56627
NOTE FOCUS      Croissance et vulnérabilités
                en microfinance

                E   ntre 2004 et 2008, la microfinance a connu
                    une croissance sans précédent sur les marchés
                émergents. Selon les données du MIX (Microfinance
                                                                             financier formel. Néanmoins, quelques pays présentent
                                                                             des signes de faiblesse : là-bas, des crises d’impayés
                                                                             se sont manifestées ces 24 derniers mois à l’échelle
                Information Exchange), le secteur a progressé à un           régionale ou nationale. Ces marchés de la microfinance
                rythme historique, affichant un taux de croissance annuel    ont-ils connu une croissance trop rapide ? Sont-ils
                moyen de 39 % et totalisant plus de 60 milliards de          simplement victimes de la crise financière mondiale ou
                dollars US d’actifs en décembre 2008. La microfinance        leurs difficultés pourraient-elles avoir d’autres causes ?
                a tiré profit du fait qu’elle est largement reconnue à
                l’échelle mondiale comme un outil de développement.          Cette Note Focus présente les enseignements tirés
                Promue par de nombreux gouvernements souhaitant              de quatre marchés de la microfinance : le Nicaragua,
                améliorer l’inclusion financière, elle a même été inscrite   le Maroc, la Bosnie-Herzégovine et le Pakistan (voir la
                à l’ordre du jour des Nations unies et du G8. Identifiant    figure 1). Tous ces pays sont des marchés importants
                le potentiel de rendements sociaux et financiers, les        de microfinance dans leur région respective et ont
                bailleurs de fonds et les investisseurs socialement          connu une crise de remboursement après une phase
                responsables lui ont attribué un volume accru de             de croissance forte. Pour chacun d’eux, le CGAP
                financements. La performance mondiale du secteur a           a compilé des études comprenant des analyses de
                été exceptionnelle, avec une excellente qualité et un        données et de larges enquêtes auprès de directeurs
                rendement stable des actifs.                                 d’institutions de microfinance (IMF), d’investisseurs
                                                                             et de spécialistes du secteur. Ces études révèlent
                L’augmentation des financements commerciaux a                que la récession économique mondiale n’est pas
                permis à la microfinance de se hisser à un niveau qu’elle    la première cause des crises d’impayés, même si
                n’aurait jamais atteint avec le seul soutien des bailleurs   elle fait partie des facteurs contextuels affectant la
                de fonds et des gouvernements (qui, il y a dix ans,          capacité de remboursement des emprunteurs. En
                constituaient les principales sources de financement).       fait, elles identifient trois vulnérabilités au sein du
                Grâce à cette croissance spectaculaire, des millions         secteur de la microfinance qui constitueraient le fond
                de pauvres sont désormais inclus dans le système             du problème :




                Figure 1. Quatre pays récemment touchés par des crises d’impayés en microfinance




N° 61
Février 2010
                                                         Bosnie-
                                                       Herzégovine
Greg Chen,
Stephen
Rasmussen et                                                 Maroc                              Pakistan
Xavier Reille

                                  Nicaragua
2




        1. Concentration              de   la   concurrence        et       davantage de pauvres et de personnes exclues
                      endettement croisé                                    du système bancaire. Mais une autre raison les a
        2. Insuffisance des systèmes et des contrôles                       également poussées à croître : faire partie des grands
                      dans les IMF                                          acteurs à qui reviennent financements, influence
        3. Relâchement de la discipline de crédit des IMF                   nationale et reconnaissance internationale. La figure 2
                                                                            illustre la rapidité avec laquelle nos quatre pays ont
    Cette Note Focus commence par décrire brièvement                        développé leurs portefeuilles de microcrédit : compris
    la récente croissance dans les quatre pays touchés                      entre 33 et 67 %, leurs taux de croissance annuels
    par les crises d’impayés. Dans une deuxième partie,                     composés (TCAC1) étaient équivalents ou supérieurs
    elle présente les principaux facteurs contextuels                       à la moyenne du MIX, s’élevant à 43 % sur la même
    qui ont déterminé la gravité et l’étendue des crises.                   période.
    La troisième partie analyse les trois vulnérabilités
    du secteur qui constituent le fond du problème.                         Le moteur de la croissance :
    S’ensuit une discussion sur la manière dont                             les services de crédit
    l’infrastructure de marché et les outils peuvent aider
    à atténuer certains risques. Enfin, la Note conclut                     L’expansion du marché de la microfinance a
    en replaçant ces expériences dans le contexte plus                      été générée par des IMF offrant des produits de
    large de la microfinance mondiale et formule des                        crédit et des méthodes de prestation courants. On
    recommandations pour renforcer le secteur.                              distingue cependant des différences importantes
                                                                            dans les méthodologies de crédit employées dans les
    De 2004 à 2008 : la croissance                                          différents pays. Ainsi, le prêt direct à des particuliers
                                                                            ou à des microentreprises est l’approche privilégiée
    Ces cinq dernières années, le secteur de la                             en Bosnie-Herzégovine et au Nicaragua, tandis que le
    microfinance a progressé à un rythme sans                               crédit de groupe prédomine au Maroc et au Pakistan.
    précédent. Cette croissance a été portée par des                        L’expansion s’est faite tant par la création d’agences
    IMF de plus en plus compétentes et confiantes dans                      sur de nouveaux marchés que par la croissance sur
    l’accomplissement de leur mission sociale : toucher                     des marchés existants via des prêts de taille plus



    Figure 2. Croissance des IMF

                                                  Encours de crédits bruts

                      900

                      800                                                                                        Bosnie-Herzégovine
                                                                                                                 (TCAC 43 %)
                      700

                      600                                                                                        Maroc (TCAC 59 %)
       Millions USD




                      500

                      400
                                                                                                                 Nicaragua (TCAC 33 %)
                      300

                      200
                                                                                                                 Pakistan (TCAC 67 %)
                      100

                        0
                               2004        2005             2006              2007              2008
                                                          Année

    Source : MIX, les données sur le Pakistan proviennent du Pakistan Microfinance Network.




    1 Le TCAC correspond au taux de croissance d’une année ou d’un exercice a l’autre au cours d’une période donnée.
                                                                                                                                                3




Figure 3. Sources de financement des IMF

                                                  Structure de financement
                                           Moyenne pour les IMF dans les quatre pays
                 70

                 60

                 50
  Millions USD




                 40
                                                                                                                               Épargne
                 30
                                                                                                                               Emprunts
                 20
                                                                                                                               Participations
                 10                                                                                                            au capital

                 0
                          2004             2005                   2006                   2007                  2008
                                                                 Année
Source : données du panel du MIX.




importante et de nouveaux produits. L’augmentation                        pour croître plus rapidement. Le montant des
de la taille des prêts a été particulièrement marquée                     investissements transfrontaliers en microfinance
au Nicaragua, en Bosnie-Herzégovine et au Maroc.                          a atteint 10 milliards de dollars US en 2008, un
Mais le principal dénominateur commun aux quatre                          chiffre sept fois supérieur à celui des cinq années
pays était le fait que l’épargne ne constituait pas                       précédentes3. Les investissements étrangers se
un service majeur ni une source importante de                             sont concentrés sur quelques pays, dont la Bosnie-
financement (voir la figure 3). Le ratio entre dépôts                     Herzégovine et le Nicaragua4. Nombre d’IMF se
d’épargne et encours de crédits y est resté inférieur                     sont appuyées sur des crédits octroyés par des
à 10 % sur l’ensemble de la période, contrastant ainsi                    prêteurs étrangers pour doper leur croissance. Par
nettement avec la moyenne mondiale de 46 % établie                        ailleurs, elles se sont souvent procuré des capitaux
                      2
par le MIX .                                                              sur les marchés nationaux auprès des banques
                                                                          commerciales et des organisations faîtières locales.
Une croissance alimentée par                                              Cette tendance était particulièrement marquée au
des financements abondants,                                               Maroc : fin 2008, 85 % des actifs de microfinance
notamment des produits de dette                                           y étaient financés par des prêts de banques
                                                                          commerciales5. Au Pakistan, les prêts d’institutions
Au cours de cette période, les bailleurs de fonds                         faîtières et de banques commerciales nationales se
et les investisseurs socialement responsables                             sont largement substitués aux financements des
ont commencé à octroyer des financements plus                             bailleurs de fonds. L’accent ainsi placé sur l’emprunt
importants à un certain nombre d’IMF à travers le                         a contribué à une hausse du ratio de levier (ratio
monde. Ils ont ainsi stimulé l’offre et alimenté la                       entre les actifs totaux de l’IMF et sa base de fonds
croissance. L’abondance de financements a donné                           propres), qui est passé de 3 à 5,5 entre 2004 et 2008
aux IMF la confiance et le capital nécessaires                            dans les quatre pays6.


2 Calculée en fonction des données de 914 IMF en 2008. Valeur médiane : 29 %.
3 Étude du CGAP sur les flux de financement.
4 En décembre 2008, 51 % des encours de crédits en microfinance des institutions financières de développement (institutions financières
  créées par les États pour la promotion du développement économique) étaient concentrés sur dix pays (la Russie, la Bulgarie, le Pérou, le
  Maroc, la Serbie, la Roumanie, l’Ukraine, la Bosnie-Herzégovine, l’Équateur et l’Azerbaïdjan).
5 Banque centrale du Maroc, décembre 2008.
6 Selon les données du MIX, les institutions financières non bancaires ont connu une évolution similaire sur la même période, leur ratio de
  levier combiné passant de 2,9 à 4,25.
4




    Initialement, les performances                                                de crédit ont commencé à se manifester. Si les premiers
    financières sont restées bonnes                                               signes de tension ont été signalés parmi les acteurs
                                                                                  du secteur en 2007, les problèmes d’impayés ne sont
    Au début de la phase de croissance, les performances                          apparus dans les rapports des IMF que début 2008 au
    financières des IMF étaient excellentes dans les quatre                       Maroc, fin 2008 ou début 2009 dans les autres pays. La
    pays par rapport aux benchmarks internationaux. Les                           figure 5 montre le brusque accroissement du portefeuille
    IMF ont conservé des portefeuilles de qualité, leurs                          à risque (PAR8) en juin 20099. Dans trois pays, le PAR
    marges d’intérêt nettes se sont maintenues et leur                            était supérieur à 10 %, seuil utilisé pour définir une grave
    rentabilité est restée stable ou a progressé. Associées à                     crise d’impayés. Seule la Bosnie-Herzégovine affichait
    un levier financier accru, ces performances ont amélioré                      un PAR inférieur à 10 %, mais ce résultat était dû à
    le rendement des fonds propres au Maroc et en Bosnie-                         une politique agressive d’abandon de créances10. Cette
    Herzégovine sur l’année 2007, comme en témoigne la                            montée en flèche du PAR illustre bien à quel point la
    figure 4. Ces évolutions positives ont donné aux IMF et                       qualité des actifs de microfinance peut être volatile.
                                                                   7
    aux investisseurs des raisons d’être optimistes , alors
    même que de nouveaux risques se profilaient à l’horizon.                      Certains éléments propres à chaque pays permettent
                                                                                  de mieux comprendre ce qui s’est passé.
    Plus tard, la qualité du crédit s’est
    détériorée et la croissance s’est ralentie                                       • Au Nicaragua, la crise d’impayés a touché les
                                                                                        22 principales IMF. Une large poche d’impayés s’est
    La croissance a permis d’élargir la portée, objectif de                             développée dans une région du nord du pays, à
    longue date de la microfinance. Mais après plusieurs                                l’épicentre du mouvement no pago (non-paiement).
    années de hausse, des problèmes de remboursement                                    Là, un groupe d’emprunteurs entretenant des liens


    Figure 4. Rentabilité des IMF

                                                     Rendement des fonds propres
                    30


                    20


                    10                                                                                                                   Bosnie-
      Pourcentage




                                                                                                                                         Herzégovine
                      0                                                                                                                  Maroc
                                                                                                                                         Nicaragua
                    –10                                                                                                                  Pakistan
                                                                                                                                         Moyenne du
                                                                                                                                         MIX
                    –20


                    –30
                          2004                 2005                    2006                 2007                   2008
                                                                       Année

    Source : données du panel du MIX.



     7 Si le Microfinance Banana Skins Report 2007 (une publication annuelle sur les risques propres au secteur éditée par le Center for the Study of
       Financial Innovation) ne le plaçait qu’au huitième rang pendant le boom du crédit, le risque de crédit a atteint la tête du classement lorsque la
       deuxième étude a été réalisée en avril 2009. http://www. citibank.com/citi/microfinance/data/news090703a1.pdf.
     8 Le PAR est calculé à l’aide des sources suivantes : Bosnie-Herzégovine – données du réseau AMFI MCO ; Maroc – données du MIX
       pour 2004-2008 et JAIDA pour les estimations de juin 2009 ; Nicaragua – données du réseau Asomif ; Pakistan – données du MIX pour
       2004-2008, estimations du CGAP pour juin 2009.
     9 Dans ce document, nous utilisons la mesure standard du PAR pour des crédits présentant des arriérés de plus de 30 jours (PAR à 30 jours).
    10 Le PAR d’une IMF peut être réduit en pratiquant une politique agressive d’abandon de créances. La décision de passer des crédits en perte appartient
       généralement au conseil d’administration d’une IMF. En juin 2009, les taux d’abandon de créances pour les quatre pays étaient les suivants : Bosnie-
       Herzégovine, 4,1 % ; Pakistan, 3,66 % ; Maroc, 2,90 % ; et Nicaragua, 1,84 %. Les abandons de créances au Nicaragua ont été calculés à l’aide des
       données composites des IMF Banex et Pro-Credit ; pour le Pakistan, le chiffre a été obtenu à partir d’un échantillon de cinq IMF.
                                                                                                                                             5




Figure 5. Hausse des impayés dans les IMF

                                                 Portefeuille à risque à 30 jours
                 20
                 18
                 16
                                                                                                              13 %
                 14
  Pourcentage




                                                                                                               12 %
                 12                                                                                                            Pakistan
                 10                                                                                                            Nicaragua
                                                                                                              10 %             Maroc
                  8
                                                                                                               7%              Bosnie-
                  6                                                                                                            Herzégovine
                  4
                  2
                  0
                          2004          2005           2006            2007              2008               juin 2009
                                                              Année

Source : voir la note de bas de page 8.




                politiques forts et bénéficiant de l’appui du parti        L’influence du contexte
                au pouvoir a décidé collectivement de passer outre
                ses obligations de rembourser.                             Les crises d’impayés sont des événements complexes
    • Au Maroc, les 12 IMF ont commencé à subir                            que les facteurs contextuels rendent encore plus
                une hausse des impayés, mais le problème                   difficiles à interpréter. Les quatre études de cas
                s’est aggravé subitement lorsque la fusion et              révèlent que trois éléments exogènes ont influé sur
                l’acquisition d’une grande IMF en difficulté ont           le rythme et l’ampleur des crises : l’environnement
                été rendues publiques11.                                   macroéconomique, les événements locaux et les
    • Les problèmes de la Bosnie-Herzégovine se sont                       facteurs de contagion. Ces éléments contextuels ne
                déclarés fin 2008, dans le sillage de la récession         constituaient cependant pas les principales causes.
                en Europe. La quasi-totalité des 12 principales
                IMF ont vu leur PAR grimper en flèche pour                 Environnement macroéconomique :
                atteindre 7 % en juin 2009. Ce chiffre aurait été          récession mondiale
                encore plus élevé si les IMF n’avaient pas déjà
                entamé à ce moment une politique agressive                 La microfinance s’est forgé la réputation d’être un
                d’abandon de créances.                                     secteur solide, sorti largement indemne de la crise
    • Fin 2008, au Pakistan, dans le centre de la province                 de 1997 en Asie de l’Est et de celle de 2000 en
                du Punjab, plus précisément dans les zones semi-           Amérique latine. La récession mondiale qui s’est
                urbaines entourant la capitale provinciale de              déclarée en 2008 a été plus étendue et plus profonde.
                Lahore, la microfinance a été frappée par une              Dans certains cas, les clients de microfinance ont
                vague d’opposition au remboursement émanant                été touchés par le ralentissement économique,
                de plusieurs groupes d’emprunteurs. Au départ,             les suppressions d’emplois et le recul des flux de
                l’impact s’est limité à une seule IMF. Mais une            transfert d’argent. Récemment, les remboursements
                autre au moins a vu son PAR exploser en 2009. En           en retard se sont multipliés à travers le secteur de
                outre, il est possible qu’au moins trois autres IMF        la microfinance. Le PAR médian du MIX a atteint
                actives dans cette même région soient aujourd’hui          près de 3 % en décembre 2008, celui de l’indice
                confrontées à d’importants problèmes d’impayés.            SYM 50 de Symbiotics12 est passé à plus de 4,5 % en

11 Voir Reille (2010).
12 Symbiotics est un intermédiaire pour l’investissement en microfinance basé en Suisse. Depuis décembre 2005, la société publie l’indice
   SYM 50, calculé en fonction des données de performance mensuelles de 50 grandes IMF.
6




    juin 2009 (voir la figure 6). Mais ces augmentations               incité des groupes d’emprunteurs à se réunir pour
    étaient faibles comparées aux crises d’impayés dans                protester contre les IMF, voire à aller jusqu’à refuser
    nos quatre pays, et de nombreuses nations ont réussi               de rembourser les prêts octroyés. Le mouvement
    à maintenir d’excellents niveaux de remboursement                  no pago, dirigé par un groupe d’emprunteurs
    tout au long de la récession mondiale. Les quatre                  politiquement influent, a créé une poche d’impayés
    études de cas révèlent que le ralentissement                       relativement importante dans une région du nord
    économique a été un facteur aggravant des crises                   du Nicaragua. Au Pakistan, l’annonce d’un abandon
    d’impayés mais qu’il n’en a pas été la cause majeure.              des créances par un responsable politique local
    La plupart des responsables d’IMF interrogés par le                et la circulation de fausses rumeurs ont entraîné
    CGAP ne l’ont pas cité comme motif premier de leurs                des défauts de remboursement en masse. Ces
    récents problèmes d’impayés.                                       événements locaux ont influé sur les crises et sur le
                                                                       discours public les accompagnant. Cependant, ils
    Événements locaux : responsables                                   n’étaient que les symptômes de vulnérabilités sous-
    politiques, chefs religieux et                                     jacentes du secteur de la microfinance, non les causes
    associations d’emprunteurs                                         premières des crises.


    Au fur et à mesure de sa croissance, la microfinance a             Facteurs de contagion : à quelle
    inévitablement suscité une attention accrue qui ne s’est           vitesse et jusqu’où des crises de
    pas toujours révélée favorable. Ainsi, les responsables            crédit peuvent-elles se propager ?
    politiques locaux s’y sont parfois opposés et les
    institutions religieuses ont formulé des objections,               En général, les problèmes d’impayés en microfinance
    affirmant par exemple que les pauvres ne devaient                  sont des événements relativement isolés qui n’affectent
    pas avoir à rembourser de prêts, qu’ils n’étaient pas              pas les marchés au niveau régional ou national.
    en position de négocier des conditions favorables,                 Néanmoins, lorsque des nouvelles ou des rumeurs se
    que les femmes ne devaient pas avoir accès au crédit               propagent rapidement par le biais des médias ou des
    ou, plus simplement, que la microfinance ne pouvait                canaux sociaux, le risque d’une crise d’impayés plus
    pas résoudre les problèmes des pauvres. Il est aussi               profonde et plus étendue augmente et la confiance
    arrivé que les pratiques des IMF (par exemple, des                 dans le secteur peut être ébranlée. Au Maroc, le rachat
    méthodes de recouvrement déplaisantes) s’attirent                  précipité d’une grande IMF a laissé penser qu’elle ne
    des critiques. Par moments, de tels agissements ont                pourrait peut-être pas continuer à offrir des prêts, ce



    Figure 6. Crédits impayés dans les IMF à l’échelle mondiale

                                                 Portefeuille à risque médian à 30 jours
                   8

                                                Benchmarks du MIX             Symbiotics 50

                   6
     Pourcentage




                   4



                   2



                   0
                   2004          2005                    2006                 2007                 2008                 2009
                                                                   Année
    Source : Symbiotics, novembre 2009 ; benchmarks du MIX, décembre 2008.
                                                                                                                                                        7




Tableau 1. Niveaux d’endettement croisé

                                   % d’emprunteurs actifs ayant
                               contracté des prêts auprès de >1 IMF                                               Sources
 Nicaragua                    40 (2009)                                                     Entretien avec le directeur d’une IMF
                                                                                            nicaraguayenne
 Maroc                        40 (2007)                                                     Banque centrale et partage des
                              39 (2008)                                                     informations sur la solvabilité des
                                                                                            emprunteurs entre les cinq principales IMF
                              29 (2009)
 Bosnie-Herzégovine           40 (2009)                                                     Enquête auprès des clients des IMF,
                                                                                            MiBOSPO
 Pakistan                     21 (2009) à l’échelle du pays                                 Pakistan Microfinance Network
                              30 (2009) dans les districts touchés par des
                              crises d’impayés



qui a atténué la motivation des clients à rembourser.                         concurrence. Celle-ci était notamment due au fait que
L’évocation des faits dans la presse a accéléré la chute                      les principales IMF ne déployaient pas leurs services
de cette IMF et s’est même répercutée sur d’autres                            partout de manière uniforme, mais qu’elles rivalisaient
IMF. Au Nicaragua, le soutien politique apporté par                           agressivement sur des zones géographiquement
le président Ortega au mouvement no pago au début                             limitées. Cette concentration du crédit a augmenté
de la crise a bénéficié d’une couverture médiatique                           la probabilité que les clients empruntent auprès de
qui a accentué et étendu les problèmes d’impayés. Au                          plusieurs IMF. Au Maroc, la banque centrale a estimé
Pakistan, des réseaux sociaux basés sur le téléphone                          que 40 % des emprunteurs possédaient des prêts
mobile ont rapidement transformé un petit problème                            auprès de plusieurs IMF lorsque la crise d’impayés
local en une crise régionale de grande ampleur dans les                       a commencé. Des estimations similaires ont été
communautés semi-urbaines à faibles revenus parlant                           effectuées au Nicaragua, en Bosnie-Herzégovine et
le panjabi. De tels réseaux sociaux peuvent cependant                         au Pakistan (voir le tableau 1).
aussi définir les limites au-delà desquelles une crise
est peu susceptible de se propager. Ainsi, le refus de                        La concentration se résume en partie à une simple
rembourser opposé par des groupes d’emprunteurs au                            probabilité : à mesure qu’elles se développent, les IMF
Pakistan n’a pas gagné les zones rurales ni les régions                       sont plus susceptibles de croiser la route d’autres IMF.
possédant des cultures nettement différentes de celles                        Mais cette tendance est renforcée par des décisions que
observées dans les secteurs touchés par la crise.                             les IMF prennent délibérément. Souvent, elles élaborent
                                                                              des stratégies qui privilégient des marchés où l’activité
Le fond du problème                                                           économique et la densité de population sont plus
                                                                              importantes. Ce faisant, elles augmentent la possibilité
Bien que de nombreux facteurs influencent le                                  de se trouver sur le terrain d’autres IMF ciblant les
cours d’une crise, les études de cas révèlent que le                          mêmes secteurs pour les mêmes raisons. Au Pakistan
problème tient essentiellement à trois vulnérabilités                         et au Maroc, une pratique courante parmi certaines IMF
au sein du secteur de la microfinance.                                        consistait à suivre d’autres IMF sur des marchés locaux
                                                                              de manière à pouvoir prêter aux mêmes groupes de
Concentration de la concurrence                                               clients. Les premiers entrants sélectionnent et forment
et endettement croisé                                                         les nouveaux emprunteurs, permettant aux suivants
                                                                              de s’affranchir de ces phases préparatoires. Selon les
Dans les quatre pays concernés, la croissance a                               directeurs, cette approche réduit les coûts d’acquisition
naturellement provoqué une intensification de la                              de nouveaux clients13, du moins à court terme.




13 Cette pratique donne aux investisseurs potentiels l’impression que les coûts d’expansion d’une IMF sont plus faibles et plus attractifs, mais elle
   minimise l’importance des futurs coûts susceptibles d’apparaître lorsque l’IMF commence à s’implanter sur de nouveaux marchés encore vierges.
8




    L’endettement croisé n’est pas un phénomène               relation d’emprunt avec d’autres IMF. Il peut même
    nouveau. Comme décrit dans le livre Portfolios            perdre toute motivation à essayer de résoudre le
    of the Poor, les ménages pauvres empruntent               problème avec la première. Dans les quatre pays
    régulièrement auprès de multiples sources pour            étudiés, les relations entre IMF et emprunteurs
    lisser leurs flux de trésorerie (Collins, Morduch,        étaient encore plus délicates, car elles concernaient
    Rutherford et Ruthven 2009). La concurrence               presque exclusivement des prêts et n’étaient pas
    permet aux clients de bénéficier d’un plus large          approfondies par des produits d’épargne, d’autres
    choix à mesure que la microfinance évolue d’un            services financiers voire des services non financiers.
    marché d’offre vers un marché de demande. Un              Lorsque l’incitation à rembourser est réduite, les
    leader de la microfinance en Inde l’a exprimé en          retards de remboursement sont plus susceptibles
    ces termes : « Souvenez-vous : il y a encore deux         de se produire et, dans certains cas, de prendre
    ou trois ans, les clients n’avaient aucun choix »         de l’ampleur jusqu’à déboucher sur une large crise
    (Srinivasan 2009). En contractant des prêts auprès        d’impayés.
    de plusieurs IMF ou en alternant les prêts, un
    emprunteur est moins contraint par les stricts            Les clients peuvent emprunter des montants totaux
    calendriers de remboursement caractéristiques             plus importants qu’auparavant. L’offre étant plus
    de la microfinance. Il a même été établi que              large, les clients peuvent accroître le montant total
    l’endettement croisé peut être associé à de               de leurs emprunts. Nombre d’IMF, notamment
    meilleurs taux de remboursement dans certains             lorsqu’elles accordent des crédits de groupe,
    environnements (Krishnaswamy 2007).                       n’octroient que des prêts de taille réduite parce
                                                              qu’elles savent que leurs clients pourront compléter
    Si ses avantages peuvent être considérables, la           leur besoin de crédit auprès d’autres sources. Ce
    concurrence peut aussi introduire de nouvelles            principe tacite de multiplication des prêts diminue
    dynamiques de marché qui ne sont pas toujours             l’exposition d’une IMF vis-à-vis d’un emprunteur
    simples à identifier. Un expert explique : « Les formes   donné tout en permettant aux clients d’accéder à
    populaires de microcrédit ont prospéré parce qu’elles     des liquidités supplémentaires pour rembourser leurs
    imposaient des contraintes aux prêteurs comme aux         différents crédits. Dans ce cas, l’endettement croisé
    emprunteurs, notamment par le biais de cautions           peut se révéler bénéfique tant pour les emprunteurs
    solidaires ou de remboursements hebdomadaires             que pour le marché dans sa globalité.
    fixes... Mais la concurrence a parfois remis en cause
    ces méthodes, car elle a permis à des personnes           Néanmoins, ces mêmes conditions accentuent aussi le
    d’emprunter tranquillement auprès de plusieurs IMF        risque que certains clients empruntent des montants
    à la fois » (Roodman 2009).                               excédant leurs capacités. Dans les quatre pays étudiés,
                                                              les emprunteurs sont souvent passés, en l’espace
    La croissance dans nos quatre pays a introduit deux       de quelques années, d’une situation où ils n’avaient
    nouvelles dynamiques qui ont altéré le comportement       aucune possibilité d’emprunt formel à une situation
    de base sur le marché.                                    où ils en avaient plusieurs. Leur capacité à emprunter
                                                              davantage a donc augmenté rapidement. La pratique
    Les emprunteurs sont moins dépendants d’une               courante qui consiste à augmenter progressivement
    seule IMF. L’un des postulats de la microfinance          la taille du prêt pour s’assurer que les emprunteurs
    est que les emprunteurs remboursent leurs prêts           n’excèdent pas leur limite de remboursement est
    en vue d’établir une relation qui leur permette           moins efficace comme outil de gestion du risque si ces
    d’obtenir un autre prêt, souvent de taille plus           derniers peuvent aisément accroître le montant total
    importante. Ce délicat rapport entre prêteur et           de leurs emprunts en s’adressant à diverses sources.
    emprunteur risque d’être ébranlé lorsque le niveau        Un ouvrage concernant la crise du crédit de 1999 en
    d’endettement croisé augmente sur un marché où            Bolivie fait une analogie éloquente : « Apparemment,
    l’offre est abondante. L’emprunteur peut alors être       le crédit est comparable à un bon repas : attablées
    en impayé auprès d’une IMF, que ce soit par choix         devant un festin, nombre de personnes mangent
    ou par nécessité, sans pour autant mettre en péril sa     trop et le regrettent ultérieurement... » (Rhyne 2001).
                                                                                                                                                 9




Le large éventail de possibilités de crédit peut conduire                 Recruter un grand nombre de nouveaux employés
certains emprunteurs à assumer des obligations de                         en un temps réduit peut conduire à dépendre d’un
remboursement qui dépassent leurs capacités                               personnel insuffisamment préparé. Pour croître, les
financières. Bien qu’il soit difficile de définir avec                    IMF doivent recruter, former et promouvoir un grand
précision quand une personne tombe dans le                                nombre d’employés. Dans les quatre pays, les effectifs
                    14
surendettement           ou de mesurer ses obligations en                 des IMF ont augmenté de près de 40 % chaque
termes de prêts informels, il est certain que l’exposition                année. C’est au Pakistan que la progression a été la
totale à l’endettement de nombreux emprunteurs a                          plus importante, avec un accroissement net de 9 600
nettement grimpé dans les quatre pays, notamment                          individus entre 2004 et 2008. Dans des conditions
en Bosnie-Herzégovine et au Maroc. Selon une étude,                       normales, le personnel dispose généralement de trois
16 % des emprunteurs de Bosnie-Herzégovine ont                            à six mois pour se former sur le tas avant d’assumer de
déclaré être sur le point de dépasser leur capacité de                    nouvelles responsabilités. Mais dans une situation de
remboursement (EFSE/MFC 2008). Rétrospectivement,                         croissance rapide, les IMF sont contraintes d’affecter
un responsable d’IMF de Bosnie-Herzégovine a admis :                      leurs employés plus vite à des postes à responsabilité,
« Nous avons donné aux clients plus qu’ils ne pouvaient                   négligeant parfois un peu le recrutement, la formation
gérer. À l’époque, certains d’entre eux pouvaient                         et la préparation. Les directeurs ont également déclaré
payer. Mais maintenant, en raison de la situation                         que le personnel changeait plus fréquemment d’IMF
économique, ils ne le peuvent plus. »                                     à mesure que la demande de nouveaux employés
                                                                          s’amplifiait. Il est plus difficile de maintenir une culture
Dans les quatre pays étudiés, l’expérience a montré                       d’entreprise cohérente dans des environnements à
que la concentration des prêts et de la concurrence,                      forte croissance15 (voir la figure 7).
en particulier lorsqu’elle est introduite rapidement,
peut diminuer les incitations à rembourser et affaiblir                   Une croissance rapide exige un encadrement
l’efficacité des limites de taille des prêts pour lutter                  intermédiaire fort. La plupart des IMF performantes
contre les risques. De subtils changements dans les                       ont un siège social qui assure ses fonctions
incitations à rembourser et le montant des emprunts                       solidement. Mais rares sont celles qui disposent
peuvent modifier la dynamique de marché et                                d’un niveau de cadres intermédiaires suffisamment
potentiellement engendrer des crises d’impayés. Dans                      développé pour gérer une croissance rapide.
certaines circonstances, les IMF s’adaptent bien à ces                    Lorsqu’une institution est encore de taille réduite,
changements et gèrent correctement les risques. Telle                     le siège est en mesure de superviser directement
a été la réputation de la Bolivie, par exemple, au cours                  les opérations de terrain. Mais quand la croissance
des dix dernières années, suite à une crise d’impayés                     s’accélère, la situation change : les cadres supérieurs
en 1999. Mais nos quatre études de cas montrent                           sont soumis à une pression croissante de la part
que des conditions de marché plus concurrentielles                        des parties prenantes extérieures comme les
peuvent accroître les risques de crédit.                                  investisseurs et les autorités de réglementation,
                                                                          alors que les activités se développent. Il faut alors
Insuffisance des systèmes et                                              des cadres intermédiaires compétents capables
des contrôles dans les IMF                                                de prendre en charge des opérations à grande
                                                                          échelle plus distantes. En général, les agents de
À mesure qu’elles se développent, les IMF doivent                         terrain sont alors promus aux postes de cadres
relever de nouveaux défis. Dans les quatre pays                           moyens. Bien qu’ayant l’expérience requise en
étudiés, trois types de lacunes ont été identifiés en                     matière de vente et de recouvrement des prêts, ils
termes de capacités.                                                      doivent aussi acquérir les compétences et l’attitude



14 On entend généralement par surendettement la situation dans laquelle les obligations de remboursement d’un emprunteur concernant le
   principal et les intérêts excèdent sa trésorerie.
15 Les données du MIX ne révèlent pas de schéma précis en ce qui concerne les ratios entre le nombre total d’emprunteurs et les effectifs.
   Selon nous, cela est dû au fait que l’introduction rapide de nouveaux employés commençant avec peu de clients est mêlée à la productivité
   supérieure du personnel plus expérimenté. Il est possible que les deux facteurs combinés s’annulent mutuellement pendant des intervalles de
   temps significatifs au cours des périodes de croissance forte.
10




     Figure 7. Recrutement rapide de personnel par les IMF

                                                           Total des effectifs : TCAC 39 %
                                                                Total des quatre pays
                      30 000

                      25 000
      Nb d’employés




                      20 000

                      15 000

                      10 000

                       5 000

                          0
                               2004                2005                    2006                2007                2008
                                                                          Année
     Source : données du MIX, Pakistan : données du Pakistan Microfinance Network.




     qui conviennent pour un cadre. Avec le recul,                        suivante. Au Maroc, une grande IMF a enregistré une
     un directeur d’IMF au Pakistan regrette d’avoir                      croissance de 150 % en 2006 tout en conservant un
     surchargé ses responsables régionaux en plaçant                      système d’information de gestion obsolète. Celui-ci
     sous leur responsabilité pas moins de 75 agences.                    a généré des rapports trompeurs qui ont contribué
     Cette IMF repense actuellement toute sa hiérarchie                   peu de temps après à la crise d’impayés.
     intermédiaire. Un autre directeur au Pakistan,
     dont l’IMF semble avoir évité les pires problèmes                    Dans les pays qui ont déjà subi des détériorations de
     d’impayés, a souligné : « Toute organisation qui                     la qualité du crédit, les IMF reconnaissent que leurs
     croît au-delà de sa capacité de supervision risque de                capacités internes n’ont pas suivi. Un directeur d’IMF
     se retrouver face à d’importants arriérés. »                         en Bosnie-Herzégovine en a convenu : « Notre priorité
                                                                          était d’affronter la concurrence, non de renforcer
     La croissance met à rude épreuve les contrôles                       nos capacités. » Un investisseur a précisé : « Ces
     internes qui sont essentiels pour maintenir la                       IMF connaissaient une croissance si rapide qu’elles
     discipline et minimiser la fraude. Les IMF en Bosnie-                n’avaient pas le temps de mettre en place des
     Herzégovine, au Maroc et au Nicaragua ont cité                       systèmes adéquats de gestion des risques. Elles n’ont
     l’inadéquation des contrôles internes comme                          pas vu arriver la chute. »
     la faiblesse la plus courante. Entre 2005 et 2008,
     le personnel d’audit interne d’une grande IMF                        Relâchement de la discipline
     marocaine a doublé alors que ses effectifs totaux ont                de crédit des IMF
     été multipliés par cinq. L’acharnement pour atteindre
     à tout prix les objectifs de croissance ainsi que des                Sur des marchés concurrentiels en croissance, les IMF
     normes de supervision moins strictes ont affaibli les                sont susceptibles de prendre davantage de risques
     contrôles internes. Au Pakistan, les IMF n’ont pas                   pour acquérir de nouveaux clients et étendre leur
     mis en œuvre efficacement les politiques imposant                    offre. Un directeur d’IMF en Bosnie-Herzégovine se
     de se rendre au domicile des emprunteurs et n’ont                    souvient : « L’ambiance était à la concurrence. D’autres
     pas appliqué correctement les règles assurant que les                IMF commençaient à s’implanter dans notre région
     prêts sont décaissés directement aux emprunteurs                     et à rogner une part de notre activité. Nous avons
     finaux. Ce relâchement des contrôles internes a                      donc décidé de réagir et de faire comme elles. » Les
     ouvert des brèches qui ont conduit aux manquements                   attitudes et les priorités des directeurs d’IMF ont été
     à la discipline de crédit décrits dans la section                    répercutées sur les agents de terrain. Des mesures
                                                                                                                                              11




d’incitation ciblées et à court terme ont été définies                    Dans le système de crédit de groupe au Pakistan, le
qui mettaient l’accent sur la croissance et le gain de                    problème résidait dans l’augmentation du recours
parts de marché. Dans certains cas, ces mesures ont                       à des agents informels pour gérer les groupes.
été prises au détriment de la discipline de crédit,                       Focalisés sur leurs objectifs quantitatifs, les agents
contribuant ultérieurement aux crises d’impayés.                          de crédit ont progressivement délégué leurs tâches
                                                                          à des représentantes. Celles-ci se sont mises à
Les IMF souhaitant dégager des profits et croître                         accumuler des prêts de multiples IMF, tandis que
rapidement privilégient l’efficience opérationnelle.                      dans certains cas, les emprunteurs membres du
Les directeurs cherchent à réaliser des économies                         groupe n’en obtenaient jamais. L’immense vague de
en réduisant la fréquence des réunions de groupe,                         refus de rembourser, qui a commencé en 2008, a
en rationalisant l’analyse des emprunteurs ou en                          été initiée par ces représentantes qui avaient acquis
utilisant de nouvelles infrastructures de prestation.                     un pouvoir inhabituel sur l’ensemble du processus
Souvent, ces nouvelles approches sont appréciées                          de prêt. Au fil du temps, la relation entre les agents
par les clients, qui peuvent accéder aux services plus                    de crédit et les emprunteurs s’est considérablement
rapidement et plus simplement. Cependant, ces                             affaiblie. De ce fait, lorsque les représentantes se
modifications dans les méthodes de souscription et                        sont révoltées contre l’IMF, il était devenu nettement
de prestation de crédit doivent s’accompagner d’une                       plus difficile de recouvrer les prêts (Burki 2009). Les
évaluation précise de la capacité d’endettement                           emprunteurs, lorsqu’il y en avait, étaient contrôlés
d’un emprunteur, laquelle exige une connaissance                          par des personnes qui n’avaient pas la même loyauté
approfondie du comportement et du niveau de vie de                        envers l’IMF que les agents de crédit.
ce dernier. L’un des risques de la croissance est que
les IMF négligent les services et les relations avec la                   Les mesures incitatives destinées au personnel
clientèle, supprimant même les rencontres face à face                     sont efficaces pour améliorer l’efficacité et la
si cruciales pour la qualité du crédit.                                   performance globales de l’IMF, mais elles peuvent
                                                                          aussi avoir des effets indésirables. Normalement,
Entre 2002 et 2008, les IMF du Maroc et du                                les systèmes d’incitation mesurent et récompensent
Nicaragua ont augmenté la taille des prêts de                             les volumes de prêt et la qualité du portefeuille
132 % et 68 % respectivement. Ces hausses étaient                         mensuellement ou trimestriellement. Le personnel
dues à un recentrage sur les prêts individuels aux                        est alors tenté d’accroître sa rémunération à court
petites entreprises ainsi qu’à l’ajout de nouveaux                        terme, parfois au détriment d’une relation plus
prêts immobiliers et à la consommation pour les                           saine et plus durable avec le client. Soumis à une
emprunteurs existants. Au Maroc et en Bosnie-                             forte pression pour remplir les objectifs et profitant
Herzégovine, certaines IMF se sont hâtées de                              d’une supervision limitée, les agents de terrain
développer de nouveaux produits, mais sans outils                         font parfois usage de pratiques de recouvrement
éprouvés d’évaluation des besoins des emprunteurs                         peu honorables qui détériorent durablement
ni formation adéquate du personnel. Selon une                             les relations avec la clientèle. Il existe quelques
étude de la Société financière internationale                             exemples de systèmes d’incitation intégrant
    16
(SFI ), 40 % des impayés au Maroc résultaient de                          la satisfaction à long terme des clients comme
changements dans les politiques de crédit tels qu’une                     indicateur pertinent17. Considérant avec le recul les
augmentation de la taille des prêts ou l’introduction                     récents problèmes d’impayés, un directeur d’IMF
de nouveaux produits. Le crédit individuel exige                          en Bosnie-Herzégovine a déclaré :
en outre une analyse plus approfondie des flux de
trésorerie des clients que les crédits de groupe, et                          « Nous avons toléré le fait que certains agents
son introduction s’est toujours révélée complexe en                           de crédit dépassent les bornes. Ils étaient
microfinance, même dans les circonstances les plus                            surchargés parce qu’ils voulaient obtenir
favorables.                                                                   davantage de primes. Mais ils voulaient aussi que


16 Étude privée SFI, novembre 2008.
17 IFMR Trust, en Inde, teste actuellement des mesures du niveau de vie des clients comme base pour les systèmes d’incitation du personnel.
12




        notre institution soit la première du marché. Il y a      et renforçaient leur expertise sur ce marché en plein
        deux ans, certains de nos agents géraient plus de         essor. Un certain nombre de cabinets d’audit ont
        600 clients. C’était trop, et nous nous efforçons         constitué des groupes spécialement voués à servir les
        encore d’alléger cette charge de travail. »               IMF. La présentation des états financiers des IMF s’est
                                                                  nettement améliorée, et plus de 250 IMF satisfont
     Une croissance forte axée sur les objectifs peut             désormais aux normes internationales d’information
     tenter les IMF d’assouplir leur discipline de crédit         financière. Pourtant, on ne peut raisonnablement se
     en vue de dégager davantage de volume, même                  limiter aux seuls audits financiers pour obtenir une
     si cela augmente le risque de crédit. Souvent, ces           évaluation fiable de la qualité des portefeuilles de crédit
     problèmes ne sont pas décelés pendant quelque                des IMF. Les audits réalisent un examen professionnel
     temps, ce qui rend les IMF vulnérables à une crise           des états financiers, des politiques comptables et des
     d’impayés de grande ampleur.                                 contrôles internes. Mais en microfinance, ils omettent
                                                                  souvent de rapprocher les comptes de prêts avec
     Le rôle de l’infrastructure                                  un échantillon significatif de clients. En outre, ils ne
     de marché                                                    peuvent apprécier correctement la qualité sous-
                                                                  jacente de plusieurs milliers (parfois millions) de crédits
     Ces dix dernières années, des investissements                en cours. Aussi essentiels soient-ils, les audits ne sont
     importants ont été réalisés en vue de développer une         guère parvenus à détecter ni à atténuer les crises dans
     infrastructure de marché solide permettant de fournir        nos quatre pays. D’ailleurs, il est peu probable que des
     aux investisseurs et aux IMF des informations précises,      audits classiques puissent jamais prévenir à temps une
     en temps voulu, sur les performances du secteur de           crise d’impayés à grande échelle.
     la microfinance. Un reporting fiable et comparable
     sur les IMF est essentiel pour évaluer les risques et        Notations. Les notations effectuées par les grandes
     les opportunités. Les investissements en matière             agences du secteur financier général ainsi que par les
     d’infrastructure de marché ont notamment porté sur           quatre agences spécialisées dans la microfinance18 sont
     les éléments suivants : normes de présentation des           désormais monnaie courante dans le secteur. En 2008,
     performances financières, normes d’audit externe,            ces agences ont réalisé collectivement 450 notations
     notations externes et centrales des risques. De plus en      en microfinance. Les méthodologies utilisées par les
     plus répandus, les outils d’évaluation de la performance     agences spécialisées aboutissent à une évaluation
     sociale peuvent renseigner sur la satisfaction des clients   pertinente de la performance institutionnelle des IMF.
     et améliorer la gestion du risque de crédit. Des progrès     Néanmoins, les notations qui ont précédé les crises
     et des investissements supplémentaires seront toutefois      d’impayés dans les quatre pays n’ont pas suffisamment
     nécessaires pour s’adapter aux changements rapides sur       mis en avant les risques et les vulnérabilités évoqués
     les marchés de la microfinance. La croissance a révélé       dans ce document. Ainsi, les notations de deux IMF
     des vulnérabilités en microfinance dont les initiatives de   en faillite au Nicaragua et au Maroc n’ont pas identifié
     développement de l’infrastructure de marché devront          les faiblesses dans la méthodologie de crédit et les
     tenir compte à l’avenir. Une récente publication du          contrôles internes. En Bosnie-Herzégovine, elles ont
     CGAP indique : « Les IMF opèrent en s’exposant à des         certes relevé la concurrence et l’endettement croisé,
     risques auxquels les investisseurs doivent s’intéresser.     mais ont continué d’attribuer d’excellentes notations
     Malheureusement, les audits externes, les notations, les     aux IMF (A ou A - aux sept plus grandes IMF). Au
     évaluations et même la supervision omettent souvent          Pakistan, une agence de notation financière a donné la
     le risque principal : une représentation erronée de la       note BBB+/A - 3 assortie d’une perspective de stabilité
     qualité du portefeuille... » (Christen et Flaming 2009).     à une IMF qui, moins de 12 mois plus tard, s’est
                                                                  retrouvée aux prises avec une grave crise d’impayés.
     Audits externes. Selon le MIX, la qualité des audits
     d’IMF a progressé à mesure que les auditeurs se              Les agences de notation devraient attacher plus
     familiarisaient avec le domaine de la microfinance           d’importance à l’environnement commercial et à la


     18 M-CRIL, Microfinanza, Microrate et Planet Rating.
                                                                                                                            13




Encadré 1. D’autres pays sont-ils vulnérables ? Le cas de l’Inde.
L’Inde est le pays où les IMF enregistrent la croissance la plus rapide. Au cours de l’exercice comptable clôturé en mars
2009, elles ont vu une augmentation nette de 8,5 millions d’emprunteurs actifs. Le pays connaît une vaste polémique
sur la probabilité d’une crise de remboursement. En décembre 2009, lors de la conférence Srijan des investisseurs,
les participants ont débattu sur le thème « Microfinance et subprime : la comparaison est-elle réelle ? ». Dans les
données relatives à la qualité des actifs, rien ne permet de conclure à une large crise de remboursement durant
l’exercice clôturé en mars 2009. Néanmoins, un certain nombre d’analystes du secteur ont identifié des vulnérabilités.
                                     Croissance du portefeuille de prêts
                     2 000
                     1 800
                     1 600
                     1 400
      Millions USD




                     1 200
                     1 000                                                               Moyenne par pays : TCAC 33 %
                       800                                                               Inde : TCAC 59 %
                       600
                       400
                       200
                         0
                                   2004                                 2008
                                                    Année
     Source : données du panel du MIX.

Quel est le niveau d’endettement croisé ? L’Inde est un immense marché avec un taux de pénétration total
faible. Mais la moitié de l’activité de crédit des IMF est située dans seulement trois des 28 États, avec des zones de
concentration plus forte encore au sein même de ces trois États. Les niveaux d’endettement croisé auprès de sources
formelles augmentent si l’on prend en compte les vastes systèmes de groupes d’entraide (self-help groups). Début
2009, une crise d’impayés s’est déclarée dans une partie de l’État du Karnataka, à savoir dans les villes où plus de six
IMF étaient présentes. Dans le même temps, des efforts sont menés en vue de favoriser l’expansion dans les régions
sous-desservies. Une diversification géographique qui permettra peut-être de réduire le degré de concentration du
crédit et, éventuellement, d’atténuer certains risques. Ayant reconnu la nécessité d’agir, certaines des principales
IMF d’Inde ont récemment fondé une association dont l’objectif est d’investir dans une centrale des risques et
d’imposer des plafonds quant au nombre et au montant des prêts qu’une IMF peut octroyer à un individu donné.

La capacité institutionnelle est-elle insuffisante ? Les IMF indiennes sont soumises à une étroite surveillance
de la part de leurs investisseurs privés, lesquels exercent souvent une vigilance plus rigoureuse que les bailleurs
ou investisseurs publics. Dans le même temps, la croissance est sans précédent. Selon les données du MIX, les
effectifs totaux des IMF indiennes ont plus que quadruplé depuis 2005, avec une augmentation nette de près
de 20 000 employés sur la seule année 2008. Le fondateur de l’une des principales agences de notation en
Inde a récemment indiqué que son équipe trouvait des agences dans lesquels des directeurs en apprentissage
formaient les nouveaux embauchésa. Les cinq organisations leader du marché restent le moteur de la croissance,
même si les dix suivantes connaissent aussi un bel essor.

Les IMF relâchent-elles leur discipline de crédit ? Les IMF indiennes, qui pratiquent essentiellement le crédit
de groupe, n’ont pas encore osé lancer à grande échelle de nouveaux produits de prêt. Des rapports signalent
une hausse abrupte de la taille des prêts dans certains endroits, un accroissement de la charge de travail des
agents de crédit ainsi que le recours à des représentants pour gérer les groupes (Srinivasan 2009). CRISILb note
un lien entre la pression à croître et l’assouplissement des normes de crédit comme la durée d’attente réduite
pour obtenir un prêt, l’arrêt de l’échelonnement des premiers décaissements entre les membres du groupe,
et la réduction du nombre de contrôles des emprunteurs après décaissement. Pourtant, les données les plus
récentes du secteur, datant de mars 2009, continuent d’indiquer une excellente qualité des actifs.

En Inde, les opinions concernant les vulnérabilités en microfinance varient fortement. Au sujet des récents
problèmes dans l’État du Karnataka, un directeur d’IMF a affirmé : « Il s’agit là de perturbations externes qui
ne modifient pas la qualité sous-jacente du crédit ni le comportement des consommateurs » (Srinivasan 2009).
Le rapport de CRISIL met davantage en garde : « Les pratiques de gestion des risques des IMF ont faibli ces
deux dernières années en raison d’un recentrage sur le développement des activités et du réseau... La qualité
globale des actifs des IMF est bonne, mais un léger recul est à prévoir. »

Notes :
a. Déclaration de Sanjay Sinha, directeur général de M-CRIL, le 27 octobre 2009, Microfinance India Summit, New Delhi.
b. http://www.crisil.com/index.jsp.
14




     dynamique de marché. Il est toutefois peu probable                        problèmes soient là pour créer une centrale de risques. »
     que les méthodes standards de notation puissent                           Dans nos quatre pays, toutes les tentatives antérieures
     anticiper avec fiabilité des détériorations de la qualité                 aux crises pour renforcer les centrales de risques ont
     du portefeuille. D’où l’importance pour les directeurs                    été vaines. Ce n’est qu’après la survenue des crises que
     d’IMF et les investisseurs de mettre en place leurs                       les initiatives en la matière ont pris de l’ampleur, car les
     propres mesures de vigilance pour mieux évaluer les                       IMF ont alors enfin compris la nécessité de réaliser cet
     risques de crédit et de marché.                                           investissement. L’expérience montre que les centrales
                                                                               de risques ne sont plus un luxe, mais deviennent
     Examen du portefeuille. La capacité des audits et des                     essentielles pour la gestion du risque de crédit. Sur des
     outils de notation standard à anticiper d’éventuelles crises              marchés de plus en plus concurrentiels, elles fournissent
     d’impayés étant limitée, il est de plus en plus primordial                des informations capitales sur l’endettement des
     pour les IMF et leurs investisseurs d’employer des mesures                clients et leurs comportements de remboursement que
     supplémentaires de la qualité du portefeuille. L’utilisation              même les meilleures IMF ne peuvent générer seules.
     plus fréquente d’outils d’examen du portefeuille tels                     Les centrales de risques créent les bonnes incitations
     que ceux mis au point par le CGAP et MicroSave19, par                     à rembourser et facilitent l’accès au système financier
     des équipes disposant des compétences appropriées,                        en constituant l’historique de crédit des clients. Pour
     améliorerait la confiance dans les rapports sur la qualité                autant, leurs avantages ne doivent pas être surestimés.
     des portefeuilles de microcrédit. Bien que relativement                   Elles ne peuvent se substituer à une méthodologie ou à
     coûteux, les examens rigoureux du portefeuille aident à                   une discipline de crédit rigoureuse. À elles seules, elles
     réduire les risques et à construire des institutions solides.             ne peuvent empêcher les risques liés à une conduite
     Dans un secteur de la microfinance en plein essor, où                     irréfléchie des IMF.
     les enjeux ne cessent de croître, il est désormais temps
     que ces outils se généralisent et soient utilisés plus                    Conclusion : quels
     régulièrement.                                                            enseignements la microfinance
                                                                               doit-elle tirer de ces récentes
     Centrales de risques. Les centrales de risques, qui                       crises d’impayés ?
     fournissent l’historique de crédit d’emprunteurs
     individuels, n’existent pas depuis longtemps en                           Cette Note Focus décrit des crises d’impayés qui ont
     microfinance. Seuls quelques pays possèdent des                           récemment touché des marchés de la microfinance
     centrales de risques performantes pour le secteur de la                   en plein essor au Nicaragua, au Maroc, en Bosnie-
     microfinance. De nos quatre marchés, seul le Nicaragua                    Herzégovine et au Pakistan. Les études de cas
     était doté de centrales efficaces. Seulement, celles-ci                   révèlent que des éléments exogènes, comme les
     étaient distinctes selon qu’il s’agissait d’une IMF                       conditions macroéconomiques, la situation politique,
     réglementée ou non. Au Pakistan, seules les banques de                    des événements locaux et des facteurs de contagion,
     microfinance sont tenues de soumettre des données à                       peuvent influer sur la vitesse et l’étendue d’une crise
     une centrale de risques. Cette obligation ne s’applique                   d’impayés. Cependant, ces facteurs contextuels, y
     donc pas aux organisations non gouvernementales                           compris la récente récession mondiale, n’étaient pas les
     qui servent encore la majeure partie des clients de                       causes premières des crises d’impayés. En fait, celles-ci
     microfinance. Le Maroc et la Bosnie-Herzégovine ont                       étaient principalement dues à trois grandes vulnérabilités
     lancé des projets de centrales de risques en 2005, mais                   courantes sur les marchés de microfinance en pleine
     celles-ci n’ont été opérationnelles qu’après le début des                 croissance : la concentration du crédit et l’endettement
     crises d’impayés.                                                         croisé, l’insuffisance des capacités des IMF et la perte de
                                                                               leur discipline de crédit.
     La quasi-totalité des directeurs d’IMF qui ont traversé des
     crises d’impayés auraient voulu avoir accès bien plus tôt                 Ces quatre crises d’impayés récentes restent des
     à une centrale de risques performante. Un responsable                     événements isolés au sein d’un secteur globalement
     d’IMF au Nicaragua a déclaré : « N’attendez pas que les                   marqué par la réussite. En effet, la microfinance a


     19 http://www.cgap.org/p/site/c/template.rc/1.9.36521/; http://www.microsave.org/toolkit/loan-portfolio-audit-toolkit.
                                                                                                                                        15




prouvé qu’elle pouvait croître tout en maintenant une                            à elles seules les problèmes d’impayés, elles sont
excellente qualité d’actifs et des rendements financiers                         primordiales pour améliorer la gestion du risque
élevés. Elle est en mesure d’attirer des investisseurs                           de crédit et traiter l’endettement croisé. Leur
commerciaux et socialement responsables ainsi que                                développement et leur utilisation à grande échelle
d’offrir à un grand nombre de pauvres des services qui                           doivent être encouragés au niveau mondial, même
leur sont précieux. Le développement de la microfinance                          avant que les marchés de la microfinance ne
apporte donc de multiples avantages qui se révèlent                              deviennent très concurrentiels ou excessivement
essentiels pour les populations marginalisées.                                   concentrés.
                                                                              • Une cartographie de l’accès financier basée
Bien que rares, les crises d’impayés à grande échelle                            sur des informations fiables concernant la
comme celles décrites dans ce document ne sont pas                               pénétration géographique et socio-économique
un phénomène nouveau en microfinance. L’histoire                                 des services de microfinance permettrait
offre de bons exemples de réaction et d’adaptation.                              d’identifier les marchés exclus et saturés. De
Plusieurs marchés réputés, comme la Bolivie, ont                                 telles données actualisées régulièrement peuvent
connu des épisodes notables d’impayés20. La réponse                              aider à déterminer les risques et les opportunités
apportée à ces premières crises a permis au secteur                              propres à certaines zones géographiques.
de s’adapter à l’évolution des conditions de marché                              Autant de renseignements précieux pour les
et des demandes des clients.                                                     directeurs d’IMF, les investisseurs et les autorités
                                                                                 de réglementation.
Les quatre crises plus récentes évoquées dans ce
document offrent également des enseignements                               À elles seules, ces recommandations suffiraient déjà
qui pourront nous servir à renforcer le secteur de la                      à renforcer le secteur de la microfinance dans de
microfinance dans les années à venir. Les directeurs                       nombreux pays. Mais ces récentes crises donnent à
d’IMF, les investisseurs et les décideurs devraient                        voir une leçon plus globale et incitent à une action plus
accorder davantage d’attention au modèle de                                large. Elles nous rappellent que la microfinance reste
croissance de la microfinance. Au cours de la première                     une activité axée sur la gestion des risques. Certes, le
décennie de ce siècle, l’accent a été placé sur                            secteur peut, à juste titre, être fier de ses performances
l’expansion de l’accès aux services. En conséquence,                       financières et sociales passées. Néanmoins, de nouveaux
des millions de clients ont pu obtenir des microcrédits                    risques et problèmes apparaissent à mesure que la
grâce à des institutions à forte croissance soutenues                      microfinance se développe. Les directeurs d’IMF, les
par des financements abondants. Pendant la                                 investisseurs et les autorités de réglementation doivent
prochaine décennie, la priorité devra être donnée à la                     être attentifs à ces nouveaux risques, être ouverts à la
croissance durable. Pour y parvenir, nous formulons                        discussion les concernant et s’efforcer de trouver les
trois recommandations spécifiques :                                        mesures d’atténuation les plus appropriées.


   • Dans un environnement de plus en plus                                 Bibliographie
     concurrentiel, les IMF doivent trouver un juste
     équilibre entre leurs objectifs de croissance et                      Burki H-B., “Unraveling the Delinquency Problem
     la nécessité d’améliorer la qualité des services.                     (2008/9) in Punjab”, MicroNote n°10, Pakistan
     Il leur faut s’assurer de la pérennité de leurs                       Microfinance Network, 2009.
     relations avec les clients. Pour ce faire, elles
     doivent prêter davantage attention à évaluer                          CGAP, CGAP Funder Survey 2009, Washington,
     régulièrement la satisfaction des clients et la                       D.C. : CGAP, 2009. http://www.cgap.org/gm/
     dynamique comportementale des marchés.                                document-1.9.40544/Funder%20Surveys%20
   • Les centrales de risques sont une composante                          Snapshots%202009%20Global.pdf (existe en français
     essentielle de l’infrastructure de marché en                          sous le titre « Enquête 2009 sur les sources de
     microfinance. Bien qu’elles ne puissent empêcher                      financement de la microfinance »).


20 En 1999, la Bolivie a connu une crise d’impayés après plusieurs années d’expansion rapide de la microfinance.
Christen R. et Flaming M., Due Diligence Guidelines                 Lascelles D., Microfinance Banana Skins 2008: Risk in
for the Review of Microcredit Loan Portfolios: A Tiered             a Booming Industry, Center for the Study of Financial
                                                                                                                                                    N° 61
Approach, Guide technique, Washington, D.C. :                       Innovation, 2008. http://www.citibank.com/citi/
                                                                                                                                             Février 2010
CGAP, 2009.                                                         microfinance/data/news080303b.pdf.


Collins D., Morduch J., Rutherford S. et Ruthven O.,                ———.Microfinance Banana Skins 2009: Confronting
Portfolios of the Poor: How the World’s Poor Live on $2             Crisis and Change, Center for the Study of Financial
                                                                                                                                               Nous vous
a Day, Princeton, N.J. : Princeton University Press, 2009.          Innovation, 2009. http://www.citibank.com/citi/                       encourageons à
                                                                    microfinance/data/news090703a1.pdf.                                    partager cette
                                                                                                                                         Note Focus avec
EFSE/MFC, Pilot Study: Access of Low-Income
                                                                                                                                         vos collègues ou
Households to Financial Services in BiH.                            Reille X., The Rise, Fall, and Recovery of the                       à nous contacter
                                                                    Microfinance Sector in Morocco, Brief, Washington,                      pour recevoir
Holtmann M. et al., Developing Staff Incentive Scheme,              D.C.: CGAP, 2010. http://www.cgap.org/gm/                            des exemplaires
                                                                                                                                      supplémentaires de
Microsave, 2002. http://www.microfinancegateway.                    document-1.9.41164/Morocco_Brief.pdf.
                                                                                                                                   ce numéro ou d’autres
org/p/site/m//template.rc/1.9.29659.                                                                                                    de la même série.
                                                                    Rhyne E., Mainstreaming Microfinance: How Lending
Holtmann M. et Grammling M., A Toolkit for                          to the Poor Began, Grew and Came of Age in Bolivia,               Nous vous invitons
                                                                                                                                     à nous faire part de
Designing and Implementing Staff Incentive Schemes,                 Kumarian Press, 2001.
                                                                                                                                   vos commentaires sur
Microsave, 2005. http://www.microfinancegateway.                                                                                              cet article.
org/p/site/m//template.rc/1.9.29429.                                Roodman D., Microfinance Open Book Blog, Chapter 7,
                                                                                                                                               Toutes les
                                                                    2009. http://blogs.cgdev.org/open_book/.
                                                                                                                                   publications du CGAP
Krishnaswamy K., Competition and Multiple Borrowing                                                                                      sont disponibles
in the Indian Microfinance Sector, Center for                       Srinivasan N., Microfinance India State of the Sector                    sur son site :
Microfinance, IFMR, Chennai, Working Paper, 2007.                   Report 2009, Sage Publications India, 2009.                           www.cgap.org.

                                                                                                                                                  CGAP
                                                                                                                                      1818 H Street, NW
                                                                                                                                            MSN P3-300
                                                                                                                                         Washington, DC
                                                                                                                                        20433 États-Unis

                                                                                                                                     Tél. : 202-473-9594
                                                                                                                                     Fax : 202-522-3744

                                                                                                                                               E-mail :
                                                                                                                                    cgap@worldbank.org
                                                                                                                                         © CGAP, 2010




Cette Note Focus a été rédigée par Greg Chen, Stephen            qu’Adrian Gonzalez (MIX), Sarah Forster (Geoeconomics), Rich
Rasmussen et Xavier Reille, avec l’aide de Christoph Kneiding    Rosenberg et Jeannette Thomas (tous deux CGAP) pour leurs
et Meritxell Martinez. Les auteurs souhaitent remercier Ann      précieux conseils et commentaires.
Duval pour son analyse concernant la Bosnie-Herzégovine ainsi

Nous suggérons la citation suivante pour cette Note Focus :
Chen G., Rasmussen S. et Reille X., « Croissance et vulnérabilités en microfinance », Note Focus n° 61, Washington, D.C. : CGAP,
février 2010.