûlures, empoisonnement par les produits chimiques et la pollution, parasites présents dans l'eau contaminée, infections cutanées et troubles mentaux. Parmi les maladies mentionnées spécifiquement, il y avait la pneumonie, la bronchite, la tuberculose, le VIH/SIDA, l'asthme, la diarrhée, la typhoïde et le paludisme. Il est beaucoup question du VIH/SIDA en Argentine, à la Jamaïque, en Thaïlande, au Viet Nam et dans de nombreux pays africains, où les gens en évoquent les conséquences désastreuses. C'est au Malawi et en Zambie que ses effets sont de loin les plus sensibles et les pauvres abordent la question et en débattent de façon répétée. En Zambie, un groupe de jeunes a dessiné un graphique causal reliant la pauvreté à la prostitution et au VIH/SIDA et affections connexes. Beaucoup de problèmes de santé sont causés par les guerres et les conflits. En Bosnie, un homme 21 d'âge mûr déclare : « maintenant, nous considérons comme Cela m'aide à oublier mes problèmes normal qu'il y ait de plus en plus de gens qui souffrent d'affections cardiaques, d'hypertension et de dépression. Il Il y a beaucoup de gens dans notre village qui boivent de n'y a personne à Tombak qui ne soit atteint d'une au moins la vodka dès le matin puis qui sortent et font des choses de ces affections.Tout ceci a été causé par la pauvreté et la répréhensibles, ils commettent des méfaits. guerre ». Une femme de Glogova déclare : « nous souffrons -- Une femme à Ak Kiya (République kirghize) tous de deux maladies : l'hypertension et la nervosité ». Quand je me demande ce que mes enfants vont pouvoir manger demain, je suis tenté de me saouler à la première Mon coeur saigne occasion. Cela m'aide à oublier mes problèmes. -- Un homme au Gabon, 1997 Je veux me suicider, je veux partir d'ici...voir les gosses pleurer et ne pas avoir un sou pour leur donner du Quand je dépense de l'argent pour acheter du pain, cela pain...la vie est trop triste. me fait mal au coeur ; mais quand c'est pour de l'héroïne -- Une mère à Isla Trinitaria (Equateur) ­ je me sens bien, mon coeur est léger, je suis euphorique. Mais ensuite, je me réveille dans le dénuement et c'est Les troubles mentaux - stress, anxiété, dépression et horrible. piètre estime de soi ­ sont parmi les effets de la pauvreté -- Un héroïnomane de 30 ans, en Bulgarie couramment évoqués dans les groupes de discussions.Ils sont cités par les groupes de toutes les régions.A Tabe Ere Les pauvres voient dans l'alcoolisme et la toxicomanie (Ghana), les femmes disent que la pauvreté engendre tant de l'une des principales conséquences de la pauvreté. En tension et d'anxiété qu'elle peut rendre fou.Les Ghanéens beaucoup d'endroits, les groupes de discussion évoquent parlent de la folie comme d'une conséquence prévisible de la l'enchaînement classique alcoolisme masculin - argent qui pauvreté. se fait rare et qui passe dans l'alcool et les drogues - violence familiale. En Europe orientale et en Asie centrale en particulier, les tensions créées par la misère soudaine ont entraîné des En Amérique latine et dans les Caraïbes en particulier, troubles psychologiques.En Bosnie-Herzégovine, toutes les les problèmes de santé liés aux maladies, à l'alcoolisme et à communautés où se sont rendus les chercheurs de La la toxicomanie sont les effets de la misère les plus fréquem- parole est aux pauvres ont fait état de « problèmes ment cités. La toxicomanie est mentionnée dans les zones psychologiques ». La pauvreté a contraint les familles à urbaines d'Amérique latine ainsi qu'à Bangkok et à Ho Chi réduire leur consommation de façon draconienne ­ en Minh Ville. Il en est aussi souvent question en Bulgarie, en consommant des aliments moins chers, en réduisant leurs République kirghize, en Russie et en Ouzbékistan. Les dépenses de santé et en recourant de plus en plus aux drogués eux-mêmes sont malheureux mais aussi leurs remèdes domestiques et traditionnels. Les gens disent qu'ils familles, qui s'inquiètent pour leurs enfants toxicomanes. ne peuvent plus respecter les normes sociales ­ par exemple, offrir l'hospitalité aux étrangers ­ et que cela les L'alcoolisme est particulièrement fréquent chez les attriste et leur donne un sentiment d'infériorité. hommes. Un graphique sur les causes et les effets, établi à la suite de plusieurs discussions de groupe menées à Il y a des familles qui ne mangent pas ou ne boivent pas Kuphhera (Malawi), montre les hommes souvent prisonniers pendant trois jours. Les gens meurent de faim...Ayagan d'un enchaînement qui les mène de la consommation de était un type bien. Il n'arrivait pas à nourrir sa famille ; ses bière à la multiplication des partenaires sexuels, à la enfants pleuraient, et il s'est brûlé la cervelle. maladie puis en fin de compte à la mort. En Europe -- Un vieil homme en Ouzbékistan orientale et en Asie centrale, l'alcoolisme semble en augmentation constante. 23 D Pire que des chiens ­ les pauvres et les services de santé Les gens ne cessent d'insister sur le fait que les services de médicaux font que dans les foyers les plus démunis, la santé sont essentiels à leur survie et à leur existence. capacité de travail est amoindrie ». Pourtant, l'importance que les pauvres attachent aux services de santé est tempérée par un sentiment de Si quelqu'un est malade, comment le faire sortir d'ici ? déception - et parfois de colère ­ éprouvé de manière très générale en raison de la mauvaise qualité du service et de Si quelqu'un tombe malade ici, le déplacement coûte très la difficulté à se faire soigner. Ces difficultés concernent cher ; et si on ne fait pas attention, les gens meurent notamment les dépenses directes - honoraires des avant d'arriver à l'hôpital. médecins, médicaments et dessous de table ­ mais aussi le -- Une femme de Little Bay (Jamaïque) coût indirect du transport jusqu'au centre de santé et du temps perdu à attendre d'être soigné. La façon offensante Tant que vous êtes en bonne santé, ça va ; mais en cas de dont le personnel accueille les gens est une autre raison qui mauvaise morsure de serpent, il faut aller à Los Juries en dissuade d'aller se faire soigner. Chacun de ces points est priant Dieu qu'il n'y ait pas d'orage et qu'il ne pleuve pas examiné plus en détail ci-après. à verse. Si quelqu'un est malade, comment s'y prendra-t- on pour le faire sortir d'ici ? A pied, c'est impossible et Quand ils ne peuvent s'adresser aux services de santé aucun véhicule ne peut sortir... il n'y a plus qu'à mourir ! structurés, les gens se tournent vers la médecine -- Une jeune femme de Los Juries (Argentine) traditionnelle. Dans la plupart des cas, ils disent qu'ils préféreraient être soignés par la médecine moderne mais En règle générale, les services de santé sont rares dans souvent, la médecine traditionnelle est la seule qui leur soit les zones déshéritées, ce qui force les gens à couvrir de accessible et qu'ils aient les moyens de s'offrir. Ainsi qu'il est longues distances pour se faire soigner. Le mauvais état des indiqué dans la section B, les femmes recourent plus routes et le prix élevé des transports font que cela peut être souvent que les hommes à la médecine traditionnelle. difficile, coûteux et long. Dans les zones rurales en particulier, les gens se plaignent d'avoir du mal à faire face Quand l'accès aux soins est difficile, la maladie a toutes aux situations d'urgence et déplorent qu'il n'y ait pas de les chances de persister ou de s'aggraver. Le pire est que centre de santé à proximité. cela risque d'empêcher les gens de travailler ; ils seront alors contraints de vendre leurs biens et de s'endetter, entrant ainsi dans le cycle de la dépendance et de la Il faut attendre pauvreté. Un témoignage recueilli en Egypte décrit l'enchaînement des faits : « dans notre communauté, les Quand nous allons à l'hôpital, nous savons qu'il nous plus pauvres n'ont pas les moyens de se soigner. Ils se faudra attendre plus longtemps que la normale...Il arrive sentent donc fatigués, ou bien la maladie finit par les quelqu'un de plus « important » que nous, et il nous passe mettre hors d'état de mener une vie active. En fin de devant sans aucun problème. compte, la maladie et le coût excessif des traitements -- Groupe de discussion à Padre Jordano (Brésil) 24 On arrive à l'hôpital, il faut un numéro d'ordre ; on va à médicaments et de matériel. Dans beaucoup de pays, on l'accueil, les infirmières sont occupées à bavarder. Il faut manque de produits de première nécessité comme l'eau attendre qu'elles veuillent bien vous attribuer un pure par exemple. numéro.... « Le docteur est-il là ? » « Non, il n'est pas là ». Elles mentent. Un autre problème souvent évoqué a trait à la -- Une femme de 25 ans à Los Juries (Argentine) nécessité de présenter des documents tels que carnets de santé et cartes de rations alimentaires. Ils sont difficiles à Pour les pauvres, l'un des principaux obstacles pour se obtenir et à conserver en lieu sûr et pour certains, faire soigner est le temps que l'on perd. Pour beaucoup impossibles à lire et à comprendre. d'entre eux, chaque instant est précieux, car le temps perdu à ne pas travailler risque d'entraîner une perte de revenu. Nous n'avons pas d'argent pour nous soigner Une fois arrivés au centre de santé, les gens risquent d'attendre des heures avant d'être vus. Pour certains, le Nous n'avons pas le droit de tomber malade car il faut temps passé à attendre est une épreuve qui peut elle- payer pour être soigné...Payer avec quoi ? même rendre malade. -- Un vieil homme de Zenica (Bosnie-Herzégovine) On tombe malade et on n'a pas d'argent pour se soigner. Il n'y a pas de médicaments On n'a pas de médicaments parce qu'ils sont très chers...tout est si cher. Nous n'allons pas à l'hôpital parce qu'il faut y apporter sa -- Des femmes de Juncal (Equateur) propre literie, sa vaisselle, parfois même un lit. -- Une jeune femme à Muynak (Ouzbékistan) Le coût élevé des soins est sans cesse évoqué. Les gens disent que ces dépenses peuvent être d'autant plus Vous y allez mais personne ne s'occupe de vous. Il n'y a catastrophiques qu'elles viennent s'ajouter à la perte de pas de médicaments. C'est une calamité. revenu occasionnée par la maladie. -- Un jeune homme de Los Juries (Argentine) S'agissant des agents de santé, il est souvent question Nous n'avons pas voix au chapitre à l'hôpital : personne de corruption. Ils demandent parfois des « honoraires » ne tient compte de notre avis. officieux ou s'attendent à recevoir de petits « cadeaux » en -- Des gens démunis de Mtamba (Malawi) échange de services aussi courants que l'établissement du dossier du patient, l'examen par un infirmier ou un Dans beaucoup de pays, les pauvres estiment que médecin, les tests pratiqués et les médicaments distribués. dispensaires et hôpitaux sont de loin les établissements Un malade peut être prié de revenir plusieurs fois publics les plus importants. Pourtant, les structures de santé inutilement au dispensaire ou à l'hôpital. (ainsi que d'autres services publics) sont fréquemment critiqués pour leur inefficacité. En Egypte, hommes et Généralement, les honoraires officiels doivent être femmes démunis déclarent que l'hôpital rural est versés en espèces et à l'avance. Un grand nombre de l'établissement qui rend le moins de services : « ils nous personnes démunies déclarent avoir recours à d'autres regardent de haut et ne s'occupent pas de nous ». En dispensateurs de soins tels que les guérisseurs traditionnels général, le personnel de proximité est plus apprécié que ou les praticiens exerçant à titre privé parce que leurs celui des dispensaires et hôpitaux plus éloignés. conditions de rémunération sont plus souples et qu'ils acceptent les paiements différés, échelonnés et en nature. Les doléances les plus fréquemment exprimées ont Ils seraient aussi plus compréhensifs et plus proches trait à la mauvaise qualité du service, au manque de géographiquement, et l'attente serait moins longue. personnel et à l'absentéisme, ainsi qu'à la pénurie de 25 Une infirmière mal lunée propre famille ne vous donnent plus à manger pour vous venir en aide. Les gens se plaignent souvent d'être traités de -- Un jeune homme de Nchimishi (Zambie) manière grossière, humiliante et déplacée. Un tanzanien déclare : « nous préférons nous soigner nous-mêmes plutôt Dans les communautés défavorisées, l'absence de que d'aller à l'hôpital où une infirmière mal lunée pourrait services de santé organisés amène souvent les gens à bien nous injecter le mauvais médicament ». Ailleurs en s'adresser à des réseaux traditionnels ou de solidarité. Ces Tanzanie, hommes, femmes et jeunes gens répètent à l'envi réseaux apportent un soutien essentiel ­ tant affectif que qu'on les traite « pire que des chiens ». Avant même que les pratique ­ et facilitent l'accès aux structures de santé. gens aient pu décrire leurs symptômes, « on leur crie L'importance des réseaux de solidarité est particulièrement dessus, on leur dit qu'ils sentent mauvais et [qu'ils sont] des évidente lorsque des problèmes de santé et de maladie paresseux et des bons à rien... » surgissent brutalement, en cas de catastrophe naturelle et d'accident. A La Calera (Equateur), un jeune homme déclare : « à l'hôpital, ils ne s'occupent pas des autochtones comme ils le L'étude La parole est aux pauvres fait devraient.Ils les soignent mal parce qu'ils sont apparaître que dans beaucoup de pays, les réseaux et analphabètes...et ils nous donnent des médicaments qui ne structures d'entraide traditionnels sont mis à très rude correspondent pas à la maladie que nous avons ».Au Viet épreuve. Dans les milieux défavorisés, on parle d'une perte Nam, les gens préfèrent se faire soigner par les agents du sens communautaire et du recul de l'hospitalité paramédicaux locaux que par le personnel du poste sanitaire. traditionnelle, découlant d'une urbanisation croissante et de Ils expliquent : « les gens ne vont pas au poste sanitaire parce la criminalité, de la corruption, de la violence et de l'insécurité que le personnel de santé y est peu compétent ». grandissantes. Il en résulte solitude et isolement, sources à leur tour de tensions et troubles psychiques. Ceux qui sont Un tel comportement du personnel sanitaire, certes les plus vulnérables ­ les enfants, les personnes âgées, les inexcusable, correspond bien souvent à des conditions de veuves, les minorités ethniques, les handicapés et les travail très difficiles. En Bulgarie, une infirmière commente : personnes souffrant du VIH/SIDA ­ se trouvent exclus et « il y a des personnes âgées qui passent la moitié de la n'ont plus aucun accès à l'information, aux services de santé, semaine à l'hôpital. Elles ne veulent pas comprendre qu'il y à l'éducation et à un gagne-pain. Cela engendre donc la a aussi d'autres gens qui sont malades...comme si nous misère, et celle-ci se perpétue de génération en génération. pouvions y changer quelque chose. Il n'y a pas d'argent pour distribuer les médicaments gratuitement. Je ne peux Quand les réseaux de solidarité s'effondrent, l'action pas me sentir [bien] quand il y a des gens abandonnés... collective devient difficile. Partout, les pauvres parlent de moi je suis là, et je ne peux rien faire ». l'importance de structures locales telles que les services funéraires, la société d'épargne et de crédit et les associations d'agriculteurs. Mais il s'agit le plus souvent L'entraide n'existe pas d'organismes qui ne desservent que le voisinage et ne se transforment pas en mouvements d'action sociale. Une L'entraide n'existe pas, celui qui a faim ne vit que pour lui- exception digne d'être notée est celle des associations de même et celui qui est rassasié ne vit que pour lui-même. voisinage brésiliennes qui, au dire des personnes -- Zawyet Sultan (Egypte) défavorisées, savent appeler l'attention des pouvoirs publics et des municipalités sur les besoins de la communauté. Ces Quand la nourriture était abondante, on la partageait en associations viennent en aide aux habitants dans leur vie famille. Maintenant, avec la famine, les membres de votre quotidienne mais aussi à l'occasion d'épreuves telles que problèmes de santé, pénurie de nourriture et problèmes de logement. 26 En résumé Les personnes démunies souhaitent pouvoir s'adresser à des institutions honnêtes, qui aient le sens des responsabilités et qui les traitent équitablement et avec respect. Hommes et femmes de Novo Horizonte (Brésil) demandent que le personnel « soit présent ; qu'il nous traite poliment ; qu'il se montre patient ; qu'il nous écoute ; qu'il s'efforce de comprendre nos besoins ; qu'il prête attention ; qu'il ne dise pas toujours « revenez une autre fois » ; qu'il dise honnêtement s'il peut ou non résoudre le problème ; qu'il travaille avec dévouement ; qu'il ne fasse pas preuve d'ignorance, qu'il respecte les problèmes de la communauté ; qu'il soit ponctuel ; qu'il veille à l'égalité de traitement et n'agisse pas de manière discriminatoire ; qu'il résolve le problème qui lui est soumis ». Deuxième partie Reflexions et premières conclusions " Ceux qui sont chargés de prendre les grandes décisions ­ que ce soit au niveau des gouvernements, dans le secteur privé ou dans la société civile ­ prennent de plus en plus conscience que des communautés et des sociétés en bonne santé sont essentielles au développement futur de chaque pays et de notre planète. Pour parler simplement, investir dans la santé était naguère considéré comme un luxe, venant après l'investissement dans l'énergie, les transports ou la défense. Désormais, la bonne santé d'une société est considérée comme l'une des premiers objectifs à atteindre " pour assurer le développement de sa population. -- Dr Gro Harlem Brundtland Directeur général Organisation mondiale de la Santé " Le coût de l'inégalité devient de plus en exorbitant non seulement pour les pauvres mais pour l'ensemble de la communauté mondiale. Le monde ne peut plus feindre d'ignorer le coût des " maladies engendrées par la pauvreté. -- Mamphela Ramphele, 28 Directeur administratif de la Banque mondiale L'étude La parole est aux pauvres vient confirmer, tant du point de vue familial que du point de vue communautaire, ce que les données macroéconomiques nous avaient déjà enseigné, à savoir : que pauvreté et mauvaise santé vont de pair ; que les causes principales de la mauvaise santé relèvent de la sphère de la santé publique ; et que les systèmes de santé des pays en développement ne remplissent leur rôle auprès des pauvres. Comment améliorer la santé des plus démunis ? Dans la deuxième partie, on examinera les premières conclusions à tirer de la parole des pauvres présentée dans la première partie. Le texte qui suit s'organise autour des trois axes susmentionnés, ainsi qu'autour d'un quatrième, à savoir les problèmes de santé affectant les pauvres de manière disproportionnée. Ces conclusions provisoires s'appuient sur La parole est aux pauvres,mais elles se fondent aussi sur les compétences et l'expérience de l'OMS. Il s'agit donc des conclusions de l'OMS et non de suggestions faites par les pauvres eux-mêmes. Le début de la deuxième partie évoque l'importance de la participation des personnes démunies aux efforts destinés à améliorer leur santé. Privilégier les besoins des plus pauvres est essentiel. Améliorer globalement l'état de santé de la population ou s'efforcer de réformer les services de santé ne bénéficie pas nécessairement aux plus démunis ­ qui ont des problèmes de santé spécifiques et qui rencontrent des obstacles bien particuliers pour se faire soigner, et qui ont par conséquent besoin d'interventions ciblées. Selon des recherches réalisées par l'OMS, il semble que dans beaucoup de pays en développement, ni les politiques de santé ni les stratégies globales de développement ne sont expressément conçues pour répondre aux besoins des pauvres en matière de santé (2).4 Il s'ensuit que les pauvres continuent à supporter un fardeau disproportionné de problèmes de santé et d'être exclus des soins de santé. Cela a pour effet de perpétuer les inégalités entre les pauvres et ceux qui sont mieux lotis. C'est à dessein que les stratégies présentées ici sont globales et non directives. Il y a deux raisons à cela.Tout d'abord, l'OMS estime que dans une large mesure, les politiques de santé doivent être dictées par le contexte local. En second lieu, on dispose de fort peu d'éléments concrets sur ce qui constitue des recettes efficaces pour protéger, rétablir et préserver la santé des plus démunis. Certains travaux ont été réalisés par l'OMS (3) et par la Banque mondiale (4) et l'on s'en est inspiré ici, mais en général, les détails techniques concernant ces politiques manquent. La conclusion la plus importante à tirer du présent document est peut-être que c'est en agissant et en innovant sur le terrain que l'on en apprendra davantage. 4 Les conclusions préliminaires d'une étude de l'OMS sur les politiques nationales de santé et la lutte contre la pauvreté ont fait ressortir que dans leur majorité, les politiques de santé ne se préoccupent pas explicitement de la pauvreté. La plupart s'intéressent aux progrès de la santé dans son ensemble, sans se préoccuper de la façon dont se répartissent ces améliorations. 29 Participer Les pauvres ont le droit de participer aux processus qui concernent leur vie. Dans La parole est aux pauvres on a bien vu qu'il est possible de donner effet à ce droit ­ les plus démunis sont tout à fait capables d'analyser leurs problèmes et de suggérer des solutions. Ils se plaignent souvent de ne pas être consultés ni respectés, et d'être réduits à l'impuissance et au silence. Il faut mettre en place des stratégies pour associer les plus démunis et leurs représentants à l'élaboration, à la mise en oeuvre, au suivi et à l'évaluation des politiques et programmes ayant trait à la santé. Non seulement cela permettra de recueillir des informations précieuses sur les problèmes auxquels se heurtent les pauvres, ce qui aidera à mettre en place des projets adaptés ; mais en outre, et de façon plus cruciale, cela aidera les plus pauvres à se prendre en charge et à dissiper les sentiments de honte et d'isolement qui sont en eux-mêmes des causes de mauvaise santé. On ne doit pas traiter « les pauvres » comme un groupe homogène. Le sexe, l'âge, l'appartenance ethnique et culturelle retentissent tous sur les besoins en matière de santé, sur la perception de ce qu'est la santé et la mauvaise santé et sur l'accès aux services de santé et la façon dont ils sont utilisés. Ainsi, les processus de participation doivent être adaptés aux besoins des différents groupes et en particulier des femmes, des populations autochtones et des plus déshérités d'entre les pauvres. Une autre constatation importante qui ressort de l'étude La parole est aux pauvres est l'érosion des valeurs, des réseaux et des mécanismes de solidarité des pauvres sous l'effet pernicieux de l'aggravation de la misère et de l'urbanisation. Cela retentit sur la façon dont les pauvres font face aux problèmes de santé. Afin de faciliter leur participation ­ et de consolider les mécanismes permettant aux gens de faire face aux problèmes de santé ­ il faut chercher à appuyer et à renforcer les associations et réseaux mis en place par les pauvres. 30 31 Améliorer la santé des plus pauvres 1 Placer la santé dans un cadre de développement plus large Pauvreté et mauvaise santé sont inséparables. Dans 127 objectifs sociaux - doivent être placés au coeur du études de cas réalisées dans le cadre de La parole est processus de prise de décision plutôt que d'être perçus aux pauvres, qui avaient pour but de cerner pourquoi comme des retombées de l'amélioration des performances des familles étaient tombées dans la misère, les problèmes économiques globales. Cela suppose, entre autres, que les de santé sont apparus comme la cause déclenchante de dépenses pour la santé et pour d'autres secteurs sociaux loin la plus fréquente de cette paupérisation. Les soient reconnues comme un investissement. Des témoignages personnels confirment cette constatation ­ dispositions ­ en matière de protection sociale par exemple les problèmes de santé sont perçus à la fois comme la cause ­ doivent également être prises pour protéger les pauvres à de l'aggravation de la misère et comme un obstacle la fois de la paupérisation due à la mauvaise santé et des empêchant d'en sortir. « chocs » économiques qui peuvent les appauvrir encore plus et par conséquent nuire encore davantage à leur santé. La maladie peut manger les économies du ménage, Ces chocs sont par exemple la perte de revenu due au diminuer la capacité d'apprendre et la productivité et chômage, la perte des biens (par exemple en raison d'une porter atteinte à la qualité de la vie, ce qui engendre ou catastrophe naturelle) et la dévaluation de la monnaie. perpétue la pauvreté. Le cercle vicieux s'amorce puisque les pauvres sont exposés à des risques personnels et Plus fondamental encore, il est important de veiller à environnementaux accrus, sont bien moins nourris, moins ce que les bénéfices de la croissance soient répartis bien informés et moins à même d'accéder aux soins de équitablement ­ il ne peut y avoir de progrès véritable dans santé. Ils sont donc davantage exposés à la maladie et à la lutte contre la pauvreté, ni d'amélioration de la santé, si l'invalidité. l'on ne s'attaque pas aux inégalités économiques et sociales. Le bon côté de la médaille ­ le fait qu'en améliorant la santé on peut prévenir la pauvreté ou offrir le moyen d'y Un élément important, si l'on veut placer la santé au échapper ­ a été moins étudié. On dispose maintenant de coeur des processus de développement, est l'amélioration données qui montrent qu'une meilleure santé se traduit par de l'interaction entre la santé et les autres secteurs, et en une richesse accrue et répartie de manière plus équitable, particulier (mais pas seulement) l'éducation, la finance, car elle permet de développer le capital humain et social et l'emploi, le commerce, l'agriculture et l'environnement. S'il y d'accroître la productivité. Une main d'oeuvre en bonne a peu de ressources, les ministères de la santé seront peut- santé non seulement produit davantage, mais épargne être amenés à fixer des priorités, c'est-à-dire à collaborer davantage. Des enfants sains apprennent mieux. Les prioritairement avec les secteurs qui ont le plus d'impact familles en bonne santé tendent à avoir moins d'enfants et sur la santé dans leur pays. La capacité des ministères de la à mieux espacer les naissances. santé d'analyser les liens intersectoriels et de prendre des initiatives transectorielles est souvent faible, et dans Les liens qui unissent inextricablement problèmes de beaucoup de pays, il faudra peut-être la renforcer. santé et pauvreté incitent à penser que la santé - et d'autres 32 2 Donner un nouvel élan aux politiques de santé publique Lorsqu'ils évoquent les causes de leur mauvaise santé, les multiplicité de programmes verticaux non coordonnés, pauvres mettent l'accent sur des éléments qui relèvent chacun fonctionnant séparément et sans aucune vision traditionnellement du secteur de la santé publique ­ d'ensemble des besoins du pays en matière de santé mauvaise nutrition (surtout), eau sale, dispositifs publique. d'assainissement insuffisants, mauvaises conditions de logement et pollution. Ces problèmes doivent être résolus Les ministères de la santé sont les mieux placés pour de toute urgence ­ dans les pays à faible revenu, 46 % des réclamer hautement des améliorations des services de gens à peine bénéficient d'installations d'assainissement (5) santé publique. Leur tâche sera beaucoup facilitée s'ils font et un enfant sur trois de moins de cinq ans, dans le monde mieux comprendre comment, en investissant dans les en développement - soit près de 182 millions d'entre eux - services de base pour qu'ils axent leur action sur la lutte souffrent d'un retard de croissance parce qu'ils ne sont pas contre la pauvreté, il sera possible d'améliorer la santé. correctement nourris. Dans l'action à mener pour donner un nouveau souffle aux politiques de santé publique, il ne faut jamais perdre de vue Les pauvres mentionnent également plusieurs autres que la lutte contre la pauvreté est un objectif prioritaire. causes de maladie qui ne relèvent pas directement de ce Traditionnellement, les politiques de santé publique ont eu que l'on considère habituellement comme le domaine de la pour but d'améliorer la santé du plus grand nombre, sans santé publique. Il s'agit du chômage, de l'épuisement dû au que l'on se demande si ces bienfaits bénéficiaient aux surmenage, de la violence familiale, de l'isolement couches les plus défavorisées de la société. L'objectif d'une (particulièrement dans le cas des personnes âgées) et de politique moderne de santé publique devrait être l'effondrement des réseaux sociaux. d'améliorer la santé de l'ensemble de la population en prêtant particulièrement attention aux milieux les plus Bien que le lien entre pauvreté économique et démunis. En d'autres termes, il faut s'attaquer aux disparités mauvaise santé soit indiscutable, il est possible d'apporter qui existent entre la santé des riches et la santé des des améliorations sensibles à la santé des plus démunis pauvres. sans accroître le revenu par habitant. Cela suppose des améliorations aux services publics de base (et un meilleur accès à ceux-ci), qu'il s'agisse d'eau salubre, de nourriture saine et suffisante, de logements décents et de réseaux d'assainissement acceptables, ainsi que d'une meilleure éducation pour les jeunes filles et les femmes. Dans beaucoup de pays, le secteur de la santé publique est complètement désorganisé. Son financement et ses effectifs sont généralement insuffisants, et c'est un secteur considéré à tort comme d'une importance marginale par rapport aux services chargés de dispenser les soins de santé. Dans la pratique ­ et cela est dû en partie à la façon dont l'aide est fournie ­ les actions de santé publique ont progressivement pris la forme d'une 33 3 Faire en sorte que les systèmes de santé soient au service des plus démunis et les protègent de la paupérisation Trop souvent, les services de santé ne répondent pas à études montrent que même des tarifs extrêmement bas l'attente de ceux qui en ont le plus besoin ­ les pauvres. Les dissuadent les personnes démunies de s'adresser aux gens démunis n'ont nulle part où se tourner lorsqu'ils sont services de santé. confrontés à des maladies graves. Leurs griefs les plus fréquents sont que les structures sanitaires sont éloignées, Il faut s'orienter vers la création de services de santé que l'accès aux soins est d'un coût prohibitif et que le dont le coût soit acceptable à la fois pour les pauvres et personnel de santé est désagréable et manque de pour l'Etat, et faire preuve d'un grand sens de l'innovation conscience professionnelle. Les femmes sont pour trouver des mécanismes de financement permettant particulièrement mal loties ­ elles sont souvent moins en d'apporter aux plus démunis une protection financière mesure de se déplacer et ont encore moins les moyens de contre les maladies et traumatismes ayant des se faire soigner. conséquences catastrophiques et pour veiller à ce qu'aucun obstacle ne les empêche de s'adresser en temps utile aux L'expérience de l'OMS lui a appris que les pauvres sont services de santé. Il faudrait s'appuyer sur la solidarité en pratique exclus des soins de santé si les services ne sont communautaire et la favoriser, par exemple en autorisant pas situés à proximité, de qualité correcte, financés de les paiements en nature et des arrangements permettant manière équitable et attentifs à leurs besoins. de payer lorsqu'il y a des rentrées d'argent (par exemple à Avant tout, des structures doivent exister là où vivent les l'époque des récoltes). Des systèmes de micro-assurance plus démunis. Beaucoup de pays ont déjà pris conscience tels que ceux mis en place par la SEWA (Self-Employed de la nécessité de mettre en place des services de santé au Women's Association, une association de travailleuses sein des communautés défavorisées, par exemple en y indépendantes) en Inde, ont permis d'acquérir une installant des antennes sanitaires. Il faudrait modifier la expérience précieuse dont il est possible de s'inspirer. Le répartition des ressources pour favoriser les zones principe de base est que les honoraires à payer ne périphériques par rapport aux zones urbaines et les soins devraient jamais entraîner un nouvel appauvrissement. de santé de base par rapport aux soins tertiaires. Faire en sorte que les pauvres aient accès aux soins de Les services de santé doivent aussi être d'un coût santé suppose que les régimes de santé soient financés par abordable. Les pauvres ont déjà beaucoup à payer, qu'il des systèmes de paiement anticipé. Ceux-ci sont la norme s'agisse des honoraires ou du coût indirect des soins, y dans les pays nantis, mais dans les pays à faibles revenus, les compris les « honoraires » officieux (dessous de table), le paiements directs représentent jusqu'à 40 % des dépenses transport, les médicaments et la perte de revenus. L'étude totales de santé (6). Les paiements directs pénalisent La parole est aux pauvres donne à penser que bien évidemment les pauvres, qui sont davantage susceptibles souvent, les services gratuits ne présentent pas d'avantages de tomber malades ou d'être blessés et qui sont les moins à pour les pauvres en raison notamment de la corruption : même de financer leurs dépenses de santé. Le choix d'un des médicaments gratuits sont vendus et des médecins régime de paiement anticipé doit se faire en fonction des orientent les patients vers la médecine privée. Mais d'autres circonstances locales. Le plus souhaitable est la mise en 34 place d'un financement par la fiscalité générale, qui permet veillant à ce que des salaires décents soient versés la plus large mise en commun des risques ; mais il est ponctuellement. Diverses mesures incitatives ­ telles que particulièrement difficile à mettre en place sur le plan des indemnités pour conditions de travail difficiles - administratif et peut se révéler irréalisable dans les pays où permettront aussi d'affecter davantage de personnel de le secteur économique informel est important. Un système qualité dans des zones déshéritées. d'assurance sociale, des régimes d'assurance volontaire privée et des régimes d'assurance collective sont d'autres Toutes ces stratégies doivent être mises en oeuvre en solutions mises en oeuvre dans les pays démunis. tenant compte des besoins spécifiques et particuliers des femmes notamment, et de certaines catégories de Outre qu'ils doivent être faciles d'accès et d'un coût déshérités, tels les autochtones. Les agents de santé ont abordable, les services de santé doivent être de qualité volontiers une attitude discriminatoire à l'égard des correcte. Cela signifie non seulement que les soins doivent autochtones, dont ils ne connaissent pas la culture ni même être de bonne qualité, mais aussi que l'attente doit la langue. Les femmes peuvent être réticentes à se faire diminuer, que les médicaments doivent être disponibles et soigner par des médecins hommes. que les patients doivent être traités avec égards. Tout aussi important, les stratégies visant à améliorer L'un des points les plus importants qui est ressorti de les services de santé auront beaucoup plus de chances de l'étude La parole est aux pauvres est que l'attitude du réussir si les pauvres y sont associés. La décentralisation de personnel de santé à l'égard des pauvres est souvent la gestion des services de santé, qui est en cours dans de absolument lamentable, ce qui les dissuade de se faire nombreux pays, en fournit une excellente occasion. La soigner. C'est là un problème souvent négligé dans les cogestion et le suivi des services de santé par les politiques de santé. Pour le résoudre, il faut se doter de communautés elles-mêmes pourraient rendre ces services stratégies visant à améliorer les compétences, la motivation beaucoup plus efficaces et plus attentifs aux besoins des et les conditions de travail du personnel ­ par exemple en plus démunis. améliorant la sélection et la formation et, point décisif, en 35 4 Axer les efforts sur les problèmes de santé des plus démunis Les recherches menées par l'OMS semblent montrer qu'un développement.5 On en sait encore moins sur la façon de petit nombre de pathologies frappe les pauvres d'une traiter ces problèmes : presque toutes les recherches sur manière disproportionnée. Il s'agit de maladies l'efficacité des traitements des affections mentales ­ qu'ils transmissibles (particulièrement la tuberculose, le VIH/SIDA soient pharmacologiques ou psychosociaux ­ se font dans et le paludisme), de maladies de l'enfant (par exemple la les pays développés et peu de choses ont été faites pour en rougeole et la poliomyélite) et de problèmes de santé éprouver l'applicabilité ou l'utilité dans les pays en génésique. développement. L'étude La parole est aux pauvres n'a pas Des stratégies sont à élaborer pour faire en sorte que cherché à énumérer dans le détail les maladies frappant les services et interventions sanitaires auprès des particulièrement les plus démunis, mais elle met en lumière communautés défavorisées aient un caractère global et le fait que les souffrances et maladies physiques sont un respectent l'équilibre entre traitement des problèmes de sujet d'inquiétude essentiel pour les pauvres. Cette santé physique et de santé mentale. Dans toute la mesure insécurité concernant leur bien-être physique vient du possible, les interventions et programmes visant à s'ajouter à l'angoisse et au stress psychologique. Lorsqu'ils combattre des maladies spécifiques devraient être parlent de leurs problèmes de santé, les hommes comme coordonnés entre eux et avec l'ensemble du système les femmes insistent aussi sur la mauvaise santé mentale et de santé afin d'éviter la mise en place de programmes psychologique ­ et notamment sur les tensions psychiques « verticaux » non viables à long terme. occasionnées par la pauvreté, le sentiment d'impuissance et la discrimination. La parole est aux pauvres fait ressortir à quel point les problèmes de santé mentale des pauvres sont mal compris, particulièrement dans les pays en 5 Le Département de la Santé mentale et des Toxicomanies de l'OMS a reconnu l'importance du lien existant entre maladies mentales et pauvreté ; l'un des quatre grands sujets de discussion, lors des tables rondes ministérielles qui se sont tenues dans le cadre de l'Assemblée mondiale de la Santé en mai 2001, concernait l'examen de « La santé mentale et les facteurs socio- économiques » (WHO/NMH/MSD/WHA/01.3). Mais il est généralement admis que la relation entre pauvreté et mauvaise santé doit faire l'objet de recherches et de discussions plus poussées.. 36 Conclusion De plus en plus, les politiques de développement, qu'elles soient menées à l'échelle internationale ou nationale, tiennent compte du fait que la santé doit occuper une place centrale dans le développement économique et social et la lutte contre la pauvreté. Et d'ailleurs, beaucoup des conclusions et suggestions formulées ici figurent déjà en bonne place dans les politiques et plans nationaux des pays en développement et des pays développés donateurs. Mais sauf dans un tout petit nombre de cas, cette prise de conscience ne s'est pas traduite dans la pratique. Il faut agir. Et il faut mettre au point des politiques précises, transectorielles, pour se donner les moyens d'améliorer la santé des plus défavorisés. La participation des pauvres à l'élaboration des politiques et à leur mise en oeuvre doit rester une préoccupation essentielle. Et les pays pauvres comme les donateurs internationaux doivent mobiliser les ressources nécessaires pour que l'amélioration de la santé devienne une réalité. Les gouvernements du monde entier doivent prêter l'oreille à l'appel des plus pauvres, qui aspirent à une santé meilleure ­ et pour qui c'est un enjeu vital. 37 Références (1) La parole est aux pauvres, projet dirigé par Deepa Narayan (Banque mondiale), résultats publiés entre 1999 et 2002. Les 25 publications qui en ont résulté sont disponibles sur Internet à l'adresse www.worldbank.org/poverty/voices. (2) Etude sur les politiques nationales de santé et la lutte contre la pauvreté, OMS (à paraître). (3) Wheeler M, What Constitutes a Pro-Poor Health Policy?, OMS (projet non publié). (4) Rapid Guidelines for Integrating Health Nutrition and Population Issues in Interim Poverty-Reduction Strategy Papers of Low-Income Countries, Banque mondiale, décembre 2000. (5) Indicateurs du développement dans le monde 2001, Banque mondiale. (6) Rapport sur la santé dans le monde 2000, OMS. 38 42 Organisation mondiale de la Santé BANQUE MONDIALE La parole est aux pauvres