Mars 2022 REMÉDIER À LA SÉGRÉGATION PROFESSIONNELLE ENTRE LES HOMMES ET GENDER INNOVATION LAB (GIL) LES FEMMES: RÉSULTATS D’UNE EXPÉRIENCE Le Laboratoire d’innovation pour CONTRÔLÉE EN RÉPUBLIQUE DU CONGO l’égalité des sexes (GIL) évalue l’impact des interventions de développement Auteurs: Marine Gassier, Rachael S. Pierotti, Léa Rouanet et Lacina Traore1 en Afrique subsaharienne. Il s’efforce de rassembler des données concrètes MESSAGES CLÉS afin de mettre fin aux inégalités entre • La ségrégation professionnelle fondée sur le genre – le fait que les hommes les sexes en matière de revenus, et les femmes ont généralement tendance à se concentrer dans des emplois productivité, actifs, et capacité de et des secteurs économiques différents – contribue à creuser les écarts de décision et d’action. Les équipes du revenus. Les femmes sont confrontées à plusieurs obstacles, notamment des biais GIL réalisent actuellement plus de inconscients, des normes sociales, un manque d’informations et de sensibilisation au 70 évaluations d’impact dans plus secteur concerné, des contraintes de temps et un accès restreint au capital. Tous ces de 25 pays. Leur objectif est de bâtir obstacles les empêchent d’intégrer des secteurs dominés par les hommes. une base de données factuelle que la • Lors d’une expérience menée en République du Congo, nous avons essayé de région pourrait exploiter. comprendre si, en communiquant des informations sur les revenus obtenus dans les secteurs dominés par les hommes, on pouvait encourager les jeunes femmes à choisir d’être formées dans ces secteurs plus rémunérateurs. L’objectif concret du GIL est Nous avons découvert qu’elles sont 28,6 % plus susceptibles de postuler pour une d’accroître l’adoption de politiques formation dans un secteur traditionnellement masculin quand elles reçoivent des efficaces par les gouvernements, les informations sur les revenus spécifiques par métier. organisations de développement et le • Il existe un fort potentiel pour les interventions associant la communication secteur privé afin de traiter les causes d’informations sur les revenus et la sensibilisation à un métier. Dans notre sous-jacentes de l’inégalité entre les étude, l’impact de l’information sur les revenus sur le choix du métier est presque sexes en Afrique, particulièrement en quatre fois plus important chez les femmes qui avaient au préalable une expérience ou termes d’autonomisation économique des connaissances techniques, et trois fois plus importante chez celles qui avaient un et sociale des femmes. Le laboratoire modèle. entend y parvenir en produisant et en diffusant un nouveau corpus • Toutefois, les hommes et les femmes ne bénéficient pas d’un accès égal de données, et en présentant aux aux opportunités initiales, principalement en termes d’expérience technique décideurs politiques des expériences convaincantes sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans la promotion 1  Les auteurs souhaitent remercier Cansu Birce Gokalp et Laurel Elizabeth Morrison qui ont préparé la note de synthèse. de l’égalité des sexes. https://www.worldbank.org/en/programs/africa-gender-innovation-lab adéquate et de réseau. Les femmes sont moins VOICI CE QUE NOUS AVONS FAIT susceptibles de posséder une expérience technique Dans la première étude, nous avons étudié quel rôle préalable et de disposer d’un réseau de personnes pouvait jouer la communication d’informations relatives à la qui travaillent dans des métiers dominés par les rémunération spécifique par métier sur le choix d’une profession hommes. Quand elles disposent d’un tel réseau, leurs par les candidats du programme de formation professionnelle. contacts sont moins susceptibles de se traduire par À leur arrivée, les candidats étaient assignés aléatoirement, soit une expérience technique, ce qui révèle des obstacles à un groupe de contrôle qui regardait une vidéo d’informations dans les échanges interpersonnels. décrivant le programme de formation pour chaque métier, soit • La communication d’informations sur les revenus à un groupe de traitement qui regardait une autre version de est une intervention peu coûteuse et qui peut la vidéo qui communiquait aussi les rémunérations spécifiques encourager les jeunes femmes à aller vers des par métier. Immédiatement après avoir regardé la vidéo, les métiers plus lucratifs, contribuant ainsi à réduire candidats devaient choisir le métier pour lequel ils souhaitaient l’écart de revenus entre les sexes. Par ailleurs, suivre une formation, en faisant deux choix ordonnés. des interventions complémentaires qui permettent La seconde étude a ajouté des questions à l’étude mentionnée aux femmes d’acquérir de l’expérience et des ci-dessus afin d’étudier les déterminants de la ségrégation connaissances techniques, ou de les faire s’identifier professionnelle entre les sexes du côté de l’offre de travail. Les à un modèle, peuvent s’avérer nécessaires pour en questions visaient à évaluer, i) les différences de genre dans renforcer l’impact. les structures d’opportunités (accès à l’information sur les métiers, connexions pertinentes dans les réseaux et modèles, LE PROGRAMME et exposition préalable à des compétences adéquates), ii) la En 2018, le gouvernement de la République du Congo a mis en perception des normes sociales relatives aux femmes et au place un programme de formation professionnelle destiné aux travail, et la discrimination anticipée dans les métiers dominés jeunes âgés de 17 à 30 ans, dans les deux plus grandes villes par les hommes, et iii) les biais genrés intériorisés. du pays, Brazzaville et Pointe-Noire. Les candidats intéressés participaient à une séance d’information et d’inscription, au cours de laquelle ils regardaient une vidéo décrivant les types de formations proposés, y compris les métiers dominés par les hommes et les métiers dominés par les femmes. FIGURE 1: LE PREMIER CHOIX EST UN MÉTIER TYPIQUEMENT MASCULIN Hommes - Information Femmes - Information Hommes - Pas d’information Femmes - Pas d’information 89.7% Hommes 89.4% 34.6% Femmes 26.9% +28.6%*** 0% 20% 40% 60% 80% 100% FIGURE 2: IMPACT DE L’INFORMATION SUR LE CHOIX DE SECTEUR DES CANDIDATS VOICI LE RÉSULTAT DE NOS Hommes - Information Femmes - Information Hommes - Pas d’information Femmes - Pas d’information RECHERCHES *** p<0,01, ** p<0,05, * p<0,1 pour le test d’égalité de coefficient entre le groupe Le fait de bénéficier d’informations sur les revenus contrôle ne recevant pas d’information sur les revenus (barres claires) et le groupe de traitement recevant l’information (barres pleines). spécifiques par métier a considérablement augmenté la probabilité pour les femmes de choisir un métier dominé +** Métiers plus Topographie rémunérateurs par les hommes. Les femmes qui ont bénéficié de l’intervention +*** ciblant l’information sont 7,7 points de pourcentage plus +*** susceptibles de choisir un métier à domination masculine, Grutiers soit une augmentation de 28,6 % par rapport au groupe de +** contrôle. Autant les hommes que les femmes recevant cette Finitions +*** information sur les rémunérations spécifiques à un métier sont Bâtiment +*** plus susceptibles de choisir l’un des trois métiers à plus forte rémunération dominés par les hommes : froid-climatisation, Froid-climatisation grutier et topographie (voir la figure 2 à droite). La probabilité de choisir l’un de ces métiers à forte rémunération augmente de 76,8 % chez les hommes et de 185,8 % chez les femmes. Electricité Les femmes les plus influencées par l’intervention présentent certaines caractéristiques, telles que : avoir un modèle, une Mécanique expérience technique ou des connaissances techniques. générale/Soudure +* Chez les femmes qui n’ont pas choisi un métier Tuyauterie dominé par les hommes, l’information a accru la probabilité de choisir un métier plus lucratif non Fabrication typiquement masculin. Dans le groupe de traitement, les mécanique -** femmes étaient plus susceptibles de renoncer aux métiers traditionnels à plus faibles revenus, tels que les services de Pâtisserie nettoyage et l’hôtellerie, en faveur de métiers à domination +*** traditionnellement féminine, mais plus rémunérateurs. -* Infographie Les taux d’assiduité et d’achèvement de la formation étaient identiques chez les hommes et les femmes, -** Mécanique qu’ils aient reçu l’information sur les revenus ou non. automobile Davantage que pour les hommes, la détermination des Menuiserie femmes à choisir un métier à domination masculine dépend de leur expérience technique préalable. Pourtant, elles sont moins susceptibles de posséder Elevage une telle expérience. Une augmentation d’un point dans le score d’expérience technique est associée à une Hôtellerie/ augmentation de la probabilité de choisir un métier dominé Restauration -** par les hommes de 18,9 % pour les femmes et de 4 % pour les hommes. Toutefois, les femmes ont obtenu de moins Arboriculture bons résultats en expérience et connaissances techniques -** que les hommes, suggérant que ces derniers possèdent un avantage considérable en étant plus exposés aux Coiffure compétences adéquates. Les femmes sont désavantagées car elles ont moins Couture accès aux personnes travaillant dans des métiers à domination masculine, et elles ne tirent Gouvernante/Valet/ Métiers moins Femme de chambre -*** rémunérateurs pas profit des connexions dont elles disposent. 0.00 10.00 20.00 30.00 Les femmes sont défavorisées dans la mesure où elles ont moins accès aux personnes qui ne font pas partie de leur cercle familial et qui travaillent dans des métiers à domination masculine. Au contraire des hommes, elles n’acquièrent pas d’expérience technique auprès des contacts de leur réseau. CONCLUSION Nos conclusions montrent qu’en communiquant des informations sur les revenus spécifiques par métier, on pourrait attirer les femmes vers des métiers plus rémunérateurs et les encourager à choisir des professions dominées par les hommes. Toutefois, l’influence de l’intervention encourageant les femmes à choisir des métiers à domination masculine s’exerce plus fortement chez celles qui ont déjà des connaissances techniques significatives, de l’expérience technique ou des modèles. Nos conclusions pour les deux études insistent sur l’importance de permettre aux femmes d’acquérir de l’expérience et des compétences techniques afin de les encourager à passer dans les métiers dominés par les hommes. Ces conclusions montrent qu’une intervention centrée sur l’information pourrait être plus efficace si elle était associée à des interventions complémentaires fournissant aux femmes de l’expérience et des connaissances techniques, ou les faisant s’identifier à des modèles. Nos études sont axées sur la République du Congo, mais notre rapport mondial, Breaking Barriers: Female Entrepreneurs Who Cross Over to Male-Dominated Sectors, démontre que la ségrégation professionnelle fondée sur le genre est une problématique mondiale qui empêche les économies d’exploiter de manière optimale les compétences de leur population active. La mise en place de programmes et de mesures politiques s’appuyant sur des données factuelles pourrait aider les femmes à s’insérer dans des secteurs plus rémunérateurs dominés par les hommes, et à accroître leurs revenus tout en contribuant à la croissance économique. La communication d’informations sur les rémunérations spécifiques par métier est une intervention à envisager parmi une large variété d’outils visant à réduire la ségrégation professionnelle. Toutefois, nous avons besoin de plus de recherches – notamment dans les pays dont le secteur formel est peu développé – sur d’autres programmes et mesures politiques efficaces qui permettraient aux femmes de s’insérer et de réussir dans des métiers à domination masculine. Pour plus d’informations sur la première étude, consultez le document de travail de recherche sur les politiques: https://openknowledge.worldbank.org/ handle/10986/36974 POUR PLUS D’INFORMATIONS, MERCI DE CONTACTER Markus Goldstein mgoldstein@worldbank.org Cansu Birce Gokalp cgokalp@worldbank.org Crédits photo: World Bank 1818 H St NW Ce travail a été financé en partie par la Umbrella Facility for Gender Equality (UFGE), un fonds fiduciaire financé Washington, DC 20433 USA par plusieurs donateurs et administré par la Banque mondiale pour faire progresser la parité hommes-femmes et www.worldbank.org/africa/gil l'autonomisation des femmes via l'expérimentation et la création de savoirs afin d'aider les gouvernements et le secteur privé à concentrer leurs politiques et programmes sur des solutions évolutives aux résultats durables. L'UFGE est soutenue par les généreuses contributions de l'Australie, du Canada, du Danemark, de l'Allemagne, de l'Islande, de la Lettonie, des Pays-Bas, de la Norvège, de l'Espagne, de la Suède, de la Suisse, du Royaume-Uni, des États-Unis et de la Fondation Bill et Melinda Gates.