65054 Enseignement supérieur au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : Atteindre la viabilité financière tout en visant l’excellence Sous la direction d’Adriana Jaramillo et de Thomas Mélonio août 2011 Ce rapport a été établi par une équipe dirigée par Adriana Jaramillo, Spécialiste senior de l’éducation à la Banque mondiale, et Thomas Mélonio, de l’AFD, avec des contributions spéciales de Bruce Johnstone, Professeur émérite à l’Université d’État de New York (SUNY), Diego Angel Urdinola, Économiste senior à la Banque mondiale, Hafedh Zaafrane et Sebastian Trenner. Table des matières Avant-propos ................................................................................................................................................ iii Liste des auteurs ........................................................................................................................................... iv Introduction ................................................................................................................................................... v Chapitre 1 : Enseignement supérieur, productivité et insertion professionnelle des diplômés : quel bilan pour la région MENA ? .........................................................................................................................1 1.1 Rentabilité sociale et économique de l’enseignement supérieur ...................................................2 1.2 Enseignement supérieur et emploi dans la région MENA ...............................................................2 1.3 Chômage des jeunes dans la région MENA .......................................................................................3 1.4 Principaux obstacles à l’emploi des jeunes diplômés ......................................................................4 1.5 Enseignement supérieur et productivité ...........................................................................................6 1.6 Les systèmes d’enseignement supérieur sont-ils à même de répondre aux attentes économiques et sociales de la région MENA ? .......................................................................................7 1.7 Quels sont les résultats tangibles des systèmes d’enseignement supérieur ?...............................9 1.8 Conclusions ....................................................................................................................................... 11 Chapitre 2 : Analyse comparative de la viabilité financière de l’enseignement supérieur dans la région MENA ............................................................................................................................................... 12 2.1 Objectifs éducatifs et mécanismes de financement...................................................................... 13 2.2 Viabilité du financement de l’enseignement supérieur dans la région MENA ............................ 14 Chapitre 3 : Lier les politiques et priorités en matière d’enseignement supérieur à des mécanismes d’allocation pour mieux employer les ressources ................................................................................... 23 3.1 Le financement de l’offre et de la demande d’enseignement supérieur .................................... 24 3.2 Application des mécanismes d’allocation pour atteindre les objectifs d’accès, d’équité, de qualité et de pertinence ........................................................................................................................ 31 3.3 Conception d’une stratégie globale ................................................................................................ 35 3.4 Conclusions et acquis de l’expérience ............................................................................................ 38 Chapitre 4 : Le partage des coûts dans l’enseignement supérieur : pourquoi, quand et comment ? . 39 4.1 Options de financement dans les pays à base fiscale limitée ....................................................... 39 4.2 Premier outil de partage des coûts : les frais de scolarité ............................................................ 42 4.3 Théorie et pratique des prêts étudiants ......................................................................................... 44 4.4 Quel avenir pour le partage des coûts dans la région MENA ? .................................................... 56 Chapitre 5 : Le rôle de l’offre privée dans la viabilité financière, l’accès, la pertinence et la qualité de l’enseignement supérieur .......................................................................................................................... 58 5.1 Enseignement supérieur privé : concepts et acteurs .................................................................... 58 5.2 L’enseignement supérieur privé dans la région MENA ................................................................. 64 5.3 Contribution de l’enseignement supérieur privé dans la région MENA ...................................... 67 5.4 Conclusions ....................................................................................................................................... 77 Chapitre 6 : Diversifier les sources de financement de l’enseignement supérieur par le biais de la philanthropie et des fonds de dotation : implications pour la région MENA ........................................ 79 i 6.1 Développer une culture philanthropique ....................................................................................... 80 6.2 Gestion d’un fonds de dotation universitaire ................................................................................ 87 6.3 Un fonds d’investissement souverain dédié au financement des universités ............................ 94 6.4 Conclusions ....................................................................................................................................... 96 Chapitre 7: Synthèse et recommandations .............................................................................................. 98 Références ................................................................................................................................................ 101 ii Avant-propos La crise économique mondiale et le Printemps arabe ont engendré de nouveaux défis pour la plupart des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Les jeunes de la région exigent de pouvoir étudier et travailler dans de meilleures conditions. Étant donné les contraintes budgétaires de certains pays, la recherche de viabilité financière pour répondre à la demande des étudiants est une priorité pour tous les systèmes d’enseignement supérieur. La Banque mondiale et l’Agence Française de Développement (AFD) ont mis en place un partenariat afin d’étudier des mécanismes de financement alternatifs qui permettraient aux pays de la région d’assurer la soutenabilité financière de leurs systèmes d’enseignement supérieur à court et moyen terme, d’élargir leur couverture, d’améliorer la qualité de leurs diplômes tout en assurant une allocation équitable des fonds. Ce programme est le fruit d’une coopération pluri-institutionnelle animée depuis le Centre de Marseille pour l’Intégration en Méditerranée (CMI), et en particulier de son programme thématique de recherche sur les Compétences, l’emploi et la mobilité des travailleurs (SELM). Ce projet a débuté par un séminaire conjoint organisé au CMI le 23 et 24 juin 2011, auquel ont participé des ministres, des fonctionnaires et des experts de la région MENA et d’ailleurs. Les échanges ont porté sur quatre grandes problématiques : (i) comment mieux utiliser les ressources ; (ii) comment faire face au manque de ressources publiques ; (iii) comment diversifier les sources de financement du système d’enseignement supérieur et (iv) comment innover et s’adapter dans le cadre de l’évolution technologique et de l’économie du savoir. Même s’il n’y a pas de « formule magique », car les défis complexes appellent des solutions complexes, les échanges ont permis aux participants de partager leurs connaissances, d’apprendre de leurs expériences respectives et de débattre des pratiques existant autour du monde. Ce rapport est le fruit d’une analyse réalisée dans la continuité de ce séminaire afin d’enrichir les connaissances sur les tendances en matière de financement observées dans la région MENA et les expériences puisées dans toutes les régions du monde, qui pourraient aider les pays de la région à élaborer des stratégies de financement pérennes. Ce rapport a été établi sous la direction de Mourad Ezzine, responsable du secteur Éducation pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, par une équipe menée par Adriana Jaramillo, Spécialiste senior de l’éducation à la Banque mondiale, et Thomas Mélonio, du département Recherche de l’AFD. Ont également contribué Sebastian Trenner, consultant, Hafedh Zaafrane, consultant, Bruce Johnstone, Professeur émérite à l’Université d’État de New York, et Diego Angel Senior, Économiste senior. Dans la phase préparatoire du rapport, l’équipe a reçu d’importantes contributions de Jamil Salmi, Coordinateur de l’enseignement supérieur à la Banque mondiale, Andreas Blom, Économiste sénior de l’éducation, Sunita Kosaraju, Benoit Millot, Maureen Woodhall, Mark Gurgand, Juan Manuel Moreno, Jean-Christophe Maurin, de la division éducation et formation professionnelle de l’AFD, Olivier Ray, du département Méditerranée et Moyen-Orient de l’AFD, Jocelyne Vauquelyn (AFD et CMI), et Mats Karlsson, Directeur du CMI. Au fil des chapitres, ce rapport aborde les questions cruciales de la recherche de nouvelles sources de financement, d’un meilleur emploi des fonds pour obtenir davantage de résultats et de leur répartition équitable afin de mieux servir les jeunes des pays arabes. STEEN JORGENSEN RÉMI GENEVEY DIRECTEUR DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DIRECTEUR DE LA STRATÉGIE Moyen-Orient et Afrique du Nord Agence Française de Développement iii Liste des auteurs Principaux auteurs des chapitres : Chapitre 1 Enseignement supérieur, productivité et insertion dans le monde du travail : le bilan est-il positif pour la région MENA ? Adriana Jaramillo et Diego Angel Urdinola Chapitre 2 Analyse comparative de la viabilité financière de l’enseignement supérieur dans la région MENA Adriana Jaramillo et Hafedh Zaafrane Chapitre 3 Lier les politiques et priorités en matière d’enseignement supérieur à des mécanismes d’allocation pour mieux employer les ressources Adriana Jaramillo et Sebastian Trenner Chapitre 4 Le partage des coûts dans l’enseignement supérieur : pourquoi, quand et comment ? Thomas Mélonio Chapitre 5 Le rôle de l’offre privée dans la viabilité financière, l’accès, la pertinence et la qualité de l’enseignement supérieur Sebastian Trenner Chapitre 6 Diversifier les sources de financement de l’enseignement supérieur par le biais de la philanthropie et des fonds de dotation : implications pour la région MENA Bruce Johnstone Chapitre 7 Synthèse et recommandations Adriana Jaramillo et Thomas Mélonio Adriana Jaramillo a effectué la mise au point du texte définitif. iv Introduction Les systèmes d’enseignement supérieur sont confrontés à trois défis majeurs : doter les jeunes des compétences exigées par le marché du travail, améliorer l’accès à des services de qualité et rechercher de nouvelles sources de financement pour faire face à la demande croissante des étudiants. Bien que ces problèmes se posent dans la plupart des pays du monde, ils revêtent une acuité particulière au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), où la population étudiante a fortement augmenté en huit ans, le taux de scolarisation moyen passant de 20 à 30 % entre 2000 et 2008. Cette forte expansion compromet de plus en plus la qualité de l’enseignement, mais elle exerce aussi des pressions croissantes sur des ressources publiques limitées, une situation que la crise économique mondiale n’a fait qu’aggraver. Si le Printemps arabe a apporté un formidable espoir de réformes importantes dans la région en matière politique, économique et sociale, il a aussi apporté de nouveaux défis, notamment celui de répondre à des exigences nouvelles sans sortir des limites budgétaires existantes. En termes relatifs, les pays de la région consacrent en moyenne une plus grande part de leur PIB à l’éducation que d’autres pays en développement dont le revenu par habitant est comparable. Pourtant, sur le critère de la dépense par étudiant, les systèmes d’enseignement supérieur de la région semblent insuffisamment financés. L’Égypte, par exemple, alloue près de 8 % de son PIB à l’éducation (contre 6 % en moyenne dans les pays de l’OCDE) mais la dépense par étudiant ne s’élève pourtant qu’à 23 % du PIB par tête (contre 36 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et 55 % dans la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire. De plus, les dépenses moyennes de recherche-développement (R&D) sont beaucoup plus faibles dans la région MENA que dans les pays de l’OCDE, à 0,39 % du PIB contre 1,84 %. Outre le montant de la dépense publique allouée à l’éducation, la qualité de l’allocation des ressources et le lien entre les fonds alloués et les résultats sont des domaines où le besoin d’agir est fort. Le Printemps arabe a clairement montré la volonté de changement des jeunes de la région, qui demandent un enseignement de meilleure qualité et exigent d’avoir un accès plus facile à des emplois qualifiés. La croissance économique enregistrée ces dernières années dans la région n’a pas été suffisante pour absorber l’augmentation de la population active, et ce pour diverses raisons : volatilité excessive du PIB, demande de main-d’œuvre fortement dominée par le secteur public, trop forte dépendance de l’économie à l’égard des recettes pétrolières et de produits à faible valeur ajoutée, intégration insuffisante dans l’économie mondiale… Ce scénario macroéconomique, auquel s’ajoutent de fortes frictions entre l’offre et la demande de travail, une insertion professionnelle très lente des jeunes au sortir du système éducatif et la qualité et la pertinence insuffisantes des systèmes d’enseignement post-primaire et de formation (qui génèrent de forts taux d’abandon dans le secondaire, la plupart de ces jeunes entrant dans la population active munis de faibles compétences de base), offre des perspectives peu encourageantes pour le développement économique de la région. Comme pour les pays de l’OCDE confrontés à l’expansion de l’enseignement supérieur il y a quelques dizaines d’années, les problèmes qui se posent dans la région MENA portent sur la démocratisation de l’enseignement supérieur, qui n’est plus réservé à une élite, l’augmentation des ressources financières et l’équité dans l’allocation de ces ressources. Certains pays sont aux prises avec de sévères contraintes budgétaires et ne se sont pas encore totalement remis de la crise financière ; compte tenu des autres incidences des récents bouleversements politiques induits par le Printemps arabe, la viabilité financière des systèmes d’enseignement supérieur est un sérieux défi pour tous les pays de la région. Pour réaliser les objectifs d’expansion, de qualité et de pertinence demandés aux établissements d’enseignement supérieur, il sera indispensable d’accroître les financements, mais compte tenu des contraintes budgétaires évoquées plus haut, on ne peut guère tabler sur une augmentation suffisante des ressources publiques pour couvrir l’ensemble des besoins. v Les pays de la région devront donc diversifier leurs sources de financement et rechercher des solutions pour accroître la contribution financière des acteurs privés. De manière générale, la plupart de ces pays disposent d’un espace budgétaire faible à moyen et doivent accomplir de considérables efforts en matière d’expansion, de qualité, de pertinence et d’équité de l’enseignement supérieur. La capacité des systèmes de la région à doter leurs étudiants et diplômés des compétences nécessaires pour réussir sur le marché du travail revêt une importance critique. Les diplômés de l’enseignement supérieur doivent en effet pouvoir entrer dans la population active avec des compétences cognitives, comportementales et sociales qui leur permettent de mobiliser des connaissances approfondies pour résoudre des problèmes complexes, promouvoir de nouvelles idées et trouver leur place dans des cadres culturels diversifiés. Pour atteindre ces objectifs, il faut davantage de ressources financières, mais surtout réaffecter les ressources existantes. Il sera très difficile à court terme d’augmenter les impôts ou d’en introduire de nouveaux ; la plupart des pays de la région devront donc rechercher d’autres sources de financement public, mieux employer les ressources dont ils disposent aujourd’hui et étudier les moyens d’accroître les financements privés. Les solutions déjà mises en œuvre dans d’autres pays pourraient constituer de meilleures alternatives au plan économique et social. Il faut non seulement assumer le coût croissant d’un enseignement supérieur de qualité, mais il est également indispensable d’examiner les acquis de l’expérience de pays européens, des États-Unis, du Canada, de l’Australie, d’autres pays de l’OCDE et de pays où les systèmes d’enseignement supérieur, auparavant réservés à une élite, ont réussi à se démocratiser. Presque tous les pays qui ont opéré cette mutation ont dû se poser deux questions fondamentales : dans quelle mesure l’enseignement supérieur doit-il être financé par les ressources publiques et comment allouer les fonds de manière efficiente et équitable ? À l’évidence, chaque pays possède ses propres contraintes politiques et culturelles spécifiques, mais certaines tendances peuvent néanmoins être relevées. La plupart des transformations intervenues depuis vingt ans ont impliqué l’utilisation des droits d’inscription acquittés par les étudiants (et d’autres frais) et une hausse de l’aide financière octroyée aux étudiants pour remédier à leurs difficultés d’accès : le type et le montant des contributions demandées et des bourses versées aux étudiants varient toutefois grandement selon les pays. Ce document montrera qu’il est impératif de rechercher des stratégies de financement viables pour les pays de la région MENA, aussi bien ceux qui ont un revenu élevé comme les pays producteurs de pétrole que les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Le chapitre 1 propose une description générale de la situation des diplômés de l’enseignement supérieur et des multiples difficultés qu’ils rencontrent pour entrer dans la vie active. Il examine les déterminants de ces difficultés d’insertion et s’attache en particulier aux problèmes d’appariement entre l’offre et la demande de travail. Le chapitre 2 analyse les dépenses actuelles en matière d’enseignement supérieur, effectue des projections des futurs besoins de financement en tenant compte de la nécessité de poursuivre la démocratisation de l’enseignement supérieur et d’en améliorer la qualité et la pertinence, et propose un cadre pour les méthodes de financement lié à la réalisation des objectifs d’accès, d’équité et de qualité. Le chapitre 3 présente des solutions pour un meilleur emploi des ressources financières actuellement disponibles en soulignant la nécessité d’une mise en cohérence des ressources allouées avec les objectifs politiques. Des modèles d’allocation innovants, qui lient le financement aux performances et à la demande, et des mécanismes d’intervention sur l’offre sont étudiés. Le chapitre 4 examine différents modes de diversification des sources de financement et présente des méthodes alternatives de partage des coûts. Il souligne les mesures d’équité nécessaires au partage des coûts, telles que les droits d’inscription, et donne un aperçu des dispositifs de prêts étudiants mis en place dans la région et ailleurs. Le chapitre 5 étudie le rôle de l’offre privée d’enseignement supérieur et la solution qu’elle peut apporter du point de vue de l’accès et de la qualité, sous réserve que les contrôles réglementaires et de qualité nécessaires soient prévus. Le chapitre 6 décrit une solution de financement encore assez peu répandue dans la région, l’utilisation de ressources philanthropiques pour constituer des dotations de soutien à l’enseignement supérieur. Il donne une description détaillée d’exemples empruntés aux États-Unis car ces expériences sont les mieux connues et les plus fructueuses de ce type de financement dans le monde. vi Chapitre 1 : Enseignement supérieur, productivité et insertion professionnelle des diplômés : quel bilan pour la région MENA ? L’enseignement supérieur est source de progrès économique et social, car il contribue à la croissance économique et peut ainsi permettre d’améliorer les systèmes nationaux de protection sociale. Diverses études ont montré que l’enseignement supérieur développe les compétences requises pour participer à l’économie mondiale et encourage l’innovation, la mobilité sociale et les initiatives politiques et citoyennes démocratiques et novatrices (2009, Banque mondiale). Les universités sont des institutions susceptibles de promouvoir la croissance économique et la participation de la société civile. Outre leur capacité à créer et à diffuser des connaissances, elles attirent des individus talentueux, insufflent de nouvelles idées, enrichissent la vie culturelle et englobe l’ensemble du tissu social dont elles font partie. Malheureusement, dans le contexte de la région MENA, la rentabilité sociale et privée de l’enseignement supérieur n’est pas toujours très élevée, comme l’atteste le taux de chômage des diplômés universitaires qui peut atteindre 40 % dans certains pays. La croissance économique dépend d’une multitude de facteurs. Outre la gouvernance et la stabilité politique et macroéconomique globale, d’autres facteurs comme la productivité, l’innovation et la qualité des compétences transmises dans les systèmes éducatifs ont leur importance. Le développement des compétences est un processus dynamique et cumulatif qui intervient pendant tout le cycle de vie. Les compétences s’acquièrent de différentes façons, aussi bien par le biais du système éducatif formel que par l’éducation informelle, la formation continue et l’expérience acquise sur le lieu de travail. Il existe aussi des compétences cognitives, académiques, génériques ou spécifiques à une discipline donnée ainsi que des compétences sociales et de vie qui permettent de s’intégrer dans un réseau social, professionnel ou un environnement de travail. Le développement des compétences est un phénomène complexe et les systèmes éducatifs formels jouent un rôle critique en la matière. Hanushek (2007) a récemment démontré que l’éducation et les compétences cognitives qu’elle permettait d’acquérir avaient une incidence positive sur la croissance économique. Un élément critique de la contribution de l’enseignement supérieur à la croissance réside dans la meilleure employabilité et les salaires plus élevés des diplômés du supérieur. Les difficultés que les diplômés de l’enseignement supérieur rencontrent aujourd’hui sur le marché du travail ne sont pas uniquement dues à leur manque de compétences. En effet, la crise financière qui a débuté en 2008 a déclenché une hausse du chômage qui n’a épargné aucun pays et qui risque de se prolonger encore plusieurs années, sachant que l’économie mondiale traverse aujourd’hui la récession la plus profonde et la plus synchronisée de son histoire. Des secteurs clés comme la production manufacturière et le BTP ont été durement touchés, et le taux de chômage a augmenté dans le monde entier. Les pays de la région MENA n’ont pas tous été affectés de la même manière. Les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont ceux qui ont souffert le plus, essentiellement du fait de la chute des prix du pétrole et de l’effondrement du marché immobilier. La crise a eu en revanche moins d’impact sur les pays producteurs de pétrole restés en marge du système bancaire international comme l’Algérie et la Libye, cette dernière ayant toutefois connu en 2011 une transition politique dont l’impact économique ne peut pas encore être connu. Les pays importateurs de pétrole comme L’Égypte, la Jordanie, la Tunisie et le Liban ont souffert quant à eux des effets secondaires de la crise sur le commerce, les remises d’argent des migrants et les investissements directs étrangers. Quoi qu’il en soit, dans cette région, la reprise dépendra de la capacité de chaque pays à développer ou à conquérir de nouveaux marchés et la prudence budgétaire sera une nécessité. Les récents bouleversements politiques permettent d’espérer des gouvernements plus démocratiques, plus transparents et plus efficaces pour l’avenir, mais à très court terme, cette phase de transition se traduira dans la plupart des pays concernés par des contraintes budgétaires supplémentaires. 1 Si la crise financière a eu un impact négligeable sur les taux de chômage officiels, les taux d’activité, qui étaient déjà faibles par rapport à d’autres régions avant la crise, ont encore baissé (2010, Banque mondiale). Aux États-Unis comme dans l’Union européenne, la hausse du chômage touche aussi les travailleurs immigrés et les travailleurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord pourraient en subir les conséquences. 1.1 Rentabilité sociale et économique de l’enseignement supérieur Sous l’effet combiné des avantages financiers et non financiers qu’il procure aux individus mais aussi de toutes les autres externalités positives qu’il engendre, l’enseignement génère un rendement social qui contribue à terme à la croissance économique. Un élément critique pour valider cette affirmation est que l’enseignement supérieur doit permettre d’accéder à un salaire plus élevé. Le taux de rendement interne (TRI) est un indicateur standard de la rentabilité de l’enseignement supérieur qui tient compte des coûts directs (frais d’inscription et de subsistance), des coûts d’opportunité (nombre d’années d’études nécessaires pour obtenir le diplôme et manque à gagner correspondant calculé sur la base du salaire moyen d’un diplômé du secondaire), de la prime salariale que procure un diplôme universitaire, mais aussi de la probabilité plus élevée d’avoir un emploi pendant toute sa vie et de toucher une meilleure retraite. Boarini et Strauss (2007) ont calculé que les taux de rendement interne privé des 21 pays de l’OCDE retenus dans leur analyse variaient entre 4 % et 14 % en 2001 pour l’enseignement supérieur en général (c’est-à-dire toutes filières et durées d’études confondues). Le TRI moyen ressortait à 8,5 %, soit moins que Figure 1. 1 : Taux de rendement interne privé de les estimations précédentes de l’OCDE. Selon l’enseignement supérieur (années différentes) Santiago et al, (OCDE, 2008), les TRI moyens les plus bas se trouvent dans les pays où les primes salariales nettes sur le marché du travail sont inférieures à la moyenne, bien que les coûts directs et d’opportunité y soient plus faibles. Dans la région MENA et au cours de la même période, les TRI privés de l’enseignement supérieur étaient proches de la moyenne des pays de l’OCDE, mais très nettement inférieurs à ceux d’Amérique latine et des Caraïbes (LAC) comme le montre la figure 1.1. Bien que nous n’ayons pas de chiffres plus récents, les TRI de la région MENA sont probablement encore plus bas aujourd’hui compte tenu des difficultés que connaissent les diplômés universitaires pour Source : Carnoy, 2006 trouver un emploi dans cette région. 1.2 Enseignement supérieur et emploi dans la région MENA Indépendamment du fait que la crise économique et financière de 2008-2009 a entraîné une augmentation du chômage dans le monde entier, la figure 1.2 montre qu’entre 2000 et 2010, le taux de chômage des diplômés a toujours été bien plus élevé dans la région MENA que dans les pays de l’OCDE et qu’il a enregistré une progression spectaculaire en Tunisie. 2 Figure 1. 2 : Taux de chômage des diplômés du supérieur (avec au moins un diplôme de premier cycle) Source : Kosaraju et Zaafrane, 2011. 1.3 Chômage des jeunes dans la région MENA Plusieurs pays de la région MENA, et plus particulièrement les pays arabes méditerranéens, sont aujourd’hui confrontés à une accumulation de problèmes majeurs. Outre que le taux de chômage des jeunes (21 % au Moyen-Orient et 25 % en Afrique du Nord) y est beaucoup plus élevé que dans n’importe quelle autre région du monde, ce taux est constitué d’un nombre disproportionné de jeunes femmes et de nouveaux diplômés. Qui plus est, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail sont plus diplômés que jamais mais incapables de tirer parti du temps et de l’argent qu’ils ont investis dans leur éducation étant donné qu’il n’existe pas d’emplois de bonne qualité dans leur secteur de travail respectif. Figure 1.3 : Taux de chômage des jeunes (%) Figure 1.4 : Investissement privé en % du PIB Source : KILMnet 2006. Source : Banque mondiale, 2009. 3 Pour parer à cette pénurie d’emplois formels, les jeunes diplômés choisissent de travailler dans le secteur informel et/ou de se retirer de la population active. Il est à noter que le fait d’obtenir un emploi informel est, pour les jeunes comme pour les diplômés universitaires, un moyen d’entrer sur le marché du travail, d’acquérir de l’expérience et d’obtenir par la suite un emploi formel. En pratique cependant, il existe peu de mobilité entre les secteurs formel et informel. Et le fait de devoir se rabattre sur le secteur informel représente pour les jeunes demandeurs d’emploi une perte de capital humain considérable. La rentabilité de l’enseignement (même pour les diplômés de l’université) tend à être très faible dans le secteur informel. Les emplois informels sont généralement peu rémunérés, ce qui suggère des niveaux de productivité plus faibles que dans le secteur formel. En réalité, les salaires horaires nets des travailleurs informels dans le secteur privé sont assez bas (figure 1.5). Figure 1.5 : Rentabilité de l’enseignement par nombre d’année d’études (Égypte 2006) 3 Private formal 2.5 Wage rate (in LE/hour) 2 Public sector 1.5 1 Private informal 0.5 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 Years of education attained Source : Estimations de la Banque mondiale à partir de données tirées de l’enquête sur la population active (Labor Force Survey) 1.4 Principaux obstacles à l’emploi des jeunes diplômés (a) Les investissements dans le secteur privé restent faibles et exigent des capitaux importants. Même s’il y a eu des progrès importants ces dernières années, l’investissement privé reste limité dans la région MENA (figure 1.4). Du fait du montant élevé des subventions à l’énergie et des taux d’intérêt réels négatifs, la plupart des investissements dans la région se concentrent sur des activités exigeant des capitaux considérables. Selon des enquêtes de l’ICA, la corruption, la concurrence déloyale et les incertitudes macroéconomiques sont des obstacles considérables à l’investissement privé. Un rapport de la Banque mondiale paru en 2009 a montré que le caractère arbitraire et injuste des « règles du jeu » est ce qui freine le plus le développement du secteur privé . La réforme de ces règles est en cours mais comme les progrès varient d’un pays à l’autre, la région souffre encore de l’application discrétionnaire des politiques publiques et d’une défiance à l’égard de la capacité des gouvernements à réformer des systèmes fondés sur des privilèges profondément ancrés et le traitement inégal des investisseurs. Le type de dynamisme et de transformation économique constaté en Malaisie, Chine, République de Corée, Pologne, Turquie ou dans d’autres économies à croissance rapide ne se retrouve dans aucun pays de la région MENA. La diversification des exportations est également insuffisante. L’exportateur le plus dynamique de la région MENA exporte 1 500 produits quand le record est de 4 000 dans des pays comme la Pologne, la Malaisie ou la Turquie. Qui plus est, le contenu technologique des produits exportés par les pays non-producteurs de pétrole de la région MENA est trois fois plus faible que celui des pays de l’Asie de l’Est ou de l’Europe de l’Est et le taux de productivité des entreprises y est également plus faible. 4 (b) Inadéquation des compétences. Des Figure 1.6 : Pourcentage d’entreprises déplorant un enquêtes menées auprès des entreprises déficit de compétences indiquent que le manque de compétences et de formation des travailleurs fait partie des cinq principaux obstacles au développement des affaires dans la région, en particulier dans les pays arabes méditerranéens. Les employeurs se plaignent d’un manque d’expérience et de compétences techniques mais aussi d’un déficit de compétences faisant appel à l’intelligence émotionnelle comme les traits de personnalité, le savoir-vivre, les compétences interpersonnelles, les qualités d’expression et les habitudes personnelles. Une écrasante majorité de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur est issue de la filière des sciences humaines et sociales. Source : www.enterprisesurveys.org. Formatted: French (France) Ces profils de scolarisation permettent de répondre à la demande de diplômés du secteur public mais sont insuffisamment adaptés aux exigences de la récente expansion du secteur privé des services et de l’industrie manufacturière. Qui plus est, en dépit des efforts importants qui ont été faits ces dernières années pour améliorer leur qualité, les systèmes éducatifs restent encore trop fragmentés et l’incidence de ces progrès sur l’emploi des jeunes diplômés reste à mesurer. (c) Le secteur public fausse encore les incitations. En effet, dans de nombreux pays de la région MENA, le fonctionnariat reste important par rapport au niveau de développement. Même si les administrations publiques recrutent beaucoup moins depuis quelques années, la fonction publique représente encore une part importante de l’emploi formel en Afrique du Nord. Encore associé à des régimes d’assurance maladie, de retraite, de temps de travail et de prise en charge des frais de transports relativement généreux, l’emploi dans le secteur des administrations publiques attire encore beaucoup les personnes instruites et plus particulièrement les femmes. Ce phénomène limite l’esprit d’entreprise des jeunes diplômés et contribue à leur faire subir de longues périodes de chômage. (d) La réglementation du travail reste rigide et les taxes pour l’emploi élevées : en matière de licenciement, la réglementation reste stricte et les coûts élevés. Si la loi autorise le licenciement économique dans tous les pays de la région MENA, les réglementations en vigueur sont très souvent complexes et il ne peut y avoir de licenciement sans notification, justification et autorisation préalables. Dans certains pays, les employeurs sont même tenus d’assurer le reclassement et/ou la formation nécessaire à la reconversion des salariés qu’ils licencient. En outre, du fait des indemnités de préavis, primes de licenciement et autres indemnités compensatrices qui doivent être versées en cas de rupture du contrat de travail pour cause économique, les coûts de licenciement sont assez élevés dans la plupart des pays de la région dans le secteur formel. Cette législation protectrice s’explique en partie Figure 1.7 : Indicateur du coût de licenciement par le fait qu’il n’existe pas de système (en semaines de salaire) d’assurance chômage dans la plupart des pays de la région MENA. Pour comparer les coûts de licenciement, on utilise généralement « l’indicateur du coût de licenciement » qui mesure le coût des indemnités de préavis, les primes de licenciement et autres indemnités compensatrices qui doivent être versées en cas de rupture du contrat de travail pour cause économique, exprimé en semaines de salaires. Dans la région MENA, le coût du licenciement mesuré par cet indicateur atteint 50 semaines de salaire, contre 28 dans la région Europe et Asie centrale et 27 dans les pays de l’OCDE. Source : Angel-Urdinola et Kuddo, 2010 5 (e) Des efforts d’innovation et de R&D seront indispensables pour améliorer la productivité. Dans toutes les économies fondées sur le savoir, la concurrence et une solide rotation des effectifs sont au cœur du processus d’innovation. Pour se tourner à leur tour vers des activités à forte intensité de savoir, les pays de la région MENA vont devoir instaurer un climat d’investissement propice au développement d’une concurrence fondée sur l’innovation et les entrées et sorties d’activité. Pour ce faire, il est nécessaire de : (i) promouvoir les liens entre l’enseignement supérieur et le secteur privé ; (ii) analyser la gouvernance et le financement de l’enseignement supérieur afin d’encourager les partenariats avec les entreprises du secteur privé et d’accroître le financement public-privé de la recherche ; et (iii) concevoir des mécanismes (comme des incubateurs de technologie) pour promouvoir la « troisième mission » des établissements d’enseignement supérieur et renforcer la participation des étudiants aux efforts de R&D. Dernier point enfin, les pays de la région MENA doivent prendre des mesures pour inciter les diasporas hautement qualifiées implantées à l’étranger à s’impliquer dans les projets de recherche et d’innovation des entreprises et des institutions universitaires. Il est également important d’élaborer des stratégies pour améliorer la qualité et la pertinence des établissements d’enseignement supérieur et introduire dans les cursus des formations dédiées à l’entrepreneuriat dans toutes les spécialités susceptibles d’encourager la créativité et de nouvelles façons de penser. 1.5 Enseignement supérieur et productivité L’enseignement supérieur a un rôle crucial à jouer dans la fourniture des compétences nécessaires à une main-d’œuvre productive. Les diplômés de l’enseignement supérieur doivent en effet pouvoir entrer dans la population active avec des compétences cognitives, comportementales et sociales qui leur permettent de résoudre des problèmes complexes, de promouvoir de nouvelles idées et de trouver leur place dans des cadres sociaux et culturels diversifiés. Reste à savoir si les pays de la région MENA vont parvenir à remonter la chaîne de valeur. Les pays de la région MENA sont indéniablement moins bien préparés que des pays comme la Suède, le Chili ou la Malaisie à participer à une économie fondée sur le savoir. Les quatre indices de la figure 1.8 mesurent respectivement les incitations économiques, la capacité à innover, la performance des systèmes éducatifs et le développement des technologies de l’information et de la communication. Dans tous les pays où ils étaient renseignés, ces indices trahissaient un retard de la région MENA par rapport aux pays de référence. Sans une solide capacité à innover et à produire des services et des produits de qualité, les pays de la région MENA pourront difficilement accroître leur productivité. Leur croissance économique ne pourra donc pas décoller et la demande de personnel hautement qualifié n’augmentera pas. Figure 1.87 : Indice de l’économie du savoir dans la région MENA 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Ma i le uti d an ia n n ia n ia E sia t Mo on in iA r ria a co rea en Le it yp a lan Ira me eri rda UA wa ton nis rab Ch h ra bo Sa Qat Om n roc Sy l ay ed Eg Ko Al g ba Ire Jo Ku Tu Ye Dji Es Ba Sw ud Econ. incentive regime Innovation Education Information infrastracture Source : World Bank The Road not Traveled, 2008 6 Une étude réalisée par la Banque mondiale en 2011 sur les compétences demandées en Asie de l’Est montre que les primes salariales associées à un niveau d’éducation supérieur varient en fonction des secteurs. Ces primes tendent à augmenter dans les services alors qu’elles diminuent dans l’agriculture et qu’elles sont stables dans l’industrie manufacturière. On constate également que les entreprises à forte intensité technologique et, dans une certaine mesure, les entreprises exportatrices, embauchent plus de diplômés du supérieur que les autres. Cette observation confirme les interactions solidement documentées qui existent entre le développement technologique et l’enseignement supérieur. Il est crucial de créer des passerelles entre l’investissement direct étranger, la technologie et l’enseignement supérieur pour stimuler la croissance et la productivité. La plupart des pays de la région MENA ont besoin de produire des biens et des services à plus forte valeur ajoutée et pour ce faire, ils doivent renforcer leur capacité technologique. L’enseignement supérieur a un rôle important à jouer à ce niveau car pour pouvoir absorber la technologie au travers des sociétés étrangères comme l’a fait l’Asie de l’Est il est indispensable que les pays d’accueil disposent d’une masse critique de main-d’œuvre locale qualifiée et cela suppose que les compétences acquises dans l’enseignement supérieur soient les plus pertinentes possibles. En outre, l’expérience des économies à croissance rapide nous montre que le renforcement des capacités technologiques locales exige un nombre important de scientifiques et d’ingénieurs capables d’assimiler et d’adapter la technologie étrangère. 1.6 Les systèmes d’enseignement supérieur sont-ils à même de répondre aux attentes économiques et sociales de la région MENA ? Cette section analyse les progrès réalisés par les systèmes d’enseignement supérieur dans la région MENA en termes d’accès, de qualité et d’insertion professionnelle et les compare à ceux de l’OCDE et des pays à croissance rapide. 1.6. L’accès à l’enseignement supérieur s’est-il réellement amélioré? Même si des progrès Figure 1.9 : Diplômés du supérieur âgés de 25 ans et plus ont été faits, l’accès au supérieur n’est pas encore aussi démocratisé qu’il l’est dans les pays de l’OCDE (voir figure 1.9). Alors que 20 % de la population âgée de 25 ans ou plus sont diplômés du supérieur en Irlande, cette proportion est inférieure à 10 % dans la région MENA prise dans son ensemble et peut même tomber en dessous de 5 % dans certains pays. Source : Sunita et Zaafrane, 2011. 7 Figure 1.10 : Évolution du nombre d’étudiants au supérieur Les taux de scolarisation n’ont pas cessé d’augmenter depuis dix ans 6,074 6,000 mais les filières des sciences Tunisie 5,022 humaines et des sciences sociales Syrie 5,000 drainent la majorité des étudiants. Arabie Saoudite Les filières qui pourraient Maroc 4,000 3,616 contribuer davantage au Libye développement économique 3,000 Liban comptent nettement moins Koweit d’étudiants dans les pays de la 2,000 Jordanie région MENA que dans les économies à croissance rapide et Égypte les pays très développés comme 1,000 Bahrein les États-Unis et la Norvège. De Algérie plus, la vaste majorité des 0 Total étudiants de la région MENA sont 2000 2005 2010 inscrits en premier cycle. Source : Estimations à partir de bases de données nationales et de l’UNESCO Or, l’expérience du Japon, de la Corée et de Taïwan suggère que pour que l’assimilation technologique soit possible, un tiers au moins des diplômés universitaires doit avoir reçu une formation scientifique ou d’ingénieur de deuxième ou troisième cycle (Banque mondiale, 2011). Dans l’ensemble, les pays de la région MENA sont encore loin d’atteindre cet objectif sachant que seulement 8 % des étudiants suivent des études d’ingénieur. Figure 1.11 : Effectifs inscrits en 1er cycle vs études Figure 1.12 : Effectifs dans le supérieur en 2008-2009 supérieures (MENA vs OCDE) (MENA vs pays à croissance rapide) Source : Estimations à partir de la base de données de l’UNESCO Source : UNESCO. Le taux de participation des femmes a augmenté dans tous les pays (voir figure 1.13) et en particulier dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe, où 62 % des effectifs sont féminins. C’est une avancée significative, compte tenu de l’importance de l’éducation des femmes pour la croissance économique et le développement social en général. Cette participation accrue n’a toutefois pas suffi à améliorer leur accès à l’emploi. En Tunisie, où la plupart des étudiantes s’inscrivent à des formations de quatre ans, une étude (Jamarillo et al, 2009) montre que les femmes mettent en général plus de temps à trouver un emploi que les hommes. Qui plus est, leurs chances de décrocher un emploi restent les mêmes qu’elles fassent des études techniques de deux ans ou de cinq ans et plus. 8 Figure 1.13 : Répartition des étudiants par genre Figure 1.14 : Accomplissement des études supérieures parmi (2006/2007) la population de plus de 25 ans : ratio Féminin/masculin Source: UNESCO. Source : Estimations à partir de la base de données de l’UNESCO Par conséquent, même si l’amélioration de l’accès au supérieur représente une avancée majeure pour les femmes, cela ne suffit pas, car la filière et la qualité des services éducatifs sont tout aussi importantes. Les pays de la région MENA vont devoir relever des défis considérables et notamment modifier leur offre de programmes pour répondre aux nouvelles attentes économiques et sociales. Les programmes de deuxième et troisième cycles sont appelés à devenir d’autant plus importants que les pays de la région aspirent désormais à créer leurs propres capacités de recherche. Chaque pays devra soigneusement revoir ses objectifs de scolarisation et son offre par secteur, par filière et par niveau de cycle pour répondre au mieux à ses besoins sociaux et économiques. Un élément important à prendre en considération est la demande de compétences techniques. L’étude sur l’Asie de l’Est (Banque mondiale, 2011) montre qu’en Indonésie, aux Philippines et au Vietnam, les entreprises insistent sur le besoin de connaissances concrètes. En Mongolie, en Indonésie et en Thaïlande, les diplômés de l’enseignement technique et professionnel bénéficient de rendements salariaux significatifs. En Tunisie, comme en Indonésie, le taux d’insertion des diplômés de l’enseignement technique et professionnel est supérieur à celui des diplômés universitaires. Ce sont des observations importantes pour les pays où les effectifs étudiants vont devoir être mieux répartis entre les programmes techniques, professionnels et universitaires pour répondre à la demande du marché du travail. 1.7 Quels sont les résultats tangibles des systèmes d’enseignement supérieur ? Figure 1.15 : Résultats du PISA 2009 Les taux de scolarisation n’ont pas cessé d’augmenter depuis dix ans mais les filières des sciences humaines et des sciences sociales drainent la majorité des étudiants. Les filières qui pourraient contribuer davantage au développement économique comptent nettement moins d’étudiants dans les pays de la région MENA que dans les économies à croissance rapide et les pays très développés comme les États-Unis et la Norvège. De plus, la vaste majorité des étudiants de la région MENA sont inscrits en premier cycle. Source : OCDE, PISA 2009 9 La question est complexe et pour y répondre, plusieurs indicateurs doivent être examinés. L’enseignement secondaire fournit les bases nécessaires au développement des compétences cognitives qui s’acquièrent dans l’enseignement supérieur. Les résultats du PISA 2009 (Programme de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves) montrent que pour les rares pays de la région MENA qui participent à l’enquête, les compétences cognitives de haut niveau sont assez faibles. Ce point est d’autant plus critique qu’une proportion élevée de diplômés du secondaire arrivent dans le supérieur avec des niveaux de compétences cognitives déjà faibles. Le taux d’achèvement du deuxième cycle (programme de quatre ans) est un autre indicateur bien documenté. Les informations disponibles pour les pays de la région MENA montrent qu’entre 2000 et 2010, ce taux a progressé en Jordanie et au Liban au point de dépasser ceux de la Malaisie, du Chili et du Mexique. Il était cependant encore très nettement en dessous de ceux de la Finlande, de la Suède, du Danemark et des Pays-Bas (voir figure 1.16). En l’absence d’acquis scolaires des étudiants du supérieur, le nombre de citations dans des revues scientifiques pour 100 000 habitants sert d’indication indirecte de la contribution intellectuelle au corpus mondial des connaissances. A cet égard, la contribution de la région MENA, comme dans d’autres pays en développement tels que la Malaisie, le Chili et la Colombie, est très limitée par rapport à celle des pays de l’OCDE (voir figure 1.17). Figure 1.16 : Taux moyen d’achèvement dans le deuxième Figure 1.17 : Nombre de citations pour cycle (programme de 4 ans) 100 000 habitants Source : Kosaraju et Zaafrane, 2011. Source : Kosaraju et Zaafrane, 2011 L’indicateur sans doute le plus frappant est le nombre de plus en plus préoccupant de chômeurs parmi les diplômés du supérieur dans la région MENA (voir figure 1.2). En Égypte, par exemple, 27 % des chômeurs étaient des diplômés universitaires en 2006, contre 9 % en 2001. Bien que ces diplômés aient toujours de meilleures chances de trouver un emploi que les diplômés du secondaire (qui comptaient 62 % de chômeurs en 2006), leur taux de chômage a augmenté de manière spectaculaire au cours des sept dernières années 10 1.8 Conclusions Les pays de la région MENA doivent se tourner vers des activités à plus forte valeur ajoutée et à plus forte intensité de savoir. Cela exige un climat plus favorable à l’investissement privé mais aussi à l’investissement direct étranger à fort contenu technologique. Il est également nécessaire de mettre un terme à l’offre pléthorique de diplômés en sciences humaines et sociales qui ont peu de chances de trouver du travail en dehors de la fonction publique. Les établissements d’enseignement supérieur doivent maintenant préparer les étudiants à répondre aux objectifs de croissance du secteur privé et les doter des compétences requises pour accompagner le développement des services et de l’industrie manufacturière. Les programmes de l’enseignement supérieur vont devoir être remaniés afin de fournir les compétences cognitives, comportementales, sociales et techniques nécessaires pour répondre aux mutations rapides qu’entraîne la mondialisation. C’est ce que demandent les jeunes des pays arabes et il appartiendra aux gouvernements d’y répondre de manière systématique. Les chapitres suivants présentent quelques-unes des options politiques possibles pour aller dans ce sens. 11 Chapitre 2 : Analyse comparative de la viabilité financière de l’enseignement supérieur dans la région MENA Les taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur ont tendance à augmenter partout dans le monde. Dans les pays de l’OCDE, le nombre d’étudiants inscrits dans une formation supérieure a plus que doublé entre 1995 et 2004 (OCDE, 2008). C’est également le cas dans les pays de la région MENA, où les effectifs étudiants ont triplé entre 1995 et 2009. L’expansion de l’enseignement secondaire et le nombre accru de diplômés du secondaire dans cette région suggèrent que cette tendance à la hausse va très probablement continuer au vu des projections démographiques des vingt prochaines années. Même si l’expansion de l’enseignement supérieur apporte un élément de réponse à la satisfaction de cette demande croissante, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, cela ne suffit pas. L’expansion mondiale de l’enseignement supérieur s’est souvent opérée au détriment de la qualité, y compris dans les pays de l’OCDE (Schofer, Meyer, 2005). En plus de leur expansion rapide, les systèmes d’enseignement supérieur cherchent à diversifier les types de formations proposées : programmes universitaires de premier, deuxième ou troisième cycle, diplômes professionnels et techniques délivrés par des instituts polytechniques, ou encore programmes de collèges communautaires (community colleges) ou d’universités ouvertes. Le développement de programmes d’apprentissage en ligne et d’enseignement supérieur à distance suscite également de plus en plus d’intérêt et de nombreux pays de la région MENA prévoient d’accroître leur offre d’enseignement supérieur privé d’ici peu. Les États du Golfe ont une préférence plus marquée pour l’enseignement transnational, en particulier sous forme d’importation d’institutions. Au Maghreb et au Machrek, de nombreuses universités publiques et privées nouent des partenariats avec des institutions étrangères afin d’améliorer la qualité de leur enseignement et gagner en prestige. Les systèmes d’enseignement supérieur du monde entier doivent être capables de s’adapter à un environnement économique en évolution permanente ainsi qu’aux mutations rapides des marchés internationaux tirés par la technologie. C’est un enjeu critique pour les pays en développement et en particulier pour les pays de la région MENA, où des dépenses de R&D sont assez faibles et où les liens entre les universités et les systèmes d’innovation sont inexistants. D’importantes ressources financières supplémentaires ont été mobilisées dans cette expansion mais elles n’ont pas toujours été utilisées de la manière la plus efficiente. Et bien que la plupart des pays de la région MENA consacrent une part importante de leur PIB à l’éducation, ces dépenses n’ont pas produit les bénéfices économiques et sociaux escomptés comme en témoignent le chômage élevé des diplômés et l’absence d’innovation. Pour atteindre leurs objectifs d’expansion dans le respect des contraintes budgétaires imparties, les pays de la région MENA vont devoir trouver tout un éventail de stratégies de financement. Les approches de financement devront être cohérentes par rapport aux objectifs visés. Au moment de déterminer et de définir les priorités, les responsables politiques ne devront jamais perdre de vue les quatre enjeux fondamentaux de l’enseignement supérieur: (i) développer l’accès à l’enseignement (ii) rechercher l’excellence ; (iii) promouvoir l’équité et la mobilité sociale ; et (iv) travailler dans la limite des ressources financières disponibles. Les interactions entre ces différentes priorités sont examinées dans les pages qui suivent. 12 2.1 Objectifs éducatifs et mécanismes de financement Les objectifs prioritaires varient d’un système d’enseignement supérieur à l’autre car ils dépendent à la fois du niveau de développement du système en question et des objectifs politiques et économiques nationaux. En général, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les objectifs d’expansion et les exigences de qualité et de pertinence à respecter pour satisfaire les besoins économiques, sociaux et technologiques. Arriver à satisfaire ces critères sans dépasser les ressources financières disponibles est un exercice difficile pour la plupart des pays. Face à des priorités souvent tout aussi pressantes les unes que les autres, les arbitrages budgétaires ne sont pas évidents. La figure 2.1 montre tous les éléments qui doivent être pris en considération au moment de définir les priorités et les allocations de fonds. Figure 2.1 : Éléments à prendre en compte dans le processus décisionnel du financement de l’enseignement supérieur Objectifs de Objectifs de Objectifs qualité/pertinence mobilité sociale et d'expansion et R&D d'équité Marge de Niveau actuel des manoeuvre dépenses (privé et budgétaire public) Dans la plupart des pays, les objectifs d’expansion visant à permettre au plus grand nombre d’avoir accès à l’enseignement supérieur sont d’une importance primordiale. Alors que les enseignements primaire et secondaire sont reconnus comme des droits universels, qui supposent la gratuité de l’accès pour tous, ce n’est pas encore le cas de l’enseignement supérieur. Les objectifs d’expansion de l’enseignement supérieur varient en fonction de la demande mais aussi en fonction des taux d’achèvement dans le secondaire, de la structure de l’offre de programmes (types, niveaux et secteurs), des ressources financières disponibles et de l’ensemble des objectifs nationaux. Les objectifs de scolarisation dépendent des niveaux et types de programmes demandés. Sachant que les méthodologies prévisionnelles visant à définir les besoins du marché de l’emploi de demain sont toujours imparfaites, le meilleur service qu’un système d’enseignement puisse rendre à ses étudiants est de les doter de bonnes compétences cognitives et des moyens nécessaires pour s’adapter aux situations nouvelles et se former tout au long de leur vie. Les objectifs d’excellence visant à améliorer la qualité et la pertinence des programmes sont en concurrence avec les objectifs d’expansion. Les efforts qui devront être déployés pour fournir des services éducatifs de qualité et pertinents dépendront de multiples facteurs. Il conviendra notamment d’évaluer dans quelle mesure les acquis de formation des systèmes existants correspondent bien aux critères définis et aux exigences de l’ensemble de la société. Ces évaluations sont complexes et s’appuient sur un certain nombre d’indicateurs (taux d’achèvement, niveau d’insertion des diplômés dans le monde du travail, capacité à contribuer au développement institutionnel, capacité à stimuler la R&D, à développer des systèmes innovants et à contribuer aux objectifs nationaux de compétitivité ou autres). Les objectifs d’équité, qui visent à favoriser la mobilité sociale et à édifier des sociétés démocratiques, sont tout aussi importants que les objectifs qui précèdent. Évaluer l’équité d’un système implique de quantifier l’accès des différents segments de la population à l’enseignement supérieur. Une équité absolue impliquerait d’offrir à tous les mêmes chances d’obtenir un diplôme universitaire, quel que soit leur genre, leur statut social et économique ou leur origine géographique (urbaine ou rurale par exemple). 13 Suivant la priorité relative qui sera accordée à chacun de ces objectifs primordiaux, les approches de financement appropriées seront différentes. La viabilité financière dépendra également de plusieurs facteurs : contraintes budgétaires de l’État, montant de dépense publique déjà allouée à l’enseignement supérieur et analyse des besoins du système à partir des priorités définies. Par exemple, si l’objectif prioritaire est l’expansion de l’enseignement supérieur, une utilisation plus efficiente des ressources existantes visant à accroître le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur pourra être l’approche la plus appropriée. Si l’objectif prioritaire est d’améliorer la qualité et la pertinence des programmes, les modalités d’allocation des ressources deviendront primordiales. Il a été démontré qu’une augmentation des ressources ne suffit pas à elle seule à améliorer la qualité. Si l’objectif prioritaire est de favoriser l’excellence dans le domaine de la R&D, la nécessité de mobiliser de nouvelles ressources sera évidente. Enfin, si l’objectif premier est de promouvoir l’égalité des chances, il sera important de mettre les ressources financières au service des étudiants les plus défavorisés. Dans ce cas, le budget de l’enseignement supérieur devra tenir compte des besoins financiers des différents groupes démographiques et les fonds publics devront être dirigés en priorité vers les zones ou les groupes à faible revenu et défavorisés. La figure 2.2 montre les liens entre les mécanismes de financement et les priorités de l’enseignement. Figure 2.2 : Liens entre approches de financement et priorités politiques Source : auteur Avant d’examiner au chapitre 3 comment élaborer des stratégies de financement viables et efficaces au regard des objectifs recherchés, la section suivante se propose de mesurer la viabilité des approches de financement actuellement en vigueur dans la région MENA. 2.2 Viabilité du financement de l’enseignement supérieur dans la région MENA L’analyse de cette viabilité financière implique de répondre aux trois questions suivantes :  Quels sont les budgets actuels de l’enseignement supérieur et sera-t-il possible de les augmenter ?  L’enseignement supérieur est-il réellement équitable ?  Les objectifs d’accès, de qualité et de pertinence sont-ils servis au mieux par les mécanismes de financement actuels ? 2.2.1 Quels sont les budgets actuels de l’enseignement supérieur et sera-t-il possible de les augmenter ? Comme nous l’avons dit plus haut, la crise économique et financière n’a pas touché tous les pays de la même manière et le Printemps arabe et ses conséquences politiques sont en train de modifier le paysage économique et politique de la région. D’après les dernières statistiques et les projections de 14 la Banque mondiale (2010), les pays membres du CCG ont plutôt bien réagi aux programmes de relance et devraient enregistrer un taux de croissance d’environ 4 %, ce qui est remarquable même si cela reste inférieur au niveau de croissance qu’ils connaissaient avant la crise (6 %). Les pays producteurs de pétrole en développement devraient eux aussi enregistrer une croissance de 4 %, ce qui signifie qu’ils feront mieux qu’avant la crise. La situation de l’UE et des pays du CCG sera d’une importance cruciale pour les pays importateurs de pétrole. La croissance des partenaires commerciaux des pays de la zone Euro ralentira nécessairement si la reprise de l’UE tarde à se concrétiser. Nous pensons donc que ces pays vont connaître un ralentissement et qu’ils ne pourront retrouver leur niveau de croissance d’avant la crise que s’ils investissent sur le long terme et développent leur secteur privé. La politique budgétaire devrait rester expansionniste dans la mesure où différentes mesures sont prévues pour stimuler la demande mais aussi parfois la croissance du secteur privé. Cependant, l’expansion budgétaire a également des effets pervers. La marge de manœuvre budgétaire limitée de pays comme l’Égypte, la Jordanie, le Liban et le Yémen par exemple sera un frein pour la croissance à long terme. La plupart des pays de la région (Banque mondiale, 2010) seront obligés de procéder à de douloureux arbitrages budgétaires dans les années à venir. L’enseignement supérieur coûte déjà cher aux pays de la région MENA. La Tunisie y consacre 1,6 % de son PIB, l’Algérie 2,6 % et la Libye plus de 3 %, soit près de 2,5 fois le taux moyen de l’UE et plus que le taux des États-Unis (2,7 %). Les dépenses de R&D en revanche y sont nettement plus faibles que dans les pays de l’OCDE puisqu’elles ressortent en moyenne à 0,39% du PIB pour les pays de la région MENA alors que le taux moyen de l’OCDE est de 1,84 %, soit quatre fois plus élevé. Comme nous l’avons vu plus haut, les effectifs de l’enseignement supérieur ont augmenté de manière spectaculaire au cours de la dernière décennie, mais vu le niveau déjà élevé de la dépense publique allouée à ce secteur et les contraintes budgétaires actuelles, les ressources de l’enseignement n’ont pas pu croître au même rythme que les inscriptions. Du coup, la qualité des services Figure 2.3 : Budget total de l’enseignement supérieur en % du PIB s’est dégradée et l’innovation, les découvertes de R&D et l’insertion professionnelle accrue escomptées de ces investissements substantiels ne se sont pas concrétisées. Quand on compare les budgets de l’enseignement supérieur de la région MENA à ceux des pays de l’OCDE, on constate que le budget du Maroc est inférieur au budget moyen de l’OCDE et que la Jordanie a réduit le sien de manière drastique au cours des dix dernières années. En ce qui concerne le niveau des dépenses, il y a des distinctions importantes à faire. Le niveau de dépenses rapporté au PIB, par exemple, permet de faire des comparaisons internationales (voir figure 2.3). Source : Kosaraju et Zaafrane, 2011. 15 La figure 2.4 montre la dépense par Figure 2.4 : Dépense publique par étudiant en $ US et en étudiant en pourcentage du PIB par proportion du PIB par habitant habitant. Cet indicateur correspond au budget public de l’enseignement supérieur divisé par le nombre total d’étudiants inscrits. Dans les pays de la région MENA, la dépense totale par étudiant a augmenté au cours des quinze dernières années alors que la dépense par étudiant en pourcentage du PIB par habitant a diminué en raison d’une croissance démographique plus rapide. La dépense par étudiant en pourcentage du PIB par habitant diminue à mesure que les pays s’enrichissent ; elle ressort à 36 % du PIB par habitant en moyenne pour les pays de l’OCDE à comparer à Source : Estimations de l’auteur. 58 % pour ceux de la région MENA. Note : moyenne pondérée de 9 pays de la région MENA : Algérie, Bahreïn, Égypte, Libye, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie et Tunisie. Toutefois, quand on compare les dépenses par étudiant équivalentes en dollars des États-Unis, des différences très marquées apparaissent entre les pays de la région MENA et de l’OCDE. Figure 2.5 : Dépense publique par étudiant (en $) Source : Sunita et Zaafrane, 2011. Le coût du diplômé en pourcentage du PIB par habitant est un autre indicateur important. Il correspond au budget public de l’enseignement supérieur divisé par le nombre de diplômés plutôt que par le nombre d’étudiants. Le coût du diplômé de la région MENA est sensiblement plus élevé que celui des pays de l’OCDE (voir figure 2.7). Le budget de R&D en pourcentage du PIB est lui aussi nettement plus faible dans les pays de la région MENA que dans ceux de l’OCDE. 16 Figure 2.65 : Coût du diplômé en % du PIB par Figure 2.75 : Dépenses de R&D en % du PIB habitant Source : Sunita et Zaafrane, 2011. Source : Sunita et Zaafrane, 2011. Les dépenses totales d’éducation et le budget Figure 2.8 : Dépenses totales d’éducation et dépenses de public de l’enseignement supérieur en % du l’enseignement supérieur en % du PIB dans la région MENA PIB sont également deux autres indicateurs importants de la marge de manœuvre budgétaire disponible. Si l’on regarde le niveau de ces deux indicateurs au cours des vingt dernières années, on s’aperçoit qu’ils étaient à leur plus haut en 1990. Ils atteignaient alors 6 % et 1,43 % du PIB respectivement. Ils ont baissé au milieu des années 1990 mais se sont à nouveau redressés en 2010, et même si ce n’est pas encore le cas des dépenses totales d’éducation, le budget public de l’enseignement supérieur en % du PIB a déjà renoué avec son pic de 1990. On voit donc que dans les pays de la région MENA, les dépenses d’enseignement sont déjà à leur Source : Estimations de l’auteur à partir de différentes sources plus haut Nous en déduisons donc que les pays de la région MENA seront contraints de trouver de nouvelles sources de financement. En raison de l’augmentation mondiale du taux de scolarisation, des nouveaux modes d’enseignement et de la plus grande diversification de la population estudiantine, de nouveaux mécanismes de financement sont apparus un peu partout dans le monde. La crise des finances publiques oblige les États à rechercher de nouvelles sources de financement y compris dans les pays à revenu élevé. Entre 1995 et 2004, d’après les chiffres disponibles, les ressources de l’enseignement ont augmenté grâce à des contributions privées dans 16 des 20 pays analysés (OCDE, 2008). L’importance de ces contributions privées varie énormément d’un pays à l’autre. Elles représentaient plus de 50 % du budget total en Corée contre moins de 5 % en Autriche. Malgré ces différences significatives et le fait qu’aucun pays n’a les mêmes mécanismes de financement, il 17 semble y avoir une corrélation positive entre le niveau de financement privé et le taux de participation. Cette corrélation est particulièrement Figure 2.9 : Budget public de l’enseignement supérieur frappante en Corée où les systèmes d’aide par étudiant dans 21 pays (en % du PIB par habitant) aux étudiants sont moins développés que 350 dans des pays où la participation privée est Moyenne très élevée comme en Australie, au Chili, aux 300 Mini/Max Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Uni par exemple (OCDE, 2008). 250 S’appuyant sur les calculs de Millot (2011) et un échantillon de 20 pays à revenu faible et 200 moyen1 la figure 2.9 montre que les dépenses 150 publiques consacrées à l’enseignement supérieur ont tendance à diminuer partout 100 dans le monde. C’est également ce qui ressort d’une étude de l’OCDE (2008) qui montre 50 qu’entre 1995 et 2004, la part du financement privé a augmenté dans onze des treize pays 0 analysés (la France et l’Irlande étaient les 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 deux exceptions). Source : Millot, 2011 En résumé, le budget public de l’enseignement supérieur en pourcentage du PIB est globalement élevé dans les pays de la région MENA, et plus encore en pourcentage du PIB par habitant alors que les dépenses de R&D y sont bien plus faibles que dans les pays de l’OCDE. Les rares exceptions sont la Jordanie (qui a très significativement réduit ses dépenses dans l’enseignement supérieur au cours des cinq dernières années pour les ramener à moins de 0,2 % du PIB), le Liban (où elles ne représentent plus que 0,58 % du PIB) et l’Égypte (0,89 % du PIB). Toutefois, comme nous le verrons dans les sections suivantes, les établissements d’enseignement supérieur seront obligés de trouver de nouveaux financements pour répondre aux objectifs d’expansion, de qualité et de pertinence requis. Ces ressources financières supplémentaires ne pourront vraisemblablement pas sortir des caisses de l’État compte tenu de la crise actuelle des finances publiques. Les pays de la région MENA devront donc diversifier leurs sources de financement et trouver de nouveaux moyens d’attirer des financements privés. Les différentes solutions possibles sont examinées en détail dans les chapitres suivants. 2.2.2 L’enseignement supérieur de la région MENA est-il réellement équitable ? Pour répondre à cette question, nous avons analysé des études de cas réalisées en Égypte2 et en Tunisie3 à partir d’enquêtes de ménages et d’études rétrospectives. Bien que l’analyse ne porte que sur deux pays, il ressort des statistiques que les disparités de revenus et d’origines (urbaine/rurale) ont un impact considérable sur l’accès à l’enseignement dans la plupart des pays de la région MENA. 2.2.2.1 Accès à l’enseignement supérieur et niveaux de revenus en Égypte et en Tunisie En Égypte, les personnes aux revenus les plus élevés ont le plus de chances d’accéder à l’enseignement supérieur. Les étudiants du supérieur viennent à 70 % de la fraction de la population 1 Corée Philippines, Liban, Japon, Argentine, Azerbaïdjan, Swaziland, Burundi, Lesotho, Mozambique, Malawi, Kazakhstan, Liechtenstein, Madagascar, Togo, Burkina Faso, Niger et Éthiopie. 2 Une enquête par panel sur le marché du travail (2006) a permis de comparer l’évolution au fil du temps des caractéristiques des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur (niveau de revenu, genre, origine urbaine ou rurale, niveau d’éducation des parents). 3 L’Enquête sur l’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur de 2004 a permis de collecter des informations sur l’insertion professionnelle des jeunes diplômés, 18 mois après l’obtention du diplôme puis 3 ans et demi après. La situation de 97 % des diplômés de 2004 a été prise en compte dans cette enquête. 18 disposant d’un revenu supérieur au revenu médian et à 9 % seulement du quintile le plus pauvre. Par ailleurs, l’accès aux programmes d’enseignement supérieur offrant le meilleur taux d’employabilité se décide très tôt en Égypte comme en Tunisie. En Égypte, les élèves de l’enseignement secondaire général4 sont issus de foyers disposant d’un revenu deux fois plus élevé que les élèves de l’enseignement secondaire technique. Il est pratiquement impossible pour des élèves du secondaire technique d’accéder un jour à l’université. En Tunisie, c’est le système national d’orientation universitaire qui gère les admissions dans le supérieur ainsi que les inscriptions à un programme donné. Le système tient compte des vœux exprimés par les étudiants mais aussi de leurs résultats au baccalauréat, de leur série de baccalauréat et du quota défini par le ministère pour chaque domaine de formation. Il ressort également des analyses que seuls les baccalauréats « Mathématiques » et « Sciences expérimentales » permettent de s’inscrire à des programmes de 5 ans et plus. Mais c’est dans la filière des sciences humaines et ses programmes d’études de quatre ans que les étudiants sont les plus nombreux et en grande majorité des femmes. En Égypte comme en Tunisie, l’origine géographique joue un rôle déterminant dans l’accès à l’enseignement supérieur. Entre les zones urbaines et les zones rurales et le nord et le sud, les chances d’accès varient énormément. Le Caire et Alexandrie n’abritent que 38,2 % de la population totale du pays mais 53 % des étudiants du supérieur sont originaires de ces deux villes. A titre de comparaison, 24,2 % des Égyptiens vivent dans les vallées du Nord et du Sud, mais seulement 11,3 % des étudiants du supérieur sont originaires de ces régions (Étude Banque mondiale/OCDE, 2009). Une analyse des taux de scolarisation par gouvernorat (Al Araby, 2009) et un rapport de la Banque mondiale (Jaramillo et al, 2010) ont donné des résultats comparables. En Tunisie, les études de quatre ans et plus sont indéniablement plus fréquentes dans les zones urbaines que les zones rurales. Les programmes de deux ans sont également bien plus nombreux dans le Sud que dans le reste du pays. Les disparités régionales et d’origines (urbaine vs rurale) pèsent sur les opportunités d’accès à l’enseignement supérieur dans la plupart des pays de la région MENA. 2.2.2.2 Les objectifs d’accès, de qualité et de pertinence sont-ils servis au mieux par les mécanismes de financement actuels ? Quel effort financier supplémentaire serait nécessaire pour que les ressources des systèmes d’enseignement supérieur puissent se développer au même rythme que les taux de scolarisation actuels ? Si l’accès « universel » à l’enseignement secondaire existe en Arabie saoudite, en Libye, en Cisjordanie et à Gaza, ou encore en Tunisie, ce n’est pas encore le cas en Égypte, en Syrie ou au Maroc, même si cela ne saurait tarder vu l’explosion récente des taux de scolarisation primaire constatée dans ces pays. La Cisjordanie et Gaza sont les deux seules zones de la région où le taux de scolarisation brut dans le primaire est inférieur à celui du secondaire. À moyen terme, cette situation entraînera probablement une baisse du taux de scolarisation dans le secondaire et le supérieur. Le modèle de croissance type du taux de scolarisation dans le supérieur est celui de la Tunisie, qui a connu une croissance très rapide du nombre d’étudiants entre 1990 et 2005 mais plus lente depuis 2005. Dans la première phase de croissance, le taux de scolarisation monte en flèche jusqu’à ce qu’il atteigne son point d’inflexion qui se situe généralement autour d’un taux brut de 25 % pour le supérieur. Le point d’inflexion exact varie d’un pays à l’autre, mais il se situe en général entre 20 et 30 %. Les taux de scolarisation d’avant 2000 sont rarement disponibles mais la tendance des dix dernières années montre une très nette différence entre les pays où la massification des effectifs dans les universités n’a pas encore commencé comme en Syrie ou au Maroc par exemple, ceux qui sont actuellement en plein dans cette phase comme l’Algérie, et ceux qui en sont quasiment sortis et où la croissance du taux de scolarisation dans le supérieur est appelée à diminuer dans les années à venir (Égypte, Tunisie, Liban, Jordanie). 4 L’enseignement secondaire est une condition sine qua non pour accéder au supérieur. 19 Quand on compare les dépenses d’éducation en pourcentage du PIB au taux de scolarisation des dix dernières années, on constate que le taux de scolarisation a augmenté plus vite que le taux des dépenses dans la plupart des pays de la région MENA (voir figure 2.12). Figure 2.109 : Dépense d’enseignement supérieur en Figure 2.119 :Dépense Enseignement supérieur en % du % du PIB et l’indice des inscriptions (100=indice 2000) PIB et évolution du taux de scolarisation Source : estimations de l’auteur. Source : estimations de l’auteur. Note : Moyenne pondérée de 11 pays de la région MENA : Algérie, Note : Moyenne pondérée de 11 pays de la région MENA : Algérie, Bahreïn, Égypte, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Arabie Bahreïn, Égypte, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Arabie saoudite, saoudite, Syrie et Tunisie. Syrie et Tunisie. A partir du taux de scolarisation des dix dernières années, nous avons fait des projections de taux de scolarisation jusqu’en 2030 et calculé le taux de ressources financières requis en pourcentage du PIB pour assurer cette croissance. Sur la base de ces calculs (qui ne tiennent pas compte des ressources additionnelles requises pour financer une amélioration de la R&D ou de la qualité), il ressort qu’en 2030, la région MENA affichera un taux de scolarisation moyen de 40% dans le supérieur et que cela l’obligera à consacrer 3,3% de son PIB aux dépenses d’éducation. De toute évidence, les États ne pourront pas assumer seuls une charge aussi importante et d’autres sources de financement devront être trouvées. Par ailleurs, sachant que le nombre d’étudiants augmente à un rythme bien supérieur à 10 % durant le mouvement de massification de l’enseignement supérieur et que le budget de l’enseignement supérieur en pourcentage du PIB est déjà élevé (1,7 %), il est évident que seuls les pays riches en pétrole ou en gaz naturel pourront augmenter leurs ressources publiques à ce rythme. Il conviendra donc de trouver d’autres sources de financement et ce sera l’objet des chapitres suivants. Figure 2.129 : Les défis de demain à l’aune des ratios de taux de scolarisation 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Turkey Tunisia China India Mauritania Brazil Egypt Senegal Niger France Syria WB and Jordan Algeria USA Mali Morocco Gaza GER primary / GER secondary GER secondary / GER TE Source : Données de l’UNESCO data. Estimations de l’auteur. 20 Dans un système d’éducation stabilisé, c’est-à-dire un système où les effectifs n’augmentent pratiquement plus, le taux brut de scolarisation dans le primaire (TBS1) divisé par le taux de scolarisation dans le secondaire (TBS2) correspond à un ratio compris entre 1 et 1,5, ce qui signifie que près des deux tiers des élèves du primaire accèdent à l’enseignement secondaire. De la même façon, un taux de transition de 50 % du secondaire au supérieur correspond à un ratio de 2. Dans la figure 2.14, le ratio du TBS2 divisé par le TBS3 (taux brut de scolarisation dans le supérieur) est supérieur à 2,5 en Égypte, en Tunisie, en Algérie, au Maroc et en Syrie. A l’exception de la Turquie, de la Jordanie, de la Cisjordanie et de Gaza, la plupart des pays méditerranéens et du Moyen-Orient seront donc confrontés à une très forte hausse des effectifs dans le supérieur s’ils ne prennent pas des mesures pour que le taux de transition du secondaire au supérieur reste faible. En général, le nombre d’étudiants augmente de 50 % avec un ratio de TBS2/TBS3 de 3 ; il double avec un ratio de 4 et triple avec un ratio de 6. Des projections similaires peuvent être utilisées pour analyser les pressions au niveau de l’enseignement secondaire. La figure ci-dessus ne tient pas compte des effets de la transition démographique et s’intéresse uniquement aux taux de transition. Dans les pays émergents, la massification de Figure 2.13 : Dépense publique par étudiant (ajustée Inflation adjusted public expense per student l’enseignement supérieur sera un phénomène de l’inflation) d’autant plus coûteux que les taux d’inflation 200,00 moyens seront plus élevés (« effet Balassa- 180,00 Samuelson). Par conséquent, il pourrait être 160,00 Algeria nécessaire d’augmenter la dépense publique 140,00 Egypt nominale de près de 15 % par an pour 120,00 Jordan maintenir la valeur réelle de la dépense 100,00 Lebanon publique par étudiant à un niveau constant. En Morocco outre, l’enseignement est une activité 80,00 Syria économique où les coûts d’équipement 60,00 Tunisia augmentent au même rythme que l’inflation et 40,00 parfois même plus vite. La figure 2.13 montre 20,00 que les seuls pays à avoir pu augmenter la 0,00 dépense publique par étudiant ces dernières 1990 1995 2000 2005 2010 années sont ceux où le processus de transition Source : UNESCO, Banque mondiale, Instituts nationaux de la ne fait que commencer (ex : Maroc et Syrie), ou statistique ; estimations de l’auteur. les pays exportateurs de pétrole. Note : Base 100 =1990 (pas de chiffres disponibles avant). Les pays émergents auront donc encore plus de mal que les autres à assurer la viabilité financière et la qualité de leurs systèmes d’enseignement. 2.2.3 Évaluation de la viabilité financière A partir des facteurs décrits plus haut et des données disponibles pour les pays de la région MENA, le déficit de financement est classé en fonction des besoins d’expansion, d’équité, de dépenses courantes et de marge de manœuvre budgétaire (voir tableau 2.1). Nous indiquons par ailleurs si le déficit de financement est élevé, moyen ou faible pour un certain nombre de pays et suggérons l’approche de financement la plus appropriée au regard des besoins. Les chapitres suivants décriront en détail les différentes approches de financement possibles et les outils les plus adaptés à chacune d’entre elles. Tableau 2.1 Contraintes budgétaires et approches de financement Contraintes budgétaires et besoins sectoriels Approche de financement Marge budgétaire faible, gros besoins de Recettes supplémentaires, fonds privés, partage des coûts développement Marge budgétaire faible, gros besoins en matière de Utiliser les ressources de manière plus efficiente, lier allocations et pertinence et de qualité performance Marge budgétaire moyenne à élevée, gros besoins Lier allocations et performance, préparer l’avenir, renforcer les en matière de pertinence et de qualité dotations en capital Problèmes d’équité Cibler les subventions publiques et renforcer les aides aux étudiants 21 Tableau 2.2 Stratégies de financement à privilégier pour les différents besoins du supérieur Dépenses Marge Déficit de Déficit de qualité Déficit Déficit de Pays courantes Stratégie de financement budgétaire développement et pertinence d’équité financement supérieur Algérie Faible Élevé Moyen Élevé ND Moyen Lier allocations et performance Bahreïn Moyen Élevé Moyen Élevé ND Moyen Lier allocations et performance, Préparer l’avenir, Renforcer dotations en capital Égypte Faible Moyen Élevé Élevé Élevé Élevé Trouver d’autres sources de financement Lier allocations et performance Subventions ciblées Liban Faible Faible Moyen ND Élevé Élevé Trouver d’autres ressources Lier allocations et performance Subventions publiques ciblées Jordanie Faible Faible Moyen Élevé Élevé Élevé Trouver d’autres ressources Lier allocations et performance Subventions publiques ciblées Maroc Faible Élevé Élevé Élevé ND Élevé Ressources additionnelles Lier allocations et performance Arabie Moyen Élevé Moyen ND ND Faible Lier allocations et performance saoudite Préparer l’avenir, Renforcer dotations en capital Syrie Faible Élevé Moyen ND Élevé Trouver d’autres ressources Tunisie Faible Élevé Faible Élevé Élevé Élevé Trouver d’autres sources de financement Lier allocations et performance Subventions publiques ciblées Note : ND = non disponible En résumé, la plupart des pays de la région MENA ont une marge de manœuvre budgétaire limitée (de moyenne à faible) et d’importants défis à relever à différents niveaux (développement, qualité, pertinence et équité). Pour répondre à ces objectifs, il va leur falloir trouver des ressources financières supplémentaires et utiliser de manière plus efficiente les ressources actuellement disponibles. À court terme, une hausse des impôts paraît difficilement envisageable et d’autres approches devront être privilégiées comme les mécanismes de partage des coûts, l’encouragement de l’offre privée d’enseignement supérieur (fonds philanthropiques par exemple) et la génération de nouvelles recettes. 22 Chapitre 3 : Lier les politiques et priorités en matière d’enseignement supérieur à des mécanismes d’allocation pour mieux employer les ressources Le précédent chapitre a montré que le financement des systèmes d’enseignement supérieur requiert davantage de ressources et que les pressions pesant sur les finances publiques, associées à la nécessité reconnue de donner plus de moyens aux systèmes d’enseignement supérieur pour de meilleurs résultats, ont amené les pouvoirs publics à établir de nouveaux mécanismes d’allocation dans un objectif d’efficience des dépenses. La nécessité de mieux employer les ressources est à l’origine d’une tendance, observée dans le monde entier, à délaisser les allocations budgétaires sans conditions au profit d’allocations liées aux résultats. Ce chapitre présentera des données sur l’usage de ce type d’allocations dans les pays de la région MENA et proposera un cadre permettant de lier les fonds alloués aux objectifs prioritaires tels l’accès, la qualité, la pertinence et l’équité. La substitution des financements indirects aux financements directs1 est une autre tendance récente qui donne davantage de marge de manœuvre aux établissements d’enseignement supérieur mais avec une redevabilité accrue2. C’est dans ce sens qu’une série de réformes a été introduite à partir de 2002, surtout dans les pays anglo-saxons, et que s’est opéré un transfert des pouvoirs des chercheurs/universitaires et de l’État à des organismes intermédiaires, parallèlement à la mise en place de mécanismes de concurrence pour la détermination des allocations budgétaires. Ces transformations ont donné plus d’autonomie aux établissements et ont permis aux pouvoirs publics d’utiliser différents instruments de gouvernance à l’appui de leurs politiques. Le recours à ces outils de mise en concurrence, dans l’esprit des réformes de la « Nouvelle gestion publique », a facilité la transformation des universités en organisations plus entrepreneuriales et leur a ainsi permis d’accroître leurs capacités à générer des recettes. Comme on l’a vu au chapitre 2, trois approches du financement s’inscrivent dans la Nouvelle gestion publique évoquée ci-dessus : (i) emploi plus efficient des ressources ; (ii) conditionnement des financements aux performances et (iii) ciblage des subventions publiques. Elles répondent aux objectifs fondamentaux de l’enseignement supérieur : accès, qualité, pertinence et équité. L’adoption de systèmes d’allocation davantage basés sur les résultats peut accroître l’efficience des systèmes d’enseignement supérieur, sous réserve que cette réforme réponde à une volonté politique et que sa mise en œuvre soit totale, transparente et équitable. Cependant, les gains d’une réforme de ce type ne suffiront pas à couvrir les déficits de financement de l’enseignement supérieur dans la région MENA. Le faible niveau de la dépense par étudiant pourrait en particulier ne laisser qu’une marge d’amélioration très étroite. Les réformes du système de financement doivent donc associer un emploi plus efficient des ressources et de nouvelles sources de financement. Ce chapitre examine les solutions pour mieux employer les ressources, tandis que les chapitres 4, 5 et 6 étudieront les nouvelles sources de financement possibles. Bien qu’il offre un potentiel de gains d’efficience limité, le grand avantage d’un emploi plus efficient des ressources est qu’il comporte des risques politico-économiques très inférieurs à ceux des mesures de partage des coûts par exemple. Cela étant, le mix d’allocation et les mécanismes retenus doivent être adaptés aux priorités et à la situation particulière de chaque pays ; il n’y a pas de solution optimale unique. Dans la région MENA, les révolutions de 2011 auront un fort impact sur la conduite des politiques. Les populations ont unanimement demandé plus de transparence et de résultats. De plus, le rôle qu’ont joué des jeunes sans emploi mais pourtant qualifiés et les insuffisances déjà pointées de l’enseignement supérieur dans la région seront sans doute eux aussi facteurs de réformes. Cela 1 Voir Salmi (2011). 2 Pour plus d’informations sur les tendances récentes à l’œuvre dans l’enseignement supérieur, voir Altbach et al (2009). 23 pourrait conduire à des mesures à court terme favorisant l’accès des jeunes à l’enseignement supérieur et l’allègement des difficultés d’insertion professionnelle, mais aussi entraîner une augmentation des postes dans la fonction publique ou la création d’emplois (partiellement) subventionnés dans le secteur privé. Dans ce cas, les gouvernements courent le risque de prendre des mesures de stabilisation de courte vue au lieu de résoudre les problèmes systémiques en adoptant une perspective de long terme. En même temps, la possibilité d’introduire des réformes est aussi une formidable opportunité pour tester de nouvelles approches, notamment accroître l’autonomie et la redevabilité des universités et, par des innovations dans l’élaboration des politiques, améliorer les résultats des établissements d’enseignement supérieur au plan des compétences nécessaires à la construction de sociétés fortes et démocratiques dont ils parviennent à doter les jeunes. Face aux contraintes budgétaires et aux défis liés à la demande croissante, à la qualité et à la pertinence, il faut un éventail correctement défini et soigneusement réfléchi de mesures à court, moyen et long terme. De plus, une réforme du mix d’allocations tenant compte des objectifs prioritaires pourrait être un moyen de progresser sans coût supplémentaire (par exemple, le coût de la législation et des réformes des mécanismes actuels d’allocation, d’emploi et de suivi des budgets). 3.1 Le financement de l’offre et de la demande d’enseignement supérieur Partant d’une classification des mécanismes d’allocation établie par Salmi et Hauptman (2006), on peut d’abord distinguer les mécanismes de transfert ou d’allocation des ressources axés sur la demande (les étudiants) et sur l’offre (les établissements). Ensuite, les mécanismes d’allocation vont des financements négociés sans conditions aux allocations et subventions globales compétitives sans critère de performance et aux financements conditionnés aux performances. La figure 3.1 (adaptée de Salmi, 2011), résume la diversité des mécanismes de transfert de ressources employés et indique s’ils comportent des critères de performance, s’ils impliquent une mise en concurrence et s’ils financent l’offre ou la demande d’enseignement supérieur. La partie suivante résume les mécanismes de financement de l’offre les plus courants. Elle est suivie d’une analyse des instruments axés sur la demande et des avantages de chaque type d’intervention, ainsi que d’exemples d’utilisation dans la région MENA. Figure 3.1 Tableau d’allocation des ressources : dimensions de performance, concurrence, offre et demande Allocations négociées Droits (S) Formules de financements (basées sur extrants) (S) Fonds affectés (S) Contratsde performance (S) Formules de financement (basées sur intrants) (S) Chèques ou bons éducation (D) Avantages fiscaux (D) Critères Q1 Q2 Critères sans performance Q4 Q3 basés sur les performances Bourses sur critèrees sociaux (D) Bourses au mérite (D) * Prêts étudiants (D) Prêts étudiants au mérite (D) Droits d'inscription universels (S) Chèques éducation au mérite (D) Ressources philanthropiques (S) Frais de scolarité à deux vitesses (S) Fonds compétitifs (S) Vente de produits et de services (S) Mécasnimes compétitifs Source : interprétation par l’auteur des travaux de Salmi, 2011. Note : (D) : demande ; (O) : offre 3.1.1 Le financement de l’offre : financement public des établissements d’enseignement supérieur 24 De manière générale, une part importante des financements publics est orientée vers les établissements eux-mêmes, ces fonds servant à deux grandes missions : (i) l’enseignement (qui comprend l’enseignement proprement dit, le fonctionnement et les investissements qui permettent l’enseignement et le fonctionnement) et (ii) la recherche (fondamentale et appliquée). La structure de certains établissements permet d’associer ces deux objectifs3. De plus, les ressources publiques sont généralement allouées aux établissements publics, mais un nombre croissant de pays (tels la Nouvelle-Zélande, le Chili et, dans la région MENA, le Liban4 et certains pays du Machreq5) permettent à des prestataires privés de solliciter des financements publics pour la formation ou la recherche en concurrence avec les prestataires publics (voir encadré 3.1 pour d’autres informations sur le Liban). Enfin, l’État peut soit financer directement les établissements d’enseignement, soit créer des organismes chargés de décaisser les fonds conformément à un mandat ou d’atteindre des objectifs précis de politique et de priorité. La première option pourrait théoriquement diminuer les coûts de transaction du fait de l’absence d’intermédiaire, mais la seconde pourrait offrir un mécanisme « politiquement plus neutre » de répartition des fonds entre les différents établissements. Encadré 3.1 Liban – un système hybride unique en son genre dans la région MENA Né dans les années 1800, le système d’enseignement supérieur libanais comptait en 2009 une seule université publique (qui accueillait environ la moitié des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur), 27 universités privées et 12 établissements privés d’enseignement supérieur spécialisé. Contrairement à la plupart des pays de la région MENA, les fonds publics peuvent être versés à des établissements publics et privés. Le fort développement de l’enseignement supérieur privé au Liban « a surtout suivi une logique de différenciation confessionnelle et linguistique » (Mélonio et Mezouaghi, 2010), qui correspond aux spécificités historiques, sociales et économiques du pays. Il en résulte une structure duale avec d’une part, une université publique importante, principalement financée par l’État et, d’autre part, des établissements privés financés par (i) les droits d’inscription, (ii) des dons (de congrégations religieuses, d’entreprises ou de philanthropie), (iii) des fonds publics indirects, (iv) des subventions de la coopération internationale et (v) des emprunts bancaires. Le financement public, indirect, des établissements privés est justifié comme un moyen de développer l’accès à l’enseignement supérieur. De plus, il est complété par des subventions, des bourses et des dispositifs de prêts étudiants directement gérés par les universités. Source : Mélonio et Mezouaghi (2010). 3.1.1.1 Financement public des coûts d’enseignement et de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur Les mécanismes d’allocation se divisent en quatre grandes catégories : (i) budgets négociés ou ad hoc par lesquels un montant précis de fonds publics est alloué à un établissement (avec ou sans négociation préalable) ; (ii) fonds catégoriels ou affectés par lesquels les pouvoirs publics ciblent un ou plusieurs établissements selon certains critères ; (iii) formules de financement basées sur des 3 Certains établissements se consacrent exclusivement à l’enseignement, d’autres à la recherche, tandis que d’autres encore conjuguent les deux. 4 Voir Mélonio et Mezouaghi (2010). 5 Au Qatar depuis 2003, la majeure partie des coûts de construction des établissements d’enseignement supérieur privés sont couverts par la Fondation du Qatar. Aux Émirats arabes unis, le « co-investissement » est le modèle dominant, c’est-à-dire que l’État et l’établissement se partagent des responsabilités financières symétriques. Voir Romani (2009), pour une étude plus détaillée des évolutions intervenues dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe. 25 critères pondérés tels que le nombre d’employés ou l’effectif étudiant, les coûts anticipés par étudiant, etc. et (iv) financement lié aux performances. (i) Les budgets négociés ou ad hoc sont le mécanisme d’allocation le plus traditionnel et le plus courant dans la région MENA. Ils consistent à réserver un montant spécifique pour un établissement d’enseignement supérieur donné. Un établissement peut directement négocier avec l’État, le plus souvent à partir des budgets antérieurs, pour déterminer le montant de l’enveloppe allouée. Deux variantes de ce système coexistent : les budgets par ligne et les dotations forfaitaires. Le budget par ligne est un moyen traditionnel et centralisé de définir les modalités d’emploi des ressources, chaque ligne correspondant à des dépenses précises. Selon le système en place, des restrictions plus ou moins strictes s’appliquent au transfert d’une ligne à l’autre. S’ils présentent l’avantage de la clarté, ces budgets n’offrent qu’une marge de manœuvre faible (voire nulle) aux établissements. Quant aux dotations forfaitaires, elles offrent plus de souplesse aux établissements car ils disposent ainsi d’une enveloppe globale à condition de respecter les règles et procédures de justification des emplois. En pratique, la plupart des obstacles apparaissent dans la phase de conception et de mise en œuvre de ces mécanismes ; il semble particulièrement important de garantir l’équité et la transparence. (ii) Les fonds catégoriels ou affectés ciblent les besoins spécifiques des établissements (qui sont fonction des exigences régionales), les besoins socioéconomiques ou des objectifs de politique publique (concernant par exemple l’infrastructure ou les TIC). (iii) Les formules de financement ont été conçues pour pouvoir pondérer différents facteurs et présenter un mode de calcul plus objectif des budgets alloués. Elles représentent un progrès par rapport aux dotations forfaitaires, car elles identifient plus précisément les modes d’allocation des budgets. Ces formules sont très variables d’un pays à l’autre ; Salmi et Hauptman (2006) en ont répertorié trois types :  Formules basées sur les intrants. Elles sont déterminées par les intrants tels que l’effectif de l’établissement ou le nombre d’étudiants qu’il accueille. Tout en offrant des avantages, elles présentent aussi des inconvénients – il est difficile en particulier de déterminer l’effectif étudiant compte tenu de la coexistence d’étudiants à plein temps et à temps partiel. D’autre part, ces formules doivent être plafonnées à un certain nombre d’étudiants afin de ne pas inciter les établissements à accroître « aveuglément » le nombre d’inscrits. Dans la région MENA, la Palestine a introduit une formule de financement basée sur le nombre d’étudiants et l’effectif de l’établissement (voir Kuhail, 2011).  Coût par étudiant. Les formules qui tiennent compte du coût par étudiant sont aujourd’hui les plus répandues dans le monde. La plupart sont basées sur le coût passé mais leur calcul est très différent d’un pays à l’autre. Les pouvoirs publics peuvent calculer le coût sur la base : (i) des dépenses effectives communiquées par les établissements, (ii) d’une moyenne systémique ou (iii) de coûts normatifs. Il s’agit dans ce dernier cas d’un chiffre composite de ce que « devrait être » le coût, déterminé par exemple par des comparaisons avec d’autres systèmes, le calcul d’un ratio personnel/étudiants de référence, le niveau ou la filière des études (du fait des travaux en laboratoire, une formation médicale de qualité requiert plus d’investissements d’infrastructure qu’une formation en philosophie par exemple), etc. Dans la région MENA, la Jordanie a longtemps envisagé d’adopter une formule de financement hybride reposant sur l’effectif étudiant et le coût unitaire par étudiant par filière. Cependant, l’idée a été abandonnée à la suite de désaccords politiques au début des années 2000, période marquée par une brutale chute des ressources publiques et une augmentation des effectifs étudiants.  Formules comprenant des éléments de performance. Enfin, les formules peuvent comprendre des éléments basés sur les performances d’un ou de plusieurs établissements selon des critères tels que le nombre de diplômés ou un faible niveau de redoublants. Le Danemark, l’Angleterre et 26 les Pays-Bas ont intégré cette dimension dans leurs formules afin d’accroître la compétitivité du système et d’offrir des incitations positives aux établissements. Cela étant, ces incitations doivent être soigneusement réfléchies pour éviter des effets secondaires indésirables. (iv) Le financement basé sur les performances (c’est-à-dire sur les extrants, voire les résultats, tels que le nombre de diplômés, les résultats des diplômés ou le nombre d’étudiants intégrant le marché du travail) est une méthode d’allocation récente. Elle offre deux grands avantages : (i) l’importance attachée aux résultats, qui favorise la redevabilité et éventuellement, les gains d’efficience et (ii) l’instauration d’un environnement compétitif et par là, la promotion d’une culture d’innovation et d‘économie. Nous en analysons ici deux types :  Contrats de performance. « ... l’État conclut des contrats réglementaires avec les établissements afin de fixer des objectifs mutuels de performances » (Salmi et Hauptman, 2006). Ce modèle se rapproche des budgets négociés évoqués plus haut, avec une différence importante : le contrat entre l’État (ou son représentant) et le ou les établissements comprend des dispositions relatives aux résultats. Plusieurs pays d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale allouent une partie de leurs ressources publiques dans le cadre de contrats de performance. Dans la région MENA, le Maroc et la Tunisie les ont déjà introduits (voir encadré 3.2). Encadré 3.2 L’introduction de contrats de performance au Maroc et en Tunisie en 2009 Au Maroc, dans le cadre de la réforme de l’enseignement supérieur engagée en 2000 et du « Programme d’urgence 2009-2012 », l’État a mis en place des contrats de performance avec les universités publiques en 2009. En contrepartie d’une enveloppe systémique d’environ 1,2 milliard d’euros, de 2 400 créations de postes et de l’adoption de mesures législatives d’accompagnement, les universités se sont engagées à atteindre des objectifs négociés dans six domaines. Parallèlement à cette évolution vers une plus grande autonomie des universités, le gouvernement a également travaillé sur diverses réformes pour renforcer la redevabilité (par exemple par la création d’une agence d’évaluation et le développement des outils d’e-gouvernance). L’évaluation de ces contrats permettra de mieux apprécier leur impact direct sur l’efficience, mais un objectif est déjà atteint : l’attention se reporte progressivement des intrants sur les extrants et les résultats. En 2009 également, la Tunisie a entrepris de déployer un instrument comparable. Après un premier tour d’explications méthodologiques, les universités publiques ont été invitées à soumettre des « projets d’établissement » qui ont été discutés avec l’État et ont conduit à la mise en place de contrats de performance. Conformément aux spécificités de l’enseignement supérieur public tunisien, cette première étape a été suivie de la signature de contrats similaires entre les universités et leurs facultés, instituts, écoles et autres entités. Comme au Maroc, un effort a été fait pour renforcer les capacités de suivi et d’évaluation. Des données indiquent néMENAins qu’en l’état, les contrats de performance pourraient n’être qu’un instrument de plus pour orienter les mêmes fonds vers les mêmes établissements. Toutefois, il est encore trop tôt pour effectuer une analyse coûts-avantages complète car le processus est encore très récent (les résultats de l’évaluation externe de milieu d’année de 2011 n’ont pas encore été publiés) et surtout, la Révolution de jasmin entraînera probablement de nouvelles réformes de l’enseignement supérieur tunisien. Source : d’après Koukhi (2009) et Debbarh et Bennouna (2009) et sur la base de propos recueillis par l’auteur.  Fonds compétitifs. Ils « soutiennent des propositions examinées par les pairs visant à réaliser des améliorations institutionnelles ou des objectifs de politique nationale » (Salmi et Hauptman, 2006). Ces fonds sont attribués par une mise en concurrence des établissements ou de leurs 27 entités (facultés, centres, etc.) suivant des critères précis. Les critères et montants sont très variables. La condition essentielle pour la mise en place de fonds compétitifs est « la transparence et des règles du jeu équitables garanties par l’instauration de critères et de procédures précis et l’institution d’un comité de surveillance indépendant » (Salmi et Hauptman, 2006). De nombreux pays ont créé ce type de fonds pour distribuer une partie de leur budget alloué à l’enseignement supérieur. Dans la région MENA, dans le cadre de projets soutenus par la Banque mondiale, l’Égypte, la Jordanie, la Palestine et la Tunisie ont testé et mis en place des fonds compétitifs (voir encadré 3.3 pour une vue d’ensemble des acquis de ces expériences et encadré 3.7 pour plus de détails sur les fonds compétitifs dans la région MENA). Encadré 3.3 Acquis de l’expérience des fonds compétitifs en Égypte, en Jordanie, en Palestine et en Tunisie L’Égypte, la Jordanie, la Palestine et la Tunisie ont testé les fonds compétitifs dans le cadre de projets soutenus par la Banque mondiale. Les différents formats et méthodologies retenus ont donné des résultats différents. Ces expériences ont permis de dégager les règles suivantes : Prendre le temps de réfléchir à tous les aspects de la conception du projet : (i) distinguer chaque niveau et type de financement ; (ii) définir soigneusement les objectifs, les critères et les procédures des programmes et (iii) prévoir des incitations suffisantes pour amener les parties prenantes à prendre part à la compétition. Veiller à une mise en œuvre transparente et à des capacités de gestion suffisantes : (i) garantir une procédure de sélection rigoureuse reposant sur des critères équitables et transparents ; (ii) organiser et gérer le fonds conformément à son importance, à sa complexité et aux expériences acquises avec ce type d’instrument ; (iii) assurer un examen neutre, crédible et fiable des propositions et (iv) définir des exigences de mise en œuvre simples, garantie de redevabilité et de fiabilité. Souligner l’importance d’un suivi et d’évaluations réguliers pour permettre une adaptation au fil des évolutions ou des possibilités. Source : voir encadré 3.7 pour une description détaillée des sources. La substitution d’un système basé sur les performances à un système de financement traditionnel pourrait se heurter à une forte résistance tant à l’intérieur du système d’enseignement supérieur qu’à l’extérieur. Une récente étude réalisée aux États-Unis (Dougherty et al, 2011) met en lumière les acquis de l’expérience de la conception et du fonctionnement d’un mécanisme de ce type dans huit États (voir tableau 3.1), dont six ont mis en place un mécanisme d’allocation budgétaire basé sur les performances dans l’enseignement supérieur. Si les règles déduites de ces expériences ne sont pas nécessairement pertinentes pour des pays de la région MENA, elles donnent néMENAins un aperçu des points clés à considérer lors de la préparation et de la mise en œuvre d’une telle réforme. 28 Tableau 3.1 Acquis de l’expérience de systèmes de financement fondés sur les performances dans huit États américains Étape Acquis de l’expérience  S’assurer de l’adhésion des établissements d’enseignement supérieur en apaisant les craintes que le financement basé sur les performances soit une excuse pour ne pas accroître le Introduction financement, qu’il réduise l’autonomie des établissements et qu’il ne reconnaisse pas d’un système suffisamment les différentes missions des établissements. de  S’assurer du soutien des entreprises, car elles ont en général une forte influence sur les financement politiques des États américains. Dougherty et al reconnaissent que la mobilisation des basé sur les entreprises comporte aussi des dangers. performances  Communiquer avec les groupes soucieux d’équité qui sont davantage motivés par la qualité de l’éducation, en particulier pour les étudiants défavorisés, que par un intérêt pour l’efficacité des pouvoirs publics.  Isoler les financements basés sur les performances des fluctuations du cycle de recettes de la source en insérant la composante performance dans la formule de financement de base.  Conserver le soutien des acteurs de l’enseignement supérieur par des consultations approfondies avec les établissements, tant à la mise en place du système que par la suite.  Cultiver d’autres sources de soutien par des actions continues d’information des diverses parties prenantes.  Favoriser l’évolution efficace du financement basé sur les performances en le protégeant partiellement des revendications externes et internes pour éviter une modification soudaine et aléatoire des niveaux de financement et des indicateurs de performance, qui compromettrait la planification des établissements. En même temps, Dougherty et al notent que le processus de revue et de révision doit permettre aux systèmes de financement d’évoluer suffisamment pour éviter une accumulation des exigences de changement qui conduirait à revendiquer l’élimination ou la transformation radicale du système. Source : Compilation de l’auteur basée sur Dougherty et al, 2011. 3.1.2 Le financement de la demande d’enseignement supérieur : financement indirect des établissements par les étudiants ou les ménages Outre le financement de l’offre d’enseignement supérieur, la plupart des États sont également intervenus, à différents degrés, dans le financement de la demande. Autrement dit, des fonds publics ont été alloués au soutien des études d’individus sélectionnés en orientant les montants vers les étudiants (prospectifs) et leur famille. Le mécanisme d’allocation peut être conçu pour verser l’aide soit directement aux étudiants (prospectifs) ou à leur famille afin de couvrir des coûts précis, soit aux établissements par l’intermédiaire des étudiants ou de leur famille ; ceux-ci ont alors un rôle d’intermédiaires dont les choix détermineront le budget des établissements, ce mécanisme encourageant la concurrence entre les établissements. Salmi et Hauptman (2006) répertorient cinq types de mécanismes d’allocation axés sur la demande : (i) bons ou chèques éducation ; (ii) bourses versées par l’État ; (iii) avantages fiscaux ; (iv) prêts aux étudiants et (v) mécanismes mixtes de prêt et de bourse. Les trois premiers sont analysés ici ; les prêts étudiants seront abordés au chapitre 4. 3.1.2.1 Bons ou chèques éducation Le concept de bon ou de chèque est assez simple : un individu ou sa famille reçoit un coupon de l’État qui représente une certaine somme d’argent à utiliser pour couvrir une dépense précise. Les bons ou chèques sont couramment utilisés pour tout un ensemble de services comme la nourriture et le logement. Dans le secteur éducatif, ils sont restés jusqu’ici très concentrés dans l’enseignement de base et n’ont été mis en place dans l’enseignement supérieur que dans quelques pays. Ils peuvent ne couvrir que les dépenses de fonctionnement des établissements. La logique qui sous- tend une intervention sur la demande est que les étudiants choisiront l’établissement et le cursus qu’ils préfèrent. Les chèques éducation instaurent donc une concurrence entre les prestataires, 29 facteur d’efficience du système dans son ensemble. L’introduction en Tunisie d’un système de chèques formation pour la fréquentation d’une formation professionnelle en est un exemple (voir encadré 3.4). Encadré 3.4 L’expérience tunisienne des chèques formation En 2008, le gouvernement tunisien a mis en place un système de chèques formation pour la formation professionnelle privée. Après avoir effectué une demande, les bénéficiaires reçoivent des chèques et peuvent choisir la formation qu’ils désirent (spécialité, lieu et structure de formation) sous réserve que l’établissement de formation soit agréé. Le financement de cette mesure a été regroupé avec d’autres sources de financement de la formation professionnelle venant : (i) de la taxe d’apprentissage versée par les entreprises ; (ii) des contributions directes de l’État et de (iii) contributions directes des entreprises. Sept entreprises ont bénéficié du programme en 2008 et une quarantaine en 2009-2010. Malgré cette progression, il semble que le programme ait du mal à faire face à la concurrence directe des services fournis par l’Agence tunisienne de la formation professionnelle. Source : Toumi (2009). Lorsqu’un gouvernement décide de créer un système de bons ou de chèques éducation, il doit faire une série de choix politiques soigneusement pesés car ils auront obligatoirement un effet sur la demande et l’offre d’enseignement supérieur. Quels types de coûts le chèque éducation couvre-t-il ? Quel pourcentage des coûts totaux ? Qui peut y prétendre ? Quelles sont les obligations du bénéficiaire du chèque ? Les chèques sont-ils renouvelables, à durée déterminée ou restent-ils valables jusqu’à l’obtention du diplôme ? Autant de questions qu’il convient de se poser au plus tôt. D’autres études et l’expérience de tentatives récentes en matière de chèques éducation aideront sans doute à répondre à ces questions fondamentales dans le contexte des sociétés et des systèmes des différents pays. 3.1.2.2 Bourses d’État Les bourses peuvent être gérées directement par l’État ou indirectement par une agence spécialisée, voire les établissements eux-mêmes. Si elles sont bien conçues (fondées sur des critères transparents et équitables), elles doivent accroître la qualité et l’équité des systèmes d’enseignement supérieur en encourageant des étudiants talentueux ou défavorisés, voire les deux, à étudier. Là encore, les modalités de mise en œuvre sont extrêmement variées (types de coûts couverts, volume et durée de l’aide, conditionnalité, etc.). Depuis dix ans, face à l’augmentation de la demande due aux pressions démographiques et à la course mondiale à l’enseignement supérieur, les pays de la région MENA ont augmenté le nombre de dispositifs de bourses. En Tunisie par exemple, 35 % des étudiants sont boursiers, ce chiffre étant d’environ 31 % au Maroc. De plus, depuis 2001, le Koweït, Oman et l’Arabie saoudite ont instauré de nouveaux systèmes de bourse renforcés6 (l’encadré 3.5 présente le programme géré par le Private Universities Council au Koweït). 6 Pour plus de renseignements, voir UNESCO (2009). 30 Encadré 3.5 Programme de bourses du Private Universities Council au Koweït L’Université du Koweït, seul établissement public d’enseignement supérieur du pays, enregistre depuis dix ans une augmentation continue des demandes d’inscription. Ayant atteint ses limites de capacités et s’inquiétant de la qualité des conditions d’étude, l’Université a depuis 2001 relevé les notes minimales requises pour être admis afin de réduire ses effectifs. Une plus forte proportion de la population en âge d’étudier s’est ainsi trouvée écartée de l’enseignement supérieur public. Cette situation, conjuguée à l’objectif public de justice sociale, à une réforme législative autorisant la création d’établissements d’enseignement supérieur privés (Décret royal 56/2000) en 1999 et à leur développement consécutif, a conduit à l’instauration en 2006 d’un dispositif de bourses d’études destinées à faciliter l’accès des étudiants à l’enseignement supérieur privé. Outre la contribution de l’État, les universités privées paient 20 % des frais de scolarité, augmentent leurs effectifs étudiants et entreprennent des travaux d’extension pour développer leurs capacités d’accueil. La qualité de l’enseignement fait l’objet d’un suivi étroit du Private Universities Council, organe administratif chargé de l’évaluation et de l’agrément. En 2009, ce dispositif avait recueilli 5 761 demandes et octroyé 4 595 bourses (soit un taux d’admission de 78 %). Du point de vue des pouvoirs publics, « Le dispositif de bourses permet (…) d’économiser 50 % chaque année sur les coûts de financement d’établissements publics supplémentaires ou de bourses d’études à l’étranger. » Source : Al-Atiqi et al (2010). 3.1.2.3 Avantages fiscaux L’impôt est un autre instrument de financement de la demande d’enseignement supérieur ; c’est aussi celui qui a suscité récemment les innovations les plus nombreuses. La fiscalité peut aider les individus qui poursuivent des études supérieures et leurs familles par deux voies : le crédit d’impôt, ou le débit, c’est-à-dire le paiement d’impôts plus élevés pendant une durée déterminée après l’obtention du diplôme et d’un travail. Différents pays ont utilisé ces modalités pour couvrir différents coûts : Salmi et Hauptman (2006) distinguent les prestations qui couvrent les droits d’inscription et celles qui augmentent les allocations familiales. Cependant, ces instruments ne sont possibles que dans les pays dotés d’un système de recouvrement des impôts efficient et fiable. 3.2 Application des mécanismes d’allocation pour atteindre les objectifs d’accès, d’équité, de qualité et de pertinence 3.2.1 Vue d’ensemble Le tableau 3.2 donne un aperçu des effets possibles de chaque mécanisme d’allocation sur les principaux objectifs politiques d’accès, d’équité, de qualité et de pertinence. Ce tableau peut être utilisé comme un outil de décision théorique, mais le mix d’allocations final sera fonction de l’expérience, de l’histoire et de l’appétit de réforme du pays. À première vue, il pourrait sembler que certains mécanismes ont davantage d’effets positifs que d’autres, mais ils ne sont pas toujours acceptables, pour diverses raisons. 31 Tableau 3.2 Mécanismes d’allocation des fonds et objectifs de politique publique Qualité et Type de mécanisme d’allocation Accès Équité pertinence I. Financement de l’offre d’enseignement supérieur : financement public des établissements 1. Financement de l’enseignement, du fonctionnement et des investissements 1.1. Budgets négociés - - + / 1.2. Dotations catégorielles, affectées - - + 1.3. Financement par formule i) Basée sur les intrants - ii) Basée sur les coûts - Coût réel / étudiant - - Coût moyen / étudiant - Coût normatif / étudiant + + iii) Basée sur les priorités + + iv) Avec critères de performances + 1.4. Financement basé sur les performances i) Fonds d’affectation spéciale pour performances ii) Contrats de performances + + iii) Fonds compétitifs + iv) Rémunération des résultats + + 2. Financement public de la recherche universitaire 2.1. Financée avec l’enseignement - 2.2. Dotations forfaitaires + 2.3. Projets examinés par des pairs + II. Financement de la demande d’enseignement supérieur : financement des établissements par le biais des étudiants et des ménages + / 1. Bons ou chèques éducation + - 2. Bourses et prêts étudiants 2.1. Administrés par les établissements 2.2. Sur critères sociaux + + 2.3. Au mérite - + 2.4. Sur critères sociaux et au mérite + + + 3. Avantages fiscaux 3.1. Compensation des frais de scolarité + - - + / 3.2. Allocations familiales + - Source : modification de l’auteur à partir de Salmi et Hauptman (2006). + = Effet positif ; - = Effet négatif ; +/- = Dépend de la conception des programmes 32 3.2.2 Meilleur emploi des ressources pour développer l’accès à l’enseignement supérieur Comme nous l’avons dit plus haut, une stratégie de financement viable exige une combinaison de ressources supplémentaires (venant de mécanismes de partage des coûts, du secteur privé ou de ressources philanthropiques) et d’un meilleur emploi des fonds. Le tableau 3.2 ne considère que les mécanismes d’allocation sans considérer les sources de financement supplémentaires. L’examen de ce tableau montre que tous les mécanismes qui ont un effet positif sur l’accès ciblent la demande – exemples : chèques éducation, bourses sur critères sociaux ou de mérite et prêts, compensation des frais de scolarité et allocations familiales. Les impacts précis de ces mécanismes sont décrits ci- après : i. Les bourses sur critères sociaux visent à accroître le taux de scolarisation des catégories socioéconomiques les moins favorisées dans l’enseignement supérieur, et sont donc facteurs d’équité. Le gouvernement tunisien réfléchit à l’introduction d’une bourse pour l’enseignement et la formation professionnels dans des établissements publics en parallèle au chèque formation décrit plus haut. Au Liban, 10 à 25 % des étudiants perçoivent des bourses versées sur critères sociaux ; comme elles sont octroyées par les universités elles- mêmes, les pourcentages diffèrent d’un établissement à l’autre (Mélonio et Mezouaghi, 2010). ii. Les bourses sur critères sociaux et au mérite comprennent des éléments qui développent l’accès et sont facteurs d’équité. Pour ces deux catégories, des critères d’ouverture des droits clairement définis et communiqués et des procédures de sélection transparentes et équitables sont les clés d’une mise en œuvre réussie. iii. La compensation des droits d’inscription est le seul moyen de mettre en place un système de partage des coûts indirect et différé. Cependant, elle peut avantager les étudiants favorisés aux dépens de l’équité compte tenu du nombre de places limité. Elle nécessite en outre des systèmes de recouvrement qui peuvent être coûteux dans certains pays. Ces questions sont étudiées au chapitre 4. iv. Les allocations familiales sont un autre moyen d’accroître l’accès, quoique de façon encore plus indirecte, en aidant les familles des étudiants. Cette mesure peut aussi avoir des effets secondaires ; elle peut par exemple renforcer une culture familiale dans laquelle l’éducation de la génération suivante revêt une importance essentielle. La conception et le ciblage éventuel de cet instrument détermineront s’il a également des effets positifs sur l’équité. L’inclusion de la composante demande dans une formule de financement ou comme déterminant du financement basé sur les performances permet aussi de développer l’accès à l’enseignement supérieur : les établissements reçoivent des fonds supplémentaires lorsque les effectifs étudiants augmentent. Ce simple postulat s’accompagne naturellement d’un certain nombre d’avertissements si le mécanisme est utilisé seul. Tout d’abord, les ressources financières étant la principale contrainte qui pèse sur l’État, il pourrait sembler déraisonnable d’augmenter le financement (non disponible) pour favoriser l’augmentation du taux de scolarisation. Deuxièmement, il est très probable que le surplus de financement par étudiant supplémentaire serait inférieur au « financement nécessaire » réel. Cela pourrait sérieusement compromettre la qualité de l’éducation et aggraver la situation dans une région comme la région MENA, où elle est déjà compromise. Cette solution pourrait être toutefois réalisable : (i) dans les pays producteurs de pétrole par exemple, où des financements supplémentaires pourraient être disponibles ou (ii) si elle était associée à d’autres mesures de compensation ou de limitation et à des adaptations du mix d’allocations. 3.2.3 Ciblage approprié et mesures comparables pour améliorer l’équité 33 Outre les bourses, les fonds catégoriels/affectés, les formules de financement basées sur les priorités et les « paiements aux résultats » permettent de cibler le financement sur les étudiants les plus pauvres ou les plus méritants. Avec le soutien de la Banque mondiale, la Palestine travaille à l’introduction d’un mix d’instruments (a) visant à faciliter l’accès à l’enseignement supérieur (b) dans des filières d’études prioritaires (c) des étudiants les moins favorisés. L’objectif est de rationaliser le financement tout en optimisant l’efficience et en réduisant les inégalités du système (voir encadré 3.6). La Jordanie envisage actuellement l’introduction de formules de ce type. 3.2.4 Lier le financement aux performances pour accroître la qualité et la pertinence Le meilleur moyen d’accroître la qualité de l’enseignement supérieur par le biais du mix d’allocations est de lier le financement public aux performances, tant du côté de l’offre que de la demande. Les budgets négociés et les formules de financement sont peu aptes à améliorer la qualité car ils reposent sur des allocations budgétaires statiques sans référence aux résultats. La pertinence de l’enseignement supérieur est un élément critique qui va de pair avec la qualité. Elle est normalement mesurée par l’adéquation des compétences des diplômés aux exigences du marché du travail. Côté demande, les bourses au mérite incitent les étudiants les plus talentueux à participer et contribuent ainsi à la qualité de l’enseignement supérieur ; elles peuvent être liées à la nécessité de réduire les inégalités. Les financements axés sur la demande peuvent être également alloués en priorité à certaines filières d’études. Côté offre, différents instruments permettent d’accorder une plus grande attention à la qualité et à la pertinence de l’éducation, par exemple : i. Les financements basés sur les priorités et les formules fondées sur les extrants peuvent être conçus pour favoriser les étudiants qui obtiennent de bons résultats, suivant des critères clairs et équitables. ii. En raison de l’importance qu’ils accordent à la qualité et à la concurrence, tous les financements basés sur les performances (par exemple, fonds d’affectation spéciale pour performances, contrats de performance, paiements aux résultats et fonds compétitifs) peuvent sensiblement accroître la qualité et la pertinence des résultats de l’éducation. Ils créent des incitations à l’amélioration et permettent de promouvoir des objectifs particuliers de politique publique. Ils ont été utilisés en Égypte, en Jordanie, en Palestine et en Tunisie avec un succès inégal. En Égypte, le Fonds compétitif créé en 1991 7 visait à améliorer : (i) la qualité et la pertinence professionnelle des formations d’ingénieur dans les universités égyptiennes et (ii) la qualité de l’enseignement secondaire et supérieur, en soutenant la création de facultés d’enseignement industriel pour répondre à la demande d’enseignants techniques mieux préparés et plus qualifiés. Grâce à ce fonds, 159 laboratoires ont été créés dans le cadre de six cycles de propositions. « Ce mécanisme s’est avéré efficace pour apporter des améliorations qualitatives aux universités. L’élément compétitif a incité les universités à présenter la meilleure proposition possible. Le processus participatif d’examen par des pairs a également conduit à une pratique commune de partage des leçons de l’expérience au sein du personnel enseignant des facultés 8 ». Cette expérience a été jugée fructueuse et a conduit à poursuivre le processus de réforme dans le cadre du Higher Education Enhancement Project (HEEP)9 et à l’établissement par l’État d’un fonds compétitif plus général faisant appel à des ressources publiques. 7 Un rapport d’acheminement du projet peut être consulté à l’adresse : http://web.worldbank.org/external/projects/main?pagePK=64283627&piPK=73230&theSitePK=40941&menu PK=228424&Projectid=P005140. 8 Extrait du rapport précité. 9 Pour plus de renseignements, consulter : http://www.heep.edu.eg/. 34 En Cisjordanie et à Gaza, le Quality Improvement Fund a été créé en 2005 (Lemaître, 2008) afin d’accroître la qualité et la pertinence de l’enseignement supérieur et de soutenir les établissements et les programmes d’enseignement supérieur en Palestine pour améliorer : (i) la pertinence pour le marché du travail et le développement économique, (ii) la compétitivité internationale et (iii) la capacité à élaborer des programmes générateurs de revenus. Depuis sa création, 45 projets ont été financés en trois cycles. Une évaluation externe a relevé la parfaite transparence de la procédure de sélection, toutes les décisions du Conseil d’administration s’étant fondées sur les résultats d’un examen externe par des pairs. Au vu de la diversité des propositions approuvées et de leur caractère innovant, il est évident qu’elles sont en cohérence avec l’objectif d’amélioration de la qualité et de la pertinence de l’enseignement supérieur en Palestine. La mise en œuvre des subventions a eu pour effet secondaire de renforcer les capacités de gestion de projet, de passation des marchés publics et de gestion et d’information financière. Il est évident que la procédure de préparation des projets a développé les capacités en la matière et, pour plusieurs établissements, ces capacités se sont traduites par un supplément de recettes. En Jordanie, le Higher Education Development Fund a été créé en 1998 (Hatakenaka et Thompson, 2005) afin : (i) de favoriser l’amélioration de la qualité et de la pertinence de l’enseignement supérieur et (ii) d’adapter l’enseignement supérieur aux besoins d’une économie de marché. Grâce à ce fonds, 33 subventions créant ou améliorant des programmes de premier et de deuxième cycle, ainsi que sept projets de partenariat avec des industries du secteur privé ont été financés en trois cycles (seul le dernier a fait appel à une mise en concurrence) (English, 2007). C’est la dernière expérience fructueuse car l’idée de la concurrence dans l’obtention des fonds n’a pas été bien acceptée et a donc conduit à des résultats moins durables. En Tunisie, le Programme d’appui à la qualité (PAQ) a été mis en place en 2006 (Jaramillo, 2009) pour établir un nouveau mécanisme de transfert des dotations aux établissements d’enseignement supérieur. Ce programme, qui s’inscrivait dans un travail plus général soutenu par la Banque mondiale dans le cadre du Deuxième projet d’appui à la réforme de l’enseignement supérieur (PARES II), comportait deux volets : (i) PAQ-QE pour la qualité de l’enseignement et (ii) PAQ-CG pour la capacité de gestion des universités. Il a consenti 41 subventions en trois cycles. « Il a permis d’instaurer une redevabilité accrue pour l’utilisation des ressources publiques, de faciliter l’implémentation de contractualisation et le développement des compétences dans le domaine de la gestion par objectif, de la culture de la qualité et de l’évaluation. Les deux composantes du programme montrent bien que lorsque des objectifs clairs et suffisamment précis sont proposés, les universités et leurs enseignants sont capables de développer des projets intéressants et novateurs qui sont susceptibles de faire progresser l’enseignement supérieur dans le sens souhaité » (Banque mondiale, 2009). 3.3 Conception d’une stratégie globale Une stratégie globale de financement associe des mécanismes agissant sur la demande et sur l’offre et établit pour chacun d’eux des liens clairs avec les objectifs prioritaires. La mesure dans laquelle les fonds publics doivent être alloués sur une base compétitive ou le pourcentage du budget à affecter dans le cadre de contrats de performance sont des questions essentielles. Il n’y a pas de solution universelle car la stratégie à définir dépend des priorités du système d’enseignement supérieur considéré, mais aussi de la capacité des établissements à la mettre en œuvre et à en assurer le suivi. De plus, les questions culturelles et politiques sont particulièrement importantes, surtout lorsque des mécanismes de partage des coûts sont en jeu. En 2002, l’Autorité palestinienne a élaboré un cadre stratégique10 associant plusieurs composantes afin de bâtir une stratégie de financement viable pour améliorer la qualité, la pertinence et l’équité 10 Voir Alami (2011) et Kuhail (2011). 35 de son enseignement supérieur. Les objectifs généraux étaient de rendre le système d’enseignement supérieur plus efficace, accessible aux étudiants des ménages à faible revenu, mieux adapté aux besoins économiques et de développement de la Palestine et plus viable. L’Autorité palestinienne adopte progressivement un ensemble d’instruments pour réformer le financement de l’enseignement supérieur tout en améliorant la gouvernance de son système éducatif. L’encadré 3.6 décrit quelques éléments de cette stratégie car ils peuvent servir d’exemple à d’autres pays de la région. Encadré 3.6 Cadre stratégique palestinien pour le financement de l’enseignement supérieur  Orientation des fonds publics vers les programmes prioritaires.  Financement de la demande : un fonds de prêts étudiants (Student Revolving Loan Fund) a été créé en 2001 dans un objectif d’équité, la plupart des établissements d’enseignement supérieur comptant sur les frais de scolarité. Les étudiants sont sélectionnés en fonction de leur mérite et de leurs ressources. Le Fonds consent des prêts, des bourses (à titre incitatif et pour les élèves des filières prioritaires). De plus, l’Autorité palestinienne a mis en place divers autres dispositifs de bourses – sur son propre budget et avec l’appui de donateurs tels l’Union européenne, l’UNESCO, des entreprises privées et des organismes sans but lucratif tels AMIDEAST.  Promotion de la qualité par un financement compétitif des projets sélectionnés – Quality Improvement Fund (QIF) décrit plus haut.  Établissement d’une commission autonome d’agrément et d’assurance qualité ; en Palestine, elle a été créée en 2002 pour garantir une qualité minimale dans l’ensemble du système d’enseignement supérieur palestinien.  Amélioration de la gestion du système : un système informatique de gestion de l’enseignement supérieur connectant les établissements et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a été installé pour renforcer les capacités de pilotage et la redevabilité globale des établissements.  Encouragement à la recherche par des financements compétitifs.  Promotion des inscriptions dans les filières d’enseignement professionnel et technique en pourcentage de l’effectif total dans l’enseignement supérieur.  Formule de financement basée sur le nombre d’étudiants et l’effectif de l’établissement ou financement par projets pour la recherche : l’Autorité palestinienne étudie ces pistes pour allouer directement des fonds aux établissements. 3.3.1 Financement public de la recherche Ce chapitre a examiné les allocations budgétaires couvrant les coûts d’enseignement et de fonctionnement des universités. Le financement de la recherche est un autre élément clé des systèmes d’enseignement supérieur, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire ou élevé. Dans certains pays de la région MENA, les fonctions d’enseignement sont séparées de la fonction recherche. Pour diverses raisons, souvent liées à des arguments relatifs à l’imperfection des marchés et aux externalités11, les États financent la recherche-développement (R&D) par le biais de leurs politiques d’innovation 12. Les établissements d’enseignement supérieur sont des acteurs décisifs dans ce domaine pour deux raisons : (i) ils forment les scientifiques de demain et (ii) ils conduisent eux-mêmes des projets de recherche fondamentale ou appliquée. Comme nous l’avons dit plus haut, le niveau d’investissement en R&D dans la région est très faible. Bien que le sujet revête une 11 Pour une vue d’ensemble des justifications d’une politique publique d’innovation, voir Takalo (2009). 12 Pour une vue d’ensemble des principes des politiques et programmes d’innovation dans différents contextes politiques, voir Banque mondiale (2010). 36 importance critique pour l’amélioration des résultats de l’enseignement supérieur et qu’il soit déterminant pour le développement de systèmes d’innovation, sa complexité mérite une analyse détaillée qui dépasse le cadre de ce document. NéMENAins, l’encadré 3.7 présente les mécanismes de soutien à la R&D les plus courants. Encadré 3.7 Financement public de la recherche-développement  Le financement conjoint de l’enseignement et de la recherche est le mécanisme d’allocation le plus traditionnel et le plus facile à mettre en œuvre.  Le financement par projet de recherche favorise des projets ou programmes de recherche précis. Ce mécanisme d’allocation se décline en plusieurs variantes ; il peut être plus ou moins compétitif, fonctionner avec ou sans processus d’examen ex ante par les pairs, prévoir ou non une subvention proportionnelle de l’établissement ou du secteur privé, être géré directement par l’État ou par l’intermédiaire d’administrations spécialisées. Du point de vue des dirigeants politiques, ce mécanisme offre davantage de souplesse en termes d’orientation de la recherche. Bien conçu, il peut également renforcer les aspects qualitatifs de la recherche par la transparence et la mise en concurrence. Depuis 2002, la Palestine a engagé un processus de réforme orienté vers le financement de la recherche par projet, avec procédure d’examen par les pairs et ciblage sur les domaines de priorité nationale.  Le financement de la recherche par dotation globale, qui repose sur des critères définis, alloue un montant forfaitaire aux établissements pour conduire leurs travaux de recherche. Les établissements ont plus de liberté pour la définition et la poursuite des objectifs de recherche. Cela étant, si le gouvernement ne finance que les établissements qui servent son propre programme, la politique d’innovation risque d’être étroite et politisée. En Angleterre, la recherche au sein des universités fait l’objet d’une évaluation régulière (Research Assessment Exercise, RAE). En fonction de leurs résultats, les établissements reçoivent une certaine somme pour financer leurs efforts de recherche.  Les centres d’excellence sont une méthode de financement sélective de plus en plus courante, comme en témoignent les projets et réformes en cours dans le monde entier. L’objectif est de développer des centres d’excellence dans des domaines ou sur des sujets précis et d’affecter des fonds pour une certaine durée. Financée/gérée par la Banque mondiale et le Science Initiative Group, l’Initiative du Millénaire pour la science vise à renforcer les capacités des pays en développement dans le domaine des sciences et technologies par le financement ciblé de centres d’excellence. Entreprise en 1998 au Chili sous forme de projet pilote, cette initiative a été développée à grande échelle au Chili, au Brésil, au Mexique et en Ouganda, et s’étend progressivement dans les pays d’Afrique subsaharienne. La Chine a été un ardent défenseur des centres d’excellence avec une série de projets impliquant des établissements d’enseignement secondaire et supérieur. La France et l’Allemagne ont elles aussi consenti de considérables investissements dans les centres d’excellence universitaires, en associant des mécanismes d’allocation (fonds compétitifs, subventions, etc.) et une approche ciblée, tant au plan de la géographie que des domaines. Il convient de souligner que ces projets aboutiront sans doute également à une consolidation de l’enseignement supérieur public, un effet secondaire désiré par les deux États pour réaliser des économies d’échelle. Source : Salmi et Hauptman (2006). 37 3.4 Conclusions et acquis de l’expérience Ce chapitre a présenté les différents mécanismes d’allocation des financements et montré comment ils sont utilisés dans la région MENA. Certains outils de financement sont mieux adaptés à la réalisation d’objectifs d’accès, tandis que d’autres sont plus appropriés aux objectifs de qualité et de pertinence de l’enseignement. Comme nous l’avons vu au chapitre 2, la plupart des pays de la région doivent élaborer des stratégies globales comprenant une suite d’instruments d’allocation des fonds et associant des mécanismes intervenant sur l’offre et sur la demande. De manière générale, on peut tirer les conclusions suivantes :  Les outils d’intervention sur la demande sont des mécanismes efficaces pour accroître l’accès à l’enseignement supérieur.  Le financement ciblé est le meilleur mécanisme d’optimisation de l’équité dans le système d’enseignement supérieur.  Le couplage des financements (des établissements et des étudiants) aux performances peut avoir un effet positif sur la qualité.  En dernier ressort, le mix d’allocations globales et ciblées peut s’avérer à la fois adapté à un contexte donné et susceptible d’aider à atteindre les objectifs les plus importants. Dans la région MENA, les établissements d’enseignement supérieur eux-mêmes ont déjà pris des mesures à court terme pour réduire les budgets, par exemple en remplaçant le personnel enseignant qualifié à temps plein par du personnel à temps partiel, en augmentant les effectifs par classe ou simplement en reportant leurs investissements et les travaux nécessaires de remise à niveau de l’infrastructure et du matériel. Ces mesures ont temporairement allégé la charge de financement mais elles entraîneront sans doute des dépenses plus importantes à une date ultérieure lorsque les conditions d’études se dégraderont, et avec elles peut-être la qualité de l’enseignement. L’un des acquis les plus importants de l’expérience de la réforme est qu’il est indispensable dès le départ de tenir compte du contexte politique et culturel. La consultation, la formation d’un consensus et surtout le partage transparent des informations sont des facteurs de succès des plus importants. L’accès, la qualité, la pertinence et l’équité doivent être soulignés dans une approche globale. De plus, avant de promulguer une nouvelle législation ou de modifier les processus, une analyse approfondie et appropriée est nécessaire pour éclairer les choix politiques difficiles. Des analyses coûts-avantages tenant compte à la fois des composantes quantitatives et qualitatives pourraient en particulier indiquer les implications budgétaires et faciliter la mise en place de nouveaux mix d’allocations. La situation actuelle est propice à la réforme. Cette dynamique exceptionnelle peut être mise à profit pour faire avancer un programme qui renforce la redevabilité de la dépense publique en général et de l’enseignement supérieur en particulier, questions qui sont de la plus haute importance pour les jeunes générations de citoyens de la région. 38 Chapitre 4 : Le partage des coûts dans l’enseignement supérieur : pourquoi, quand et comment ? Les contraintes budgétaires, une réalité qui ne touche pas seulement la région MENA mais tous les pays du monde, sont à l’origine d’une augmentation du financement privé, ou partage des coûts, de l’enseignement supérieur. Johnstone et Marcucci (2010) affirment ainsi que « le partage des coûts est à la fois un état de fait – c’est-à-dire que les coûts de l’enseignement supérieur sont partagés entre l’État (ou le contribuable), les parents, les étudiants et les philanthropes – et un terme désignant une réorientation des politiques, observée partout dans le monde, qui consiste à partager les coûts de l’enseignement et de la vie étudiante, qui relevaient auparavant majoritairement, voire exclusivement de l’État, entre l’État, les parents (ou les familles étendues) et les étudiants » (Johnstone et Marcucci, 2010). Comme nous l’avons vu au chapitre 2, la forte expansion des systèmes d’enseignement supérieur dans la région MENA s’est accompagnée d’une hausse des coûts publics que la base fiscale limitée des États (à l’exception peut-être des pays pétroliers) rend difficile à assumer. 4.1 Options de financement dans les pays à base fiscale limitée Face à la croissance du nombre d’étudiants, les États disposant de recettes fiscales restreintes doivent opérer de difficiles arbitrages entre diverses options :  Modifier la dynamique de croissance de la population étudiante. On suppose généralement qu’un système éducatif est réductible à un ensemble de paramètres fixes, tels que le taux de passage d’une année d’étude à la suivante, mais en réalité, il est possible de modifier certaines caractéristiques si cela s’impose. Cependant, dans la plupart des pays de la région MENA, freiner le développement quantitatif du système d’enseignement supérieur n’est pas vraiment une option envisageable à grande échelle car leur stratégie de croissance repose sur des investissements conséquents en capital humain. La sélection des étudiants à l’entrée des universités est souvent jugée politiquement très difficile, même si la solution du « laissez-faire » entraîne des taux d’abandon très élevés au cours de la première année d’études supérieures, un résultat dont on ne peut se satisfaire.  Réduire la dépense publique par étudiant sans modifier la structure du système. Cette option aboutit généralement à des classes plus nombreuses, à une baisse des heures de cours suivies par chaque étudiant, à des enseignants moins bien formés, au recrutement d’enseignants temporaires ou vacataires, à un sous-investissement en matériel pédagogique et donc à un enseignement de moindre qualité et à un taux de chômage des diplômés potentiellement plus élevé. Même s’il n’est pas en rien idéal, ce scénario « low cost » est très courant.  Engager davantage de ressources publiques ou lever des impôts pour maintenir constante la dépense réelle par étudiant. La massification de l’enseignement supérieur permet quelques économies d’échelle mais elle requiert une croissance rapide des ressources publiques pour maintenir la qualité de l’éducation et le niveau d’apprentissage des étudiants. Peu de pays pourront assumer l’augmentation prévisionnelle du budget de l’éducation, que l’on estime à 15 % par an pendant les dix prochaines années (voir chapitre 2). Les quelques pays riches en ressources de la région MENA pourraient décider d’investir une partie de cette richesse en capital humain, un choix qui pourrait s’avérer à la fois efficient et socialement juste si l’investissement éducatif offrait un rendement à long terme suffisant. Cependant, les pays qui disposent d’une base fiscale restreinte ne peuvent pas se permettre de négliger les autres investissements publics et pourraient donc avoir du mal à augmenter les ressources du système éducatif autant que 39 nécessaire. L’importance du secteur informel dans la région MENA fait obstacle à une rapide augmentation des recettes fiscales car les activités informelles échappent largement à l’impôt.  Accroître les ressources publiques en augmentant la participation financière des étudiants et de leur famille. Dans un pays à base fiscale restreinte ou lorsque le gouvernement, soucieux d’équité, ne souhaite pas faire payer l’enseignement supérieur à tous les contribuables, faire contribuer les bénéficiaires (c’est-à-dire les étudiants) se justifie. Ce chapitre décrit les outils nécessaires à ce type de stratégie de partage des coûts.  Favoriser le développement de l’offre d’enseignement supérieur privé, ce qui aboutira en dernier ressort à un système dual mais moins coûteux pour l’État qu’un système entièrement public sans droits d’inscription ou partage des coûts. Cette option est analysée au chapitre 5.  Développer des incitations pour augmenter les dons ou dotations privés au profit des universités. Cette option est étudiée au chapitre 6. Le partage des coûts associé au développement de l’offre d’enseignement supérieur privé est une solution possible pour prévenir le développement d’un système d’éducation « low cost ». Divers outils et solutions permettent de partager les coûts de l’enseignement supérieur. Chacun de ces outils a un coût différent pour l’État, et modifie le champs des opportunités pour les étudiants en fonction de leur situation sociale et différentes contraintes politiques. L’augmentation des droits d’inscription, qui semble à première vue l’option la plus simple à mettre en œuvre, présente de considérables inconvénients tant au plan social (parce que les étudiants défavorisés pourraient être dissuadés de poursuivre leurs études) qu’au plan politique (parce que les étudiants qui ont les moyens de payer leurs études sont souvent aussi opposés au paiement immédiat des frais de scolarité, le rendement à terme de leurs études étant incertain). Il est possible de limiter les problèmes d’équité associés aux frais de scolarité par des bourses et des prêts. L’élaboration de ces produits financiers requiert un certain niveau d’intervention de l’État et implique des coûts publics liés aux taux d’intérêt bonifiés ou au paiement différé des droits de scoalrité, mais le coût d’un système de ce type, avec droits d’inscription, est toujours inférieur à celui d’un système public entièrement gratuit. Différents scénarios et dispositifs seront examinés dans ce chapitre. En règle générale, le financement privé d’un service public n’est pas associé à l’équité ; pourtant, l’enseignement supérieur est un service public particulier car il n’est pas universel et ne bénéficie par définition qu’à ceux qui ont achevé le cycle secondaire. Il y a à l’évidence un fort biais de sélection sociale parmi les élèves qui poursuivent des études à l’université. Le chapitre 2 a présenté les données confirmant l’existence de ce biais, même dans des pays comme la Tunisie et l’Égypte où l’enseignement supérieur est gratuit. Les étudiants sont généralement issus en moyenne de milieux privilégiés, ou à tout le moins de la classe moyenne supérieure, alors que les élèves du secondaire issus de familles défavorisées ont moins accès à l’enseignement supérieur. Un service public financé par la population tout entière et ne bénéficiant qu’à une minorité ou à une majorité sélectionnée est un des très rares exemples d’un service public potentiellement régressif au niveau financier. Même lorsque l’accès à l’enseignement supérieur est développé, une progressivité insuffisante de son financement peut entraîner des transferts régressifs1. En Égypte par exemple, le taux de scolarisation 1 En France par exemple, Allègre, Mélonio et Timbeau (2010) ont tenté de mesurer les transferts des ménages pauvres aux ménages riches qui s’opèrent par le biais du système d’enseignement supérieur. Leur conclusion principale , à partir du cas de la France, est qu’il faut une structure d’imposition progressive pour aider à compenser les effets de la sélection sociale dans l’enseignement supérieur : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2010-06.pdf. Dans une perspective du cycle de vie, les diplômés de l’université remboursent toutefois ex-post le coût de leur éducation par le paiement d’impôts plus élevés ; le 40 dans l’enseignement supérieur est presque cinq fois plus élevé pour les étudiants du quintile le plus riche que pour ceux du quintile le plus pauvre (voir figure 4.1). Figure 4.1 Taux de scolarisation en Égypte par quintile de revenu et niveau d’éducation (2004- 2005) Source : Données d’enquête auprès des ménages 2004-2005 ; calculs de la Banque mondiale. Les inégalités sociales reflètent couramment les disparités régionales de taux de scolarisation et de nature de l’offre d’enseignement supérieur. En Tunisie, le taux de scolarisation hors des grandes villes n’est pas négligeable, mais la majorité des cursus proposés sont courts, ce qui signifie que les transferts publics vers ces régions ou gouvernorats sont plus faibles que dans les grandes villes (voir tableau 4.1). Tableau 4.1 Distribution régionale des cursus en Tunisie Durée du cursus Région 2 ans 4 ans 5 ans+ Total d’origine Grand Tunis 16,8 26,1 33,0 23,3 Nord-est 10,3 11,7 9,8 11,1 Sahel 14,1 10,1 6,1 11,2 Sfax 12,5 13,8 13,1 13,3 Centre 14,2 10,1 6,3 11,24 Sud 22,6 15,5 14,6 17,9 Étranger 2,4 1,9 2,2 2,1 Source : Jaramillo et al. 2010 En résumé, un système d’enseignement supérieur financé par les fonds publics n’est pas nécessairement équitable, surtout lorsque l’accès est socialement sélectif ou inégalement distribué au plan géographique. Par ailleurs, si l’éducation offre des rendements d’ordre privé et social, un système éducatif entièrement financé par les étudiants pourrait s’avérer à la fois inéquitable et inefficient, car le financement privé de l’enseignement supérieur aurait des effets d’exclusion et ne permettrait pas de profiter des rendements sociaux de l’éducation. Un partage des coûts, avec une proportion de financement public et de financement privé adaptée au contexte, trouve donc des justifications économiques. La difficulté pour les pays en développement réside dans le moindre développement de leurs systèmes financiers privés comparativement aux pays de l’OCDE, de sorte financement public de l’enseignement supérieur n’est donc pas nécessairement régressif. Il est néMENAins difficile d’extrapoler les résultats constatés en France, où l’enseignement supérieur est développé, à des pays où il l’est moins. 41 que les contraintes de crédit peuvent s’avérer fortes au niveau des individus. Des études de cas nationales ont montré l’existence d’importantes contraintes de crédit pour l’éducation dans certains pays en développement, surtout au sein des ménages pauvres 2. 4.2 Premier outil de partage des coûts : les frais de scolarité Les frais d’inscription et de scolarité sont un outil de financement du coût public de l’enseignement supérieur. Leur niveau est très variable : alors que la plupart des pays du Commonwealth et les États- Unis ont une tradition ancienne de frais de scolarité moyens à élevés, l’Europe continentale, les anciennes républiques soviétiques et les autres pays anciennement socialistes, ainsi que les anciens protectorats et colonies français, espagnols et portugais, font payer des frais de scolarité nuls ou faibles aux étudiants des universités publiques. Il y a bien sûr de nombreuses exceptions à cette généralisation, mais, sur le pourtour méditerranéen, l’accès à la majorité des universités publiques est peu coûteux. En effet, à l’exception de quelques « formations parallèles », les frais d’inscription sont modiques voire nuls en Algérie, en Égypte, au Liban, au Maroc et en Tunisie (néMENAins, les étudiants étrangers doivent généralement couvrir le coût de leur éducation, même dans les universités publiques). En Égypte, les frais de scolarité ne sont élevés que dans quelques filières. Au Maroc, bien que la Charte de l’éducation nationale appelle à une « diversification des ressources », les frais restent modiques. Dans la région MENA, seules la Jordanie et l’Autorité palestinienne ont adopté une stratégie différente et comptent fortement sur les contributions privées pour financer l’enseignement public. Les frais de scolarité couvrent environ 60 % des coûts des universités en Cisjordanie et à Gaza. Ce taux est de 66 % en Jordanie, où les frais de scolarité vont de 1 500 à 3 000 USD par an, soit 45 à 90 % du PIB par habitant ; ils ont progressivement augmenté au cours des dix dernières années dans le cadre de la réduction des dépenses publiques opérée par le gouvernement. Le paiement d’avance des frais de scolarité n’a pas les faveurs des étudiants et de leurs familles, ce qui n’est guère surprenant, et la plupart des universités divisent les frais annuels en plusieurs versements afin de réduire le montant du paiement initial. Cette stratégie peut alléger les contraintes de liquidité des étudiants défavorisés en lissant les paiements et en limitant les décaissements immédiats. Dans les pays émergents, de nombreux ménages ne disposent pas d’une épargne suffisante pour payer 30 % de leur revenu annuel (coût moyen de l’enseignement supérieur) en une seule fois. En Jordanie, des bourses et des prêts sans intérêt ont été mis en place pour diminuer l’ampleur de cet obstacle à la poursuite d’études supérieures. Dans d’autres pays émergents, les bourses sont également progressives, les étudiants bénéficiant de 25, 50 ou 75 % du montant des droits d’inscription en fonction de leur milieu social, ce qui équivaut à des droits de scoalrité progressifs. Les bourses peuvent être associées aux deux systèmes décrits plus haut, bien qu’un dispositif de bourses compte généralement moins de paliers qu’un système d’impôt sur le revenu. 2 Voir Gurgand, Lorenceau et Mélonio (2011) pour une revue de la littérature et une mesure des contraintes de crédit en Afrique du Sud, déterminées suivant un protocole quasi-expérimental. D’autres expérimentations similaires ont été conduites au Mexique (Attanasio et Kaufmann, 2009). 42 Tableau 4.2 Exemples de combinaisons équivalentes de droits de scolarité, impôts et bourses Ménages à revenu Ménages à revenu Ménages à revenu Ménages à faible moyen inférieur moyen supérieur revenu élevé 1 : frais de scolarité payés / 2 : impôts payés / 3 : bourses perçues Option 1 : Frais de scolarité modulés en 0/0/0 500 / 0 / 0 1 000 / 0 / 0 1 500 / 0 / 0 fonction des ressources Option 2 : Frais de scolarité uniformes + 1 500/ 0 / 1 500 1 500 / 0 / 1,000 1 500 / 0 / 500 1 500 / 0 / 0 bourses variables Option 3 : frais de scolarité uniformes + 500 / 0 / 500 500 / 0 / 0 500 / 500 / 0 500 / 1 000 / 0 impôts sur le revenu + bourses Coût total supporté par 0 500 1 000 1 500 les ménages Source : calculs de l’auteur. Le tableau 4.2 présente un exemple théorique de l’emploi de trois instruments ; le coût de l’enseignement est artificiellement fixé à 3 000 pour une cohorte d’étudiants (divisée en quartiles de revenus). Dans toutes les situations, l’enseignement supérieur est gratuit pour les ménages à faible revenu, coûte 500 aux ménages à revenu moyen inférieur, 1 000 aux ménages à revenu moyen supérieur et 2 000 aux ménages à revenu élevé. Cet exemple montre que des systèmes de frais de scolarité différents peuvent être financièrement identiques, même si les mesures utilisées pour les mettre en œuvre sont très différentes. L’option 1 (frais d’inscription modulés en fonction des ressources) suppose que les universités puissent déterminer les moyens financiers de l’étudiant ou de sa famille ou que le barème des frais de scolarité soit fixé et appliqué à l’échelle nationale. Il en va de même pour l’option 2 lorsque la bourse est octroyée par l’université (ce peut être aussi une bourse d’État ou un chèque éducation remis par l’État). La seule différence entre ces deux options est que la seconde est plus facile à mettre en œuvre pour les universités lorsque les bourses (ou les chèques éducation) sont distribuées au niveau national, comme c’est le cas lorsqu’elles sont financées par un donateur important. L’économie politique de l’application de frais de scolarité pourrait être plus appropriée dans l’option 2 au niveau national parce qu’un État supporte le coût de frais de scolarité plus élevés mais il tire aussi des avantages d’un système de bourses ou de chèques éducation plus important. Dans la région MENA, où les universités publiques pratiquent des frais de scolarité modestes, ces options sont surtout appliquées dans les universités privées. Dans certaines universités (par exemple l’Université Saint-Joseph à Beyrouth ou à l’Université américaine du Caire), le service d’aide sociale emploie un personnel important (quinze personnes travaillent au bureau des « services sociaux » à « Saint-Joseph », 34 % des étudiants bénéficiant au moins d’une catégorie d’aide financière). Ces deux universités proposent des bourses au mérite et sur critères sociaux assez nombreuses. En Égypte, la plupart des universités privées offrent une réduction des frais de scolarité aux étudiants les mieux notés à l’examen final du secondaire (« Thanaweyya Amma »). Cependant, l’Université américaine du Caire s’efforce d’octroyer davantage de bourses sur critères sociaux que de bourses au mérite car elle estime que ces dernières sont souvent consenties à des étudiants comparativement favorisés. En Afrique du Sud, les frais de scolarité assez élevés pratiqués dans les universités publiques ont conduit à instaurer un mécanisme de prêts bonifiés ciblés sur les ménages pauvres, qui s’ajoute au dispositif de bourses plus classique. Dans l’option 3, qui se fonde sur un impôt sur le revenu progressif, l’État doit avoir un système fonctionnel d’imposition sur le revenu et pouvoir contrôler le revenu des individus. Or dans les pays où une part importante de la population active travaille dans le secteur informel, moins de la moitié de la population a un bulletin de salaire en bonne et due forme et est imposable sur le revenu. Lorsqu’il est impossible de mettre en œuvre un impôt sur le revenu, on peut recourir à d’autres types d’impôts comme un impôt sur la consommation ou un impôt à taux unique. Cependant, le 43 tableau 4.2 suppose implicitement que tous les ménages aient un accès égal à l’enseignement supérieur, alors qu’en réalité la probabilité de faire des études universitaires est moindre pour les étudiants de milieux défavorisés. Si, pour un système fiscal universel, l’accès à l’enseignement supérieur est socialement biaisé (ce qui est probable si la taxe est une TVA, par exemple), le risque de transferts implicites des ménages pauvres aux ménages riches est élevé. Dans les exemples ci-dessus, les bourses ne sont destinées qu’à couvrir les frais de scolarité, mais dans de nombreux pays, elles peuvent être également octroyées en l’absence de frais de scolarité pour couvrir le coût de la vie des étudiants nécessiteux. Des bourses directes et des repas ou des logements partiellement subventionnés peuvent être accordés à une forte proportion d’étudiants : presque un tiers des étudiants en Tunisie sont boursiers, 26 % ont accès aux restaurants universitaires et 15 % logent en résidence universitaire. Orienter l’aide sociale vers les plus défavorisés est donc un autre moyen de partager le coût de l’enseignement supérieur. Le Maroc, pour sa part, a réduit le coût des bourses et d’autres mécanismes similaires précisément en ciblant les étudiants les plus nécessiteux. 4.3 Théorie et pratique des prêts étudiants Un gouvernement pourrait envisager d’augmenter les frais de scolarité car c’est a priori la solution de partage des coûts la plus simple. Cependant, cette solution présente deux inconvénients théoriques majeurs et une importante difficulté pratique. Au plan pratique, il est difficile de demander aux étudiants ou à leur famille de supporter le coût d’un service public auparavant gratuit. Au plan théorique, les inconvénients résident : (i) dans l’existence de rendements sociaux de l’éducation et (ii) dans l’existence potentielle de contraintes de crédit. Si les rendements sociaux de l’enseignement supérieur sont supérieurs aux rendements privés, la privatisation de son financement (et non de l’offre) pourrait abaisser la demande à un niveau sous-optimal. Les étudiants ne poursuivraient leurs études que dans la mesure où cela est rentable pour eux, alors que la société pourrait bénéficier d’une population active mieux formée. Bien peu de données indiquent cependant que les rendements sociaux de l’éducation sont importants dans la région MENA3 ou supérieurs aux rendements privés. L’existence de contraintes de crédit implique que les étudiants issus de milieu défavorisé ne seront peut-être pas en mesure de financer leurs frais de scolarité avec leur épargne, mais qu’ils peuvent être également empêchés d’emprunter l’argent nécessaire par des « imperfections » des marchés du crédit et se trouver ainsi privés des nombreux avantages de l’éducation. Le cadre standard de la théorie du capital humain et des rendements de l’éducation (Mincer, 1958 et 1974) suppose que les étudiants nécessiteux peuvent toujours emprunter de l’argent pour poursuivre leurs études et pourront donc continuer d’étudier tant que les rendements de l’éducation sont supérieurs à son coût (coût d’opportunité compris). L’encadré 4.1 décrit l’expérience fructueuse des prêts étudiants consentis aux étudiants à faible revenu en Colombie. 3 Voir chapitre 2 de ce rapport et Banque mondiale (2008). 44 Encadré 4.1 Le projet colombien de prêts étudiants ACCES Contexte : l’Institut colombien pour le crédit et les études techniques à l’étranger, ICETEX, est un organisme public qui a pour mission de promouvoir l’accès à l’enseignement supérieur par des prêts étudiants. En 2001, il a mis en place une stratégie destinée à accroître le nombre de bénéficiaires de l’aide de 100 000 personnes en quatre ans. Méthodologie : les ménages colombiens ont été classés en six catégories de revenus. Les étudiants performants issus des trois catégories les plus basses pouvaient solliciter un prêt pour couvrir leurs frais de scolarité et parfois même leurs coûts de logement. Les demandes étaient notées selon le barème suivant : 25 points pour le niveau socio-économique des étudiants (seulement pour les deux catégories de revenu les plus basses), 90 points pour les performances scolaires, jusqu’à 10 points pour une inscription dans un cursus technique, 10 points pour les étudiants de première année (qui ont comparativement plus de difficultés à obtenir un prêt) et 15 points pour les formations validées par la Commission d’agrément colombienne. Conditions de prêt : pour obtenir un prêt, les étudiants admissibles des deux catégories de revenu les plus basses devaient rédiger une simple reconnaissance de dette tandis que les étudiants de la troisième catégorie avaient besoin d’une garantie financière. Le prêt lui-même était assorti d’un taux d’intérêt de 12 % – 6 % pour couvrir l’inflation, 3,5 % pour les frais administratifs et 2,5 % à titre de prime de risque de non-remboursement. Après un différé d’amortissement d’un an, le remboursement était effectué sur une durée deux fois plus longue que celle des études. Enfin, le montant des mensualités de remboursement était fixé à 16 % du revenu des individus. Résultats : de 2001 à 2006, le nombre de bénéficiaires de prêts étudiants octroyés par l’ICETEX a bondi de 48 000 à 120 000 et le pourcentage d’étudiants des deux catégories de revenu les plus basses s’est accru : leur part dans le portefeuille d’ICETEX est passée d’environ 30,4 % à 67,8 % après l’introduction d’ACCES. Enfin, le taux d’abandon moyen des bénéficiaires d’ACCES était de 8,5 % contre 28,4 % pour les non-bénéficiaires. Les différés de paiement des frais de scolarité permettent de limiter les contraintes de crédit. En fait, ils sont très proches des prêts étudiants : dans les universités publiques, ils équivalent aux frais de scolarité publics avec un prêt à taux nul consenti par l’État ; dans les universités privées, ils sont identiques à un prêt que l’étudiant rembourse à l’université après avoir obtenu son diplôme. Le tableau 4.3 décrit plusieurs stratégies de partage des coûts et leurs implications pour le budget de l’État ; il ne distingue pas les frais de scolarité différés des prêts étudiants car le fait qu’un prêt soit « distribué » par une banque (via un refinancement subventionné) ou par l’État lui-même n’en modifie pas le coût ultime pour l’État, si ce coût est identique dans les deux systèmes (coûts de distribution, remboursement et risque). La majeure partie de la littérature consacrée aux contraintes de crédit repose sur des données américaines car les données scientifiques sur les pays en développement sont malheureusement rares. Attanasio et Kaufmann (2009) ont récemment étudié ce sujet en observant les anticipations subjectives de salaire à divers niveaux d’études au Mexique. En l’absence de contraintes de crédit, la durée de scolarisation devrait augmenter si les rendements attendus de l’éducation augmentaient eux-mêmes. Mais si la demande d’éducation est contrainte financièrement, cette corrélation disparaît : certains étudiants arrêtent leurs études tout en pensant qu’ils pourraient en bénéficier. Les auteurs ont constaté que les rendements attendus étaient corrélés à la durée effective de scolarisation pour la part la plus riche de leur échantillon, mais pas pour la plus pauvre, ce qui confirme que les pauvres subissent des contraintes de crédit plus importantes, confirmant les résultats de Canton et Blom (2004). Gurgand, Lorenceau et Mélonio (2010) ont observé une quasi- 45 expérience d’octroi de prêts en Afrique du Sud et conclu que même les étudiants à revenu moyen subissaient de fortes contraintes. Dans cette situation, les étudiants dont le score de crédit était tout juste supérieur à un seuil avaient de fortes chances d’obtenir un prêt tandis que pour ceux qui avaient un score inférieur au seuil, la probabilité d’obtenir un prêt était insignifiante. Se servant de l’existence de ce seuil comme source d’identification, les auteurs ont montré que l’obtention d’un prêt étudiant augmentait la probabilité d’inscription d’environ 25 points de pourcentage, soit 50 %. Là aussi, les ménages les plus pauvres tendent à souffrir particulièrement de contraintes de crédit, en dépit d’un degré élevé de financiarisation dans le pays 4. L’impact important d’un tel mécanisme révèle l’ampleur colossale des contraintes de crédit dans les pays en développement et le faible niveau d’épargne des jeunes ménages. Les résultats robustes obtenus dans les contextes sud-africain et mexicain ne prouvent pas que les contraintes de crédit sont aussi fortes dans la région MENA, mais puisque les marchés financiers et les banques y sont moins développés que dans les pays de l’OCDE, il est très probable que de fortes contraintes de crédit existent. Dans la perspective de ce rapport, une douzaine de représentants de banques de la région MENA ont été interrogés et les produits financiers d’une douzaine d’autres ont été étudiés (Mélonio et Mezouaghi, 2010). Les rares mécanismes de prêts étudiants ciblent les étudiants à revenu moyen ou élevé. Dans un rapport récent, Johnstone et Marcucci (2010) ont examiné plusieurs dispositifs de prêts étudiants dans les pays en développement (voir tableau 4.3). 4 En Afrique du Sud, le ratio du crédit au secteur privé sur le PIB s’élevait à 88 % en 2009, un taux bien plus élevé qu’au Burkina Faso (15 %), au Cameroun (23 %), au Nigeria (26 %), au Ghana (32 %) ou au Kenya (35 %). Il indique un niveau de développement financier proche de ceux d’autres pays émergents comme le Vietnam ou la Thaïlande (entre 90 % et 100 % selon le FMI). 46 Tableau 4.3 Sélection de dispositifs de prêts étudiants dans des pays à revenu faible et intermédiaire hors région MENA Pays Prêteur Conditions Valeur Porteur du Apport du d’obtention estimée d’actif risque capital Afrique du Sud Tertiary Conditions de Modérée à Education Fund État État ressources faible for SA (TEFSA) Botswana Ministère de Dispositif l’Enseignement Faible État État général supérieur Burkina Faso Conditions de État Négligeable État État (Prêt FONER) ressources Chili Dispositif (Fondo Solidario général avec de Credito) Universités conditions de Faible État État « traditionnelles » ressources dans les universités traditionnelles Chili Dispositif Modérée à Université, Banques et (Credito de la Ley Banques général élevée suivie de l’État État 20.027) Chine Capacité de Modérée à Cosignataires Banques et (prêts bonifiés Banques remboursement élevée ou État État généraux GSSL) Colombie Conditions de État Faible État État (Access/ICETEX) ressources Éthiopie Dispositif Universités Négligeable État État général Ghana Student Loan Conditions de Modérée à Pensions des Fonds de Trust Fund ressources faible cosignataires pension Kenya Higher Education Conditions de Cosignataires Faible État Loans Board ressources ou État Tanzanie Conditions de État Faible État État ressources Thaïlande Conditions de État Faible État État ressources Turquie Conditions de État Faible État État ressources Source : Johnstone et Marcucci 2010. Johnstone et Marcucci concluent de cette analyse que « trop souvent, la valeur actualisée du flux de remboursement est totalement insuffisante pour couvrir le coût du capital et les frais de gestion et de recouvrement, et a fortiori un quelconque niveau de non-remboursement ou de défaut. Si on y ajoute les pertes résultant de défauts et d’autres causes de non-paiement – souvent très importantes, surtout dans les pays en développement – de nombreux États ne sont pas en mesure d’octroyer des prêts en nombre ou de montant suffisant pour atteindre le double objectif d’élargissement de l’accès et de partage des coûts réels ». Cependant, « s’il était possible de corriger ou d’alléger les défauts de conception en assortissant les prêts étudiants de taux d’intérêt plus raisonnables et de réduire les taux de défaut, par exemple par de meilleures pratiques de recouvrement et l’apport d’une garantie de l’État ou de cosignataires solvables ou par un certain degré de notation du risque emprunteur (par exemple, ne pas prêter aux étudiants dont le cursus d’études ou la probabilité qu’ils le finissent laissent à penser qu’un remboursement est improbable), alors – au moins en théorie – les agences de prêts aux étudiants dans les pays à revenu faible et intermédiaire pourraient faire appel aux banques et aux autres acteurs du marché des capitaux qui cherchent à mettre leurs économies à profit, au moins pour une partie du volume annuel de prêts étudiants ». Autrement dit, peu de mécanismes de prêts étudiants 47 s’autofinancent et la majorité d’entre eux ont besoin de financements publics annuels pour poursuivre leurs activités. Ce n’est pas suffisant pour conclure qu’ils ne fonctionnent pas, mais seulement que les prêts sans intérêts, les différés d’amortissement et l’absence de couverture des risques sont des caractéristiques coûteuses des mécanismes publics ou semi-publics de prêts étudiants. 4.3.1 Les prêts étudiants dans la région MENA L’éducation offrant des rendements relativement faibles dans la région MENA (en raison du taux de chômage et du faible taux d’activité des diplômés), les banques hésitent à développer des prêts à l’intention des étudiants. Certains établissements proposent néMENAins des produits financiers aux parents des étudiants, en fonction de leur revenu ou de leur capital, et destinés à couvrir le coût des études de leurs enfants. Ces prêts bancaires personnels sont en fait conçus comme des crédits à la consommation, octroyés aux conditions du marché et investis par les parents dans l’éducation de leurs enfants. Au Liban, le crédit personnel connaît depuis six ans un développement assez rapide à l’initiative des départements « banque de réseau » des grandes banques. Ces prêts sont comparables à des crédits à la consommation du point de vue des taux d’intérêt (9 à 12 % en livres libanaises et environ 200 points de base de moins en dollars) et des échéances (courtes, de deux à cinq ans). Ils ne sont pas toujours qualifiés de prêts étudiants mais les informations recueillies auprès des banques indiquent que leur personnel commercial les propose aux parents dont les enfants fréquentent un établissement scolaire ou universitaire. Les parents sont donc les emprunteurs dont les actifs ou les revenus garantissent l’emprunt. À des taux aussi élevés, peu d’investissements productifs (en capital humain ou physique) génèrent effectivement des plus-values ou permettent la mise en jeu d’un effet de levier d’endettement. Cependant, les universités privées administrent elles aussi des dispositifs de prêts, soit en interne, soit par l’intermédiaire de banques. L’Université Saint-Joseph propose ainsi un prêt interne et des accords préférentiels avec les banques. Le système interne fonctionne de la manière suivante : le service d’aide financière de l’université paie directement les frais d’inscription de l’étudiant à la faculté et permet à celui-ci de rembourser la somme due en plusieurs fois. Le dispositif d’étalement des paiments peut être un service en soi (l’étudiant paie les frais de scolarité au service d’aide financière en plusieurs mensualités) ou un service temporaire (pendant que l’étudiant attend les fonds du service d’aide financière ou d’une fondation). Le sentiment d’appartenance de l’étudiant à l’université et la forte influence de l’établissement dans le pays, qui implique que le non- remboursement est un risque et a un « coût social » élevé, sont des éléments importants de ce mécanisme. Les prêts négociés avec les banques présentent aussi des caractéristiques favorables 5 : les taux d’intérêt vont de 0 à 3 % et le début des remboursements peut être différé jusqu’à un an après l’obtention du diplôme. Certaines banques proposent aussi une assurance vie, tandis que d’autres exigent une note minimale au baccalauréat national (12/20), cela afin de sélectionner les étudiants et de limiter les prêts octroyés à ceux qui risquent de décrocher et de ne jamais rentabiliser suffisamment leur investissement dans l’enseignement supérieur. Les taux proposés sont très faibles grâce à une initiative récente de la Banque du Liban, qui prête à des taux bonifiés aux banques du pays pour diminuer le coût de ces prêts pour les emprunteurs en dernier ressort, à savoir les étudiants. Depuis deux ans, presque toutes les banques du pays proposent des prêts étudiants, ce qui indique que le développement de ce type de produits peut être relativement rapide. L’Université américaine de Beyrouth propose un mécanisme de prêt intermédié. Dans un premier temps, elle a émis quatre appels d’offres auprès des banques locales, qui leur donnaient l’exclusivité des prêts étudiants dans quatre filières : la médecine en 2003, l’ingénierie en 2004 (à partir de 5 Pour les conditions offertes par les banques, voir : http://www.usj.edu.lb/services/social/index.html. 48 l’équivalent du niveau L2), les soins infirmiers en 2005 et la gestion à compter de 2006 (également à partir du niveau L2). Ces prêts étaient complétés par des subventions versées aux étudiants nécessiteux par le service d’aide sociale de l’université. Les plus offrants ont été respectivement, HSBC, Byblos, Banque Misr Liban et Bank Med. En mars 2011, le système a été étendu à toutes les facultés dans le cadre d’un nouvel appel d’offres emporté par BLOM Bank et Fransabank. Les bénéficiaires paient un taux d’intérêt de 3 % (en livres libanaises), bénéficient d’une assurance vie et commencent à rembourser leur prêt un an après l’obtention de leur diplôme. Au total, 2 980 étudiants inscrits à l’Université américaine (soit près de 34 % des effectifs) bénéficient d’une assistance partielle (de 10 à 80 % de leurs frais de scolarité) sous forme de bourse ou de prêt bonifié, pour un montant moyen de 4 430 USD. Au cours des trois dernières années, toutes les grandes banques du pays ont mis en place des prêts à l’intention des étudiants des universités privées. En 2008, la plupart des banques étaient sceptiques du fait de l’absence d’informations sur le risque des prêts étudiants et de l’absence fréquente de garantie matérielle, et attendaient donc que leurs concurrents se risquent sur ce marché. Aujourd’hui, presque toutes s’efforcent d’attirer des étudiants afin de se constituer une clientèle fidèle pour l’avenir. Le Liban peut être considéré comme un précurseur dans la région MENA, car l’enseignement supérieur privé est ancien et bien développé (50 % des étudiants fréquentent une université privée). Au Royaume de Jordanie, le nombre de prêts étudiants s’est accru depuis trois ou quatre ans sous l’effet d’une forte augmentation de l’offre d’enseignement supérieur privé et de frais de scolarité élevés pratiqués par les universités d’État 6. Les donateurs internationaux ont favorisé ce processus, par exemple à travers la Société financière internationale (IFC) de la Banque mondiale, Omnix International et la Cairo Amman Bank, qui ont mis en place un mécanisme de prêts couvrant les frais de scolarité des universités publiques et privées. Dans le cadre de ce dispositif créé en 2008, les étudiants de premier cycle obtiennent un prêt d’environ 1 500 JOD (2 100 USD) tandis que ceux qui sont en deuxième cycle reçoivent environ 2 000 JOD (2 800 USD). Pendant leurs études et six mois après l’obtention de leur diplôme, ils ne paient que les intérêts sur leur prêt, qui doit être intégralement remboursé dans un délai de quatre ans et demi après le différé d’amortissement 7. Le gouvernement jordanien prévoit aussi de créer une Banque de prêts étudiants qui pourrait démarrer son activité fin 2011. L’expérience débuterait à l’Université jordanienne de sciences et de technologie (JUST) et servirait de modèle aux autres universités. Comme dans le cas du Liban décrit plus haut, les prêts seraient probablement émis par la banque qui remportera l’appel d’offres, non par l’État. Celui-ci apporterait la garantie à la banque et paierait les intérêts sur les prêts pour le compte des étudiants par le biais d’un « fonds de garantie » à constituer à cet effet. Les prêts ne seraient proposés qu’aux étudiants dont la discipline principale correspond à un besoin du marché du travail. Les détails du projet n’étaient pas publiés début 2011, mais le gouvernement espère permettre à deux tiers des étudiants environ de faire financer leurs études par des bourses ou des prêts sans intérêt d’ici 2014. En Égypte, la restructuration relativement récente du secteur bancaire et l’émergence consécutive de services bancaires aux particuliers n’ont pas encore donné naissance à une offre de services bancaires beaucoup plus développés que les produits de crédit à la consommation ou les prêts personnels (avec garantie). Toutefois, l’IFC et Crédit Agricole Égypte ont mis en place un dispositif 6 Selon University World News, « de nombreux candidats aux études ne peuvent pas assumer les coûts des études : les frais de scolarité annuels dans les universités privées sont proches de 3 500 JOD (4 903 USD), tandis que les universités publiques demandent 1 000 JOD (1 401 USD) pour les places subventionnées et 2 300 JOD (3 222 USD) à plein tarif ». 7 Plus précisément, Cairo Amman Bank gère le marketing et l’administration et la fondation Omnix International s’est engagée à financer une partie des créances non recouvrables. L’IFC a également lancé un dispositif similaire en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza en 2008. 49 conjoint de prêts étudiants en 2009. En association avec les fondations Al-Noor Magrabi, Sawiris Foundation for Social Development et Al-Alfi, les deux banques couvrent une partie des coûts potentiels de ce dispositif. À bien des égards, le développement de la finance pour l’éducation en Égypte est encore timide. La récente montée en puissance de l’offre d’enseignement supérieur privé, l’existence d’un service public gratuit et la récente privatisation des banques ont retardé le développement de mécanismes de financement élaborés, mais ils apparaissent aujourd’hui grâce à l’action des donateurs internationaux, des fondations nationales et des banques commerciales privées. Dans cette phase précoce du développement financier, les prêts étudiants ne sont habituellement consentis qu’à des familles à revenu intermédiaire supérieur ou à des familles aisées, sont plus difficiles à obtenir pour les étudiants en première année (en raison des taux d’abandon plus élevés et donc d’un risque plus élevé) et sont rarement accessibles dans les filières où l’insertion professionnelle est difficile. En Tunisie et au Maroc, étant donné la prédominance de l’enseignement public gratuit, les prêts étudiants intéressent peu les banques. En Tunisie, afin de réduire le coût de l’aide financière sous conditions de ressources, un crédit réglementé est proposé pour financer les études dans l’enseignement public à prix fixe (100 points de base au-dessus du taux du marché monétaire). Les banques locales ont récemment commencé à commercialiser des services financiers complémentaires. L’Union bancaire pour le commerce et l’industrie (UBCI) développe ainsi un produit de crédit universel (qui ne s’adresse pas spécifiquement aux étudiants), essentiellement destiné à fidéliser une clientèle jeune par un prêt associé à un plan d’épargne (Plan épargne Lauréat) et un prêt associé à une offre de services groupée comprenant notamment l’ouverture d’un compte et l’émission d’une carte de crédit (un produit destiné aux jeunes de moins de 25 ans). Depuis 2009, la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT) commercialise un prêt destiné aux étudiants (Najah). Ce produit est lui aussi associé à un plan d’épargne permettant d’obtenir un prêt sur trois ans à un taux établi à 200 points de base au-dessus du taux du marché monétaire. Le prêt, qui peut aller jusqu’à 15 000 TND (environ 7 500 EUR) dans la limite de trois fois le montant épargné, est décaissé trimestriellement. Il est remboursable sur six ans (dont un an de différé de paiement) après le dernier décaissement trimestriel. La banque Attijari propose elle aussi aux étudiants en master un prêt associé à un plan d’épargne (Mostakbali), assorti d’un taux d’intérêt de 2,5 % au-dessus du taux du marché monétaire (TMM). Le prêt est limité à deux fois le montant de l’épargne et doit être remboursé dans les cinq ans suivant l’obtention du diplôme. De manière générale, les banques tunisiennes structurent les prêts étudiants comme les prêts à la consommation, mais avec des marges moindres. Il faut noter que l’UBCI considère que le risque des prêts à la consommation est relativement faible, avec un taux d’arriérés de paiement de 10-12 % et un taux de défaut final de seulement 3 à 4 %. Au Maroc, le gouvernement a mis en place un fonds de garantie (Enseignement plus, établi en 2007) dans le cadre duquel la Caisse centrale de garantie garantit 60 % du montant des emprunts contractés par les étudiants auprès de banques marocaines à concurrence de 20 000 MAD par an (2 560 USD ou 1 770 EUR). Ce régime vise les étudiants marocains de moins de 25 ans qui étudient les TIC, l’électronique, l’électricité et la mécanique, la finance, la comptabilité et la gestion. L’État peut garantir jusqu’à cinq prêts par étudiant (soit un maximum de 100 000 MAD) avec un différé d’amortissement maximum de cinq ans, le taux d’intérêt étant négocié entre l’étudiant et la banque « en tenant compte de la garantie de l’État ». Le coût du mécanisme pour l’emprunteur est de 1,5 % du montant garanti. Cependant, cet outil financier est assez peu utilisé en raison du faible développement de l’enseignement supérieur privé au Maroc (qui n’accueille que 10 % des étudiants en 2010-11, malgré un objectif de 20 % fixé dans la Charte de l’éducation nationale de 2000). Compte tenu de la situation en Cisjordanie et à Gaza, les ressources publiques allouées à l’enseignement supérieur sont modestes et le système compte fortement sur les droits d’inscription payés par les étudiants, qui couvrent 60 % des frais de fonctionnement des universités. La demande d’enseignement supérieur est en forte progression depuis quelques dizaines d’années et le nombre d’étudiants a plus que triplé en dix ans. Avec les bourses pour les familles les plus nécessiteuses, les 50 prêts étudiants sont le principal mécanisme d’aide financière apportée par l’État aux étudiants. Un dispositif de prêt a été mis en place par le biais du Student Revolving Loan Fund (SRLF) et au premier semestre de 2007/2008, plus de 24 000 étudiants ont bénéficié de l’aide du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Il existe parallèlement un dispositif de prêts privés financé et géré par la Banque de Palestine et la Société financière internationale (IFC). La banque avance le montant du prêt aux universités et aux facultés chaque semestre, sur la base de la demande de prêts et des critères d’admissibilité des étudiants (qui doivent avoir une note moyenne minimale de 70 %). Les étudiants ont un compte à la banque, sans frais pour eux. Les banques collectent automatiquement les paiements mensuels et les envoient au Fonds. Ensemble, ces deux dispositifs accordent des prêts pouvant atteindre 600 JOD par semestre aux étudiants de toutes les filières. Des mensualités égales à 4 % du montant du prêt sont payables immédiatement et tout au long de la durée des études. Tous les étudiants bénéficient d’un différé de remboursement de deux ans après l’obtention du diplôme, avec les mêmes mensualités que pendant les études. Lorsqu’ils trouvent un emploi, le prêt doit être remboursé à raison de 10 % du revenu par mois. L’étudiant doit avoir un garant « moral », habituellement un membre de la famille, qui doit se déplacer personnellement à l’université ou à la faculté (ou le cas échéant, à la banque commerciale) pour signer le contrat de prêt aux côtés de l’étudiant. En fonction des conditions contractuelles négociées avec les banques commerciales, des frais de gestion de 2 à 3 % peuvent être facturés. Le remboursement commence lorsque le revenu atteint un minimum spécifié (seuil) et est ramené au paiement minimum s’il cesse ou tombe au- dessous du seuil. Ce type de prêt contingent aux revenus est très rare dans les pays en développement, mais l’Afrique du Sud offre un exemple intéressant de ce mécanisme avec le dispositif du NSFAS (National Student Financial Aid Scheme)8. Le NSFAS est un établissement public qui octroie des prêts aux étudiants issus de ménages défavorisés (revenu annuel inférieur à 120 000 ZAR (17 300 USD) en 2011). Le taux d’intérêt est subventionné par l’État et donc nettement inférieur à celui des banques commerciales : il était en 2011 de 2 % au-dessus de l’inflation, soit 5,2 %. Les remboursements commencent après l’obtention du diplôme, lorsque le salaire de l’emprunteur est supérieur à 59 300 ZAR. Ce système est en fait très proche d’un impôt sur le revenu complémentaire, les taux de remboursement allant de 3 à 8 % du salaire. Jusqu’à 40 % du principal d’un prêt NSFAS peuvent être convertis en bourse lorsque l’étudiant réussit ses études. Bien entendu, les contingences de revenus et de réussite des études ont un coût pour l’État, mais ce mécanisme est sans doute le dispositif public de prêts le plus élaboré mis en place dans un pays émergent. En Colombie, l’agence nationale des prêts étudiants, ICETEX, propose elle aussi des prêts sur critères sociaux : plus de 60 000 étudiants des deux catégories socio- économiques les plus basses ont obtenu un prêt ACCES au cours des trois dernières années avec l’appui de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Le coût de ces options de remboursement est présenté au tableau 4.4. 4.3.2 Obstacles au développement des prêts étudiants L’offre de services et de produits financiers dédiés à l’enseignement supérieur se développe depuis quelques années dans la région MENA. Il y a seulement trois ans, les mécanismes de prêts étudiants étaient extrêmement marginaux et plus comparables à des frais d’inscription différés (dans les universités privées) ou à des prêts à la consommation. Aujourd’hui, les prêts études sont plus fréquents, surtout dans les pays où les frais de scolarité sont élevés (Jordanie, Cisjordanie et Gaza par exemple) ou dont l’offre d’enseignement supérieur privé est développée (comme le Liban). Au Liban comme en Égypte et en Jordanie ou dans une moindre mesure en Tunisie, les mécanismes de prêts financés par les universités (principalement des établissements privés) révèlent un certain empilement des rôles au sein des universités. Presque tous ces mécanismes constituent, volontairement ou non, un portefeuille de prêts à l’université (à travers l’acceptation de paiements 8 Pour plus d’informations, voir www.nsfas.org.za. 51 différés ou l’octroi de prêts directs) et des garanties (en fixant des frais d’inscription élevés mais sans que les montants recouvrés atteignent le niveau théorique des frais d’inscription). Dans le deuxième cas, l’université est le garant en dernier ressort de chaque étudiant, car c’est elle qui supporte in fine le coût du non-remboursement. L’externalisation de la gestion des prêts engendre à priori des coûts de transaction plus faibles et libère les universités du travail de gestion des arriérés. Cette tendance à l’externalisation est aujourd’hui prédominante dans la région. Le développement du financement bancaire9 se heurte pour sa part à trois obstacles, avec des variantes d’un pays à l’autre : (1) Profondeur/maturité insuffisante du marché. Dans les pays où l’enseignement privé demeure une exception (Tunisie) ou marginal (Égypte, Maroc), le marché des prêts étudiants manque de profondeur, ce qui explique l’insuffisante maturité de l’offre financière. Pour que des mécanismes de prêts étudiants soient financièrement viables et puissent se développer, le volume (profondeur) du marché national du crédit doit être suffisant pour concevoir des produits financiers avec des coûts d’exploitation raisonnables. Le volume du marché des prêts étudiants dépend : (i) du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur (ii) de la part du financement privé dans la dépense totale d’enseignement supérieur et (iii) de la taille et de la densité de la population du pays. Il est difficile de dégager une règle générale de ces trois paramètres mais lorsque le produit du « taux d’accès à l’enseignement supérieur » par la « part du financement privé dans la dépense d’enseignement supérieur » est inférieur à 5 %, les prêts étudiants restent généralement sous-développés. Une offre importante peut apparaître lorsque le produit du nombre d’étudiants par la part du financement privé se situe entre 5 et 10 % ( lorsque le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur est égal à 30 % et que la part du financement privé atteint 17 %, le produit des deux est égal à 5,1 %). En Égypte, en Tunisie ou au Maroc, les prêts étudiants restent assez rares, sauf dans les régions où la forte densité d’étudiants peut permettre à un système de prêts local de fonctionner dans un créneau limité. Les prêts étudiants sont généralement proposés et développés à un stade assez tardif du processus de massification de l’enseignement supérieur, lorsque les banques s’intéressent davantage à la « clientèle » étudiante. Ce marché n’est pas encore totalement structuré dans la région MENA. Dans la plupart des cas, excepté pour certaines banques libanaises ou jordaniennes, les produits de prêts coïncident le plus souvent avec des produits de crédit à la consommation. L’approche des banques est davantage une question de choix stratégique que de contrainte technique. Bien qu’il existe des outils relativement élaborés de suivi des portefeuilles (en particulier, l’accès à une banque centrale de données sur les dossiers individuels et à un système de note de crédit), les banques tunisiennes ont très clairement adopté une logique de produits universels, largement accessibles. De plus, les autorités monétaires n’offrent que peu d’incitations pour les banques à contribuer au financement de l’éducation. Une possibilité serait d’exonérer les banques qui prêtent aux étudiants de leurs obligations de réserve légale à hauteur de leur portefeuille de prêts. Cette mesure permettrait d’abaisser le taux d’intérêt proposé au bénéficiaire final de 100 à 200 points de base selon les contraintes réglementaires nationales. La Banque du Liban administre, pour le compte du ministère des Finances, des subventions de taux d’intérêt pouvant atteindre plusieurs centaines de points de base pour refinancer les portefeuilles proposés par les banques ; dans d’autres pays, le Trésor pourrait jouer un rôle similaire, en particulier pour développer la demande éducative dans les filières de priorité nationale. 9 Dans une récente enquête de la Banque mondiale basée sur des focus groups, près de 80 % des étudiants jordaniens interrogés considéraient que les taux d’intérêt étaient un problème, même si la moitié de ce sous- groupe juge acceptable de payer l’inflation ou les frais bancaires. Parmi ceux qui ne veulent pas payer d’intérêts, 75 % pensent que l’État pourrait néMENAins payer ces intérêts ou garantir le risque de défaut pour limiter la nécessité d’un taux d’intérêt. Des considérations morales, religieuses et financières peuvent expliquer les réticences des étudiants à payer des intérêts. 52 (2) Faible rentabilité (supposée) des prêts étudiants. Le volume initialement faible des prêts étudiants réduit effectivement leur rentabilité, en supposant qu’un marché plus développé réduirait les coûts fixes associés au développement de nouveaux produits bancaires spécialisés. À cela s’ajoutent deux facteurs : la nature du produit bancaire « prêt étudiant », dont la valeur unitaire est limitée, et l’arbitrage de la banque en faveur d’investissements potentiellement plus rentables. Le récent développement des prêts étudiants au Liban indique pourtant que lorsqu’un dispositif de prêt étudiant est lancé, même s’il se limite à quelques universités et filières d’études, il connaît une expansion rapide. Cependant, une fois que la plupart des banques ont développé le produit, l’accès au crédit peut être limité aux ménages à revenu moyen supérieur et à revenu élevé, comme l’a montré le travail de recherche cité plus haut 10. Selon les propos recueillis dans le cadre d’entretiens menés dans la région, les banques ciblent les étudiants des familles à revenu élevé, à la fois pour limiter les risques de crédit et pour conforter leurs liens avec les parents. (3) Aversion des banques au « risque étudiant ». Les banques de la région hésitent à prendre des risques de crédit sur les prêts étudiants même si la plupart considèrent que ce marché offre un fort potentiel à moyen terme. Les établissements prêteurs (banques, institutions de microfinance ou universités) doivent pouvoir limiter le risque de défaut. Dans les pays émergents, dont l’économie est en grande partie informelle, le risque de non-remboursement que présente un prêteur est difficile à estimer ex ante. Les établissements qui prêtent aux étudiants commencent donc habituellement à réserver les prêts aux clients à revenu élevé qu’ils connaissent déjà (le plus souvent les parents) et développent leur offre lorsqu’ils ont des moyens pour mesurer et limiter le risque de crédit. Les prêteurs doivent développer les moyens économiques, juridiques et sociaux pour se faire rembourser. Dans certaines universités, l’obtention du diplôme peut être conditionnée au paiement des frais de scolarité mais le plus souvent, les banques ou institutions de microfinance recherchent des garanties plus traditionnelles. L’octroi d’un prêt reste donc presque exclusivement conditionné à l’apport d’une garantie et à la preuve de la possession d’actifs (une garantie est donc systématiquement requise, le plus souvent apportée par un proche parent) ou d’autres mécanismes pour supporter le risque, tels ceux développés par les institutions financières internationales ou les fondations philanthropiques. De manière générale, les prêts sont accordés aux individus qui offrent les meilleures garanties plutôt qu’aux plus talentueux, une situation comparable à celle qui prévaut en matière de financement des PME. Le taux de chômage massif des jeunes est une des explications à ce phénomène : le rendement de l’éducation n’est pas le motif principal de l’octroi d’un prêt étudiant. Au contraire, les banquiers préfèrent prêter aux enfants des familles riches pour recruter de nouveaux clients de milieux favorisés et les conserver longtemps. Dans des pays où les taux d’abandon des études sont élevés, les banques sont en outre moins enclines à proposer des prêts aux étudiants de première année. Les notes obtenues au lycée n’étant pas un indicateur suffisamment fiable du risque d’abandon, de nombreuses banques ciblent les étudiants de deuxième année, en partant du principe que le risque d’échec est moindre. La migration internationale fait elle aussi obstacle au développement des prêts étudiants car le recouvrement est plus difficile lorsque les emprunteurs sont à l’étranger. 10 Voir Attanasio et Kaufmann (2009) et Gurgand et al (2010). 53 Tableau 4.4 Comparaison des différents scénarios de coûts publics en fonction des stratégies de partage des coûts Part des coûts Part des coûts Coût total pour payée par l’État. payée par l’État. l’État Option 1 : Option 2 : Année coefficient coefficient N+1 N+2 N+3 N+4 N+5 N+6 N+7 N+8 N d’actualisation d’actualisation =5% =10% (A) Option (B) (C) Coût public nominal des études (une valeur positive signale un coût positif pour l’État) 100,0 100,0 100,0 1) Totalité des coûts de l’enseignement supérieur payée 0,0 0,0% 0,0% comptant par les étudiants 0,0 0,0 0,0 2) Totalité des coûts payée par les étudiants, prêts sans intérêt 25,0 23,8 22,7 -10,8 -10,3 -9,8 -9,3 -8,9 -8,5 13,9 4,9% 8,6% pour 25 % de la population 3) Totalité des coûts payée par les étudiants, prêts sans intérêt 100,0 95,2 90,7 -43,2 -41,1 -39,2 -37,3 -35,5 -33,8 55,8 19,5% 34,2% pour tous les étudiants 4) Moitié des coûts payée par les étudiants, prêts sans intérêt 62,5 59,5 56,7 -5,4 -5,1 -4,9 -4,7 -4,4 -4,2 149,9 52,4% 54,3% pour 25 % seulement de la population 5) Moitié des coûts payée par les étudiants, prêts sans intérêt pour seulement 25 % de la population, taux de remboursement 70,0 66,7 63,5 -4,3 -4,1 -3,9 -3,7 -3,6 -3,4 177,1 61,9% 63,4% des prêts et des frais d’inscription de 80 % 6) 25% des coûts payés par les étudiants, prêts sans intérêt pour 100,0 95,2 90,7 -10,8 -10,3 -9,8 -9,3 -8,9 -8,5 228,4 79,9% 83,6% tous 7) 25 % des coûts payés par les étudiants, prêt sans intérêt pour 100,0 95,2 90,7 -5,4 -5,1 -4,9 -4,7 -4,4 -4,2 257,2 89,9% 91,8% tous, 50 % de remboursement effectif des prêts 8) Coût public actualisé d’un financement public à 100 % 100,0 95,2 90,7 285,9 100,0% 100,0% Source : calculs de l’auteur. 54 Le tableau 4.4 compare divers mécanismes de financement allant du coût le plus faible pour l’État au plus élevé. Dans cette construction théorique, le coût nominal de l’éducation est fixé de manière normative à 100, répété trois fois (soit trois ans en supposant que l’unité temporelle est l’année). Dans l’option 1, le coût de l’éducation est intégralement pris en charge par les étudiants ; la part du coût à la charge de l’État est donc nulle et le coefficient d’actualisation public ne modifie pas le coût public (colonnes B et C). Cette situation correspond, soit à un système éducatif totalement privatisé, soit à des frais de scolarité égaux au coût de l’éducation dans les universités publiques. Dans ce scénario, de nombreux étudiants de milieu défavorisé seront exclus de l’enseignement supérieur et l’optimum social en termes d’enseignement supérieur ne sera peut-être pas atteint en présence de marchés du crédit pour l’éducation incomplets et imparfaits. Dans l’option 2, le quatrième quartile d’étudiants bénéficie de prêts à taux zéro. Le coût de cette politique est fonction du coefficient d’actualisation (généralement, le taux d’intérêt payé par l’État sur sa dette souveraine), mais il reste modeste (4,9 à 8,6 % du coût total). Dans l’option 3, les frais de scolarité sont égaux aux coûts d’éducation, mais les prêts sans intérêt sont universels. Le coût de cette politique varie considérablement en fonction du coefficient d’actualisation, mais il est élevé lorsque les taux d’intérêt sont élevés. Cette option équivaut à des frais de scolarité différés mais sans intérêts qui sont versés à l’État par les étudiants à la fin de leurs études. L’allègement pour les étudiants de la contrainte de crédit et la diminution des coûts d’opportunité peuvent donc représenter un coût compris entre 20 et 35 % du coût total de l’enseignement. L’option 4 indique le coût public lorsque les étudiants paient la moitié du coût total de l’enseignement supérieur avec un mécanisme de prêt pour le quartile inférieur des étudiants. Cette situation est comparable à celle de la République d’Afrique du Sud. Dans cette option, l’État paie à peu près la moitié du coût de l’enseignement. L’option 5 envisage la possibilité de non-remboursement partiel des prêts ou des frais de scolarité, par exemple sur la base du mérite, dans la mesure où aucun système de prêt ne peut garantir un taux de remboursement de 100 %. Cette option correspond approximativement à la situation sud- africaine décrite plus haut. Dans ce scénario, l’État finance un peu plus de 60 % du coût total de l’éducation, tout en subventionnant les prêts pour les étudiants nécessiteux et en encourageant la réussite scolaire par des remises sur les frais d’inscription ou la conversion des prêts en bourses pour les étudiants les plus brillants. L’option 6 répète cette opération mais cette fois-ci, les étudiants ne paient que 25 % du coût de leur éducation, avec un mécanisme de prêts universels subventionnés. L’option 7 est très généreuse pour les étudiants puisqu’ils ne paient que 25 % du coût réel de leur éducation, qu’ils bénéficient de prêts sans intérêt et que la moitié des prêts sont convertis en bourses. Dans cette situation, l’État paie in fine 90 % du coût de l’éducation. Enfin, l’option 8 présente le coût actualisé de l’éducation lorsque l’État prend en charge la totalité du coût de l’éducation. Ce tableau peut aider à concevoir un mécanisme de partage des coûts ou une transition entre deux options de partage des coûts. Il serait tentant de formuler des recommandations mais les données n’indiquent pas véritablement qu’un type de partage des coûts est supérieur à un autre. Il est néMENAins possible de formuler des remarques d’ordre général. Tout d’abord, l’universalisation des prêts étudiants sans intérêt est très coûteuse lorsque les taux d’intérêt sont élevés. Des mécanismes tels que les différés de frais de scolarité pourraient donc être plus coûteux que prévu lorsque cette possibilité est offerte à tous les étudiants. Ensuite, le partage des coûts doit être associé à une amélioration qualitative de l’éducation, sinon il sera très difficile de justifier que des étudiants paient plus cher pour un service « low cost », de qualité médiocre. Si le financement privé de l’enseignement supérieur augmente sans élévation du niveau de prestations offertes, alors une telle réforme sera difficilement acceptée. D’autre part, tout mécanisme de prêt doit être conçu en partant du principe que certains prêts ne seront pas remboursés, soit volontairement (parce que les prêts sont convertis en bourse sur la base des bons résultats des étudiants), soit involontairement, parce que les étudiants ne seront pas tous capables de rembourser leur prêt, même si le remboursement est basé sur la fiscalité. Enfin, le tableau ci-dessus est théorique et ne comprend pas 55 les coûts de gestion associés à chaque système. Si on en tenait compte, l’option 7 ne serait peut-être pas viable car les coûts de transaction pourraient la rendre plus coûteuse pour l’ensemble de la société. 4.4 Quel avenir pour le partage des coûts dans la région MENA ? L’augmentation du nombre d’étudiants est appelée à se poursuivre dans les années à venir dans presque tous les pays de la région MENA, même si une décélération de la croissance pourrait être observée dans certains pays. On peut donc penser que les problèmes liés à une diminution de la dépense publique par étudiant ne trouveront vraisemblablement pas de solution dans un proche avenir. La nécessité de trouver d’autres ressources (et de mieux les employer) sera tout aussi pressante dans les pays d’Afrique du Nord que dans les pays du Moyen-Orient non membres du Conseil de coopération du Golfe. Dans ce contexte, il est probable que la forte augmentation de l’offre d’enseignement supérieur privé et du coût pour les familles de l’éducation dans les universités publiques (frais de scolarité et coûts de la vie) favorisera le développement de mécanismes de prêts. Ce chapitre a examiné plusieurs expériences conduites dans la région, dont on peut tirer les conclusions suivantes :  Il est probable que l’offre privée augmentera plus rapidement que l’offre publique, ce qui entraînera une hausse des frais de scolarité moyens payés par les étudiants et leur famille. Les universités publiques elles-mêmes tenteront sans doute de trouver d’autres ressources privées, sous forme de contributions directes du secteur privé ou de frais de scolarité directs ou indirects dans certaines filières choisies (sélectives ou au niveau Master par exemple).  Les prêts ciblés sur les étudiants à faible niveau de revenu sont indispensables pour élargir l’accès à l’éducation lorsqu’une forte proportion d’étudiants sont inscrits dans des universités privées ou que les universités publiques demandent des frais de scolarité élevés. Peu d’universités publiques sont officiellement autorisées à demander des droits d’inscription, mais ce principe n’est pas nécessairement vérifié dans toutes les filières ni à tous les niveaux d’études. Les étudiants doivent généralement payer les cours du soir et de week-end ou couvrir des coûts d’éducation indirects, ce qui peut biaiser la sélection des étudiants.  Tant que la part de l’enseignement supérieur privé reste inférieure à 10 %, les mécanismes de prêts étudiants offrent peu d’attraits pour les banques car la clientèle potentielle est trop modeste. Cependant, une fois que les universités privées commencent à croître en taille et en nombre (voir chapitre 5), les prêts étudiants sont proposés par un plus grand nombre de banques et peuvent être également offerts à des employés du secteur public qui souhaitent acquérir de nouvelles compétences. Dans le secteur public, malgré l’aversion théorique des individus au risque, les salariés pourraient trouver acceptable d’emprunter pour poursuivre leurs études, car ils peuvent bénéficier de clauses juridiques leur garantissant un emploi dans leur administration d’origine et une promotion automatique s’ils obtiennent leur diplôme.  Les mécanismes de prêts étudiants subventionnés par l’État peuvent se révéler coûteux lorsque le taux d’intérêt demandé ou le taux de remboursement sont faibles. Cependant, ce type de dispositif reste moins coûteux qu’un système d’enseignement supérieur entièrement gratuit…  Les prêts contingents aux revenus futurs sont théoriquement une bonne solution pour attirer des étudiants issus de milieux défavorisés qui sans cela pourraient être dissuadés d’investir dans leur éducation. Cependant, la pertinence des prêts contingents traditionnels n’est pas évidente lorsqu’une part importante de l’économie et des salaires est informelle et qu’un État a des difficultés à évaluer le revenu de tous ses habitants. Dans ce contexte, les 56 prêts hybrides (voir Johnstone et Marcucci, 2010) avec des obligations de remboursement échelonnées et contingentes au revenu peuvent être plus adaptés. Les systèmes d’enseignement supérieur « low cost » sont coûteux à la longue. L’appauvrissement des universités est souvent la conséquence de la diminution de la dépense publique par étudiant et d’un manque d’effort pour trouver des fonds privés. Ce scénario conduit naturellement à une baisse de qualité de l’éducation et à un fort taux de chômage des jeunes. Si les mesures consistant à augmenter les frais de scolarité, instaurer des mécanismes de prêt, attirer des fonds privés ou favoriser le développement du secteur privé peuvent sembler a priori peu attrayantes, ce sont des options de politique publique qui devront néMENAins être examinées de près, même dans les pays ayant une longue tradition d’enseignement supérieur financé par l’État. 57 Chapitre 5 : Le rôle de l’offre privée dans la viabilité financière, l’accès, la pertinence et la qualité de l’enseignement supérieur Comme on l’a vu dans les chapitres précédents, l’intervention du secteur privé dans l’enseignement supérieur permet de développer l’offre sans augmenter la dépense publique. On notera que le développement de l’offre privée se distingue de la privatisation de l’enseignement supérieur, qui impliquerait un changement de statut des établissements d’enseignement en organismes privés. Le débat idéologique (et économique) sur la nature de bien public, privé ou mixte de l’enseignement supérieur demeure fortement polarisé. D’un côté, certains avancent que l’enseignement supérieur forme les dirigeants de demain et que c’est l’ensemble de la société qui tire avantage de citoyens cultivés, engagés et bien formés ; dès lors, l’État doit prendre les dépenses de l’enseignement supérieur à sa charge afin de garantir l’avenir du pays. Cet argument est souvent lié à la nécessité de préserver ou d’instaurer une fiscalité progressive pour conférer une certaine équité au système : avec une fiscalité progressive, ceux qui gagnent beaucoup, qui auront sans doute bénéficié de l’enseignement supérieur, paient plus d’impôt et contribuent donc davantage à son financement1. De l’autre côté, d’autres soutiennent que l’enseignement supérieur débouche sur de meilleurs emplois, mieux rémunérés (ce que l’on appelle la « prime salariale liée à l’éducation » ou les rendements privés de l’éducation) et de meilleures perspectives ; sans cela, les étudiants ne poursuivraient pas, ou moins, leurs études. L’existence d’importants rendements privés justifierait donc la privatisation au moins partielle du financement de l’enseignement supérieur. Un autre argument récurrent est que, contrairement à des croyances courantes, l’enseignement supérieur public général favorise les étudiants en moyenne plus aisés et nuit ainsi à l’équité d’une société 2. Différentes études conduites au fil du temps ont montré que l’enseignement supérieur offre à la fois des rendements d’ordre social et privé ; la différence estimative entre ces deux types de rendements dépend de la méthodologie retenue, mais elle tient souvent à la difficulté inhérente à la quantification des rendements sociaux et à la diversité des définitions (prise en compte ou non des externalités, coûts précis inclus, etc.) 3. L’expérience de la plupart des pays montre que l’offre publique d’enseignement supérieur peut coexister avec une offre privée, chacune ayant ses spécificités et sa valeur ajoutée ; autrement dit, l’enseignement supérieur privé peut compléter l’enseignement public. Son existence soulève néMENAins un ensemble de questions qui sont examinées dans les pages qui suivent. Après une brève explication des principaux concepts de l’enseignement supérieur privé et de la situation qui prévaut aujourd’hui en la matière dans la région MENA, ce chapitre abordera la mesure dans laquelle l’enseignement supérieur privé en général, et dans la région MENA en particulier, peut : (i) conforter la viabilité financière du système ; (ii) élargir l’accès à l’enseignement supérieur et (iii) améliorer l’efficacité et la qualité du système d’enseignement supérieur. 5.1 Enseignement supérieur privé : concepts et acteurs Les politiques éducatives reflètent la culture, les valeurs et l’histoire d’une société, un prisme qui détermine également l’espace donné au développement de l’enseignement supérieur privé. Les contraintes budgétaires ont poussé les gouvernements de la région MENA à reconsidérer et à progressivement accueillir le développement d’un secteur privé viable de l’enseignement supérieur, 1 Voir Allègre et al (2010) sur l’effet redistributif des dépenses d’éducation et de leur financement. 2 Voir Blöndal et al (2002/I) pour un intéressant exposé des rendements de l’enseignement supérieur, de l’équité et de questions apparentées. 3 Pour une étude plus détaillée des méthodologies de calcul des taux de rendement, voir Psacharopoulos et Patrinos (2004). 58 malgré une préférence traditionnelle pour l’enseignement public. Les taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur privé restent faibles par rapport à d’autres régions du monde comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud, mais ils augmentent. Les réformes adoptées depuis quelques années, alliées à l’excédent de la demande d’éducation observé actuellement, entraîneront probablement une progression forte et durable de l’enseignement supérieur privé. Sauf quelques exceptions notables4, le développement de l’enseignement supérieur privé est un phénomène récent dans la région MENA. Cette région est marquée par une forte hétérogénéité : certains pays commencent seulement à recourir au secteur privé alors que d’autres, tels le Liban, y font appel depuis longtemps. Le Liban est un cas particulièrement intéressant dans lequel les premiers établissements privés, qui ont été créés pour des motifs religieux et culturels, ont initialement reproduit les programmes et structures des établissements publics de qualité, puis sont eux-mêmes devenus la référence et les plus répandus (en nombre d’établissements et d’inscriptions) 5. La plupart des pays du Golfe producteurs de pétrole représentent un autre cas intéressant : la volonté politique de diversification de ces économies a conduit à nouer des partenariats public-privé (PPP) avec des universités étrangères afin de développer le marché de l’enseignement supérieur. En raison de leur structure actionnariale, les prestataires privés tendent à être plus « politiquement indépendants » que les établissements publics. Cette différence de gouvernance peut permettre une plus grande souplesse et une meilleure réactivité aux besoins du marché, mais elle peut être aussi source de frictions (entre les objectifs de gestion (financiers) et les valeurs professionnelles du personnel enseignant par exemple). Après avoir distingué les établissements d’enseignement à but lucratif et sans but lucratif, la partie qui suit établira une typologie des établissements d’enseignement supérieur privés par catégorie et par offre de diplômes (voir figure 5.1). 4 Pour un panorama plus général des tendances mondiales, région par région, voir le chapitre 6 « Private Higher Education and Privatization » du rapport Trends in Global Higher Education, UNESCO (2009). 5 À ce jour, l’Université libanaise est l’unique université publique du Liban ; elle accueille néMENAins près de la moitié des étudiants de l’enseignement supérieur du pays (voir encadré 3.1 au chapitre 3). 59 Figure 5.1 Classification des établissements d’enseignement supérieur privés Par orientation : • À but lucratif • Sans but lucratif Par catégorie : • Élite et quasi-élite ; • Religieux ou culturel ; • Non élite / absorption de la demande ; • Partenariats publics-privés Par offre de diplômes : • Universités privées • Enseignement post-secondaire spécialisé privé • Enseignement technique et professionnel post-secondaire • Formations préparatoires aux examens et cours particuliers • Formations courtes d’insertion ou formations continues pour cadres • . Source : compilation de l’auteur à partir de Levy 2009. 5.1.1 Classification des acteurs par l’orientation : avec ou sans but lucratif Une première distinction générale peut être opérée entre les établissements privés avec et sans but lucratif. Les premiers sont moins nombreux que les seconds, cet écart tenant avant tout à la crainte de voir l’éducation devenir un produit de consommation commerciale, dont le processus productif serait tout entier tourné vers l’efficience, la valeur pour l’actionnaire et les bénéfices. C’est la raison pour laquelle des législations ont été adoptées tout autour du monde pour encadrer le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur à but lucratif. Ces restrictions peuvent néMENAins présenter des inconvénients. En particulier dans les pays où les établissements à but lucratif ne sont pas autorisés ou sont frappés de restrictions, la littérature évoque tout un ensemble d’acteurs sans but lucratif qui agissent en réalité comme s’ils poursuivaient un but lucratif (« non-profits in disguise ») (Levy, 2009). Ce débat a été particulièrement vif en Égypte par exemple, car les établissements avec et sans but lucratif n’étaient pas soumis au même régime fiscal ; les premiers étaient imposés sur la valeur ajoutée (c’est-à-dire le volume annuel des ventes net des achats et de la taxe sur le chiffre d’affaires), tandis que les seconds ne payaient pas d’impôts. On reproche souvent à l’enseignement à but lucratif de privilégier la quantité (le chiffre d’affaires étant la motivation première) aux dépens de la qualité. Certains économistes arguent que le marché récompensera automatiquement les établissements à but lucratif sérieux et éliminera les autres et que la redistribution des recettes fiscales effectuée par l’État permet de régler la question de l’équité. Cependant, il est communément admis que les insuffisances du marché justifient une intervention réglementaire délimitant le périmètre d’intervention des établissements à but lucratif. La littérature présente quatre justifications à une réglementation des établissements d’enseignement supérieur privés : (i) protection des consommateurs ; (ii) information des consommateurs, qui les aide à décider et réduit les asymétries d’information ; (iii) prise en compte du statut et des activités du secteur privé dans la politique publique (cela semble particulièrement important pour que toutes les 60 filières d’étude soient représentées, et pas seulement celles qui ont une « valeur de marché ») et (iv) suivi des résultats financiers des prestataires à but lucratif. Cette fonction sécurise les investissements des individus en cas de faillite, mais elle est aussi cruciale pour déterminer l’admissibilité éventuelle à des financements publics (Fielden et Varghese, 2009). Fielden et Varghese (2009) déclarent que « les marchés savent mieux garantir l’efficience que l’équité, tandis que leur rôle en matière de qualité est contestable. » Une solution à ce problème est de mettre en œuvre un suivi efficace et des mécanismes d’assurance qualité pour tous les établissements d’enseignement supérieur. Nous reviendrons sur ce point plus loin dans ce chapitre. Enfin, des données recueillies dans certains pays soulignent l’utilité d’une coexistence d’établissements d’enseignement supérieur avec et sans but lucratif : au Maroc et en Tunisie par exemple, certains entrepreneurs ont regretté de ne pas pouvoir s’immatriculer en tant qu’entreprises sans but lucratif. Ils pensent que cela améliorerait leur image et signalerait plus clairement qu’ils se consacrent à l’éducation plus qu’à la recherche de profits. De plus, cela pourrait leur faciliter la recherche de financements en autorisant des subventions publiques. Il est donc souhaitable que le cadre réglementaire énonce les « règles du jeu » pour des acteurs mus par différents objectifs, et offre des conditions à peu près égales à tous tout en garantissant l’accès, la qualité et l’équité de l’enseignement supérieur. 5.1.2 Classification des acteurs par catégorie La littérature distingue trois grandes catégories d’établissements d’enseignement supérieur privés : (i) élite/quasi-élite ; (ii) religieux/culturels et (iii) établissements non sélectifs ; auxquelles s’ajoute une catégorie transversale, (iv) les partenariats public-privé6. (i) Les établissements privés d’élite et de quasi-élite visent l’excellence académique et intellectuelle. Si le terme « élite » ne pose pas de difficultés de compréhension particulières, le terme « quasi-élite » renvoie quant à lui à des établissements privés qui sont « en concurrence » avec les établissements publics de second rang. Ils ont des traits communs : l’accent mis sur un enseignement ou une formation pratique de qualité, le recrutement d’étudiants de milieu socioéconomique aisé, une orientation vers le marché du travail et la recherche de liens et de reconnaissance internationaux. Enfin, certains appliquent une « stratégie de niche » en ne proposant que quelques filières d’études ayant une valeur de marché, telles que la gestion d’entreprises ou l’ingénierie (Levy, 2009). (ii) Les établissements privés religieux ou culturels étaient historiquement des établissements chrétiens fondés tout autour du monde et privatisés dans le cadre des mouvements de sécularisation des États. Aujourd’hui, cette catégorie comprend aussi des établissements de confession musulmane et des établissements liés à d’autres religions ou cultures. Dans la majeure partie du monde non musulman, ces établissements ont évolué et une majorité d’étudiants et de professeurs les choisissent aujourd’hui pour d’autres raisons que la confession. Les établissements privés religieux ou culturels ont également été créés comme alternatives dans des communautés où, comme en Malaisie, des « quotas de groupes de population » ont été mis en place dans les établissements d’enseignement supérieur publics (Levy, 2009). (iii) Les établissements non sélectifs, de masse, qui absorbent la demande, forment le reste des établissements d’enseignement supérieur ; autrement dit, ils sont apparus pour combler l’écart entre l’offre et la demande éducative non absorbé par les deux premières catégories. En général, ces établissements ne sont pas appelés « universités » et sont de nature très 6 Voir Levy (1986), Geiger (1986) ou Marginson (1997), tous cités dans Levy (2009). 61 diverse. Comme le déclare Levy (2009), « le sous-secteur non sélectif est parfois dénoncé en termes très virulents. Une bonne part de ces critiques est méritée, même si elles pourraient en grande partie être adressées (mais avec moins d’applaudissements politiques) aux établissements publics de bas niveau ». Il distingue deux types d’établissements absorbant la demande : (i) les établissements privés sérieux, gérés selon des « principes de bonne gestion » et visant à faciliter l’accès des étudiants et des anciens élèves au marché du travail et (ii) ceux qui ne sont pas sérieux, sont gérés en dilettante ou entièrement voués à la recherche du profit. La réglementation vise (ou devrait viser) à garantir au moins un niveau minimum de qualité de l’éducation afin de réduire l’impact de la recherche de profits. (iv) Les partenariats public-privé (PPP) forment une catégorie transversale qui couvre deux grandes approches : (i) plusieurs établissements regroupent leurs ressources au sein d’une nouvelle entité séparée, profitable à tous les partenaires, par exemple parce que l’établissement public recueille des fonds supplémentaires tandis que le partenaire privé obtient la légitimité associée au nom de l’établissement public et (ii) des étudiants suivent des études payantes au sein d’établissements publics. Très répandue en Europe centrale et orientale, cette dernière approche est très critiquée, notamment au motif que les étudiants aisés peuvent généralement accéder aux établissements publics, tandis que ceux qui doivent payer pour suivre un enseignement supérieur sont souvent issus de milieux défavorisés. C’est- à-dire que sans imposition progressive, les établissements publics gratuits, mais sélectifs, tendent à favoriser les étudiants les plus aisés en moyenne. Si les PPP sont constitués pour développer l’accès aux établissements publics en recrutant des étudiants payants, ceux-ci seront le plus souvent moins aisés que les étudiants non payants déjà inscrits, ce qui accentue les inégalités. Ces deux approches cherchent à offrir des places supplémentaires tout en recueillant des avantages financiers (Levy, 2009). Enfin, les PPP peuvent revêtir diverses formes juridiques, comme le montrent les trois universités allemandes en Égypte, en Jordanie et à Oman (voir encadré 5.17,8). 7 Pour plus d’informations, voir http://english.ahram.org.eg/NewsContent/1/64/8444/Egypt/Politics-/German- University-students-resume-their-protests-i.aspx. 8 Le DAAD, l’Office allemand d’échanges universitaires, est partenaire des trois universités ; il fournit des financements et des professeurs de langues. 62 Encadré 5.1 : Une origine, trois démarches de PPP : l’Université allemande du Caire, l’Université germano-jordanienne et l’Université allemande de technologie d’Oman Bien que ces universités soient toutes trois associées à des autorités et établissements d’enseignement allemands et que leur nom évoque leurs liens avec l’Allemagne, elles se distinguent par leur cadre juridique, leur structure, leur organisation et leurs objectifs.  L’Université allemande du Caire (GUC), la plus ancienne des trois, est un établissement à but lucratif créé en 2003 en coopération avec les universités d’État d’Ulm et de Stuttgart. Les filières qu’elle propose (i) répondent à une demande du marché du travail et suivent la structure des études allemandes ; (ii) débouchent sur des diplômes reconnus dans les deux pays (Égypte et Allemagne) et (iii) comportent jusqu’à 50 % de cours pratiques. Cette université conduit aussi des activités de recherche. Dans l’ensemble, elle s’est forgé une bonne réputation, mais les protestations des étudiants en 2011 ont souligné l’insuffisance de la gestion égyptienne, qui n’a pas tenu les promesses au plan des conditions d’étude, du pourcentage de professeurs allemands, des droits d’inscription et de la création d’un syndicat étudiant indépendant.  L’université germano-jordanienne (GJU) est une université publique fondée en 2005 en partenariat avec l’Université de Magdebourg-Stendal sur le modèle des universités allemandes de sciences appliquées (Fachhochschulen). Elle accueille actuellement 2 130 étudiants inscrits dans 19 filières techniques et prévoit d’en accueillir à peu près 3 500 avec l’achèvement d’un nouveau campus en 2011. Les étudiants passent un an dans un des établissements partenaires en Allemagne (plus de 60 à ce jour) pour améliorer leurs compétences linguistiques et techniques. Cette université bénéficie d’un soutien politique de haut niveau dans les deux pays et a également un département recherche.  L’Université allemande de technologie à Oman (Gutech), établissement privé sans but lucratif ouvert en 2007, est la plus petite des trois universités allemandes de la région MENA. Elle accueille environ 300 étudiants aujourd’hui, mais prévoit de se développer progressivement pour en accueillir 1 500 à 2 000 d’ici 2017 après l’achèvement d’un nouveau campus en 2012. Contrairement aux deux précédentes, cette université restera très probablement assez modeste dans la phase de démarrage pour éviter des développements indésirables. Dans la phase finale, elle devrait accueillir 10 à 15 000 étudiants. Le recteur actuel est l’ancien recteur du RWTH Aachen, le principal établissement d’enseignement supérieur partenaire de l’université en Allemagne. La structure de gouvernance sépare clairement les questions académiques (importante responsabilité du RWTH Aachen, avec une majorité allemande au conseil de gouverneurs) des questions opérationnelles (sous la responsabilité d’une équipe de gestion supervisée par le conseil d’administration, les propriétaires). Environ 80 % des professeurs de premier cycle sont allemands et les programmes sont adaptés au Moyen-Orient. Cette université conduit également une activité de recherche. Enfin, environ 50 % des étudiants bénéficient d’une bourse totale ou partielle versée par l’État d’Oman, le DAAD ou des entreprises privées, un pourcentage plus élevé que dans les deux universités précédentes. 5.1.3 Classification des acteurs par l’offre de diplômes Enfin, les établissements d’enseignement supérieur privés peuvent être classés en fonction de leur portefeuille ou offre de diplômes. Une méthode de classification distingue :  Les universités privées, qui offrent généralement la gamme complète des diplômes, licence, master et doctorat ; 63  Les établissements privés d’enseignement supérieur spécialisé, qui proposent surtout des licences et des masters ;  Les filières post-bac techniques et professionnelles, qui proposent généralement des certificats et des licences ;  Les formations préparatoires aux examens et les cours particuliers, qui ont par définition des objectifs étroits ;  Les formations courtes d’insertion ou les formations continues pour les cadres, qui débouchent souvent sur des certificats spécifiques. La nature des établissements est fonction des diplômes proposés et elle affecte leur structure, leurs objectifs et leur vision. 5.2 L’enseignement supérieur privé dans la région MENA Dans la région MENA comme dans la plupart des pays non membres de l’OCDE, on ne dispose que de très peu de statistiques fiables et de comparabilité internationale sur les établissements d’enseignement supérieur privés (Hahn, 2007). D’une part, certains systèmes de suivi sont très récents et ne sont pas suffisamment matures pour proposer des données, d’autre part, la plupart des développements concernant les établissements privés sont aussi très récents et insuffisamment documentés. C’est pourquoi sauf indication contraire, ce chapitre ne présente pas de données chiffrées sur l’enseignement supérieur privé dans la région, et se consacre aux tendances et expériences internationales. Des statistiques préliminaires sont néMENAins présentées, sans perdre de vue les limites des données, pour illustrer l’émergence de l’enseignement supérieur privé dans la région. En 2008, les établissements privés représentaient à peu près 36 % des établissements d’enseignement supérieur du monde arabe (voir figure 5.2, graphique supérieur) et environ 48,5 % des universités et 29,6 % des autres établissements d’enseignement supérieur (voir figure 2, graphiques inférieurs). Les données de 2008 font apparaître des situations nationales très contrastées : le Liban et La Palestine comptent plus de 80 % d’établissements d’enseignement supérieur privés, alors que le pourcentage est négligeable en Algérie (UNESCO, 2010). Les établissements privés forment environ 20 à 25 % des étudiants de la région MENA, alors que la proportion dépasse 50 % en Amérique latine ou en Asie de l’Est (IFC/IDB, 2011). On peut donc penser qu’il existe un assez fort potentiel de développement de l’enseignement privé, pour autant qu’il y ait une volonté politique. 64 Figure 5.2 Établissements d’enseignement supérieur publics et privés dans le monde arabe en 2008 Pourcentage des établissements d’enseignement supérieur Serie s1, Public Priv… Serie s1, Private Pub… Pourcentage par type d’établissement Universités Autres établissements Serie Seri s1, Seri es1, Pri… Serie es1, Pri… s1, Pu… Pu… Source : UNESCO 2010. Mélonio et Mezouaghi considèrent que l’essor de l’enseignement supérieur privé est inévitable dans la région MENA. Pour eux, la demande est liée aux problématiques suivantes : (i) dégradation de la qualité de l’enseignement supérieur public ; (ii) besoins croissants de requalification à travers des programmes de deuxième cycle ; (iii) besoins croissants de formation des cadres et (iv) préférences des étudiants pour des formations dans leur ville ou région d’origine afin d’éviter les surcoûts liés au transport et au logement (Mélonio et Mezouaghi, 2010). De plus, des besoins plus spécifiques peuvent entrer en jeu, comme le désir d’une formation religieuse ou culturelle adéquate ou d’un curriculum à visée professionnelle plus souple, ce souhait étant lié aux très forts taux de chômage des jeunes diplômés de l’université dans la région9 et à la recherche, par les étudiants prospectifs, de diplômes ayant une « valeur de marché ». 5.2.1 Cadre juridique Les réformes intervenues depuis quelques dizaines d’années dans la région MENA, alliées à une forte volonté politique dans plusieurs pays, ont donné une marge de développement accrue au secteur privé, comme en atteste la proportion d’établissements privés, deux tiers, parmi les universités créées depuis 1993 dans le Moyen-Orient arabe (Romani, 2009). Les cadres juridiques et les pratiques sur lesquelles s’appuie l’expansion de l’enseignement supérieur privé restent néMENAins très diversifiés. Les pratiques en matière de PPP de trois pays membres du Conseil de coopération du Golfe, qui se sont efforcés d’attirer des universités d’élite internationales, en sont un exemple : alors que le Qatar, à travers la Fondation du Qatar, propose de financer la majeure partie des coûts de construction de campus récents, les Émirats arabes unis ont insisté sur un partage plus symétrique de la charge financière entre l’État et les universités qui s’installent, et l’Arabie saoudite a choisi une approche dirigée par l’État avec des universités publiques exclusivement, ce qui laisse 9 Une étude de la Banque mondiale (2004) a montré que le taux de chômage était le plus élevé « pour les groupes situés dans la partie médiane et supérieure de la distribution de l’éducation ». En outre, selon l’Organisation internationale du travail en 2010, le taux de chômage des jeunes était le plus élevé dans la région MENA, à environ 24 %, contre 16 % environ en Amérique latine et aux Caraïbes, ou même 8 % en Asie de l’Est. De plus, la tendance est négative tant en Afrique du Nord qu’au Moyen-Orient (ILO, 2010). 65 une certaine marge à l’émergence de facultés privées (Mazawi, 2008). Malgré leur proximité géographique, ces trois pays ont adopté des approches très différentes10 et ces différences sont encore plus marquées à l’échelle régionale (voir encadré 5.2 pour une présentation plus détaillée de l’enseignement supérieur privé au Maroc11). Encadré 5.2 L’enseignement supérieur privé au Maroc L’enseignement supérieur privé est un phénomène récent au Maroc. Introduit en 1984-1985 avec deux instituts de gestion privés accueillant 71 étudiants, ce secteur compte aujourd’hui approximativement 200 établissements, accueille 39 000 étudiants et emploie 4 315 professeurs (dont 512 à temps complet). Ces établissements se spécialisent dans quelques filières, avec 71 % des étudiants en gestion, management et communication, 24 % en sciences et technologie et 5 % en paramédical. Cette rapide évolution tient à la détermination du gouvernement, qui a régulièrement actualisé et développé la réglementation de l’enseignement supérieur privé – des missions et objectifs à la gouvernance en passant par l’assurance qualité et l’agrément. Depuis le 25 octobre 2010, l’emploi du terme « université privée » est autorisé. En partenariat avec la Caisse centrale de garantie, le gouvernement a également mis en place un dispositif de garantie des emprunts souscrits par les investisseurs pour établir des universités privées. Selon des propos recueillis lors d’entretiens, cette garantie fonctionne bien et pourrait favoriser l’ouverture de nouvelles universités privées. Les prochaines étapes du programme du gouvernement comprennent la finalisation du cadre réglementaire, la définition et l’instauration d’incitations à la mise en place de partenariats public- privé et la promotion de la croissance du secteur, l’objectif étant d’atteindre 14 % des étudiants inscrits d’ici 2015, soit à peu près 84 000 étudiants. Le cadre juridique peut accroître ou restreindre l’offre privée, mais surtout, il peut et doit contrôler la qualité des services offerts. Un cadre réglementaire complet présente notamment les caractéristiques suivantes, avec des exemples pris dans les pays MENA :  Des textes législatifs sur l’enseignement supérieur privé donnent une base de fonctionnement légale aux prestataires et précisent leurs droits et obligations. En général, la législation doit énoncer des exigences minimales que tout établissement privé doit satisfaire. o Au Maroc par exemple, le décret 2.07.99 (du 27 juin 2007) pris en application de la loi n° 01-00 sur l’enseignement supérieur fixe les modalités d’ouverture, d’extension ou de modification des établissements d’enseignement supérieur privés. L’arrêté n° 2054 du Ministre de l’Enseignement supérieur (16 juillet 2010) fixe le cahier des charges des accréditations des filières de formation des établissements privés – au moins 30 % des cours doivent être enseignés par des professeurs permanents, des ratios enseignant- étudiants minimaux sont fixés, etc. Enfin, le décret n° 2.10.364 (25 octobre 2010) fixe les conditions à remplir pour prétendre à la dénomination « faculté privée » et « université privée ».  Des politiques définissent le rôle du secteur privé et sa contribution aux objectifs nationaux en matière d’enseignement supérieur. o Par exemple, la loi n° 11 de 1998 en Palestine et la loi n° 23 de 2009 en Jordanie énoncent les objectifs de l’enseignement supérieur pour l’ensemble des établissements, publics et privés.  Des procédures précises sont souvent prévues pour l’ouverture de nouveaux établissements d’enseignement supérieur. 10 Pour plus de détails, voir Romani (2009). 11 La majorité des informations présentées dans l’encadré 5.2 sont basées sur Debbarh (2011) et sur des informations communiquées par Mélonio. 66 o L’ouverture d’établissements d’enseignement supérieur privés est souvent associée à des procédures d’assurance qualité imposant l’autorisation et l’agrément des nouveaux prestataires de services et des filières. Le Conseil d’agrément d’Oman, par exemple, est en train d’établir une procédure en deux étapes et des efforts de communication sont en cours pour l’expliquer aux parties prenantes12.  La réglementation peut faciliter la mise en place d’une procédure d’assurance qualité régulière et efficace qui a la confiance des prestataires privés et celle du public concernant la qualité de l’offre. o Plusieurs pays de la région MENA ont créé des agences d’assurance qualité (voir tableau 5.2).  Il existe souvent des politiques cohérentes et claires concernant le soutien de l’État ou des régions. o Les différents niveaux d’intervention et de soutien public pour la création de PPP au Qatar, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis illustrent la diversité des pratiques dans la région.  Il existe des politiques en matière de financement de la demande (pour les étudiants qui souhaitent étudier dans des établissements privés) et de financement de l’offre (permettant par exemple au personnel de se porter candidat à des financements de la recherche dans des conditions identiques à celles du personnel universitaire financé par l’État). o Voir par exemple l’analyse des prêts étudiants dans la région au chapitre 4 et des autres outils d’intervention sur la demande et sur l’offre au chapitre 3.  Les obligations d’information et de compte rendu des prestataires privés et le suivi non académique auquel ils peuvent être soumis peuvent être réglementés ou au moins clairement énoncés13. o Les procédures d’assurance qualité varient en fonction des dispositions nationales. Les sites Internet de nombreux organismes d’assurance qualité précisent ces obligations. 5.3 Contribution de l’enseignement supérieur privé dans la région MENA Il importe de déterminer la mesure dans laquelle l’enseignement supérieur privé contribue effectivement au système global d’enseignement supérieur. À partir d’une revue de la littérature et de l’expérience d’autres régions, trois catégories de contributions sont analysées :  Viabilité financière, ou comment les établissements privés peuvent accroître les ressources de l’enseignement supérieur ;  Accès, ou comment les établissements privés peuvent étendre l’accès à l’enseignement supérieur ;  Pertinence et qualité, ou comment les établissements privés peuvent contribuer à l’amélioration de l’enseignement spécialisé et de qualité, en particulier dans des domaines où l’offre publique est peu développée ou inadaptée aux critères du marché. 5.3.1 Viabilité financière Les établissements privés peuvent contribuer directement et indirectement à une meilleure viabilité financière de l’ensemble du système d’enseignement supérieur. Tout d’abord, ils sont presque exclusivement financés par des capitaux privés dans la région MENA. Sans établissements privés, le système d’enseignement supérieur n’aurait pas accès à ces ressources privées, dont la plus grande 12 Une brochure explicative peut être consultée à l’adresse : http://www.oac.gov.om/files/home/licensing_and_accreditation_system_leaflet.pdf 13 Voir Fielden et Varghese (2009). 67 partie provient des droits d’inscription acquittés par les étudiants, qu’eux-mêmes et leur famille voient comme un investissement dans l’avenir. Une récente étude de la Société financière internationale (IFC) et de la Banque islamique de développement (IDB) a constaté que plus d’un tiers des jeunes sondés seraient prêts à payer des frais de scolarité s’ils pensaient pouvoir bénéficier ainsi de meilleures perspectives professionnelles (IFC/IDB, 2011). Compte tenu de l’assez faible participation de l’enseignement supérieur privé dans la région MENA par rapport à d’autres régions du monde14, ce résultat laisse entrevoir une importante niche de marché pour les prestataires, ainsi que des ressources non exploitées pour l’ensemble de l’enseignement supérieur, sous réserve que la qualité soit garantie. Deuxièmement, les établissements privés sont généralement jugés plus efficients, c’est-à-dire qu’ils ont des coûts par étudiant plus faibles pour diverses raisons telles que des professeurs à temps complet moins nombreux (et corrélativement, des professeurs à temps partiel plus nombreux), une spécialisation dans les filières d’études offrant un bon rapport coût-efficacité et un délai d’accomplissement des études plus court (Levy, 2008). C’est pourquoi certains pensent que cette pression contraindra les établissements publics à reconsidérer leur modèle et à devenir plus concurrentiels, ce qui dégagerait des ressources. Bien que cette contribution « indirecte » n’ait pas été empiriquement démontrée, on peut raisonnablement penser que le financement public de l’enseignement supérieur peut gagner en efficience. L’enseignement supérieur privé peut donc accroître la viabilité financière des systèmes d’enseignement supérieur par le biais des financements supplémentaires auxquels il permet d’accéder et d’une concurrence accrue qui augmente directement l’efficience de l’enseignement supérieur dans son ensemble. 5.3.2 Accès Compte tenu de l’absence de données fiables dans la région MENA, il est impossible de déterminer dans quelle mesure l’expansion des établissements privés développerait l’accès à l’enseignement supérieur. Il est clair cependant que les établissements privés accroissent l’accès global à l’enseignement supérieur par : (i) une plus grande capacité d’accueil totale et (ii) le fait que s’ils n’existaient pas, la plupart de leurs étudiants ne feraient pas d’études supérieures (Levy, 2008). Dans un autre document, Levy (2009) va encore plus loin : puisque les établissements privés ont des coûts par étudiant plus faibles, ils augmentent le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur, qu’ils aient ou non accès aux fonds publics, car un plus grand nombre de places est créé pour le même niveau de dépenses publiques. Si des chevauchements peuvent se produire entre les prestataires publics et privés, les acteurs n’en seront que plus efficients. De plus, Levy décrit l’impact de chaque catégorie d’établissement privé dans la typologie présentée plus haut (voir tableau 5.1) sur l’accès à l’enseignement supérieur. Enfin, une étude a constaté que dans les pays membres de l’OCDE, une augmentation du financement privé de l’enseignement supérieur était liée à des taux de scolarisation plus élevés, ce qui suggère des niveaux d’accès plus importants (OCDE, 2008). 14 Selon l’UNESCO, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord « commencent à enregistrer des inscriptions dans l’enseignement supérieur privé ». Voir le chapitre 6 « Private Higher Education and Privatization » du rapport Trends in Global Higher Education, UNESCO (2009). 68 Tableau 5.1 Impact des différentes catégories d’établissements privés sur l’accès Orientation Degré d’accès Modes de contribution à l’accès et catégorie Peut apporter un supplément de ressources, lequel permet à son tour de financer Ensemble d’avantage de places dans l’enseignement supérieur et d’en créer dans le secteur du secteur Diversifié public. De plus, les coûts par étudiant sont généralement plus faibles dans le privé secteur privé, ce qui permet plus de places à dépense égale. Modeste mais Cette catégorie recouvre principalement les établissements non sélectifs, mais À but potentiel aussi les établissements de quasi-élite. Développement par les droits de scolarité lucratif*** important*** et des investissements externes, nationaux et internationaux. Modes innovants de * financement pour un développement efficient de l’accès. Cette catégorie apporte des financements supplémentaires (droits d’inscription, Quasi- Faible entreprises, international), libère des places dans les établissements de qualité et élite** diminue la fuite des cerveaux. Accueil des groupes religieux, ethniques ou de genre jugés sous-représentés dans Religieux/cu le secteur public ; cette catégorie apporte des ressources à travers des Modéré lturel contributions volontaires et les droits d’inscription et libère des places dans le secteur public. Accès par le choix. Car la demande en forte progression est supérieure à l’offre publique (et privée). Les étudiants viennent de milieux modestes ou sont souvent la première Non sélectif Important génération de la famille à suivre des études supérieures, des étudiants qui travaillent ou des individus en recherche d’emploi. Souplesse des pédagogies. Frais de scolarité peu élevés, mais l’accès à des établissements douteux est risqué. Recouvre les deux catégories précédentes. Association fréquente d’un établissement non sélectif et d’une université réputée, ce qui apporte des Potentiel PPP*** ressources supplémentaires et donc une augmentation des inscriptions. Une autre important option consiste à admettre des étudiants privés (payants) au sein d’universités publiques. * Cette colonne indique les contributions mais ne les évalue pas et ne les compare pas aux autres modes, y compris aux types d’accès public étendu. ** L’enseignement supérieur privé d’élite est très rare hors des États-Unis – il peut jouer une partie du rôle indiqué ici pour l’enseignement de quasi-élite. *** Formes transversales plus qu’une des trois catégories principales d’établissements privés. **** Déjà important si on tient compte des « établissements sans but lucratif déguisés » Source : d’après Levy 2009. Comme nous l’avons dit plus haut, le développement de l’enseignement supérieur privé pourrait nuire à l’équité. Des données statistiques fiables sur la population étudiante globale (et par secteur) apporteraient un éclairage sur les conséquences pour l’équité d’un enseignement supérieur élargi. Certains soutiennent que l’équité ne doit pas être une priorité de l’enseignement supérieur privé. Poussant l’argument du marché, d’autres iraient jusqu’à dire que la question de l’équité relève de l’État, qui doit redistribuer une partie des recettes de l’impôt sur le revenu aux segments les plus pauvres de la population. Les outils que les États peuvent mettre en place pour réduire les déficits d’équité sont décrits plus amplement dans d’autres chapitres de ce rapport15. 15 Voir le chapitre 4 pour une présentation du rôle que peuvent jouer les prêts étudiants et le chapitre 3 pour certains aspects redistributifs des outils de financement tels que les fonds d’affectation spéciale. 69 5.3.3 Pertinence et qualité 5.3.3.1 Pertinence Les différentes catégories d’établissements privés correspondent à des besoins particuliers qui influencent leur structure. De taille assez modeste en moyenne, ces établissements sont en général plus spécialisés et plus souples que les établissements publics. Leur structure de gouvernance leur permet aussi de s’adapter plus rapidement. Le souci d’efficience et la volonté de recruter des étudiants plus nombreux et plus brillants les poussent également à développer des modèles d’éducation innovants en termes de pédagogie, d’organisation des cursus, etc. En outre, leurs liens avec le marché peut leur conférer une plus forte valeur ajoutée au plan de l’employabilité des diplômés, grâce à des formations plus professionnelles dispensées par des praticiens, au réseau, aux salons de recrutement sur le campus et à d’autres partenariats avec les entreprises. L’étude IFC/IDB évoquée plus haut comprend une enquête auprès d’environ 1 500 employeurs privés de la région MENA, dont la principale conclusion est que pour accroître l’employabilité des diplômés, les étudiants doivent recevoir une formation adéquate en : (i) connaissances théoriques et appliquées ; (ii) « savoir être » – leadership, créativité, compétences relationnelles et résolution de problèmes et (iii) en langues, surtout l’arabe et le français ou l’anglais, selon le contexte. Les employeurs sondés attribuent ces déficits à de mauvais choix de formation et au contenu dépassé des programmes (IFC/IDB, 2011). Ce sont des défis que les établissements privés peuvent aider à relever compte tenu de leur structure et de leur souplesse. C’est pourquoi, et en gardant à l’esprit la typologie par offre de diplôme présentée plus haut, les établissements privés peuvent améliorer la pertinence de l’enseignement supérieur de la manière suivante :  Les universités privées peuvent se différencier par la recherche de l’excellence, par un ciblage religieux/culturel, par une expertise dans des domaines spécifiques ou en abordant des problématiques innovantes dans un contexte donné. Étant donné l’écart encore important entre l’offre et la demande d’éducation dans la région MENA, une nouvelle expansion des universités privées pourrait absorber la demande de compétences particulières sans peser sur des finances publiques déjà contraintes. L’Université Saint Joseph au Liban et l’École de gouvernance et d’économie de Rabat au Maroc illustrent toutes deux la pertinence accrue que les universités privées peuvent apporter à l’enseignement supérieur dans la région MENA (voir encadré 5.316). 16 D’après Karam (2011). 70 Encadré 5.3 Université Saint Joseph (Liban) et École de gouvernance et d’économie de Rabat (Maroc) • Fondée en 1875, l’Université Saint Joseph est un des établissements d’enseignement supérieur francophones les plus anciens du monde arabe ; cet établissement catholique sans but lucratif (autrement dit, établissement privé religieux/culturel), conjugue enseignement et recherche. L’université emploie 2 000 professeurs, 500 agents administratifs et accueille environ 12 000 étudiants répartis entre douze facultés, une école, 21 instituts, trois pôles d’études décentralisés et un hôpital. Elle a passé plus de 130 conventions avec des universités étrangères et a même ouvert une faculté de droit à Dubaï. Le taux de chômage de ses diplômés varie selon la filière d’étude mais il reste inférieur à 8 % pour un taux de chômage national de 13 %. Cette université est un remarquable exemple d’établissement privé visant l’excellence. Grâce à ses relations avec le secteur privé et au soutien du Groupe Agence Française de Développement (AFD), elle a ouvert un incubateur d’entreprises innovantes (Berytech), dont le succès a conduit à en ouvrir rapidement un second (Berytech 2). • L’École de gouvernance et d’économie de Rabat est un petit établissement privé créé en 2008, qui appartient à une fondation sans but lucratif. Elle forme à peu près 100 étudiants et vise un statut d’élite/quasi-élite. Elle emploie 55 professeurs (dont 10 permanents) et 50 agents administratifs ; elle abrite aussi le centre de recherche sur la Méditerranée et l’Afrique, le CERAM. Son objectif est de contribuer à la diversification des dirigeants au Maroc, qui sont pour la plupart des ingénieurs formés dans les grandes écoles françaises. Dans ce but, elle forme des étudiants à des compétences académiques générales (le programme fait, par exemple, la part belle aux sciences sociales et à la gestion en adoptant délibérément une approche transdisciplinaire) et au « savoir-être » (en encourageant le travail d’équipe, le leadership et les valeurs d’entreprise par exemple). Le cursus comprend une année à l’étranger et des stages pour exposer les étudiants au monde professionnel. Enfin, l’objectif de diversité sociale au sein de ses cohortes est ancré dans la procédure de recrutement sélectif (moins de 10 % des candidats sont acceptés) et dans son dispositif de bourses (environ 30 % des étudiants reçoivent une forme d’aide). Autre atout, l’École a noué un partenariat avec « Sciences Po » Paris qui : (i) apporte gratuitement une assistance et des conseils techniques ; (ii) fournit du personnel d’échange et (iii) reconnaît le diplôme de l’École. Cette reconnaissance est particulièrement importante dans la période de transition que connaît le Maroc aujourd’hui, les établissements privés n’étant pas encore agréés (les décrets organisant cette procédure n’ont pas encore été promulgués). Des diplômes de master double devraient être proposés en 2015. Enfin, bien qu’elle n’ait pas encore d’anciens élèves, elle sera très attentive au placement de ses diplômés et à la constitution d’un réseau entre les étudiants et les anciens élèves afin de faciliter l’insertion professionnelle de ses diplômés.  L’enseignement post-bac spécialisé privé peut être particulièrement approprié pour adapter l’offre éducative à un besoin précis du marché du travail dans un laps de temps assez court. Le développement des instituts privés dans la région, dans des domaines assez spécifiques, en est une illustration. L’École supérieur algérienne des affaires, à Alger, et l’école d’ingénieurs Esprit à Tunis sont des établissements post-bac spécialisés en plein essor (voir encadré 5.4 17, 18, 19). 17 D’après Le Vourc’h (2009), Ben Lakhdar (2011) et sur la base d’informations recueillies lors d’un entretien avec ESPRIT le 31 mai 2011. 18 http://www.jeuneafrique.com/classement/business-schools-africaines/index.php. 19 http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/MENAEXT/TUNISIAEXTN/0,, contentMDK:22716743 ~pagePK:1497618~piPK:217854~theSitePK:310015,00.html. 71 Encadré 5.4 École supérieure algérienne des affaires (Algérie) et Esprit (Tunisie) • L’École supérieure algérienne des affaires (ESAA) est une école de commerce ouverte en 2005 dans le cadre d’un PPP franco-algérien. Son conseil d’administration se compose à parts égales de ressortissants français et algériens, et de représentants de l’État et du secteur privé (là aussi à parts égales). Elle s’appuie sur de solides partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur français réputés et sur un programme de double licence avec l’Université de Lille. En outre, les stages font partie intégrante de la formation et les frais de scolarité sont souvent financés par les entreprises en contrepartie d’une certaine période d’emploi du diplômé parrainé. En 2009, moins de cinq ans après son ouverture, l’ESAA était déjà classée deuxième meilleure école de gestion en Afrique francophone sur quarante critères par le magazine Jeune Afrique. • Esprit, qui a ouvert ses portes en 2003, est une école d’ingénieurs à but lucratif qui propose également un MBA avec les universités françaises de Paris-Dauphine et Paris I Sorbonne. L’école applique une pédagogie par projet, qui se différencie des formations d’ingénieurs publiques plus « classiques ». La formation comprend aussi des certifications obligatoires en langues et techniques. Elle se positionne comme une école d’ingénieurs non sélective, dont la préoccupation principale est la situation de ses diplômés au regard de l’emploi. Elle compte déjà plus de 2 300 étudiants et évoque fièrement le taux de chômage nul de ses diplômés ; à titre de comparaison, le taux de chômage national des diplômés est de 46 % en moyenne. Ce résultat tient à ses liens étroits avec des entreprises privées, à l’orientation pratique de ses formations et à l’accent mis à la fois sur les stages pour acquérir de premières expériences et sur une série de compétences de « savoir-être » (par exemple travail d’équipe et communication interpersonnelle). Cette proximité avec les entreprises semble aussi un impératif marketing, compte tenu de l’absence de bourses ex ante due aux contraintes financières (environ 10 % des diplômés obtiennent a posteriori une réduction de la moitié de leurs frais de scolarité basée sur le mérite).  Les établissements d’enseignement technique et professionnel post-secondaire privés peuvent définir des curriculums et choisir des professeurs pour dispenser des formations efficaces et professionnelles qui ont plus de facilité à accroître l’employabilité que les universités publiques, dont les enseignements sont plus théoriques. Habituellement très ciblés, les programmes d’enseignement technique et professionnel répondent à un besoin spécifique (le plus souvent) prédéterminé. L’Al-Araby Training Academy en Égypte et le Saudi-Japanese Automotive High Institute en Arabie saoudite en sont deux exemples (voir encadré 5.5 20, 21). 20 IFC/IDB (2011). 21 Pour un complément d’information, voir http://www.sjahi.org/ar/index.php. 72 Encadré 5.5 Al-Araby Group Training Academy (Égypte) et Saudi-Japanese Automotive High Institute (Arabie saoudite) • Le groupe Al-Araby, une grande entreprise égyptienne, a noué un partenariat avec un établissement d’enseignement technique et professionnel afin de former des techniciens. Le programme sur trois ans associe une formation en milieu scolaire et un emploi, avec une forte appropriation du curriculum par le groupe Al-Araby. L’emploi est garanti à l’obtention du diplôme. Outre des coûts de formation assez bas, l’avantage pour le groupe Al-Araby est que les étudiants sont immédiatement opérationnels. Le programme reçoit plus de candidatures qu’il n’offre de places. • Le Saudi-Japanese Automotive High Institute (SJAHI) est un établissement d’enseignement supérieur sans but lucratif créé en 2003, qui se spécialise dans la formation des techniciens automobile. C’est le fruit d’un PPP entre les gouvernements saoudien et japonais, l’Association des constructeurs automobiles japonais et des concessionnaires d’automobiles japonaises. Ce programme est géré par des techniciens de maintenance expérimentés envoyés par le gouvernement japonais et alterne des périodes de formation dans l’emploi. Comme pour le groupe Al-Araby, l’emploi est garanti à l’obtention du diplôme chez un des concessionnaires automobiles, qui sont membres de l’association professionnelle.  Les formations préparatoires aux examens et les cours particuliers pour les étudiants qui ont besoin d’un soutien au sortir de l’enseignement secondaire avant d’entrer dans l’enseignement supérieur constituent davantage un marché de niche, mais cette activité pourrait se développer dans les pays de la région MENA, qui se caractérisent souvent par des systèmes d’enseignement supérieur très centralisés avec des examens à l’entrée standardisés pour les établissements d’élite et de quasi-élite. La question politique centrale est toutefois de savoir s’il ne s’agit pas justement des étudiants qui auraient besoin de soutien public, compte tenu du manque de moyen économiques, ce qui pourrait poser un problème d’équité pour le système d’enseignement supérieur.  Les formations courtes d’insertion ou les formations continues pour cadres pourraient avoir un net effet positif sur les économies de la région MENA (IFC/IDB, 2011). La proximité avec les entreprises privées et la souplesse des pédagogies et des cursus des établissements privés en font de bons candidats pour développer des formations pour cadres personnalisées. De nombreuses entreprises dans le monde ont commencé à mettre en place des formations et des instituts, également appelés « universités d’entreprise »22 pour former leur personnel. Ces structures facilitent l’intégration des nouvelles recrues, développent un sentiment d’identité d’entreprise et expliquent le fonctionnement particulier d’une entreprise, ses processus et ses machines. Une possible conséquence néfaste des établissements d’enseignement supérieur privés est que les formations en gestion ou en ingénierie pourraient l’emporter sur les formations qui n’ont pas de « valeur de marché » si les établissements privés ne sont pas réglementés. Les cadres réglementaires publics peuvent inciter les établissements privés à diversifier leur offre de formation ou même les contraindre à envisager d’autres disciplines pour élargir l’éventail des formations. 22 L’université du hamburger de McDonald est la plus connue. En 2001, on comptait plus de 2 000 universités d’entreprises dans le monde. Pour plus d’informations, voir Paton et al (2005). 73 5.3.3.2 Qualité Hormis l’équité, l’autre grande préoccupation relative au développement de l’enseignement supérieur privé est son impact sur la qualité de l’éducation. Pour schématiser le principal argument de ses critiques, si l’enseignement supérieur privé ne se préoccupe que d’efficience (c’est-à-dire réduire les coûts et maximiser les profits), cela pourrait conduire à une course à l’abîme pour la qualité de l’éducation. Les défenseurs du marché avancent que tout établissement d’enseignement supérieur privé connu pour avoir une qualité médiocre perdrait des parts de marché et en serait à terme exclu pour manque de résultats. Si cela peut être vrai dans un marché parfaitement fonctionnel, les insuffisances du marché de la région MENA23 pointent la nécessité d’élaborer une réglementation adaptée, comprenant de robustes systèmes d’assurance qualité. On peut tester la solidité de l’argument des critiques de l’enseignement supérieur privé en comparant la part des prestataires privés sur un marché à celle des universités de premier rang sur ce même marché, cette grandeur de substitution servant à mesurer la qualité de l’éducation en l’absence de meilleures informations. Si les classements sont eux-mêmes sujets à débat, cette comparaison peut néMENAins permettre de déterminer si les marchés sur lesquels l’enseignement supérieur privé tient une large place accueillent effectivement moins d’établissements « de qualité » que les marchés dominés par l’enseignement supérieur public. Millot (2011) a séparément estimé la part des inscriptions dans l’enseignement supérieur privé en fonction de deux classements d’universités connus dans le monde entier, le Times Higher Education Ranking et l’Academic Ranking of World Universities. Aucun profil ne s’est dégagé clairement de cet exercice (voir figure 5.3). Un constat surprenant est qu’alors qu’ils reposent sur des méthodologies différentes et sont établis dans deux régions différentes, les deux systèmes produisent des classements par pays relativement proches : pourtant, aucune corrélation n’a été observée entre le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur privé et la part des grandes universités. À défaut de critères de qualité de l’enseignement supérieur communément admis et de données statistiques fiables, il semblerait donc que la qualité n’est pas corrélée au caractère public ou privé d’un marché de l’éducation. 23 Voir la section 5.1.1. 74 Figure 5.3 Corrélation entre enseignement supérieur privé et qualité (a) Basée sur le classement Times Higher Education Ranking Amount of 500 top Universities per million of HE students (2010) Share of private HE enrollment (2007-2008) (b) Basée sur le classement Academic Ranking of World Universities Part of 500 top Universities per million of HE students (2010) Share of private HE enrollment (2007) Source : Millot 2011. Des éléments de réglementation et de supervision sont indispensables pour garantir la qualité de l’offre publique et privée d’enseignement supérieur en ce qui concerne : (i) les modalités de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur, c’est-à-dire enregistrement, licences et agréments ; et (ii) les processus de suivi, d’assurance qualité et de contrôle. Lemaître (2009) insiste sur l’importance d’affiner les critères d’évaluation en fonction du type d’établissement : les établissements poursuivant différents objectifs avec différents moyens, leur évaluation doit en tenir compte. Pour Fielden et Varghese (2009) le modèle en trois temps appliqué au Kenya pour l’enregistrement et la reconnaissance des établissements est efficace : (i) premièrement, un nouvel établissement d’enseignement supérieur est reconnu temporairement pendant qu’il s’établit et avant la fin de la procédure d’enregistrement ; (ii) ensuite, l’établissement est enregistré, c’est-à-dire que ses procédures sont reconnues et il peut ouvrir ses portes ; (iii) enfin, l’établissement est agréé lorsque toutes ses procédures ont été soigneusement analysées sur la base de critères clairement définis et de contrôles qualité. Parallèlement, Fielden et Varghese soulignent qu’il est important d’instaurer des procédures d’assurance qualité continues, transparentes et équitables une fois que les établissements 75 d’enseignement supérieur sont agréés. Un processus d’assurance qualité complet contrôle non seulement la qualité de la prestation, mais aussi la performance financière et opérationnelle des établissements. Si cette dernière semble plus directement pertinente pour les établissements privés, étant donné les risques pour la protection des consommateurs, elle peut également s’appliquer aux établissements publics pour garantir l’utilisation la plus efficiente possible des ressources publiques. Dans la région MENA, les structures d’assurance qualité et de contrôle de l’enseignement supérieur ont récemment fait l’objet de réformes importantes. Actuellement, dix pays de la région ont des comités ou des commissions d’assurance qualité (voir tableau 5.2), tandis que quatre autres étaient en train de les parachever en 2010 (UNESCO, 2010). 76 Tableau 5.2 Organismes d’assurance qualité dans la région MENA Pays Création Brève description Arabie 2004 La National Commission for Academic Accreditation and Assessment (NCAAA), saoudite organisme financièrement et administrativement indépendant supervisé par le Council for Higher Education, a pour mission de contrôler la qualité de l’enseignement supérieur et de veiller à l’adaptation des compétences des diplômés aux besoins du marché du travail. Bahreïn 2008 La Quality Assurance Authority for Education and Training (QAAET) est un organisme national indépendant rattaché au Conseil des ministres. Elle est chargée du contrôle « des écoles publiques et privées, des établissements de formation professionnelle et 24 d’enseignement supérieur à des fins de redevabilité et d’amélioration ». Égypte 2006 La National Authority for Quality Assurance and Accreditation of Education (NAQAEE) est un organisme indépendant, rattaché au Premier Ministre, chargé de l’agrément de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Émirats 2000 La Commission for Academic Accreditation (CAA) est chargée de l’évaluation de tous les arabes établissements d’enseignement supérieur privés, de contrôles annuels et de l’agrément unis des formations, délivré pour 5 ans. Jordanie 1990/2007 L’Accreditation Council, créé pour superviser le contrôle qualité, définir, adopter, modifier et développer les critères d’agrément des établissements d’enseignement supérieur et suivre leur application a été remplacée par la Higher Education Accreditation Commission (HENC) en 2007. La HENC, financièrement et administrativement indépendante, est aujourd’hui responsable de tous les établissements d’enseignement supérieur. Koweït 2000 Le Private University Council (PUC) est dédié aux établissements d’enseignement supérieur privés et couvre toutes leurs activités, de la création à l’agrément (des établissements et des nouveaux diplômes), ainsi que l’assurance qualité. Libye 2006 Le Quality Assurance and Accreditation Center (QAAC) a pour mission de concevoir, développer et mettre en œuvre un système complet d’évaluation, d’assurance qualité et d’agrément des établissements d’enseignement supérieur nationaux. Son objectif est d’atteindre les plus hauts niveaux de qualité, d’efficience et d’excellence. Oman 2001 L’Oman Accreditation Council (OAC), organisme indépendant rattaché au Higher Education Council, réglemente les agréments, les évaluations et le contrôle qualité des établissements d’enseignement supérieur. Palestine 2004 L’Accreditation and Quality Assurance Commission (AQAC), organisme indépendant affilié au ministère de l’Enseignement supérieur, est chargé de l’agrément des nouveaux établissements d’enseignement supérieur et des programmes, et de l’assurance qualité en général. Un Fonds d’assurance qualité a été créé pour améliorer la gestion et la qualité de l’enseignement supérieur. Tunisie 1993 Le Comité national d’évaluation est considéré comme le précurseur d’une nouvelle Commission d’évaluation, d’assurance qualité et d’agrément. Dans la perspective de l’installation de la Commission, le Comité a lancé des activités d’auto-évaluation, suivies d’évaluations externes dans tous les établissements d’enseignement supérieur du pays au cours de l’année universitaire 2006/2007. Source : compilation de l’auteur, principalement à partir d’UNESCO 2010. 5.4 Conclusions Avec leurs attributs spécifiques et la valeur ajoutée qui leur est propre, les différents acteurs de l’enseignement supérieur privé peuvent tous contribuer à la viabilité financière, à un accès élargi, à une pertinence accrue et à une meilleure qualité des systèmes d’enseignement supérieur. Les deux principales difficultés sont les suivantes : 24 http://en.qaa.edu.bh/ViewPage.aspx?PageId=10. 77 (i) Veiller à une qualité minimale dans tous les établissements d’enseignement supérieur ; (ii) Mettre en place des mesures pour garantir l’accès et réduire les inégalités. L’État a un rôle de premier plan à jouer en régulant l’enseignement supérieur privé. S’il n’existe pas de solution unique adaptée à toutes les situations, les meilleures pratiques en la matière sont les suivantes25 : • Établissement d’un cadre politique solide pour le fonctionnement du secteur de l’enseignement supérieur privé ; • Introduction de critères et de procédures clairs, objectifs et rationalisés pour l’établissement et la régulation de l’enseignement supérieur privé ; • Autorisation d’établissements d’enseignement supérieur à but lucratif, tout en veillant à mettre en place des mécanismes d’assurance qualité et d’autres mécanismes régulateurs afin d’éviter les excès ; • Autorisation donnée aux établissements d’enseignement supérieur privés de fixer eux-mêmes leurs droits d’inscription ; • Mise en place d’incitations et de soutiens aux établissements d’enseignement supérieur. • Information des parents et des étudiants pour les aider à sélectionner des établissements privés de qualité. • Mise en place d’aides ou de prêts aux étudiants afin d’élargir l’accès et de réduire l’iniquité du système26. • Instauration de procédures d’assurance qualité et de suivi. • Renforcement des capacités des pouvoirs publics en matière d’application de politiques de gestion des prestataires privés. De nombreux pays de la région MENA introduisent actuellement des réformes envisageant l’expansion de l’offre privée, avec toutes les opportunités et les défis qu’elle comporte. Ce chapitre a montré que l’enseignement supérieur privé peut, en particulier dans la région MENA, contribuer à des progrès systémiques en matière : (i) de viabilité financière, directement en générant des fonds dans des économies confrontées à des contraintes budgétaires et indirectement en renforçant la concurrence, qui peut favoriser une plus grande efficience de l’enseignement supérieur ; (ii) d’accès, car l’enseignement supérieur privé crée davantage de places et permet à des étudiants qui n’auraient pas suivi d’études supérieures de le faire et (iii) de pertinence et de qualité de l’enseignement supérieur. Ces gains semblent particulièrement pertinents dans le contexte de la région MENA pour au moins trois raisons étroitement liées : (i) les pays de la région sont confrontés à de strictes contraintes budgétaires27 ; (ii) les cohortes d’étudiants sont nombreuses en raison de la croissance de la population de jeunes dans la région MENA, ce qui accentue les pressions sur les systèmes d’enseignement supérieur et (iii) l’(in)efficience de l’enseignement supérieur public, en particulier le faible taux d’insertion professionnelle, fait l’objet de critiques généralisées depuis dix ans et a joué un rôle dans les récents événements survenus dans la région. 25 Principalement d’après Fielden et LaRocque (2008). 26 Voir le chapitre 3 pour une vue d’ensemble du partage des coûts et des programmes d’aide aux étudiants possibles. 27 À l’exception notable des pays exportateurs de pétrole. 78 Chapitre 6 : Diversifier les sources de financement de l’enseignement supérieur par le biais de la philanthropie et des fonds de dotation : implications pour la région MENA Nous l’avons vu dans les chapitres précédents, différentes modalités peuvent être mises en œuvre pour augmenter les ressources de l’enseignement supérieur dans un contexte de restriction budgétaire. Le chapitre 3 a examiné les solutions pour une utilisation plus efficiente des ressources, le chapitre 4 s’est intéressé au partage des coûts et le chapitre 5 a montré comment l’offre privée pouvait contribuer à améliorer l’accès et la qualité de l’enseignement supérieur. Bien que ces formes de diversification des revenus soient importantes, elles présentent toutes des limites sur le plan pratique et politique, et aucune ne saurait donc constituer une solution complète aux problèmes financiers que connaissent la plupart des universités et établissements publics d’enseignement supérieur. Par exemple, même si quelques établissements peuvent espérer tirer des revenus conséquents de certains programmes en forte demande (ex : gestion, informatique, droit et langues), des initiatives entrepreneuriales de ce type n’auront probablement qu’un impact relativement mineur sur les budgets institutionnels des principales universités publiques d’une nation. Une autre source de revenus qui mérite d’être étudiée est celle qui relève de la philanthropie et des donations apportées à des fonds de dotation qui génèrent un revenu courant (Johnstone et Marcucci, 2010). Cette pratique existe surtout aux États-Unis. On la trouve aussi en Europe du Nord mais un récent rapport de la Commission Européenne (2011) montre que les universités européennes y ont nettement moins recours que les universités américaines. En effet, si les trois quarts des universités européennes ont fait appel à la philanthropie pour financer leurs travaux de recherche au cours des cinq dernières années, le montant annuel des fonds collectés par ce biais reste modeste et ne dépasse les 10 millions d’euros que dans six établissements (Commission Européenne, 2011). Aux États-Unis, la philanthropie et les fonds de dotation sont traditionnellement associés aux institutions privées d’élite. Cependant, depuis cinquante ans, les universités et les établissements publics d’enseignement supérieur y ont de plus en plus recours et ce, en partie en raison de leur sélectivité académique croissante. C’est le cas notamment des universités publiques du Michigan, du Wisconsin, de Los Angeles et de San Diego, et du campus de l’école de médecine de l’Université de Cincinnati à San Francisco. Cette source de financement novatrice gagne peu à peu d’autres régions et intéresse de plus en plus les responsables politiques, ces derniers ayant compris que pour subvenir aux besoins d’un enseignement supérieur écartelé entre la hausse des coûts et la baisse des ressources publiques, la philanthropie était une solution politique nettement plus acceptable qu’une hausse des impôts ou des droits d’inscription. La solution qui consiste à créer des fonds d’investissement souverains en prévision d’une économie post-pétrole est tout aussi attractive ; l’augmentation des coûts et des besoins de l’enseignement supérieur pourra ainsi être répartie entre les contribuables, les familles et les fonds de dotation. Les organismes philanthropiques américains ont réussi à collecter des ressources considérables. Pour expliquer ce succès, ce chapitre répondra à six questions. 1. Quelles sont les principales formes de l’action philanthropique dans le domaine de l’enseignement supérieur ? Nous examinerons : (i) les collectes de fonds annuelles menées auprès des anciens étudiants, des fondations et des « amis » et destinées à couvrir l’essentiel des frais de fonctionnement et d’équipement courants ; (ii) les campagnes de levée de fonds visant à augmenter le capital d’un fonds de dotation existant ; et (iii) les dons et dotations dédiés à la construction d’une université ou les fonds de fondations privées destinées à générer des flux de revenus. 79 2. Quels sont les facteurs juridiques et culturels indispensables pour réussir une levée de fonds ? A partir des chiffres publiés par les fonds de dotation universitaires les plus importants des États- Unis, nous examinons quelques subtilités du modèle philanthropique américain comme les restrictions contractuelles imposées aux universités ou aux fondations par les donateurs et les obligations fiduciaires du conseil d’administration ou des trustees en matière d’investissement et d’utilisation appropriée des revenus. 3. Quels sont les liens entre la fiscalité et la philanthropie ? Sachant qu’une grande partie du succès de la philanthropie aux États-Unis repose sur un régime fiscal avantageux, nous décrirons quelques-uns des avantages fiscaux standards consentis aux donateurs sous forme de déductions fiscales du revenu imposable ou d’exonérations des plus-values immobilières, des droits de mutation ou des dons assortis d’une rente viagère par exemple. 4. Jusqu’où la philanthropie peut-elle aller pour aider les universités et les établissements d’enseignement supérieur à résoudre leurs problèmes financiers ? Nous montrerons qu’un certain nombre de facteurs culturels et de coûts sont à prendre à compte quand on veut réussir à lever des fonds pour l’enseignement supérieur. 5. Quels sont les arbitrages possibles entre les dotations de fonctionnement et d’équipement et les dotations en capital ? Nous passerons en revue les différents types de fonds de dotation qui peuvent être créés pour assurer le financement à long terme des universités comme les fonds gérés comme des fonds de dotation à capital permanent, les fonds de dotation à capital consommable et les fonds d’investissement souverains. 6. Comment les plus grands fonds de dotation universitaires des États-Unis définissent-ils leurs politiques en matière d’allocation d’actifs, d’investissement et de dépense ? Et quelles leçons les pays qui envisagent de créer des fonds de dotation spécialement dédiés au financement futur de leurs universités peuvent-ils tirer de ces expériences ? 6.1 Développer une culture philanthropique Nous commencerons par examiner comment créer un fonds à vocation philanthropique et renforcer son capital au fil des années par des dons volontaires au profit de l’enseignement supérieur. La philanthropie au profit de l’enseignement supérieur implique de : (i) chercher des donations régulières qui seront affectées au budget de fonctionnement d’une université ; (ii) solliciter de manière moins fréquente mais plus ciblée des donateurs fortunés capables de financer des équipements ou d’autres besoins spécifiques de l’université ; et (iii) créer ou renforcer un fonds de dotation universitaire qui sera investi de manière à générer un solide flux de revenu à l’institution (à perpétuité). Pour réussir dans le domaine de l’enseignement supérieur, la philanthropie exige de promouvoir une culture du don volontaire, mais aussi de consacrer beaucoup de temps et d’argent aux anciens étudiants et à leurs amis afin de les encourager à donner régulièrement. Il est également indispensable que les directeurs des universités s’impliquent activement dans la levée des fonds et que les autorités publiques encouragent les dons à caractère philanthropique en créant un régime fiscal avantageux pour les donateurs et en accordant des subventions de contrepartie aux universités. Dans l’enseignement supérieur comme dans n’importe quel autre secteur, les donateurs peuvent imposer des restrictions sur l’utilisation programmatique qui pourra être faite de leur don ainsi que sur le montant annuel qui pourra être consommé. Le donateur pourra choisir d’autoriser la consommation totale de la donation ou seulement du revenu généré par le capital investi (dividendes et plus-values). Le conseil d’administration et la direction administrative de l’université ou de la fondation bénéficiaire devront respecter ces restrictions et n’utiliser les fonds qu’aux fins prévues (subvenir aux besoins de l’institution ou mission plus large). 80 Aux États-Unis, les universités et établissements d’enseignement supérieur organisent tous les six ou dix ans des campagnes de levée de fonds pour entretenir le flux des donations annuelles devenues indispensables aux budgets de fonctionnement des institutions, mais aussi pour pouvoir financer des équipements ou d’autres besoins spécifiques plus importants ou bien encore renforcer le capital d’un fonds de dotation. Le conseil d’administration et la direction administrative de l’université définissent des objectifs pluriannuels ambitieux (les dotations des universités les plus grandes et les plus riches des États-Unis peuvent dépasser le milliard de dollars) et les dons sans affectation précise pourront être utilisés là où les besoins seront les plus pressants. La plupart du temps, les dons importants sont réservés à un usage particulier. Le financement d’une chaire dans un département ou un établissement donné peut par exemple exiger une donation comprise entre 2,5 et 3 millions de dollars1. Un don peut parfois être dédié à la création d’un établissement d’enseignement supérieur ou d’une université. Il s’agit dans ce cas de dons de plusieurs centaines de millions de dollars (voire même de plusieurs centaines de milliards), qui servent à financer l’achat de terrains et la construction de bâtiments, mais qui peuvent aussi aider à créer un fonds de dotation pour couvrir (à perpétuité parfois) une petite partie du budget de fonctionnement annuel de l’institution. De prestigieuses universités américaines comme Stanford, Duke, Rockefeller ou l’Université de Chicago ont été créées de cette façon. Le don initial n’a toutefois servi qu’à financer la création et toutes ont dû ensuite s’appuyer sur des levées de fonds agressives et des droits d’inscription élevés pour couvrir leurs frais de fonctionnement et prospérer. Dans la région MENA, l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah, qui a ouvert ses portes en 2009, est un exemple similaire tout comme l’Université de Bilkent à Ankara, en Turquie, qui a vu le jour grâce à un don de la Fondation Bilkent créée par un médecin, professeur et philanthrope turc, le docteur Ihsan Doğramici. 6.1.1 Importance de la philanthropie dans l’enseignement supérieur des États-Unis. Aux États-Unis, la philanthropie connaît un développement et un succès financier tels que nous avons choisi de nous appuyer sur des exemples de ce pays pour illustrer les principes de base de la levée de fonds et de la gestion d’un fonds de dotation. Un grand nombre de ces principes peuvent s’appliquer à des universités et pays de la région MENA. Tous les ans, le Council for Aid to Education, un organisme privé sans but lucratif, réalise une enquête sur les dons volontaires accordés à l’enseignement. D’après l’enquête VSE (Voluntary Support of Education) de 2011, l’enseignement supérieur des États-Unis a bénéficié en 2010 d’un soutien philanthropique de 28 milliards de dollars, à comparer à un montant historique record de 31,6 milliards en 2008. Les fonds levés restent donc considérables même si les dons ont diminué de 11% entre 2008 et 2010 en raison de la récession. Aux États-Unis, la philanthropie a essentiellement vocation à financer les budgets de fonctionnement et d’investissement de l’enseignement supérieur. Cependant comme les fonds servent le plus souvent à financer des bourses d’études, de nouveaux bâtiments, des laboratoires de recherche, des salles de sport, des hôpitaux universitaires et d’autres investissements de ce type, il est difficile de déterminer avec exactitude leur impact sur les activités d’enseignement et de formation proprement dites. Il est toutefois incontestable que les dons annuels et les revenus générés par les milliards investis dans les fonds de dotation représentent aujourd’hui une source de financement considérable pour l’enseignement supérieur des États-Unis. 1 Capital requis pour générer un revenu annuel capable de couvrir un coût salarial d’au moins 100 000 dollars plus d’autres frais connexes, avec un taux de dépense de 4,5 %. 81 Même si la levée de fonds est un exercice très répandu dans l’enseignement supérieur américain et que pratiquement aucun établissement n’y échappe, les grands ténors, à savoir ceux qui lèvent plus de 100 millions de dollars par an par exemple, présentent généralement les caractéristiques suivantes 2 :  Une politique d’admission sélective, qui se traduit in fine par un nombre écrasant d’étudiants qui connaissent de belles réussites professionnelles, deviennent influents et restent attachés à leur établissement (en particulier dans le premier cycle) ;  Une longue tradition de respectabilité, ou d’admission d’étudiants issus de familles d’élite, qui continuent à donner comme il est de règle dans leur milieu une fois leur propre réussite assurée ;  Des équipes importantes dédiées à l’entretien des relations avec les anciens élèves et chargées de tenir à jour les dossiers personnels, les adresses postales et électroniques de tous les étudiants, de retrouver les individus perdus de vue, d’évaluer leur richesse et leur potentiel de don ; une armée de volontaires recrutés dans la promotion en cours et celle de l’étudiant ciblé et maîtrisant parfaitement toutes les techniques de la levée de fonds ; et enfin des moyens financiers importants pour couvrir les coûts d’impression, d’affranchissement, de réception et d’organisation d’événements comme les réunions d’anciens élèves.  Des conseils d’administration composés d’anciens élèves influents et d’hommes et de femmes d’affaires de premier plan, en particulier dans les universités et les établissements privés d’enseignement supérieur, et susceptibles pour la plupart de faire une généreuse donation et d’inciter d’autres personnes à faire de même ; et  Un corps professoral prestigieux, à la base de la renommée et sélectivité de l’établissement, mais aussi capable d’obtenir auprès de fondations privées des financements de recherche qui seront comptabilisés dans les enquêtes annuelles du CAE (Council for Aid to Education). En matière de philanthropie, l’enseignement supérieur public des États-Unis occupe aujourd’hui une position de leader, aussi bien du point de vue du montant des dons annuels collectés que du nombre de fonds de dotation de plus de 1 milliard de dollars. Si les diplômés des meilleurs établissements d’enseignement secondaire affluent aujourd’hui autant vers les grandes universités publiques, c’est aussi en raison de l’attrait des programmes d’études supérieures et des formations professionnelles avancées proposés en médecine, droit et commerce et au fait que certains enfants ont tendance à vouloir fréquenter les mêmes écoles que leurs parents. Pour cette raison, même quand ils sont issus de milieux aisés et influents, de plus en plus d’étudiants ambitieux et doués sur le plan académique choisissent de faire leurs études de premier cycle dans des universités publiques, alors que ce n’était absolument pas le cas autrefois. Et comme les établissements publics du supérieur aspirent eux aussi à plus de sélectivité et à une recherche de haut niveau, leurs coûts ne cessent d’augmenter alors que les pouvoirs publics ont de moins en moins d’argent à leur consacrer. Ils sont donc obligés de faire appel à la philanthropie privée pour compléter leurs budgets. Même si les établissements sont bien plus nombreux que par le passé à réaliser des levées de fonds annuelles, les collectes d’envergure (plus de 100 millions de dollars par an) restent l’apanage des établissements publics et privés les plus élitistes et sélectifs. Le tableau 6.1 montrent les vingt institutions qui ont drainé à elles seules plus de 25 % des 28 milliards de dollars de dons accordés aux établissements d’enseignement supérieur américains en 2010 (Council for Aid to Education, 2010a et 2010b). Il est nécessaire de développer une culture de la philanthropie dans l’enseignement supérieur. Outre les donations et actions bénévoles déjà décrites, une telle culture doit pouvoir s’appuyer sur des convictions ou postulats politiques, qui sont très différents de la simple générosité philanthropique ou 2 Certains observateurs rajouteraient des équipes sportives performantes, mais les données disponibles sont mitigées à ce sujet. 82 de la valeur civique que l’on peut reconnaître à l’enseignement supérieur. Pour qu’une culture philanthropique puisse réellement se développer dans l’enseignement supérieur public, il faut que les donateurs comprennent que l’État tire ses revenus des contribuables et que le laisser assumer seul le coût de l’enseignement supérieur revient non seulement à reporter la totalité de cette charge sur le citoyen moyen mais aussi, très souvent, à sous-financer l’enseignement supérieur. Tableau 6.1 Universités qui ont récolté le plus de fonds en 2010 Statut Montant levé Rang Université public/privé (en millions USD) 1 Université de Stanford Privé 598,89 2 Université Harvard Privé 596,96 3 Université Johns Hopkins Privé 427,59 4 Université de la Californie du Sud Privé 426,02 5 Université Columbia Privé 402,36 6 Université de Pennsylvanie Privé 381,59 7 Université de Yale Privé 380,90 8 Université de New York Privé 349,21 9 Université Duke Privé 345,47 10 Université de l’Indiana Public 342,82 11 Université de Californie, Los Angeles Public 340,41 12 Université du Wisconsin Public 311,85 13 Université Cornell Privé 308,22 14 Université de Californie Berkeley Public 307,51 15 Institut de Technologie du Massachusetts Privé 307,18 16 Université de Washington Public 285,22 17 Université de Californie San Francisco Public 268,90 18 Université de Caroline du Nord Public 266,86 19 Université du Michigan Public 252,10 20 Université de Chicago Privé 251,23 Source : Council for Aid to Education 2011. Près des trois quarts des fonds répertoriés ci-dessus émanent de sources autres que les anciens élèves3 :  Fondations (30 %)  Anciens étudiants (25,4 %)  Individus autres que des anciens étudiants (17,6 %)  Entreprises (16,9 %)  Organisations non religieuses (9 %), et  Organisations religieuses (1,1 %) 3 Council for Aid to Education (2011). 83 6.1.2 Limites, restrictions et coûts associés à la philanthropie dans l’enseignement supérieur Sur les 28 milliards de dollars de fonds philanthropiques collectés en 2010, 17 milliards ont servi à financer des charges de fonctionnement courantes et 11 milliards, des dépenses d’équipement. Même si les données cumulées ne permettent pas de connaître dans le détail toutes les affectations de ces fonds, il est normalement acquis qu’ils financent essentiellement l’aide aux étudiants, qui revient ensuite aux établissements d’enseignement supérieur et aux universités sous forme de droits d’inscription, d’aides aux frais de logement et de nourriture sur les campus. Ces fonds servent aussi à financer des équipements spécialisés, des frais de voyage et du personnel d’appui dans la mesure où l’on sait que les fonds répertoriés dans l’enquête du CAE tiennent compte de l’aide privée à la recherche. En revanche, ils n’ont guère d’incidence sur les budgets de fonctionnement sans affectation déterminée. Une des limites majeures de la philanthropie est son coût. En effet, une levée de fonds ne pourra être réellement efficace que si le responsable de l’institution, qu’il soit président du conseil d’administration, chancelier, vice-chancelier, président du conseil d’établissement ou recteur, y consacre du temps et de l’énergie. Une équipe de professionnels devra également y travailler à plein temps sous l’autorité d’un responsable suffisamment haut placé pour qu’il puisse avoir l’autorité et les budgets nécessaires mais aussi l’attention directe du plus haut dirigeant. Du personnel supplémentaire devra se charger de compiler et de tenir à jour les listes d’anciens élèves, d’amis et de fondations. Il faudra aussi prévoir un budget pour les frais d’impression, de publication, de publipostage, de voyage et l’organisation d’événements destinés à renforcer les liens et le sentiment d’appartenance. Le coût exact d’une levée de fonds est difficile à calculer car il dépend de la taille de l’institution, du secteur (privé ou public), mais aussi de l’échelle des opérations mises en place pour atteindre les objectifs fixés. Au départ, les coûts de démarrage d’une levée de fonds peuvent absorber une part importante des fonds collectés. Ce pourcentage diminuera une fois que l’essentiel du travail de compilation des listes de publipostage sera fait et que les efforts de communication visant à réactiver les réseaux relationnels commenceront à générer des dons plus importants. Le coût d’une levée de fonds est aussi d’autant plus difficile à calculer que la discrétion reste de mise dans ce domaine, les donateurs n’appréciant pas toujours de découvrir qu’une partie de l’argent qu’ils pensaient avoir donné pour financer un projet de recherche, des bourses d’études ou des frais de fonctionnement a en fait servi à financer le coût de la levée de fonds. Dans les trente six institutions américaines de recherche post-doctorale qui ont répondu à l’enquête 2010 du CAE, la répartition des coûts associés à la communication et aux relations extérieures était approximativement la suivante :  Développement et levée de fonds (52 %)  Promotion des services (17 %)  Communication et marketing (11 %)  Affaires générales liées aux anciens élèves (11 %)  Actions de communication de la direction de l’établissement (9 %) Compte tenu de ces coûts et des autres restrictions de financement, le soutien philanthropique est en réalité bien loin de compenser les droits d’inscription des établissements privés d’enseignement supérieur et encore moins le coût combiné des droits d’inscription et du soutien opérationnel de l’État dans les établissements publics. Pour que la philanthropie puisse se développer dans l’enseignement supérieur, il faut que soit assez répandue la conviction que les dépenses des administrations publiques (exonérations et autres 84 avantages fiscaux inclus) ont des coûts d’opportunité et que le financement public de l’enseignement supérieur, même s’il est extrêmement important, s’exerce au détriment du financement d’autres besoins publics (enseignement élémentaire et secondaire, infrastructure économique, aide sociale, santé publique, etc.). La plupart des pays d’Europe et de la région MENA continuent de considérer qu’il est normal que le coût de l’enseignement supérieur soit supporté en totalité ou presque par les contribuables quand il n’est pas financé par les revenus du pétrole comme c’est le cas dans certains États. Bien qu’elle soit progressivement remise en question dans de nombreux pays européens, cette conviction politique perdure en dépit de trois arguments : (i) les bénéficiaires de l’enseignement supérieur gratuit viennent essentiellement des classes moyennes et moyennes supérieures ; (ii) l’enseignement supérieur offre aux étudiants des avantages personnels considérables tout au long de leur vie (salaires plus élevés et plus de prestige et de choix de carrière par exemple) ; et (iii) la plupart des pays n’ont pas assez de recettes fiscales pour répondre aux besoins de l’enseignement supérieur. 6.1.3 Un régime fiscal avantageux Si l’on veut dynamiser la philanthropie, il faut que les dons puissent bénéficier d’un régime fiscal avantageux. En effet, même si la fiscalité diffère d’un pays à l’autre et que les autorités ne renoncent jamais de gaieté de cœur à des rentrées fiscales, les avantages fiscaux ont un impact déterminant sur le succès de la philanthropie. Aux États-Unis, les avantages les plus répandus sont les suivants : (1) Déductibilité totale du don du total des revenus. C’est la norme fiscale la plus utilisée au monde. On la trouve notamment dans les pays où : une part significative des recettes fiscales provient de l’impôt sur les personnes physiques ; (ii) les taux d’imposition sont élevés (entre 30 et 50 %) ; (iii) la plupart des revenus (en particulier les plus élevés) sont déclarés et par conséquent assujettis à l’impôt ; et (iv) les taux d’imposition sont progressifs, ce qui signifie que les plus hauts revenus sont les plus lourdement taxés. Ainsi, dans un pays où le taux marginal d’imposition des hauts revenus est de 40 %, une personne qui donne 100 000 dollars à une université bénéficiera d’une réduction d’impôt de 40 000 dollars ; l’université reçoit un don de 100 000 dollars et le donateur déduit la valeur totale de ce don (100 000 dollars) de son revenu imposable. Il est crucial que les lois et réglementations fiscales sous-jacentes précisent (voire même limitent) le type de donations ouvrant droit à des déductions d’impôt et que les autorités fiscales disposent des moyens financiers et humains nécessaires pour veiller à ce que ces dispositions coûteuses (pour l’État) ne soient pas sources d’abus. (2) Déductibilité totale de la valeur d’actif du don, plus-values réalisées incluses. En général, quand un actif prend de la valeur, le gain en capital réalisé n’est soumis à l’impôt sur le revenu que lorsque cet actif est cédé. Le taux d’imposition appliqué est généralement inférieur à celui de l’impôt sur le revenu, mais il existe une solution fiscalement plus avantageuse qui consiste à donner plutôt qu’à céder des actifs qui se sont appréciés. En effet, en donnant à une université des actions achetées 20 000 dollars il y a dix ans et valant deux fois plus cher aujourd’hui, le donateur pourra déduire 40 000 dollars de sa base d’imposition sans avoir à payer le moindre impôt sur les plus-values réalisées. Cette disposition fiscale permet au donateur d’échapper en toute légalité à l’impôt sur la plus-value des actions et autres actifs qui ont pris de la valeur et cela explique pourquoi c’est la forme de don la plus utilisée par les donateurs les plus fortunés. Ce type d’avantage fiscal est particulièrement bénéfique aux universités qui cherchent à obtenir des dons importants pour créer un fonds de dotation ou le renforcer. (3) Déductibilité de la valeur du don assortie d’une rente viagère. Un autre régime fiscal avantageux susceptible d’intéresser les donateurs est celui du don assorti d’une rente. En faisant une donation irrévocable à une université, le donateur peut recevoir une rente viagère tout en bénéficiant, au moment de la donation, d’une déduction fiscale qui sera calculée sur la base d’une estimation de la valeur actualisée de la donation qui reviendra un jour sans réserve à l’université. Cette disposition 85 fiscale est susceptible d’intéresser les personnes préférant faire un don de leur vivant plutôt qu’à titre posthume, mais qui ne peuvent pas se permettre de renoncer au revenu que leur procure l’actif en question. La valeur estimée du don qui reviendra in fine à l’université et la déduction fiscale qui sera accordée l’année du don seront d’autant plus réduites que l’espérance de vie du donateur sera longue et la rente généreuse. (4) Déductibilité de la valeur du don assortie d’une rente viagère susceptible d’être étendue au conjoint ou à la famille (Charitable remainder trust). Le CRT ou Charitable remainder trust est une variante du concept précédent. Pour bénéficier d’avantages fiscaux, le donateur constitue une fiducie irrévocable (irrevocable trust) au profit d’un organisme fiduciaire qui sera chargé de l’administrer mais qui pourra être transférée au conjoint survivant ou à un autre héritier avant de devenir la pleine propriété de l’organisme fiduciaire en question. Dans le cadre de ce dispositif, le donateur (et son ou ses héritiers éventuels si les termes de la fiducie le prévoient) a droit à une déduction fiscale au moment du don ainsi qu’à une rente, mais la disposition en faveur des héritiers entraîne une réduction de l’estimation de la valeur actualisée du don que l’université recevra in fine et de ce fait, la déduction fiscale à laquelle le donateur pourra prétendre l’année du don sera elle aussi moins importante. En réalité, les mécanismes prévus par le code fiscal des États-Unis pour encourager la philanthropie sont si nombreux que la contribution financière de l’État est quasiment équivalente au montant des dons philanthropiques récoltés. Mais cet effort se justifie par le fait que l’essentiel de la philanthropie soutient des causes qui en valent la peine et que ces dernières seraient à la charge de l’État ou du contribuable si la philanthropie n’existait pas. Autrement dit, malgré leur coût, les avantages fiscaux de la philanthropie constituent des outils efficients pour redistribuer la richesse privée vers l’enseignement. 6.1.4 Potentiel philanthropique de la diaspora de la région MENA Les diasporas, autrement dit tous ces individus qui sont partis vivre ailleurs mais qui ont conservé un attachement identitaire profond vis-à-vis de leur pays d’origine, représentent une source potentielle de philanthropie au profit de l’enseignement supérieur de bien des pays à moyen et faible revenu. Les jeunes les plus cultivés de ces pays sont souvent massivement partis se spécialiser en Europe ou aux États-Unis et beaucoup y sont restés ou retournés pour y créer des entreprises ou y exercer leur métier. Ces émigrés sont souvent enclins à faire un don aux universités de leur pays d’origine, soit parce qu’ils se sentent redevables envers l’institution qui leur a permis d’obtenir leurs premiers diplômes (y compris avec l’aide d’une bourse d’État), soit parce qu’ils veulent aider ces mêmes universités à dispenser un enseignement de qualité à ceux qui ne peuvent pas partir étudier en Europe ou aux États-Unis comme ils ont pu le faire. Le potentiel semble considérable. Une étude de la Banque mondiale (Ratha et Mohapatra, 2011), estime l’épargne de la diaspora mondiale à 400 milliards de dollars et celle de la région MENA à plus de 42 milliards de dollars. Il y aura toutefois des difficultés à surmonter avant de pouvoir mobiliser cette épargne à des fins philanthropiques. Premièrement, il n’existe pas dans la région MENA de tradition philanthropique très répandue au bénéfice des universités. Deuxièmement, les émigrés originaires de cette région ont souvent reçu une part de leur formation en Europe ou en Amérique du Nord. Il serait pourtant dommage que l’enseignement supérieur de cette région se prive de ce soutien potentiel alors que les universités américaines n’hésitent pas à faire appel à la générosité des étudiants chinois, taïwanais, coréens, indiens ou indonésiens qui sont repartis faire fortune dans leur pays d’origine après s’être formés sur leurs bancs. La troisième difficulté à surmonter est l’absence de base de contacts exploitables. Les dossiers des anciens étudiants sont rarement à jour quand ils n’ont pas tout simplement disparu. Retrouver les numéros de téléphone, les adresses postales et électroniques et enquêter sur la situation 86 professionnelle et le potentiel de don des anciens étudiants exigera beaucoup de temps et d’argent mais ce travail devra être considéré comme un investissement. Enfin, le potentiel philanthropique des diasporas de la région MENA ne pourra réellement s’exprimer que lorsque la législation des pays d’accueil concernés prévoira des avantages fiscaux pour les dons transnationaux. Les lois et réglementations des services fiscaux américains prévoient au moins deux mécanismes de déductibilité de l’impôt américain pour les dons consentis à un organisme étranger d’intérêt général par une personne de nationalité américaine ou pas, résidant aux États-Unis. Les organismes américains affiliés à des organisations caritatives internationales peuvent constituer des associations du type « Les Amis de » et bénéficier à ce titre des exemptions de taxes prévues pour les organismes publics de bienfaisance conformément à l’article 501, (c) (3) du Internal Revenue Code des États-Unis d’Amérique. Ces organismes de bienfaisance sont totalement exonérés d’impôts et sont habilités à accepter des dons et subventions en vue de les transmettre à des organismes de bienfaisance sans but lucratif agréés situés dans d’autres pays. Parmi les associations de ce type, on trouve par exemple The American Friends of the Paris Opera, The American Friends Service Committee, et The American Friends of London Business School. Les intermédiaires agréés d’un organisme public de bienfaisance sont habilités à transmettre des dons directs à un organisme de bienfaisance situé dans un autre pays. En échange de ce service, l’organisme intermédiaire perçoit une rétribution qui est généralement retranchée du montant initial du don. Les très importantes diasporas égyptienne, marocaine, palestinienne, libanaise, tunisienne actuellement installées aux États-Unis et en Europe ainsi que les Américains et les Européens influents qui entretiennent des liens étroits (commerciaux ou autres) avec la région MENA sont susceptibles d’apporter un soutien philanthropique considérable aux universités de cette région et pour les encourager à donner, il sera crucial de créer au moins une voire plusieurs associations de bienfaisance du type « Les Amis de… ». 6.2 Gestion d’un fonds de dotation universitaire Comment fonctionne un fonds de dotation universitaire ? Qui est responsable de la gestion des fonds investis sachant que ces fonds ont vocation à générer un flux de revenu le plus souvent à perpétuité ? Un fonds de dotation est un fonds détenu ou contrôlé par un organisme d’intérêt général comme un établissement d’enseignement supérieur par exemple. Une fois la donation réalisée, les actifs investis continuent de générer des revenus au profit de la mission d’intérêt général. Dans un fonds de dotation, le capital initialement versé est conservé à perpétuité et seuls les revenus de la capitalisation sont dépensés (ex : intérêts, dividendes, bénéfices des fondations ou des activités ou biens détenus par le fonds de dotation). Dans certains cas, il sera possible de consommer une partie des gains en capital réalisés mais la valeur réelle du capital (ou principal) devra rester la même ou mieux encore croître légèrement de façon à maintenir un flux de revenus constant après inflation). À condition d’être investi avec prudence, un fonds de dotation présente l’avantage d’être une source inépuisable de revenus sans qu’il soit nécessaire de procéder à de nouveaux investissements. L’inconvénient, c’est que pour chaque dollar de revenu annuel disponible, l’université est obligée de lever une dotation préalable de 20 à 25 dollars. Qui plus est, les restrictions attachées à l’usage de certaines dotations peuvent entraîner une augmentation des dépenses courantes ou inciter l’université à se détourner de la mission du conseil d’administration et du corps professoral. Et comme les coûts et les besoins financiers des universités ne cessent de croître, lever des fonds pour des fonds de dotation existants ou supplémentaires est une tâche sans fin. Les administrateurs ou trustees de l’université ou de la fondation propriétaire du fonds de dotation ont essentiellement trois grandes attributions. Il leur faut d’abord déterminer l’allocation d’actifs 87 entre actions ordinaires, titres à revenu fixe et véhicules d’investissement plus risqués mais potentiellement plus lucratifs (fonds spéculatifs, produits dérivés, immobilier, capital-investissement ou autres). Ils doivent ensuite définir la politique de dépense, c’est-à-dire la part des dividendes, intérêts, profits et gains en capital qui pourra être affectée chaque année au budget de fonctionnement de l’université. Enfin, il leur appartient de définir la politique de gestion du portefeuille, autrement dit la manière dont les actifs du fonds pourront être investis en respectant les paramètres de l’allocation d’actifs. Nous revenons en détail sur chacune de ces politiques dans les sections suivantes. 6.2.1 Allocation d’actifs Aux États-Unis, les dotations en capital des fonds de dotation universitaires étaient traditionnellement constituées de valeurs mobilières américaines (titres rémunérés par des dividendes) et des actifs à revenu fixe comme les obligations. Depuis quelque temps toutefois, d’autres classes d’actifs beaucoup plus risquées mais potentiellement plus rémunératrices à long terme ont fait leur apparition. Parmi ces nouvelles classes d’actifs, on trouve des titres de sociétés étrangères ou non cotées, des produits dérivés, des fonds spéculatifs, de l’immobilier locatif ou d’autres actifs qui ne contribuent pas à générer un revenu mais qui sont appelés à prendre de la valeur (et qui peuvent donc être affectés en garantie d’un prêt ou d’un emprunt si nécessaire). En théorie, un fonds de dotation universitaire peut recevoir toutes sortes de dons, y compris des sociétés, et dans ce cas, les universités sans but lucratif ou leurs fondations seront les seules entités à pouvoir profiter du produit de leur activité 4. Aux États-Unis, les fonds de dotation universitaire de moins de 50 millions de dollars tendent à être investis de manière prudente, avec une allocation d’actifs centrée sur les actions et les obligations américaines alors que les fonds de dotation plus importants ont davantage tendance à privilégier les « actifs alternatifs » à la fois moins liquides et plus risqués mais aussi susceptibles de rapporter nettement plus. D’après l’enquête annuelle réalisée conjointement par le Common Fund Institute et la NACUBO (National Association of College and University Business officers), en 2010, les fonds de dotation de plus 1 milliard de dollars étaient investis à hauteur de 11 % en actions américaines, 15 % en actions internationales, 10 % en titres à revenu fixe, 60 % en stratégies alternatives et 4 % en liquidités et titres à court terme (NACUBO-Commonfund, 2011). De même, d’après Cambridge Associates (le plus grand cabinet de conseil américain spécialisé dans les fonds de dotation), dans l’allocation d’actifs des fonds de plus 1 milliard de dollars, la part des valeurs américaines est passée de 46,2 % en moyenne en 1996 à seulement 14,8 % en 2010. La part des obligations a également baissé au cours de la même période, passant de 24,2 % à 11,1 %, alors que la pondération des actifs alternatifs est passée de 5,2 % en 1996 à 24,8 % en 2010. Ces fonds alternatifs regroupent des fonds spéculatifs, des fonds d’arbitrage event-driven, des titres d’entreprises en difficulté et des fonds spéculatifs non directionnels (market neutral hedge funds). Le tableau 6.2 montre l’évolution de l’allocation d’actifs des fonds de dotation universitaire de plus de 1 milliard de dollars aux États-Unis entre 1996 et 2010. 4 Aux États-Unis, le conseil d’administration d’une institution ou d’une fondation affiliée qui reçoit en dotation un immeuble de rapport ou une société décide généralement de vendre ce type de bien au plus vite et de réinvestir le produit de la cession dans des actions ou d’autres actifs de type « investment grade ». Dans d’autres pays, il est fréquent que des universités ou leurs fondations affiliées conservent en pleine propriété des activités ou des actifs générant des revenus. 88 Tableau 6.2 Evolution de l’allocation d’actifs des fonds de dotation universitaires de plus de 1 milliard de dollars Type d’actifs 1996 2003 2010 (var. en %) (var. en %) (var. en %) Actions américaines 46,2 33,7 14,8 Obligations 24,2 18,5 11,1 Actions internationales (hors États-Unis) 13,0 13,4 16,8 Fonds de capital investissement (private equity) 1,2 4,6 10,3 Fonds spéculatifs et autres produits alternatifs* 5,2 17,2 24,8 Autres valeurs** 10,2 12,6 22,2 Total 100 100 100 Source : Cambridge Associates 2011. Note : *Englobe les fonds spéculatifs macro et market neutral, les titres en difficulté et les fonds event arbitrage. **Englobe l’immobilier public et privé, le pétrole et le gaz, le bois, les matières premières et les liquidités. 6.2.2 Politique de dépense Il appartient aussi au conseil d’administration du fonds de dotation de déterminer le montant des revenus annuels issus des dividendes, intérêts et gains en capital qui pourra être dépensé et celui qui devra au contraire être réinvesti pour préserver la valeur réelle du capital initial. Les économies industrielles avancées tablent en général sur un taux de croissance annuel compris entre 2,5% et 3,5 % en termes réels, soit environ 2,5 à 3,5 points de pourcentage de plus que la hausse générale des prix, ou du taux d’inflation en vigueur. Un fonds plus important et géré de manière plus agressive (en accordant plus d’importance aux placements alternatifs) pourrait générer une croissance supérieure alors qu’un fonds plus petit et géré de manière plus conventionnelle (en privilégiant les obligations et les grandes capitalisations boursières américaines) pourrait enregistrer une croissance inférieure. La politique de dépense devra tenir compte de la politique d’allocation d’actifs et des besoins de revenus immédiats de l’université. Il conviendra de trouver un juste équilibre entre le niveau de risque toléré dans la stratégie d’investissement et le seuil de revenu en dessous duquel l’université se retrouverait en difficulté financière si la valeur du fonds de dotation venait à baisser du fait d’une récession par exemple. En général, pour financer des coûts de fonctionnement essentiels comme la dotation d’une chaire académique par exemple, les universités ont beaucoup plus tendance à s’appuyer sur le revenu consommable du fonds quand ce dernier est important que lorsqu’il est modeste. Les fonds de dotation importants ont également tendance à avoir des allocations d’actifs plus audacieuses. Ils sont donc de ce fait beaucoup plus exposés aux ralentissements économiques et aux dépréciations d’actifs. D’une manière générale mais plus particulièrement encore les années de baisse, les fonds de dotation de plus de 1 milliard de dollars appliquent des taux de dépense plus élevés que les fonds plus modestes de manière à ce que les universités puissent disposer de revenus suffisants pour couvrir leurs dépenses courantes de fonctionnement5. A ce sujet, le rapport 2010 de la NACUBO montre qu’entre 2009 et 2010, les fonds de dotation de plus de 1 miliard de dollars ont relevé leur taux de dépense moyen de 4,6 % à un taux plein de 5,6 % alors que les fonds de dotation plus modestes (c’est- à-dire de moins de 25 millions de dollars) l’ont abaissé de 3,9 % à 3,5 %. En règle générale, aux États- Unis, le taux de dépense des fonds de dotation des établissements d’enseignement supérieur s’est maintenu entre 4,3 % et 5,0 % durant la majeure partie de la dernière décennie (NACUBO- Commonfund, 2011). 5 Communication privée du 11 avril 2011 avec Jane Mendillo, présidente et directrice générale de Harvard Management Company. 89 La politique de dépense doit également déterminer la valeur du capital de dotation à laquelle s’appliquera le taux de dépense. Pour parer au risque de volatilité des portefeuilles (notamment dans le cadre de stratégies d’investissement agressives), le taux de dépense est généralement calculé sur la base d’une « moyenne mobile », comme la moyenne des deux ou trois années précédentes. Les formules de calcul peuvent toutefois varier d’un fonds à l’autre, comme le montre l’enquête 2010 de la NACUBO. Sur les soixante établissements qui ont déclaré détenir un fonds de dotation de plus de 1 milliard de dollars, quarante neuf (soit 82 %) ont utilisé un taux de dépense fondé sur la moyenne des années précédentes ; dix-huit (30 %) un taux fondé sur le montant des dépenses en dollars de l’année précédente plus inflation (extrêmes inclus). Huit ont déclaré redéfinir leur taux tous les ans, et deux auraient dépensé la totalité des revenus courants disponibles (NACUBO-Commonfund, 2011). Dans la plupart des institutions, et en particulier celles dont le budget dépend en grande partie du fonds de dotation, une lettre de cadrage précise est indispensable pour que les gestionnaires puissent faire des prévisions de revenus et planifier en conséquence. Tout aussi important, la politique de dépense définie par le conseil d’administration devra tenir compte des objectifs à long terme de l’établissement et imposer une certaine discipline financière. Autrement dit, la politique de dépense devra veiller à ce que les besoins de financement à court terme ne compromettent pas les besoins de financement à long terme. 6.2.3 Gestion de portefeuille Après avoir défini les politiques d’allocation d’actifs et de dépense, les bénéficiaires du fonds de dotation doivent déterminer la politique de gestion du portefeuille, c’est-à-dire convenir des actifs qui pourront être vendus, cédés ou conservés dans le cadre de ces paramètres. Dans les fonds de taille modeste, la gestion des portefeuilles est assurée par les trustees ou les bénéficiaires eux-mêmes, certains d’entre eux ayant généralement quelque expérience en matière de gestion et de placement de la trésorerie. Dans les fonds plus importants en revanche, la gestion de portefeuille est généralement déléguée à un ou plusieurs gérants professionnels afin d’éviter les conflits d’intérêt et les problèmes qui pourraient découler de certaines décisions d’investissement. Ces professionnels doivent respecter la politique d’allocation d’actifs définie par le conseil d’administration, mais ils sont libres d’investir comme ils l’entendent pour maximiser la croissance à long terme du fonds de dotation. Les conseils d’administration comme les trustees peuvent s’appuyer sur l’expertise de conseillers en investissement. Ces derniers ne seront pas autorisés à prendre part aux décisions d’investissement, mais ils pourront aider les bénéficiaires du fonds à sélectionner les gérants et à évaluer leurs performances (Kershaw, 2011) 6. Les universités américaines disposant de fonds de dotation de plus de 1 milliard de dollars ont la possibilité de créer une société de gestion privée et de la détenir à 100 %. Dans ce cas-là aussi, les politiques d’allocation d’actifs et de dépense ne pourront être définies que par le conseil d’administration, mais c’est la société de gestion qui prendra les décisions d’investissement critiques. Gérer un fonds de dotation de 10 milliards de dollars exige des compétences très pointues et une solide expérience dans des domaines aussi variés que les actions internationales, le capital- investissement, les fonds spéculatifs, l’immobilier et toutes les autres formes de gestion alternative possibles. Pour attirer et retenir les meilleurs professionnels de la place, les universités sont obligées d’offrir des conditions de salaire et de travail qui sortent complètement du cadre de leur politique de personnel normale. La création en interne d’une entité de gestion juridiquement séparée leur permet de contourner ce problème. La Harvard Management Company qui gère un portefeuille de 6 Consulter https://www.cambridgeassociates.com/about_us/index.html pour plus d’information sur le type de conseil qu’une société comme Cambridge Associates peut apporter au niveau d’une campagne de levée de fonds ou d’un fonds de dotation universitaire. 90 27,6 milliards de dollars pour le compte de l’Université Harvard est un exemple de ce type de structure (voir encadré 6.1 pour plus de détails) 7. Encadré 6.1 Harvard Management Company Le 30 juin 2010, la valeur du fonds de dotation de Harvard s’élevait à 27,6 milliards de dollars, alors qu’elle dépassait 36,5 milliards de dollars juste avant le krach boursier de 2008. Ce fonds est géré par la Harvard Management Company (HMC), une société de gestion privée sans but lucratif, filiale à 100 % de l’Université Harvard. HMC est donc détenue par le conseil d’administration, le Président et les fellows de l’Université. En tant qu’organisme privé sans but lucratif exonéré d’impôt, HMC est limité dans le type d’activités qu’elle peut exercer et gère uniquement le fonds de dotation de l’Université Harvard (et d’autres petites fiducies affiliées). HMC est administré par un conseil présidé par le Trésorier de Harvard, qui nomme le président-directeur général (chief executive officer) et les principaux cadres dirigeants de HMC et définit les politiques d’allocation d’actifs et de dépense qu’elle est tenue de respecter. HMC gère activement près d’un tiers des actifs du fonds de dotation, et principalement les titres à revenu fixe et la plupart des valeurs américaines cotées en Bourse. La gestion de tous les autres actifs, y compris celle des placements alternatifs (fonds spéculatifs, immobiliers et capital-investissement) est confiée à des sociétés de gestion extérieures. Entre le début des années 1990 et 2008, le taux de dépense se situait entre 3,5 % et 4,0 % car l’appréciation spectaculaire de la valeur de marché du fonds de dotation avait permis de l’abaisser. Il était remonté entre 5,5 % et 6,0 % après la baisse vertigineuse de 2008-09, mais il est retombé depuis à environ 5 % du fait de la reprise du marché. 6.2.4 Fonds de dotation des universités publiques Le bénéficiaire d’un don ne pouvant être qu’une personne morale8 et non un simple « agent de l’État », les établissements publics d’enseignement supérieur américains qui ne sont pas dotés de la personnalité morale sont obligés de créer des fondations privées pour pouvoir recevoir des dons de bienfaisance, respecter les souhaits des donateurs et devenir propriétaire des actifs apportés en dotation. Ces fondations sans but lucratif sont liées au conseil d’administration de l’établissement public (ou d’une certaine manière au ministère dont il dépend) ainsi qu’au président ou au recteur de l’institution qui peut être amené à siéger au conseil de la fondation en vertu de sa charge. Dotée d’une structure juridique séparée, la fondation échappe en général aux politiques du personnel de l’université ou de l’administration publique ainsi qu’aux autres restrictions. Comme dans les universités privées, le conseil d’administration de la fondation affiliée définit les politiques d’allocation d’actifs et de dépense, mais la gestion de portefeuille est généralement confiée à un ou plusieurs gérants professionnels. Le conseil d’administration peut également s’appuyer sur les propositions d’un conseil en investissement extérieur pour sélectionner les gérants et définir l’allocation d’actifs et la politique de dépense. Quand les dotations à gérer sont très importantes, la fondation universitaire peut créer sa propre société de gestion. C’est ce qu’a fait l’Université de Virginie. La société qui gère le fonds de dotation de l’université de Virginie est une entité sans but lucratif juridiquement séparée de l’université et administrée par un conseil d’administration constitué 7 Harvard Management Company http://www.hmc.harvard.edu//investment-management/index.html. 8 C’est-à-dire une société privée sans but lucratif ou une personne morale publique habilitée à signer des contrats exécutoires, à acheter et vendre des biens, et à ester en justice. 91 de trois membres choisis par le conseil d’établissement et un quatrième choisi par le président de l’université9. 6.2.5 Autres formes de dotations Si les actifs qui constituent la dotation sont le plus souvent des actions américaines ou internationales ou des titres à revenu fixe, d’autres types d’apports sont également possibles :  Immeubles de rapport ou sociétés. Un fonds de dotation peut très bien recevoir un immeuble de rapport ou une société dans le cadre d’une donation importante. Il est à noter cependant qu’aux États-Unis, des biens de ce type sont généralement cédés au plus vite, les bénéficiaires s’estimant plus qualifiés pour faire fructifier les produits de cession que les biens en question.  Bâtiments et équipements universitaires. Des terrains, bâtiments ou de coûteux équipements scientifiques d’une très longue durée de vie peuvent eux aussi faire l’objet d’une donation et être apportés à un fonds de dotation à capital permanent. Par ailleurs, même si la plupart des dotations sont censées être investies pour générer un revenu annuel à perpétuité, il existe des exceptions :  Les fonds de dotation à capital consommable. Si le donateur indique que la dotation pourra être consommée, les bénéficiaires auront le droit de dépenser chaque année une partie du capital en plus des revenus issus de ce capital (intérêts et dividendes). Ils disposeront ainsi pendant une période donnée de beaucoup plus d’argent que lorsque le donateur exige que les bénéficiaires gardent le capital intact et n’utilisent que les revenus qui en découlent.  Réserves gérées comme des fonds de dotation. Des organismes à caractère philanthropique peuvent être amenés à mettre en réserve des excédents opérationnels surtout quand ils sont habilités à recevoir des revenus ou des droits provenant d’autres organismes d’intérêt public comme des universités ou des hôpitaux sans but lucratif par exemple. Ces réserves ne sont soumises à aucune restriction d’utilisation et l’organisme n’est nullement tenu de les conserver à perpétuité mais rien ne l’empêche non plus de les incorporer dans le capital permanent d’un fonds de dotation et de les traiter comme tel. 6.2.6 Les fonds de dotation universitaires américains Même s’ils n’avaient toujours pas renoué avec leur niveau d’avant la crise, fin 2010-début 2011, près de 370 fonds de dotation de l’enseignement supérieur américain affichaient une valeur d’actif de 100 millions de dollars et 60 une valeur de plus de 1 milliard de dollars (NACUBO-Commonfund, 2011). Le tableau 6.3 présente les fonds de dotation universitaires qui faisaient partie du peloton de tête en 2008. 9 Voir University of Virginia Management Company http://uvm-web.eservices.virginia.edu/public/. 92 Tableau 6.3 Les vingt plus grands fonds de dotation universitaire américains en 2008 Rang Université (Statut Dotation (2008) public/privé) (en milliers de $) 1 Harvard Privé 36 556 284 2 Yale Privé 22 869 200 3 Stanford Privé 17 200 000 4 Princeton Privé 16 349 329 5 Inst.de Technologie du Massachusetts Privé 10 068 800 6 Michigan Public 7 571 904 7 Northwestern Privé 7 243 948 8 Columbia Privé 7 146 806 9 Texas (Austin) Public 6 895 038 10 Chicago Privé 6 632 611 11 Texas (A&M) Public 6 259 791 12 Pennsylvania Privé 6 233 281 13 Notre Dame Privé 6 225 688 14 Duke Privé 6 123 743 15 Emory Privé 5 472 528 16 Washington Privé 5 350 470 17 Rice Privé 4 610 164 18 Virginie Public 4 572 613 19 Cornell Privé 4 416 095 20 Dartmouth Privé 3 360 159 Source : National Association of College and University Business Officers 2009, modification de Capaldi et Lombardi 2010. Note : Dans le système universitaire public, seuls les plus grands campus publient des chiffres. 6.2.7 Principales faiblesses du soutien philanthropique dans l’enseignement supérieur Les fonds de dotation et les contributions à caractère philanthropique présentent un certain nombre de faiblesses, y compris aux États-Unis. On constate notamment que les établissements d’élite, qu’ils soient publics ou privés, sont de loin les mieux dotés. Et il n’y a rien de surprenant à cela vu le nombre d’étudiants fortunés qui les fréquentent et les opérations de séduction menées auprès des diplômés pour les inciter à donner. Mais pour la plupart des établissements d’enseignement supérieur, la situation est bien différente. Dans le public et les universités de second plan, les étudiants sont nettement moins riches et nettement moins courtisés. Du coup, les initiatives à caractère philanthropique coûtent souvent plus qu’elles ne rapportent et même s’il existe des marges de progrès substantielles, les fonds obtenus par ce biais ne représentent encore qu’une très modeste part du budget de fonctionnement total, y compris dans les établissements les plus performants. Qui plus est, les dotations et les donations annuelles sont souvent réservées à un usage précis. Les institutions qui en bénéficient ne sont donc pas toujours libres d’en disposer comme elles pourraient souhaiter le faire et cela peut entraîner des effets pervers. Pour attirer des donateurs potentiels, une université peut être tentée de privilégier certains programmes d’enseignement et de recherche au détriment de besoins plus criants et se détourner ainsi de la mission d’intérêt général qui est la sienne. Dernier point enfin, la philanthropie coûte cher. Il faut en effet dépenser beaucoup d’argent avant de pouvoir en récolter. Bref, la philanthropie n’a pas que des avantages, et ce serait se fourvoyer que de penser qu’elle pourrait devenir un jour une source de financement prépondérante pour la plupart des universités du monde. Pour que la philanthropie puisse avoir un réel impact sur le financement des universités à l’échelle mondiale, il faudra à la fois constituer des réseaux d’anciens étudiants ou de donateurs extrêmement riches et généreux, mais aussi instaurer une culture politique capable d’encourager les dons au profit de tout l’enseignement supérieur et non plus seulement en faveur de l’enseignement privé comme 93 c’est encore le cas aujourd’hui. Il faudra probablement du temps pour en arriver là mais à terme, la philanthropie sera appelée à jouer un rôle plus important dans le financement de l’enseignement supérieur, y compris dans les pays de la région MENA. 6.3 Un fonds d’investissement souverain dédié au financement des universités Un pays peut aussi décider de créer un fonds d’investissement souverain pour assurer le financement à long terme de ses universités. Le plus difficile sera alors de définir l’allocation d’actifs et la politique de placement les plus à même de garantir un équilibre entre les performances requises pour répondre aux besoins futurs et une gestion prudente du risque. Ces problématiques ne sont pas sans rappeler celles qui se posent aux fonds de pension publics. Pour les différencier des fonds de financement des retraites et des fonds de stabilisation monétaire, les fonds de réserve spéciaux destinées à assurer la croissance à long terme sont parfois appelés des fonds souverains (Teslik, 2009 ; Mezzacapo, 2009). La distinction entre les réserves officielles de change, les fonds de pension publics et les fonds souverains n’est pas très précise. En revanche, les fonds souverains et les grands fonds de dotation universitaires présentent de nombreux points communs : exposition aux actions, diversification dans cinq ou six autres classes d’actifs, liquidité réduite des actifs et exposition croissante aux actifs alternatifs comme l’immobilier, le capital- investissement et les fonds spéculatifs (Swensen, 2000). En 2009, le montant total des actifs gérés par des fonds souverains était estimé à 3,8 trillions de dollars et les plus importants dans la région MENA étaient ceux des Émirats arabes unis, du Koweït et du Qatar (Committee on Global Thought, 2010). 6.3.1 Fonds souverains et fonds de dotation privés sans but lucratif : points communs et différences Dans les fonds de dotation comme dans les fonds souverains, certains actifs peuvent être réservés à un usage particulier. Si un fonds souverain a pour vocation d’assurer le financement partiel ou complet du système universitaire d’un pays par exemple, certains actifs peuvent être affectés à des universités, des équipements ou des programmes précis, ou à des dotations d’équipement plutôt qu’à des dotations de fonctionnement, ou encore soumis à une politique de dépense particulière susceptible d’être modifiée si les circonstances l’exigent. La seule différence notable entre un fonds souverain et un fonds de dotation est que le premier, à l’instar d’un fonds de retraite d’État, sera beaucoup plus exposé que le second à la fluctuation des objectifs politiques et financiers d’un pays donné. Par conséquent, un fonds souverain peut être dédié au financement des universités et prévoir, au moins en théorie, des restrictions à l’utilisation des actifs, ainsi que leur degré de stabilité ou de relative inviolabilité dans le cadre de la législation en vigueur. Trois modèles (dont deux extrêmes) permettent d’illustrer les différents niveaux de contrôle qu’un État est susceptible d’exercer sur un fonds souverain dédié afin d’éviter que les actifs ne soient détournés de leur finalité. Le premier modèle extrême est celui qui permet à une instance dirigeante de dédier, sans autorisation légale préalable, tout ou partie d’un fonds souverain existant au financement d’une ou plusieurs universités. C’est ce qu’a fait l’Arabie saoudite quand elle a créé l'Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST). Il est à noter toutefois que le but premier de cette entreprise était de créer une université anglophone résolument moderne et internationale, capable de rivaliser avec les plus prestigieuses universités du monde et non de créer une source de financement pour l’ensemble du système universitaire saoudien ou pour une économie post-pétrole. Par conséquent, même si elle nous donne une idée du coût d’une telle initiative, la KAUST ne peut pas être considérée comme un modèle utile pour le financement durable de l’enseignement supérieur par le biais d’un fonds souverain. Dans le deuxième modèle, un pays doté d’une richesse souveraine considérable décide d’affecter une partie de cette richesse au financement futur de son enseignement supérieur. C’est comparable à ce 94 que fait une autorité publique lorsqu’elle doit planifier les besoins de financement à long terme de ses services publics (défense, sécurité intérieure, éducation de base, enseignement supérieur ou santé publique). Mais en plus d’affecter les revenus de capitalisation de cette richesse au financement de l’enseignement supérieur, l’instance dirigeante de notre modèle désigne les établissements d’enseignement supérieur qui en bénéficieront, détermine le montant qui ira à chacun d’entre eux ainsi que les prérogatives des ministères des Finances et de l’Enseignement supérieur concernant l’allocation de ces ressources. Comme les fonds publics sont essentiellement fongibles, une affectation intentionnelle ne pourrait pas en soi garantir le financement des universités si les ressources de l’État venaient à diminuer. Elle n’inciterait pas non plus les universités à explorer d’autres sources de revenus possibles comme la philanthropie, les droits de scolarité ou autres, ou encore les aides et contrats extérieurs. Encadré 6.2 Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST) Dotée de moyens financiers considérables et inaugurée en 2009, la KAUST, située à Thuwai en Arabie saoudite, est une université saoudienne qui a été créée en partenariat avec de prestigieuses universités américaines. En 2010, la KAUST proposait onze programmes de deuxième et troisième cycles (maîtrise et doctorat) dans trois divisions : Chimie, Sciences de la vie et Ingénierie, Mathématiques, Informatique et Ingénierie, et Sciences physiques et Ingénierie. Les cours sont en anglais, les classes sont mixtes et les femmes ne sont pas tenues de porter le voile. La KAUST est une université sans but lucratif dirigée par un conseil d’administration de vingt membres qui s’auto- cooptent, présidé par la famille royale, des ministres saoudiens, des P-DG de sociétés d’investissement et de compagnies pétrolières saoudiennes et internationales et des universitaires de renommée internationale, comme les présidents ou anciens présidents des universités Princeton et Cornell aux États-Unis, ou de l’université Jiao Tong de Shanghai en Chine. Il n’y a pas de droits d’inscription et les étudiants reçoivent une bourse pour couvrir leurs frais sur place. Les sources exactes du financement de la KAUST n’ont pas été communiquées mais de toute évidence plusieurs fonds souverains de l’Arabie saoudite y ont participé. Selon les rumeurs, la dotation effective serait bien supérieure aux 10 milliards de dollars évoqués par le New York Times lors de l’inauguration de la KAUST en 2009. Source : Site Internet de la KAUST : (http : www.kaust.edu.sa/) ; New York Times, 2009 Une législation prévoyant l’affectation explicite de tout ou partie d’un fonds souverain au soutien financier d’une liste précise d’établissements publics d’enseignement supérieur offrirait une bien meilleure protection. Comme pour les fonds de pension d’État, une affectation de ce type ne serait probablement pas inviolable, mais elle offrirait quand même plus de garantie que le premier modèle, où l’allocation de la richesse souveraine accumulée n’est régie par aucune législation nationale spécifique. Enfin, il existe un troisième modèle possible. Situé à l’opposé du premier, ce modèle consiste à transférer les actifs d’un fonds souverain à une fondation sans but lucratif agréée par l’État qui sera chargée de les gérer au profit de quelques institutions dûment désignées sous la tutelle d’un conseil d’administration ; outre un affranchissement partiel de la tutelle de l’État, ce modèle offrirait aux établissements concernés de meilleures garanties de financement à long terme. 6.3.2 L’enseignement supérieur peut-il espérer un jour bénéficier d’un financement prioritaire ? Même s’il ne s’agit que de modèles hypothétiques, à l’exception de celui de la KAUST, on imagine mal toutefois un État de la région MENA ou d’ailleurs renoncer à une prérogative aussi importante que celle de pouvoir décider dans l’intérêt de la nation de la meilleure allocation possible des revenus de son fonds souverain à un instant T. Bien que l’enseignement supérieur soit considéré dans tous les 95 pays comme un investissement public d’une importance capitale et digne d’être soutenu, tout besoin relevant du secteur public (éducation de base, recherche scientifique, santé publique, infrastructure publique, défense nationale, aide médicale pour les plus démunis et les personnes âgées) doit être examinée à la marge (c’est-à-dire en évaluant le besoin de ressources additionnelles) et pesée par rapport à tous les autres besoins concurrents. Il n’est pas du tout évident que l’enseignement soit jugé suffisamment prioritaire par rapport à d’autres besoins publics pour justifier une allocation spéciale d’une portion substantielle de l’épargne nationale disponible dans quelque pays que ce soit. 6.4 Conclusions Ce chapitre s’est efforcé de mesurer le rôle que la philanthropie et les fonds de dotation pourraient jouer à l’avenir dans le financement de l’enseignement supérieur de la région MENA et nos conclusions sont les suivantes : 1. La philanthropie pourrait apporter des ressources financières supplémentaires aux établissements d’enseignement supérieur car elle est déjà une source de financement considérable pour l’enseignement supérieur public et privé des États-Unis. Dans la région MENA, cette source de financement est encore inexploitée mais gagnerait à être explorée vu le succès qu’elle remporte aux États-Unis. 2. Le développement d’une culture philanthropique est une entreprise qui coûte cher et qui doit être considérée comme un investissement. Pour promouvoir la culture du don dans l’enseignement supérieur, les mentalités doivent évoluer : de nombreux pays de la région MENA considèrent encore que l’enseignement supérieur relève de la seule responsabilité de l’État. Il faut également disposer de renseignements à jour sur les anciens étudiants et autres donateurs prospectifs afin de pouvoir les contacter et évaluer leur potentiel de don ; cultiver les relations avec les prospects exige du temps et de l’argent. Un petit donateur peut devenir un donateur important, ne serait-ce qu’à titre posthume par le biais d’un legs testamentaire ou d’une transmission patrimoniale. 3. Les avantages fiscaux accordés aux petits comme aux gros donateurs sont un moyen efficace de développer la philanthropie. Accepter le bien fondé et l’utilité de ce manque à gagner fiscal est une nécessité. 4. Les dotations sont des dons destinés à être investis et non dépensés. Le conseil d’administration de l’université ou de la fondation affiliée qui en bénéficie a la responsabilité d’investir le capital avec prudence et de respecter toutes les restrictions pesant sur l’utilisation des dons qui lui ont été attribués, même lorsque ces dons sont très anciens et qu’il n’y a plus de descendants connus ou d’autres parties directement intéressées. 5. Les administrateurs bénéficiaires des fonds de dotation ont essentiellement trois attributions : (i) définir la politique d’allocation d’actifs ; (ii) définir un taux de dépense à même de préserver la valeur réelle du capital après inflation et d’assurer un flux constant de revenu consommable ; et (iii) gérer les placements, une responsabilité qui est souvent déléguée à des gérants de portefeuille professionnels. 6. Un pays qui dispose de plus de réserves qu’il ne lui en faut pour stabiliser sa monnaie et financer ses retraites peut envisager d’affecter une partie de ses fonds souverains à des fonds de dotation universitaires dédiés au financement partiel d’un certain nombre d’établissements d’enseignement supérieurs dûment désignés. Ces fonds resteront la propriété de l’État (sous la tutelle de ministères clés et de banquiers centraux). L’assurance d’une source de revenu à l’abri des arbitrages budgétaires annuels pourrait contribuer à améliorer la gestion et la planification des universités et les inciter aussi à chercher des sources de financement autres que d’origine publique. 96 7. Il y a dans la région MENA des individus suffisamment fortunés et conscients de l’enjeu central que l’enseignement supérieur représente pour l’avenir de leur pays pour inciter les établissements de l’enseignement supérieur et les gouvernements à voir dans la philanthropie une source possible de financement pérenne. Même s’il ne faut pas s’attendre à ce que la philanthropie permette un jour à l’enseignement supérieur de s’affranchir complètement des contributions budgétaires annuelles de l’État ni à ce qu’elle devienne une alternative possible au partage des coûts, c’est une source de financement dotée d’un potentiel considérable qui doit être reconnu et cultivé. 97 Chapitre 7: Synthèse et recommandations Du fait de la crise financière, les systèmes d’enseignement supérieur du monde entier se retrouvent confrontés à des problèmes de financement sans précédent. Les coûts unitaires de l’enseignement supérieur, comme dans toutes les autres activités à forte intensité de main-d’œuvre, ont tendance à augmenter au même rythme que les rémunérations du personnel enseignant et administratif, qui progressent en général plus vite que l’inflation. Assumer cette hausse alors que le nombre d’étudiants et les exigences en termes de qualité et de pertinence ne cessent de croître est un véritable défi. Les universités sont désormais obligées de tenir compte de la hausse d’autres coûts liés (i) à la technologie (à l’inverse de ce qui se passe dans les autres secteurs, la technologie est source de coûts supplémentaires pour l’enseignement) ; (ii) à l’introduction de nouveaux programmes (qui s’ajoutent souvent aux anciens plus vite qu’ils ne les remplacent) et (iii) aux coûts déjà élevés et en augmentation rapide de la recherche. Dans l’ensemble, la dépense publique consacrée à l’enseignement supérieur dans les pays de la région MENA est élevée en pourcentage du PIB et plus encore en pourcentage du PIB par habitant, en dépit du fait que les dépenses de R&D sont plutôt faibles comparées à celles des pays de l’OCDE. L’absorption des diplômés du secondaire représente un réel défi pour les pays de la région qui vont devoir former un nombre important de personnes hautement qualifiées pour améliorer leurs capacités technologiques et leur position sur la chaîne de la valeur ajoutée, afin d’être plus compétitifs sur les marchés internationaux. Pour répondre à ses objectifs d’expansion, de qualité et de pertinence, l’enseignement supérieur va devoir trouver de nouvelles sources de financement. Dans la plupart des pays de la région MENA, les coûts et les besoins financiers de l’enseignement supérieur augmenteront à un rythme bien supérieur à celui de l’inflation. Hormis dans quelques rares riches pays producteurs de pétrole, ces besoins seront difficiles voire impossibles à financer avec les seules recettes de l’État et les restrictions budgétaires ne permettront vraisemblablement pas de trouver des ressources publiques suffisantes. Par conséquent, d’autres types de revenus non gouvernementaux comme les frais de scolarité et autres droits, les activités entrepreneuriales au sein des universités, les subventions et contrats extérieurs, le développement des liens avec le secteur privé et la philanthropie seront nécessaires pour répondre aux besoins financiers croissants des universités et autres institutions d’enseignement supérieur de la région MENA. Les États aux ressources fiscales limitées seront confrontés à des arbitrages politiques difficiles :  Modifier la dynamique de croissance des effectifs estudiantins. Les pays de la région MENA seront vraisemblablement peu nombreux à limiter l’accès à leur système d’enseignement supérieur, étant entendu que le développement du capital humain constitue, pour la plupart d’entre eux, un élément clé de leur stratégie de croissance.  Accroître les ressources privées en augmentant la participation financière des étudiants et de leur famille. Dans les pays à base fiscale restreinte ou lorsque les problèmes d’équité sont de réels enjeux politiques, demander aux bénéficiaires (c’est-à-dire aux étudiants et à leur famille) de prendre à leur charge une partie des coûts de l’enseignement se justifie. Pour éviter les problèmes d’équité inhérents aux droits d’inscription, des programmes d’aide aux étudiants doivent alors être mis en place. Les prêts consentis aux étudiants issus des milieux socio- économiques les plus défavorisés sont essentiels pour élargir l’accès à l’enseignement aussi bien quand les étudiants sont très nombreux à fréquenter des universités privées que lorsque les universités publiques pratiquent des droits d’inscription élevés. 98  Encourager l’offre privée d’enseignement supérieur, qui pourrait certes déboucher sur un système dual potentiellement moins coûteux pour l’État qu’un système entièrement public, sans droits d’inscription ou partage des coûts. Dans les années qui viennent, cette offre privée se développera vraisemblablement plus vite que l’offre publique dans les pays de la région MENA, ce qui entraînera une hausse des frais de scolarité moyens payés par les étudiants et leur famille. Les universités publiques elles-mêmes tenteront sans doute de trouver d’autres ressources privées, sous forme de contributions directes du secteur privé ou de frais de scolarité directs ou indirects dans un certain nombre de filières.  Utiliser les ressources de manière plus efficace. Il est possible de lier les financements aux performances au travers de contrats de performance, de fonds compétitifs ou de tout autre type de contrats d’objectif. Le développement de stratégies de financement à même de répondre aux objectifs d’expansion, de qualité, de pertinence ou d’équité est un élément critique. Les mécanismes de financement à privilégier dépendront des objectifs politiques à atteindre : o Les mécanismes qui ciblent la demande ont un effet positif sur l’accès. Ce sont par exemple les chèques d’éducation, les bourses sur critères sociaux ou de mérite et les prêts étudiants, les compensations des frais de scolarité et les allocations familiales. o Les financements ciblés de l’offre et de la demande permettent d’améliorer l’équité :  Côté demande, il y a les chèques de formation, les bourses sur critères sociaux ou de mérite, les allocations familiales.  Côté offre, on citera les fonds catégoriels/affectés, les formules de financement basées sur les priorités et les paiements aux résultats. o Les financements liés aux performances (des étudiants ou des institutions) permettent d’accroître la qualité et la pertinence. Les instruments possibles incluent les bourses au mérite, les financements basés sur les priorités, les fonds d’affectation spéciale pour performances, les contrats de performances, les paiements aux résultats et les fonds compétitifs.  Créer des mesures incitatives pour favoriser les donations ou fonds de dotation privés au profit des universités. La philanthropie offre de nombreux avantages : elle n’exige pas de nouveaux impôts, elle ne détourne pas le personnel de son cœur de métier qui est l’enseignement et la recherche et permet d’éviter l’opposition politique à l’égard des droits d’inscription. Aux États- Unis, la philanthropie et les fonds de dotation, traditionnellement associés aux institutions d’élite de l’enseignement privé, existent aussi depuis cinquante ans dans les établissements d’enseignement supérieur publics. Encore peu développée dans la région MENA, cette source de financement novatrice commence à susciter de l’intérêt, notamment au sein de la classe politique. Les diasporas de la région MENA qui disposent d’une épargne estimée à plus de 42 milliards de dollars sont susceptibles de faire des dons considérables aux universités de leur pays d’origine. Si chaque option a son logique et son utilité propre, trouver la stratégie globale et le mix de politiques et d’instruments qui permettra à une nation d’atteindre ses objectifs dans le contexte actuel est crucial. Dans la région MENA, les établissements d’enseignement supérieur ont déjà pris des mesures à court terme pour réduire leurs budgets, par exemple en remplaçant le personnel enseignant qualifié à temps plein par du personnel à temps partiel, en augmentant les effectifs par classe ou simplement en reportant leurs investissements. Ces mesures ont temporairement allégé la charge de financement mais elles entraîneront sans doute des dépenses plus importantes à l’avenir lorsque les conditions d’études et la qualité de l’enseignement se dégraderont, avec des conséquences sur l’activité économiques des pays concernés. Les établissements d’enseignement supérieur doivent préparer les étudiants à affronter le monde d’aujourd’hui et de demain et pour ce faire leur permettre d’acquérir les compétences cognitives, comportementales, sociales et 99 techniques exigées par les mutations rapides engendrées par la mondialisation. C’est ce que les jeunes des pays arabes demandent et les gouvernements de la région MENA doivent y répondre de manière sérieuse et systématique. 100 Références Alami, L. (Palestine Minister of Higher Education). 2011. Presentation made at the Higher Education in the Mediterranean and Beyond Conference, held at the Marseille Center for Mediterranean Integration, Marseille. January 24-25. 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