Focus No 16 a o û t 2 0 0 0 Institutions de microfinance en Afrique de l'Est : pourquoi des clients en sortent et d'autres n'y entrent pas Comprendre pourquoi certains clients C e u x q u i p a r t e n t quittent les institutions de microfinance et pourquoi d'autres ne sont pas intéressés à En théorie, il est possible de faire la différence entre les départs volontaires et ceux provoqués C G A P en faire partie contribue à mettre en lumière les préférences des clients en matière de services soit par les pairs soit par les IMF, voire par les financiers et aide les programmes à prendre uns et les autres. En pratique, il est souvent La série de notes Focus conscience des limites de leurs produits et difficile d'isoler le facteur à l'origine du constitue un des supports mécanismes existants. Cela peut motiver et départ qui est fréquemment à la fois volontaire clés de diffusion d'informa- orienter le développement de produits et et forcé. Quitter une IMF ne revient toutefois tions sur les meilleures services microfinanciers innovants et fondés pas toujours à renoncer totalement aux pratiques en matière de services proposés par ces institutions. Beaucoup microfinancement auprès sur la demande, qui profiteront à la fois aux de clients décident d'adopter une position des gouvernements, des institutions et aux clients. bailleurs de fonds, des d'« attente » pendant les périodes de institutions financières MicroSave-Africa, projet conjointement mené fléchissement de la conjoncture ou de leur et du secteur privé. par le PNUD et le DfID (Département activité, et certains s'adressent à d'autres britannique du développement international) prestataires, lorsqu'il en existe. Si vous désirez recevoir les basé à Kampala, en Ouganda, a étudié 13 autres numéros de la série, institutions de microfinance (IMF) en Afrique Par « client perdu », les IMF entendent ou envoyer des commentaires de l'Est1 pour tenter de répondre aux questions différentes choses. En Afrique de l'Est, où le ou contributions, veuillez crédit joue un rôle moteur, de nombreuses contacter le Secrétariat du suivantes : Qui sont les clients qui partent et IMF considèrent qu'un client est parti CGAP à l'adresse suivante : pourquoi ? Qui sont ceux qui n'utilisent pas les services offerts et pourquoi ? Ce problème lorsqu'il n'a plus de prêt en cours même s'il CGAP Secretariat revêt une importance particulière en Afrique conserve son épargne dans l'institution. Pour 1818 H Street, NW de l'Est pour deux raisons : de nombreux clients, toutefois, le fait de Washington, DC 20433 ne pas solliciter de prêt, mais de garder la · D'une part, le taux élevé de perte de possibilité de le faire, est certainement une Tél : (202) 473 9594 clients (13 à 60 % par an) handicape importante stratégie de gestion du risque. Fax : (202) 522 3744 beaucoup le secteur de la microfinance Certaines IMF n'autorisent pas cette pratique dans les pays de la région. et « apurent » les comptes des clients qui ne Courrier électronique : · D'autre part, ce niveau élevé de perte renouvellent pas immédiatement leur prêt CGAP@Worldbank.org de clients induit une très mauvaise (elles restituent l'épargne au titulaire du WWW : pénétration du marché, qui reste bien compte ou l'utilisent pour régler le solde du http://www.cgap.org au-dessous de son potentiel (elle est par prêt). Pourtant, dans un contexte de risque exemple inférieure à 1 % de la population et d'incertitudes, de nombreux clients cible en Tanzanie et à peine supérieure à ce préféreraient sans doute faire appel à leur chiffre au Kenya). Dans les IMF d'Afrique épargne et attendre plutôt que de solliciter de l'Est, les clients perdus sont aujourd'hui immédiatement un nouveau prêt. Les plus nombreux que les clients actifs ! restrictions applicables au retrait de l'épargne, C G A P G R O U P E C O N S U L T A T I F D ' A S S I S TA N C E A U X P L U S P A U V R E S [ U N P R O G R A M M E D E M I C R O F I N A N C E ] associées à l'impossibilité de rester un moment sans prêt, peuvent avoir des conséquences coûteuses pour E n c a d r é 1 : le client et l'inciter à partir (voir encadré 1). Un petit D a n s u n c o n t e x t e d y n a m i q u e , l e s p e r t e s nombre d'IMF ont une optique moins axée sur le d e c l i e n t s s o n t s o u v e n t s y n o n y m e s d e crédit et ne considèrent un client comme perdu que p o s i t i o n d ' a t t e n t e o u d e c h a n g e m e n t lorsqu'il ferme ses comptes de prêt et d'épargne. d ' i n s t i t u t i o n p r e s t a t a i r e Ces différences d'interprétation rendent difficile toute comparaison entre les IMF. Joséphine est marchande de légumes sur le marché de Nyeri au Kenya. Ses affaires marchent bien. Elle plaçait ses Le manque de données rend difficile toute généralisa- économies dans une banque commerciale jusqu'à ce qu'elle entende parler du programme K-REP, qu'elle a rejoint en tion des caractéristiques des pertes de clients au fil du 1993 dans le but de développer ses activités et de dégager temps. Toutefois, il semble que l'information qualitative davantage de bénéfices en achetant sa marchandise en gros. recueillie sur les IMF étudiées permette de dégager un Elle est malheureusement tombée malade en 1996 et a dû certain nombre d'enseignements communs à tous les suivre un traitement. Ses affaires s'en sont ressenties. Elle a cas examinés : réglé le solde de son prêt avec ses économies et a quitté le groupe. Remise sur pied en 1997, elle est devenue cliente · Le taux de perte de clients augmente lorsque d'une autre IMF à Nyeri. Elle a obtenu un prêt de cette l'économie nationale fléchit et/ou que les institution qu'elle a rapidement quittée, peu satisfaite des conditions climatiques sont défavorables à conditions régissant son compte d'épargne. Elle a aujourd'hui l'agriculture. constitué un nouveau groupe et a fait le nécessaire pour qu'il devienne client de K-REP dans les semaines à venir. · La plupart des IMF dont la clientèle est composée de groupes solidaires signalent des pertes importantes de clients pendant la période initiale de formation des membres. Certaines perdent aussi beaucoup de clients après les premiers cycles de prêt. Cela s'explique par P a u v r e t é e t d é p a r t d e c l i e n t s deux facteurs : la mise à l'essai des produits par les utilisateurs et l'élimination de certains clients par La fréquence des départs reste remarquablement les IMF. En règle générale, le nombre de départs constante d'un groupe socio-économique à l'autre, a aussi tendance à augmenter pendant les derniers les groupes étant définis en fonction des biens fonciers cycles de prêt, surtout chez les clients qui ont du possédés ou du niveau d'instruction (voir tableau 1). mal à faire face à des remboursements hebdomadaires Elle l'est également en fonction du genre et du groupe plus élevés, dus à une augmentation du montant d'âge. Toutefois, les raisons qui poussent les clients à des prêts qui ne s'accompagne pas d'un allongement partir varient beaucoup d'un groupe à l'autre. correspondant de la période d'amortissement. · La plupart des agents de terrain sont en mesure d'identifier les périodes pendant lesquelles le taux de perte de clients est plus élevé. Ces périodes délicates correspondent généralement aux fêtes T a b l e a u 1 : religieuses (Noël, fête de l'Aïd, etc.), à la période N o u v e l l e s a d h é s i o n s e t d é p a r t s d e c l i e n t s précédant les récoltes et au moment du paiement à P R I D E Ta n z a n i e , a g e n c e d ' A r u s h a des frais de scolarité. Superficie des Nouveaux clients Départs en · La majorité des IMF ont connu au moins terres possédées en % du total % du total une fois un épisode de perte majeur dû à un changement de politique ayant provoqué le Ne possède aucune terre 75 72 départ rapide d'un grand nombre de clients. Possède moins de 0,2 ha 4 4 · Dans un certain nombre d'IMF, le nombre de Possède de 0,2 à 0,4 ha 6 6 clients perdus a augmenté en raison de problèmes Possède de 0,4 à 0,8 ha 7 8 de gestion (manoeuvres frauduleuses, par exemple) Possède de 0,8 à 2 ha 6 7 ou de difficultés de trésorerie qui ont empêché les Possède de 2 à 4 ha 2 2 IMF de décaisser les prêts promis en temps voulu. Possède plus de 4 ha 1 1 C G A P G R O U P E C O N S U L T A T I F D ' A S S I S TA N C E A U X P L U S P A U V R E S [ U N P R O G R A M M E D E M I C R O F I N A N C E ] Les clients plus pauvres ont tendance à partir lorsque le montant moyen des prêts dans le groupe de caution E n c a d r é 2 : solidaire atteint des niveaux élevés, et qu'ils doivent prendre le risque de garantir des crédits beaucoup L a c o m p o s i t i o n d e l a c l i e n t è l e c h a n g e plus importants que ceux qu'ils peuvent prendre a v e c l e m o n t a n t d e s p r ê t s a c c o r d é s (voir encadré 2). En outre, les clients plus pauvres Au milieu des années 90, en doublant automatiquement le sont particulièrement sensibles à l'augmentation montant des prêts des bons payeurs, K-REP a permis à ses clients des remboursements hebdomadaires. Associé à la de rapidement emprunter davantage. Après quelques cycles vulnérabilité générale des pauvres au fléchissement de prêt, le montant des crédits consentis était de 200 000 à de la conjoncture, ce risque induit par le type de 500 000 shillings (3 200 à 8 000 dollars), ce qui a attiré une produit est un facteur de départ. clientèle relativement aisée. Dans les groupes de caution solidaire, les membres pauvres ont commencé à se retirer du Une même propension au départ se retrouve chez les programme, craignant de se porter garants pour des prêts aussi élevés. La clientèle de K-REP s'est déplacée vers le haut. clients plus aisés, pour des raisons différentes, à savoir : Quelques fraudeurs en ont d'ailleurs profité pour devenir · Ils souhaitent obtenir des prêts plus importants, membres du programme, prendre une série de prêts rapidement le montant maximum accordé par les IMF n'étant remboursés, et cesser leurs versements ou disparaître une fois obtenu un crédit plus important. pas suffisant pour leur permettre de développer leurs activités. Pour réduire le taux de perte de clients et se recentrer sur sa · Ils acceptent mal que l'octroi des prêts prévus clientèle cible, K-REP a modifié la politique relative au montant soit retardé par les arriérés de paiement des autres des prêts. Les membres d'un certain nombre de groupes que nous avons rencontrés nous ont signalé que les clients aisés membres du groupe. quittaient aujourd'hui le programme, ne pouvant plus obtenir · Ils sont rebutés par le temps à passer dans les rapidement une cote de crédit leur donnant accès à des prêts réunions de groupe et à essayer de recruter de plus élevés. nouveaux membres pour remplacer les partants. Ces évolutions montrent comment le type de produit proposé Un commerçant de Kampala nous a ainsi déclaré : influe sur la composition de la clientèle et le profil des départs. «... le temps passé en réunion est en train de tuer mon entreprise ». Ces facteurs conduisent généralement les membres plus aisés à rechercher une IMF offrant des prêts plus importants, à devenir clients de deux IMF à la fois C e u x q u i n e s o n t p a s c l i e n t s ou à se tourner vers une banque proposant des crédits individuels plus conséquents (comme c'est aujourd'hui Rapporté au marché potentiel (défini soit par le le cas de la Centenary Bank en Ouganda). En outre, nombre d'entreprises informelles soit par le nombre les clients aisés peuvent avoir recours aux tontines de pauvres), le taux de pénétration des IMF en Afrique lorsque les membres du groupe de base sont relative- de l'Est est très faible. Sur les quelque 4 millions ment prospères et que des versements hebdomadaires d'entreprises informelles que compte la Tanzanie, importants sont requis. Ces tontines versent des moins de 40 000 sont clientes des IMF. Au Kenya, montants substantiels -- suffisants pour financer pays de la région où le secteur est le plus développé, partiellement une expansion rapide d'activité et les IMF autres que les caisses de crédit mutuel touchent compenser le montant limité d'un prêt accordé par au mieux 3,5 % de la population pauvre du pays. Cette une IMF ! mauvaise pénétration du marché tient au manque de produits adaptés et à l'absence d'un mode de prestation La conclusion générale qui se dégage de cette étude de nature à assurer des services financiers de qualité, est que les produits de la plupart des IMF d'Afrique à un coût abordable, à une proportion significative de l'Est sont destinés à des « clients moyens » opérant de la population exclue de ces services. L'étude réalisée en « temps normal ». Toutefois, lorsque des clients par MicroSave-Africa souligne les problèmes que moyens s'en sortent bien ou, au contraire, s'en sortent posent les modèles et produits « importés », et fait mal et tombent dans la pauvreté, le manque de observer qu'il faudra faire preuve d'un esprit très créatif souplesse de ces produits les rend moins intéressants. et novateur pour améliorer la situation. Ainsi que le font remarquer les auteurs de l'étude, « dans une large mesure, les produits que proposent Des entretiens approfondis avec le personnel des IMF, actuellement les IMF d'Afrique de l'Est incitent et avec des clients, des ex-clients et des non clients ont beaucoup les clients à partir ». permis aux auteurs de l'étude de définir les groupes C G A P G R O U P E C O N S U L T A T I F D ' A S S I S TA N C E A U X P L U S P A U V R E S [ U N P R O G R A M M E D E M I C R O F I N A N C E ] socio-économiques auxquels appartiennent la plupart C o n c l u s i o n des clients de ces institutions (voir figure 1). Les résultats font clairement ressortir que dans les IMF En conclusion, les produits actuellement proposés par étudiées, la clientèle tend à se concentrer autour du les IMF d'Afrique de l'Est expliquent le taux élevé de seuil de pauvreté. La plupart des clients semblent perte de clients et la faible pénétration du marché. Le n'être ni pauvres ni aisés : ils appartiennent généralement secteur de la microfinance a adopté un petit nombre à des ménages qui peuvent faire face à leurs besoins d'idées importées très semblables sans les avoir courants, qui ont accès à l'enseignement primaire et suffisamment mises à l'essai dans le contexte local et aux services de santé de base, et qui disposent d'un sans réellement connaître les préférences des clients certain nombre d'actifs. Ils se situent dans une en matière de services financiers. « zone de confort » ; ils ont une source de revenus L'étude de MicroSave-Africa montre l'importance relativement stable et des moyens d'existence de concevoir des produits plus souples, fondés sur la suffisamment diversifiés, ce qui leur permet d'honorer demande, pour répondre aux besoins de services finan- régulièrement leurs remboursements, même en cas ciers des pauvres et toucher une proportion importante de petits chocs économiques. Ils ne sont toutefois de cette clientèle dans la région. Il faudra commencer pas à l'abri des coups durs, et l'accès aux services par acquérir une meilleure connaissance du marché, de microfinance aide beaucoup à réduire cette des budgets des ménages et de la gestion de trésorerie vulnérabilité. des clients. Les institutions devraient également recueillir systématiquement des informations sur le départ des clients afin de comprendre les limites des F i g u r e 1 : Q u i s o n t l e s c l i e n t s d e s produits existants et de faire naître des idées pour la s e r v i c e s d e m i c r o f i n a n c e ? mise au point des futurs produits. Toutefois, l'étude Pourcentage d'IMF indiquant avoir des pose également un certain nombre de questions, à 120 % clients dans ces groupes socio-économiques savoir : 100 % · En quoi le départ d'un client influe-t-il sur les 80 % résultats d'une IMF ? Quel est le coût de ces départs pour les clients aussi bien que pour les 60 % institutions ? 40 % · Qu'entend-on exactement par « client perdu » ? 20 % Les critères utilisés pour mesurer les pertes de clients peuvent-il être normalisés pour faciliter 0 % les analyses comparatives ? AISÉ NON PAUVRE - ASSEZ PAUVRE PAUVRE · Quels types de politiques et de procédures les IMF peuvent-elles mettre en place pour suivre La figure 1 montre que les pauvres, ou les personnes l'évolution des pertes de clients ? vivant nettement au-dessous du seuil de pauvreté, ne · Comment les IMF peuvent-elles utiliser font pas partie des clients des IMF en Afrique de l'Est. l'information sur les pertes de clients pour Cela tient à plusieurs raisons, à savoir : mettre au point de nouveaux produits ? · Ces personnes sont exclues par les IMF elles-mêmes, qui se concentrent sur des 1 Ces IMF étaient toutes totalement opérationnelles et étaient, à microentrepreneurs ayant une capacité de l'échelon national, de taille moyenne ou de grande taille. En outre, remboursement suffisante. elles appliquaient toute une série de modèles de microfinancement. · Elles sont exclues par des groupes qui ne souhaitent pas se porter garants des pauvres Le présent numéro de Focus se fonde sur des travaux de Leonard en cas de défaut de paiement. Mutesasira, Henry Sempangi, Harry Mugwanga, John Kashangaki, Florence Maximambali, Christopher Lwogs, David Hulme, Graham Wright · Elle s'excluent elles-mêmes par crainte de et Stuart Rutherford. Il a été préparé par Imran Matin et Brigit Helms du l'endettement. secrétariat du CGAP. Traduction : Département de traduction de la Banque mondiale/GRET ; · Elles sont exclues par le produit lorsque le édition : Tiphaine Crenn ; production : Valerie Chisholm ;imprimé par : crédit de trésorerie standard proposé ne EarthWise Printing, Gaithersburg, MD (301) 340-0690. répond pas à leurs besoins. Printed on recycled paper C G A P G R O U P E C O N S U L T A T I F D ' A S S I S TA N C E A U X P L U S P A U V R E S [ U N P R O G R A M M E D E M I C R O F I N A N C E ]