Gestion du risque social : cadre théorique de la protection sociale Robert Holzmann* Steen Jørgensen** Février 2000 Document de travail No 0006 sur la protection sociale Résumé Cette étude propose une nouvelle définition de la protection sociale ainsi qu'un nouveau cadre théorique fondé sur la gestion du risque social. Elle replace les éléments traditionnels de la protection sociale (politique du travail, assurances sociales et filets de sécurité sociale) dans un cadre faisant intervenir trois stratégies (prévention, atténuation et réaction), trois degrés d'intégration de la gestion du risque au secteur formel (systèmes informels, régulés par le marché et administrés par l'État) et de nombreux intervenants (individus, ménages, collectivités, ONG, différents échelons des administrations publiques et organisations internationales) confrontés à une diffusion asymétrique de l'information et à différents types de risque. Cette conception plus générale de la protection sociale met l'accent sur le double rôle des instruments de gestion du risque, qui est de protéger les moyens de subsistance des individus tout en encourageant ces derniers à prendre des risques. Elle vise plus particulièrement les segments pauvres de la population car ils sont les plus vulnérables et n'ont généralement pas accès à des instruments appropriés de gestion du risque de sorte qu'il leur est difficile d'entreprendre des activités plus rémunératrices mais aussi plus risquées et, donc, d'échapper peu à peu à un état de pauvreté chronique. *Directeur, Protection sociale, Réseau du développement humain, Banque mondiale Tél.: (1-202) 473.0004, Email : RHolzmann@worldbank.org **Directeur sectoriel, Protection sociale, Réseau du développement humain, Banque mondiale Tél.: (1-202) 473.4062, Email : SJorgensen@worldbank.org I. Introduction1 La protection sociale, qui désigne généralement les La maîtrise du risque est l'idée mesures prises par l'État pour garantir un revenu aux révolutionnaire qui définit le passage particuliers, figure à nouveau parmi les préoccupations aux temps modernes : l'idée que l'avenir internationales. Si l'on a récemment pu constater, dans ne dépend pas des caprices des dieux et que les hommes et les femmes ne sont les pays d'Asie de l'Est, que la poursuite d'une pas sans défense face aux forces croissance rapide pendant plusieurs décennies permet de la nature. de faire sensiblement reculer la pauvreté, on aussi pu Peter L. Bernstein (1996) : Against the voir, à l'occasion de la dernière crise financière qu'en Gods ­ The remarkable story of risk. l'absence de mesures de protection des revenus ou de filets de sécurité adéquats, les habitants d'un pays peuvent se trouver dans une situation très précaire lorsque le PIB chute, les salaires baissent ou le chômage augmente. Le G7 a donc demandé à la Banque mondiale de définir des «principes sociaux » et de « bonnes pratiques de politique sociale » pour guider les efforts déployés par les responsables publics dans le but d'améliorer la situation sociale de base, et notamment les mesures de protection sociale en temps normal et en période de crise (Banque mondiale, 1999a et b). Dans des pays tels que les membres de l'OCDE, qui ont des programmes de protection sociale (politique d'intervention sur le marché du travail, assurances sociales et aide sociale), on peut s'inquiéter du niveau élevé, et dans bien des cas, croissant, des dépenses publiques face au vieillissement de la population et à l'intensification de la concurrence internationale. Les économies en développement, quant à elles, ont des ressources publiques limitées et n'ont guère de moyens de garantir des revenus à leur population, malgré l'étendue de la pauvreté et l'insécurité des revenus sur les marchés du travail formels et informels. Les tensions suscitées par la nécessité de garantir un revenu et le manque apparent de moyens d'y parvenir, pour aussi réelles qu'elles soient, ne contribuent guère à rassurer le milliard ou plus d'habitants de la planète qui ont moins de 1 dollar par jour pour subsister, les personnes au chômage par suite des processus d'ajustement structurel ou de mondialisation, et les personnes âgées qui sont dans le besoin. La définition traditionnelle de la protection sociale, qui couvre le plus souvent les mesures prises par l'État a posteriori ­ et notamment les interventions sur le marché du travail, les assurances sociales, et les filets de sécurité sociale ­ pourrait expliquer en partie ces tensions. Tout d'abord, la conception traditionnelle met trop l'accent sur le rôle du secteur public. Ensuite, une importance indue est généralement accordée au montant net des coûts et des dépenses, abstraction faite de l'impact positif que la protection sociale peut avoir sur la croissance économique. Troisièmement, il est plus difficile de détecter les éléments communs aux diverses mesures de protection sociale lorsque celles-ci sont prises dans le cadre de programmes sectoriels distincts. Enfin et surtout, telle qu'elle est généralement conçue, la protection sociale ne permet guère de définir 1Ce document est une version entièrement révisée de l'étude de Holzmann et Jorgensen (1999). Ses auteurs ont pris en compte les nombreux commentaires, remarques et suggestions présentés lors des conférences et des consultations tenues à la Banque et en dehors de celle-ci pendant la préparation du document de stratégie sectorielle sur la protection sociale, ainsi que dans le cadre d'entretiens avec leurs nombreux collègues et amis de la Banque et d'autres institutions. Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Ashraf Ghani, Margaret Grosh, Michael Lipton, Paul Siegel, Michael Walton et Tara Vishwanath de leur appui mais se considèrent seuls responsables des erreurs qui pourraient se trouver dans l'étude. Les auteurs remercient Louis- Charles Viossat pour avoir contribué á ameliorer l'interpretation du texte en français. 2 une stratégie efficace de lutte contre la pauvreté, qui ne se borne pas à exhorter le monde à ne pas laisser pour compte les segments pauvres de la population qui ne peuvent participer à un processus de croissance à forte intensité de main-d'oeuvre. La Banque mondiale a nettement senti les lacunes de l'approche traditionnelle lorsque l'unité sectorielle de la protection sociale a entrepris une étude sur la stratégie poursuivie dans ce secteur, qui fait le point des accomplissements (et des échecs) antérieurs et qui, surtout, définit des orientations stratégiques pour les futures opérations de prêt et hors prêt2. Il est en outre apparu, à la lumière des graves répercussions de la crise financière mondiale, qu'il était important d'avoir des mécanismes institutionnels de protection sociale bien conçus ; or de nombreux pays n'ont pas de mécanismes de ce type parce que leurs dirigeants se sont opposés à l'adoption de programmes tels que ceux des pays de l'OCDE et ont recours à un système traditionnel d'appui familial. Enfin, les programmes de protection sociale habituels n'ont que très peu contribué à faire reculer la pauvreté dans les pays en développement. C'est entre autres pour ces raisons que la présente étude propose une nouveau concept et un nouveau cadre de « gestion du risque social », qui devraient faciliter la formulation de programmes mieux conçus dans le contexte d'une nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté. Selon la définition proposée, « la protection sociale est l'ensemble des politiques publiques visant à : i) aider les individus, les ménages et les collectivités à mieux gérer le risque, et ii) fournir un appui aux personnes extrêmement pauvres ». Cette définition et le cadre de la gestion du risque social permettent de : · considérer la protection sociale comme un filet de sécurité mais aussi comme un tremplin pour les pauvres. S'il convient d'offrir un filet de sécurité à la population toute entière, il faut aussi que les programmes donnent aux plus démunis les moyens de sortir de la pauvreté ou, à tout le moins, de retrouver un emploi rémunéré. · considérer la protection sociale non pas comme un coût, mais comme un investissement dans le capital humain. La protection sociale doit fondamentalement permettre aux pauvres de garder un accès aux services sociaux de base, de ne pas être exclus de la société et d'éviter d'adopter des stratégies de survie ayant des répercussions irréversibles lorsque la situation se détériore. · détourner l'attention des symptômes pour la porter sur les causes de la pauvreté, en offrant aux groupes de population pauvres la possibilité de poursuivre des activités plus risquées mais plus rentables et de cesser de recourir à des mécanismes informels de partage des risques inefficaces et inéquitables. · faire face à la réalité. Moins de 25 % des 6 milliards d'habitants de la planète peuvent bénéficier de l'existence de programmes formels de protection sociale, moins de 5 % de la population peuvent gérer le risque de manière satisfaisante au moyen de leurs propres actifs, et la plupart des pays clients de la Banque n'ont pas de ressources budgétaires suffisantes pour combler l'écart de pauvreté par des transferts. 2La version finale du document de stratégie sectorielle sur la protection sociale est en cours de préparation. Ce document, qui va être soumis au Conseil des Administrateurs de la Banque mondiale au troisième semestre de 2000, fait le point des accomplissements réalisés dans le secteur de la protection sociale et formule l'orientation stratégique des futurs travaux. Le secteur de la protection sociale est l'un des plus récents mais aussi des plus dynamiques de la Banque mondiale ; par exemple, le volume des prêts est actuellement six fois plus élevé qu'en 1992, et a dépassé plus de 3 milliards de dollars durant l'exercice 99. 3 Le concept de gestion du risque social repose sur l'idée que les personnes, les ménages et les collectivités sont exposés à des risques divers, dus à des phénomènes naturels (tremblements de terre, inondations, maladies, etc..) ou causés par l'homme (chômage, dégradation de l'environnement, guerre, etc..). Comme il est souvent impossible de prévoir, et de prévenir, ces perturbations, elles ont pour effet d'engendrer et d'exacerber la pauvreté. Il existe un lien entre la pauvreté et la vulnérabilité car les pauvres courent généralement plus de risques mais n'ont qu'un accès limité à des instruments qui leur permettraient de gérer leurs risques. Il est donc important qu'ils aient accès et puissent choisir des mécanismes de protection sociale qui réduisent leur vulnérabilité et leur donnent le moyen de sortir de la pauvreté. Il faut pour cela trouver un équilibre entre les différents dispositifs qui peuvent être adoptés (informels, de marché ou publics) et les différentes stratégies (prévention, atténuation, ajustement) de gestion du risque social, et former les combinaisons appropriées au plan de l'offre et de la demande. Le Rapport sur le développement dans le monde 2000/01, actuellement en préparation (Banque mondiale, 2000), qui sera consacré à la lutte contre la pauvreté, insiste sur l'importance que revêt la gestion du risque pour les pauvres, et la nécessité de leur donner les moyens de se faire entendre et d'agir, mais aussi de créer des capacités et des opportunités. La gestion du risque dépasse largement le cadre de la protection sociale car nombre d'actions relevant des pouvoirs publics, telles que la politique macroéconomique, la bonne conduite des affaires de l'État et l'accès à l'éducation et aux soins de santé de base, contribuent à réduire ou à atténuer le risque et donc la vulnérabilité. Elle élargit également la définition de la protection sociale qui ne se limite plus à la fourniture d'instruments de gestion du risque par l'État, et met l'accent sur les mécanismes informels et les dispositifs de marché, ainsi que sur leur efficacité et leur impact sur le développement et la croissance. Ce document est organisé de façon à faire ressortir la logique et les points essentiels du nouveau cadre et ouvrir le débat. La deuxième section présente les fondements et les raisons d'être d'un cadre théorique qui repose sur les besoins, les défis et les opportunités offertes par la gestion du risque. La troisième décrit les principales dimensions de ce cadre : trois stratégies pour faire face au risque, trois degrés d'intégration de la gestion du risque au système institutionnel, les sources de risque et les nombreuses parties prenantes. La quatrième expose les implications du cadre retenu et les questions à résoudre, et notamment les limites et les points communs des différentes méthodes de gestion du risque, la protection sociale offerte hors du cadre de l'État et les nouveaux principes directeurs. La dernière section présente les perspectives d'avenir du secteur. II. Objectifs, problèmes et opportunités L'être humain est de longue date confronté à des risques3, surtout au plan des revenus. Toutefois, il lui faut désormais relever de nouveaux défis engendrés, entre autres, par le 3Par risque, on entend généralement toute incertitude ou imprévisibilité engendrant une réduction du bien-être. Pour des raisons de commodité, nous employons ici le terme de risque au sens le plus large de façon à inclure les phénomènes prévisibles et imprévisibles. Pour les personnes qui n'ont pas accès à des instruments de gestion du risque, les événements prévisibles (tels que les sécheresses saisonnières) sont aussi des facteurs de risque 4 processus de mondialisation car il lui faut gérer ces risques de manière dynamique pour pouvoir saisir les opportunités de développement économique et de réduction de la pauvreté. Cette section présente les fondements et les raisons d'être du cadre retenu. 1. Les modes de gestion du risque passés et présents Les catastrophes naturelles (tremblements de terre, éruptions volcaniques, etc..), les intempéries (inondations, sécheresse, etc..) et les problèmes sanitaires (maladies, épidémies, invalidité, vieillissement et décès) ont toujours été un sujet de préoccupation pour les individus et la société. Les être humains ont donc adopté des comportements qui leur permettaient de se protéger à titre individuel (par exemple, en diversifiant leurs cultures et en constituant des provisions), mais aussi et surtout ont mis en place des mécanismes non institutionnels de partage des risques, fondés sur les échanges, tels que le système de la famille élargie, des mécanismes de dons réciproques, des systèmes tribaux égalitaires, des accords de partage des récoltes avec les propriétaires fonciers, etc.. Les habitants des pays en développement ont encore, pour la plupart fréquemment ou exclusivement, recours à ces systèmes non institutionnels pour se protéger du risque. L'industrialisation et l'urbanisation ont entraîné deux changements importants : la disparition des mécanismes traditionnels et non institutionnels de répartition des risques et l'apparition de nouveaux risques comme les accidents du travail et le chômage. Pendant la deuxième moitié du 19ème siècle, les pouvoirs publics et la société des pays nouvellement industrialisés ont été hantés par « la question sociale » qui a conduit à l'adoption de programmes «d'assurances sociales » fondés sur la notion du risque couru par la société (voir Hesse, 1997). Les premiers programmes, mis en place à la fin du 19ème siècle ont revêtu la forme de régimes d'assurances obligatoires (maladie, vieillesse et accidents du travail), et maintenant, près de 100 ans plus tard, la législation sociale de la plupart des pays industrialisés couvre une grande partie de la population qui est ainsi protégée du « risque social» en cas d'accident du travail, de maladie, d'invalidité, de décès et de chômage. L'évolution de l'État moderne dans le Nord et la constitution de nouveaux États dans le Sud décolonisé ont engendré d'autres risques, qui ont trait à la politique économique et au processus de développement. Citons, à cet égard, l'inflation et les dévaluations induites par la politique économique, les variations des prix relatifs résultant des progrès technologiques ou du commerce, la défaillance des programmes sociaux et l'évolution de la législation fiscale, autant de risques qui ont un sensible impact sur le bien-être des individus, des ménages et des collectivités. Le processus de développement, lui-même, qui peut entraîner des déplacements de population et la dégradation de l'environnement, accroît aussi les risques comme en témoignent le nombre grandissant de catastrophes naturelles et leurs effets de plus en plus importants sur les populations, souvent pauvres, qui en sont victimes (Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 1999). L'évolution récente des échanges, des technologies et des systèmes politiques est extrêmement propice à l'amélioration du bien-être dans le monde entier. Grâce à la puisqu'ils ont un impact sur leur bien-être. L'emploi d'une définition plus précise du risque, par exemple en termes de « fluctuations indésirables » (Sinha et Lipton, 1999) pose en pratique plus de problèmes. 5 mondialisation des échanges de marchandises, de services et de facteurs de production, la communauté internationale est bien placée pour tirer parti des avantages comparatifs. La technologie contribue à accélérer le rythme des innovations et offre la possibilité d'éliminer les principaux obstacles au développement auxquels se heurte une grande partie de la population. Les systèmes politiques sont de plus en plus ouverts, et préparent le terrain à une meilleure conduite des affaires publiques en obligeant les dirigeants à rendre compte de leurs actions à des groupes de population de plus en plus importants. Conjointement, ces différents facteurs fournissent une occasion unique de promouvoir un développement économique et social, une réduction de la pauvreté et une croissance sans précédents. Toutefois, il existe un revers à la médaille, en ce sens que les processus qui permettent d'améliorer le bien-être contribuent aussi à la disparité des résultats au niveau de la société tout entière, mais surtout pour certains segments de la population. La crise financière mondiale de 1998 l'a montré dans le monde entier. Il n'est nullement certain que les améliorations seront également réparties entre les personnes, les ménages, les groupes ethniques, les collectivités et les pays. L'accroissement du commerce et le progrès technologique peuvent aussi bien creuser les écarts entre les « nantis » et les « démunis » qu'ils peuvent offrir de nouvelles perspectives à tous, selon le contexte social et les politiques en vigueur. La variabilité des revenus induite par le processus de mondialisation, conjuguée à la marginalisation et à l'exclusion sociale, peuvent en fait accroître la vulnérabilité de segments importants de la population. En d'autres termes, les risques sont à la mesure des avantages potentiels. La situation est encore compliquée par le fait que le processus de mondialisation et la mobilité accrue des facteurs de production réduisent la mesure dans laquelle les pouvoirs publics peuvent gonfler les revenus et poursuivre des politiques économiques indépendantes et, donc, adopter des mesures intérieures favorables aux pauvres lorsqu'elles s'avèrent le plus nécessaire (Tanzi, 2000). 2. Les raisons pour lesquelles une bonne gestion du risque social est importante La société doit disposer et utiliser des instruments appropriés pour gérer efficacement le risque sous quelque forme qu'il se présente4, et ce pour plusieurs raisons. Ces instruments : i) accroissent le bien-être des individus et de la société à un moment précis (analyse statique) ; ii) contribuent au développement et à la croissance économiques dans le temps (analyse dynamique) ; et iii) sont des facteurs essentiels d'une réduction réelle et durable de la pauvreté. Ces trois aspects sont interdépendants mais sont examinés séparément et brièvement ici. 4 Le risque considéré dans notre cadre est défini de manière générique ; il est toutefois plus facile à saisir lorsqu'il est présenté par référence aux niveaux de revenus, qui comprennent les revenus marchands, les revenus imputés, les revenus en nature, etc. Cette définition générale du revenu prend également en compte les services sociaux qui ne sont pas directement obtenus sur le marché. Aux fins de l'analyse, la gestion du risque social ne vise donc pas uniquement l'aspect monétaire du revenu/de la consommation des personnes et des ménages mais un concept « d'équivalent revenu ». Le terme « social » fait référence à la forme de la gestion des risques, qui repose principalement sur des échanges de personne à personne et non au type de risque. En d'autres termes, nous examinons la gestion sociale des risques et non la gestion du risque social. 6 i) L'accroissement du bien-être à un moment précis (analyse statique) Une bonne gestion du risque social a trois effets positifs sur le bien-être, même en analyse statique : elle réduit la vulnérabilité, permet de mieux lisser la consommation et accroît l'équité5. La réduction de la vulnérabilité. La vulnérabilité peut être définie comme la probabilité de souffrir des conséquences d'événements imprévus ou comme la sensibilité aux chocs extérieurs, et est donc une notion plus vaste que celle de la pauvreté au sens traditionnel (Lipton et Ravallion, 1995). La probabilité qu'une personne souffre d'un choc dépend : i) de sa capacité d'adaptation au choc considéré (plus sa capacité d'adaptation est élevée, moins elle est vulnérable) ; et ii) de la force de l'impact (plus celui-ci est fort, lorsque le risque ne peut être minimisé, plus la personne est vulnérable). Le degré de sensibilité aux effets d'un choc dépend de la capacité à éviter ce choc, qui est un autre aspect de la gestion du risque. Les groupes pauvres et extrêmement pauvres de la population sont particulièrement vulnérables car ils sont en général davantage exposés aux chocs et ont moins de moyens de gérer le risque ; par ailleurs, une détérioration de leurs conditions de vie, même minime, peut être catastrophique. Tout accroissement de l'aptitude des pauvres et de ceux qui ne le sont pas à gérer le risque contribue à réduire leur vulnérabilité et à améliorer leur bien-être et doit donc permettre de réduire le nombre de ceux qui vivent provisoirement dans la pauvreté ou d'offrir à ceux qui souffrent d'une pauvreté chronique le moyen de sortir de cet état (Morduch, 1994). L'amélioration du lissage de la consommation. Pour des raisons économiques, comme on a pu l'observer en pratique, les agents économiques préfèrent avoir une consommation régulière et, donc, étaler l'utilisation à cette fin de leurs revenus escomptés sur une période prolongée, voire pendant tout le cycle de vie (Alderman and Paxson, 1992; Besley, 1995; Deaton, 1997; Gerowitz, 1988). Parce que l'obtention de revenus est généralement un phénomène stochastique et que, durant les périodes caractérisées par des chocs négatifs, les revenus peuvent être très faibles, voire négatifs, ou parce que certains événements futurs (tels que les sécheresses saisonnières) sont relativement prévisibles mais qu'il n'existe pas de moyens appropriés de mettre en réserve les revenus pour les transférer à une date future, il est crucial d'avoir accès à des instruments de gestion du risque, tels que des systèmes d'épargne et de ponction sur l'épargne, pour étaler la consommation dans le temps et, aussi, améliorer le bien-être. L'accroissement de l'équité. Une bonne gestion du risque social a aussi pour effet d'accroître l'équité. Deux éléments présentent, à cet égard, une importance particulière : i) Si la société souhaite répartir plus équitablement le bien-être entre les personnes, une meilleure gestion du risque peut améliorer la répartition du bien-être et le bien-être en 5 Le terme « équité » peut être défini de plusieurs manières. Il est le plus souvent associé à l'égalité des résultats (sous forme, par exemple, des revenus, de la consommation ou du patrimoine) et à la notion d'impartialité. Plusieurs variables interviennent dans l'évaluation de l'équité mais, comme il n'existe pas de fonction d'évaluation adéquate pour toutes ces variables, il n'est pas possible de les regrouper pour calculer une grandeur scalaire. C'est pourquoi Sen insiste depuis quelques temps sur la nécessité d'évaluer l'équité au moyen d'une liste de contrôle et d'utiliser les résultats obtenus pour « identifier les injustices patentes » (voir Sen, 1998). Nous utilisons ici le terme d'équité plutôt au sens traditionnel d'« égalité ». 7 l'absence de toute redistribution des revenus. Lorsque, comme cela est probable, les segments de population ayant un revenu faible sont moins à même de réguler leur consommation, une amélioration des systèmes de gestion du risque a pour effet de réduire les obstacles auxquels ils se heurtent et, donc, à améliorer leur bien-être dans une plus large mesure. Le bien-être est, de ce fait, plus uniformément réparti entre les individus (Holzmann, 1990). ii) L'équité est traditionnellement examinée sous deux angles, à savoir l'égalité des chances et l'égalité des résultats. La notion d'égalité des chances est séduisante tant que les différences observées entre les niveaux de revenu s'expliquent uniquement par les différences notées dans les efforts déployés par les personnes ; elle perd toutefois de son intérêt dès que l'on prend en compte les chocs majeurs qui compromettent la survie des individus car, dans ce cas, il devient important de prendre des mesures correctives a posteriori, c'est-à-dire de procéder à une redistribution en faveur des plus démunis. La notion d'égalité des résultats est très attrayante d'un point de vue moral, mais devient difficilement applicable si l'on fait intervenir les différences entre les comportements des individus. Pour accroître l'équité, il faut donc trouver un délicat équilibre entre deux objectifs opposés qui consistent, à un extrême, à améliorer l'égalité des chances et, à l'autre extrême, à égaliser les résultats. Mais, plus le niveau des revenus dégagés par les individus est déterminé par des facteurs exogènes, c'est-à-dire des chocs négatifs, plus il est plus facile de justifier une redistribution. ii) Le développement et la croissance économique dans un contexte dynamique L'absence ou l'insuffisance d'instruments appropriés de gestion du risque social a des répercussions négatives sur le développement et la croissance économiques, et peut perpétuer voire aggraver la pauvreté, comme le montrent les trois exemples ci-après. La mise à la disposition de la société de tous les instruments disponibles devrait avoir l'effet inverse. Le lissage des revenus et de la consommation. Les ménages peuvent lisser leur niveau de bien-être de deux manière différentes. En effet ils peuvent : i) empêcher leurs revenus de trop fluctuer, le plus souvent en prenant des décisions prudentes en matière de production et d'emploi, et en diversifiant leurs activités économiques ; ou ii) empêcher leur consommation de fluctuer en empruntant ou en épargnant, en accumulant des actifs ou en effectuant des ponctions sur ceux-ci, en ajustant la quantité de travail qu'ils sont prêts à accomplir (en personne ou par le biais de leurs enfants) et en ayant recours à des systèmes formels et informels de partage du risque (Morduch, 1995). En l'absence d'instruments efficaces de lissage de la consommation privés ou publics, lorsque leurs revenus subissent un choc défavorable, les ménages emploient souvent des mécanismes d'ajustement informels et onéreux qui consistent, par exemple, à interrompre la scolarité de leurs enfants, à réduire leur consommation alimentaire, à vendre des actifs productifs ou à négliger l'accumulation de capital humain. Les personnes très pauvres ont de la peine à se maintenir au dessus d'un « seuil de survie ». Ils sont donc totalement opposés à prendre des risques, et leur comportement et les résultats qu'ils obtiennent ne procèdent pas de relations linéaires (Ravallion, 1997). Les ménages, qui savent qu'ils n'ont pas suffisamment de moyens d'empêcher leur consommation de fluctuer et ne veulent pas prendre de risque, se tournent vers des activités qui sont peu risquées mais aussi peu rémunératrices. Selon les estimations 8 relatives au secteur agricole indien, la poursuite d'un comportement de lissage du revenu peut réduire les bénéfices agricoles de 35 % pour les ménages appartenant au quartile le plus pauvre (Binswanger and Rosenzweig, 1993). L'efficacité et le coût des mécanismes informels. Les mécanismes informels de partage des risques ont souvent des coûts de transaction et des coûts d'opportunité latents élevés. Ils sont essentiellement des systèmes d'assurance mutuelle fondés sur le principe de la réciprocité auxquels peuvent faire appel les personnes qui en ont besoin, et ne sont pas des systèmes d'assurance au sens habituel du terme6. Ils sont informels car les sociétés agraires traditionnelles n'ont pas d'instruments juridiques qui leur permettraient de contracter des engagements dans le cadre de contrats ou de faire honorer les promesses de réciprocité. En conséquence : · Les personnes extrêmement pauvres ne peuvent généralement pas avoir recours à ces mécanismes car elle ne sont pas en mesure de respecter le principe de réciprocité ; · Ces mécanismes cessent généralement de fonctionner, du moins efficacement, lorsque les chocs qui motiveraient leur utilisation sont important et s'exercent au niveau de plusieurs variables ; · Les emprunteurs sont assujettis à de fortes pressions qui ont pour effet d'assurer le respect de leurs engagement, par une société souvent structurée d'une manière peu propice à la croissance (Platteau, 1999) ; et · Les «modalités d'engagement » donnent souvent lieu à des échanges cérémonieux de cadeaux coûteux qui absorbent une grande partie des revenus (Walker et Ryan, 1990). Le coût des mécanismes publics. La mise en place d'instruments de gestion du risque administrés par l'État, (régimes de retraite par répartition, assurance-chômage ou assistance sociale) peut sensiblement améliorer le bien-être des personnes et les perspectives de développement d'un pays. Cependant, lorsque les systèmes sont mal conçus ou mal appliqués, que la gestion des affaires publiques est défaillante ou que l'État est excessivement généreux, les coûts budgétaires correspondants peuvent avoir d'importantes répercussions sur le bien-être non seulement des personnes mais aussi de la société dans son ensemble. On peut citer, à cet égard, le mode de fonctionnement du marché du travail dans les pays de l'OCDE (OCDE, 1994 et 1999), l'impact d'un régime de retraite trop généreux sur les finances publiques et la stabilité macroéconomique au Brésil, et les effets que peuvent avoir des dépenses sociales élevées sur la compétitivité et la croissance économique alors qu'il existe encore des poches de pauvreté importantes. Ces exemples montrent que les pays industrialisés doivent eux aussi adapter leurs instruments de gestion du risque social pour qu'ils profitent à la population toute entière et, en particulier, aux segments pauvres de celle- ci. 6Le principe de réciprocité signifie que, selon toute vraisemblance, un « don » donnera lieu tôt ou tard à un « don » en sens inverse. En ce sens, on peut considérer qu'un mécanisme d'assurance informel permet de consentir des prêts dont le remboursement est fonction de la situation du bénéficiaire (voir Plateau 1996, Ligon et al. 1997). Udry (1990 ; 1994) a observé ce type de système au Nigéria. En moyenne, un emprunteur qui dégage des revenus satisfaisants rembourse 120,4 % de son emprunt tandis qu'un emprunteur qui n'obtient que de piètres résultats rembourse 0,6 % de moins qu'il n'a emprunté. Le niveau de remboursement dépend en outre des moyens du prêteur. Si celui-ci se trouve dans une bonne situation, il recouvre en moyenne 5 % de moins qu'il n'a prêté, mais s'il n'obtient lui-même que de piètres résultats, il recouvre 11,8 % de plus qu'il n'a prêté. 9 iii) La réduction de la pauvreté Les raisons pour laquelle la gestion du risque social présente une grande importance pour la lutte contre la pauvreté devraient maintenant être apparentes ; elle permet de réduire le nombre de ceux qui vivent provisoirement dans la pauvreté, elle empêche les personnes pauvres de sombrer dans une pauvreté encore plus profonde, et elle offre un moyen de sortir de la pauvreté. Il ressort de la plupart des données temporelles individuelles, et notamment de celles qui figurent au tableau 2.1, que de 20 à 50 % des personnes vivant en dessous du « seuil de pauvreté » au moment d'une enquête se trouvent dans un état de pauvreté défini en termes de consommation, non pas de manière permanente, mais par suite d'événements liés au cycle de leur vie (la fondation d'une famille, par exemple) ou, plus souvent, par suite de la perte de leurs revenus (chômage, maladie, etc..), de problèmes spéciaux (nécessité d'un traitement médical) et de l'absence prolongée de transferts de revenu (Sinha et Lipton, 1999). Le recours à des instruments appropriés de gestion du risque peut contribuer à réduire sensiblement le nombre de personnes vivant provisoirement dans la pauvreté en réduisant la pourcentage d'individus dont le revenu sur toute la durée de leur vie est supérieur au seuil de pauvreté qui vivent, à un moment particulier, dans un état de pauvreté mesuré en termes de consommation. Tableau 2.1 : Profil de la pauvreté dans différents pays Pourcentage de ménages : Toujours Épisodiquement Jamais pauvres pauvres pauvres Chine 1985-1990 6,2 47,8 46,0 Côte d'Ivoire 1987-1988 25,0 22,0 53,0 Éthiopie 1994-1997 24,8 30,1 45,1 Pakistan 1986-1991 3,0 55,3 41,7 Russie 1992-1993 12,6 30,2 57,2 Afrique du Sud 1993-1998 22,7 31,5 45,8 Viet Nam 1992/93-97/98 28,7 32,1 39,2 Zimbabwe 1992/93-1995/96 10,6 59,6 29,8 Source : Baulch et Hoddinott, 1999 et Rapport préliminaire sur la pauvreté au Viet Nam, 1999. Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont généralement les membres de la société les plus vulnérables parce qu'ils sont souvent plus exposés que le reste de la population à toutes sortes de risques, mais sont moins en mesure de recourir à des instruments de gestion du risque appropriés. Il est pratiquement impossible de minimiser les risques qu'ils courent par des mesures préventives car celles-ci ne sont pas à la portée de l'individu, du ménage et, dans bien des cas, de la collectivité. Les systèmes informels de gestion du risque qui peuvent être employés par un individu ne sont efficaces qu'en cas de problème de moindre importance rencontré par un ménage particulier ; ils ont tendance à perdre toute utilité lorsque la collectivité tout entière est ébranlée par un choc. Les personnes pauvres ne peuvent donc qu'ajuster leur comportement à la situation, par exemple en retirant leurs enfants de l'école, en «bradant » leurs biens et en réduisant leur consommation alimentaire, autant de mesures qui compromettent leurs futures capacités de gain et les font sombrer dans une pauvreté encore plus profonde, sinon dans la misère absolue. 10 Parce qu'ils ont peur de tomber dans la misère et de ne pouvoir survivre, les pauvres ne veulent pas prendre de risques, et hésitent donc à se lancer dans des activités plus risquées mais aussi plus rémunératrices. En conséquence, non seulement ils ne sont pas en mesure de saisir les opportunités offertes par le processus de mondialisation, mais ils sont encore plus exposés aux risques accrus qui résulteront probablement de celui-ci. Comme ils ne peuvent prendre des risques et entreprendre des activités de production plus rentables, il est très probable qu'ils ne pourront, pas plus que leurs enfants, sortir de la pauvreté. L'amélioration de leurs capacités de gestion du risque est donc un moyen puissant de réduire durablement la pauvreté, et non pas seulement de réduire le nombre de personnes qui se trouvent provisoirement dans cette situation (voir Banque mondiale, 2000). III. Les principaux éléments du nouveau cadre théorique 1. Définition et concepts fondamentaux La protection sociale peut être définie de manière plus générale en fonction du concept de gestion du risque social, comme suit : La protection sociale est l'ensemble des politiques publiques visant à : i) aider les individus, les ménages et les collectivités à mieux gérer le risque, et ii) fournir un appui aux personnes extrêmement pauvres. Cette définition plus générale regroupe dans un cadre unique les instruments de protection sociale traditionnels, et notamment la politique du travail, les régimes d'assurances sociales et les filets de protection sociale. Elle ne se limite pas à la fourniture par l'État d'instruments de gestion du risque mais englobe les actions menées par celui-ci pour améliorer les instruments (informels) de gestion du risque, régulés ou non par le marché. Le concept de gestion du risque social est plus vaste que cette nouvelle définition de la protection sociale car il comprend les actions menées pour gérer le risque telles que la réalisation de projets agricoles qui ont pour effet d'atténuer les effets de la sécheresse, et la poursuite d'une politique économique de nature à amenuiser les chocs macroéconomiques. En revanche, la définition de la protection sociale est également plus large que celle de la gestion du risque social parce qu'elle recouvre les mesures prises pour fournir un appui aux personnes extrêmement pauvres7. La gestion du risque social comporte plusieurs éléments : · Les stratégies de gestion du risque (prévention, atténuation et réaction) ; · Des mécanismes de gestion du risque plus ou moins intégrés au secteur formel (dispositifs informels, de marché et publics ou obligatoires) ; et · Les partie prenantes (des individus, des ménages, des collectivités, des ONG, des organismes privés et des administrations publiques aux organisations internationales et à la communauté mondiale). 7La catégorie des extrêmement pauvres regroupe les individus qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins même lorsqu'il est possible de trouver un emploi. 11 Ces divers éléments ont pour contexte : i) une diffusion plus ou moins asymétrique de l'information ; et ii) différents types de risque. Chacun de ces éléments est examiné séparément ci-après, à commencer par la diffusion asymétrique de l'information et les principaux types de risque car ils revêtent une importance fondamentale pour les autres éléments du cadre considéré. 2. L'impact d'une diffusion a(symétrique) de l'information sur la gestion du risque social La diffusion asymétrique de l'information entre les agents économiques, les individus, les groupes et les administrations publiques a un impact important sur la forme et l'efficacité des instruments de gestion du risque, de même que sur l'aptitude de l'État à assurer une distribution plus uniforme des actifs et des revenus. Lorsque l'information est diffusée de manière symétrique entre tous les agents économiques et sur des marchés parfaits, les causes et les caractéristiques du risque n'influent aucunement sur sa gestion : les contrats de pleine assurance/déterminé par la situation sont un moyen unique et optimal de se protéger d'un risque quel qu'il soit (voir encadré 1). Mais si l'on abandonne ce scénario de référence qui, bien qu'intéressant sur le plan théorique, est irréaliste, la gestion du risque devient une opération complexe. Lorsque des personnes, des ménages ou des collectivités sont seuls à posséder certaines informations, il se peut que certains marchés de gestion du risque ne puissent être constitués, fonctionnent mal ou ne fonctionnent pas du tout. L'assurance n'est plus qu'un moyen parmi d'autres, et souvent pas le meilleur, de se protéger, et il n'est d'ailleurs pas possible de s'assurer contre de nombreux risques. L'endettement et les contrats de travail sont un moyen d'échapper aux coûteuses procédures de constatation de l'État. Les systèmes informels de partage des risques servent de substituts aux instruments de marché, surtout dans les phases initiales du développement économique, car une diffusion limitée de l'information a un très fort impact sur les systèmes financiers. En principe, l'État a un rôle important à jouer, en aidant à créer, réglementer et superviser les marchés de gestion du risque, et en fournissant lui-même des instruments à cette fin en cas de défaillance du marché. Or, la diffusion de l'information entre les citoyens et l'État peut également être asymétrique, auquel cas l'action de l'État est vouée à l'échec et un risque politique apparaît. Il existe donc toutes sortes d'instruments de gestion du risque social offerts par une multitude d'agents qui présentent des avantages différents selon l'instrument considéré, dans le temps et selon le pays. 12 Encadré 1 : Impact d'une diffusion (a)symétrique de l'information sur la gestion du risque Dans un monde idéal à la Arrow-Debreu caractérisé par une diffusion symétrique de l'information et des marchés parfaits, c'est-à-dire un monde dans lequel tous les décideurs d'un pays peuvent spécifier, accepter et, finalement constater des situations dans lesquelles ils ont connaissance de leurs préférences et de leurs convictions respectives, il est possible de faire face au risque au moyen de systèmes de marché, et l'État peut procéder à une redistribution qui n'engendre aucune distorsion : · chaque risque étant parfaitement connu, il est possible d'établir un prix actuariel équitable, toutes les personnes valides peuvent pleinement s'assurer, et le font. Dans ces conditions, l'assurance (indemnisation en fonction de la situation) est un moyen unique et optimal de se protéger contre tous les risques (y compris les catastrophes naturelles). · Toutes les personnes non valides peuvent bénéficier de transferts publics ou privés (effectués pour des raisons altruistes ou autres). · Il est possible d'assurer, sans engendrer de distorsion, une répartition plus équitable des revenus ou des actifs par le biais d'impôts et de transferts forfaitaires, mais il faut, pour cela procéder à une redistribution des revenus ou du patrimoine entre les individus. · Dans ce contexte, où tout résultat efficient au sens de Pareto peut être décrit comme un équilibre entre des marchés en concurrence parfaite, il est possible de dissocier l'efficience et l'égalité. Ce monde idéal est un modèle aussi important que fictif. Dans la réalité, la diffusion asymétrique de l'information provoque, entre autres : · un risque moral, des décisions malencontreuses, et des insuffisances au plan des droits de propriété qui empêchent les marchés de gestion du risque de fonctionner harmonieusement ou causent leur défaillance (et rendent nécessaire l'imposition de dispositions et de réglementations par l'État) ; · des coûts de transaction et la constitution d'institutions particulières, telles que l'endettement et les contrats de travail, pour éviter les coûteuses procédures de constatation de la situation, ou l'apparition de systèmes informels de partage des risques ; · des risques endogènes, qui peuvent être contrôlés ou influencés par les agents économiques ; · des situations dans lesquelles les contrats de pleine assurance ne sont plus la meilleure méthode de gérer le risque, ni même un pis-aller ; · un état de fait dans lequel il est important de prendre en compte les sources et les formes de risque pour concevoir et sélectionner les instruments de gestion du risque les plus appropriés ; · un amalgame des considérations d'efficacité et de redistribution ­ les mesures prises par les pouvoirs publics pour des motifs d'efficacité ont désormais des effets redistributifs, les mesures redistributives ont des effets sur l'efficacité de sorte que qu'il est possible d'aboutir à une répartition plus égale du bien-être sans redistribution des revenus ; · une distribution inégale de l'information qui est diffusée de manière asymétrique, en ce sens que les nombreux intervenants dans la gestion du risque n'ont pas tous les mêmes avantages, si bien que l'information devient un produit et un moyen d'influer sur les rapports de force ; et · l'incapacité du marché et de l'État à fournir des instruments de gestion du risque, ce qui crée des risques au niveau du marché et de l'action publique qu'il faut prendre en compte lors de la conception des systèmes de gestion du risque social. Sources : Holzmann, Jorgensen et Stiglitz (1975 et 1988), Eichberger et Harper (1997), Kanbur et Lustig (1999) 3. Les formes et l'évaluation du risque et leur importance pour sa gestion Comme on l'a vu précédemment, lorsque la diffusion de l'information est asymétrique, les sources et les caractéristiques du risque déterminent les instruments qui doivent être employés pour gérer celui-ci et il ne suffit plus, pour le mesurer, de calculer une variance ou un écart-type. 13 La capacité des personnes, des ménages ou des collectivités à faire face au risque et à utiliser les instruments de gestion qui conviennent dépend des caractéristiques du risque considéré, à savoir ses causes, son échelle, la fréquence de ses manifestations et son intensité. Le risque peut avoir une cause naturelle (inondation) ou humaine (une hausse des prix engendrée par une politique économique) ; il peut avoir des manifestations uniques (en ce sens qu'il touche un individu) ou multiples, parce qu'il touche plusieurs personnes en même temps, qu'il se répète à plusieurs reprises ou qu'il s'accompagne d'autres risques ; il peut se concrétiser rarement mais avoir un fort impact sur le bien-être (événement catastrophique), ou se manifester fréquemment sans toutefois modifier fortement le niveau de bien-être (événement non catastrophique). L'encadré 2 classe les principales causes de risque en fonction de leur échelle, c'est-à-dire selon que le risque se manifeste au niveau de l'individu (micro), au niveau d'une collectivité ou région (meso) ou d'un pays (macro). Si les instruments de gestion du risque qui relèvent de systèmes informels ou régulés par le marché permettent souvent de faire face aux événements qui se manifestent au niveau de l'individu, ils sont généralement inefficaces lorsque le risque touche une collectivité ou un pays tout entier. Encadré 2 : Principales causes de risque Risque Micro Méso Macro (Individuel) (Collectif) Naturel Précipitations Tremblement de terre Glissement de terrain Inondations Éruption volcanique Sécheresse Vents violents Sanitaire Maladie Épidémie Blessure Incapacité Cycle de vie Naissance Vieillissement Mort Social Crime Terrorisme Conflits intérieurs Violence domestique Gangs Guerre Troubles sociaux Économique Chômage Effondrement de la production Réinstallation Crise de la balance des paiements, financière ou monétaire Mauvaise récolte Perturbation des termes Faillite de l'échange causée par la technologie ou le commerce Politique Discrimination ethnique Émeutes Abandon par l'État de programmes sociaux Coup d'État Environnemental Pollution Déboisement Catastrophe nucléaire Source : Tiré de Holzmann et Jorgensen, 1999, Sinha et Lipton 1999, Rapport sur le développement dans le monde/Kanbur (2000). 14 Le risque est généralement évalué en fonction de la variabilité du revenu ou de la consommation, qui est généralement mesurée par la variance ou l'écart-type. Or, ces mesures de dispersion ne permettent pas, dans bien des cas, de calculer l'impact d'un risque sur le bien-être, en particulier dans le cas des pauvres. Il est possible de déterminer le risque de trois manières différentes en définissant trois grands types d'objectifs de la gestion du risque par les ménages ; les indicateurs établis par les trois méthodes exigent des informations Encadré 3 : Objectifs de la gestion du risque et évaluation du risque Première fonction de l'objectif de gestion du risque : Minimiser la réduction maximale possible de bien-être. Ce type de fonction présente un intérêt particulier pour les individus très pauvres et vulnérables, qu'une réduction maximale de bien- être mènera probablement au dénuement ou à la mort. Le « principe du minimax », qui consiste à éviter toute action pouvant engendrer une perte maximale de bien-être, sert de règle de décision. Pour appliquer cette dernière, il importe d'avoir des informations, non pas sur les probabilités, mais sur la famille des fonctions de perte ; le risque mesuré -- la perte-- est une quantité. [minmax (perte)]: quantité Deuxième fonction de l'objectif de gestion du risque : Minimiser la probabilité d'une réduction de la consommation faisant tomber celle-ci en dessous d'un seuil donné Ce type de fonction présente un intérêt particulier pour les individus dont les niveaux de consommation les situent à proximité du seuil de pauvreté. Le principe de la « sécurité avant tout », qui consiste à éviter toute action faisant tomber le niveau de consommation escompté en dessous d'un seuil prédéterminé, sert de règle de décision. Le décideur doit avoir des informations sur les revenus escomptés d'autres activités et sur le niveau de consommation défini comme seuil ; le risque mesuré est une probabilité. [min Pr{ct cmin}]: probabilité Troisième fonction de l'objectif de gestion du risque : Maximiser le taux de rendement escompté pour un degré donné de variabilité des rendements. Ce type de fonction présente un intérêt particulier pour les individus ayant des revenus élevés, pour lesquels une réduction de bien-être n'implique pas un état de pauvreté ou de dénuement. Le principe de maximisation de la fonction de l'utilité escomptée, sous la contrainte des degrés de variabilité du revenu associés aux activités impliquées par les décisions, sert de règle de décision. Le décideur doit avoir des informations sur la préférence pour le risque, le rendement escompté du portefeuille d'actifs et la distribution des rendements produits par différentes allocations des actifs. Dans le cas particulier d'une fonction d'utilité V(µ,) qui dépend uniquement des deux premiers moments d'une distribution de probabilité d'un type d'allocation des actifs, il est facile de formuler la fonction en termes mathématiques, et l'écart-type peut être utilisé pour mesurer le risque. [max V(µ,)] : écart-type () Sources : Auteurs, sur la base de l'ouvrage de Siegel et Alwang, 1999 différentes et aboutissent à des conclusions différentes quant aux stratégies de gestion du risque par les ménages par la société (encadré 3). Étant donné que pour les segments très pauvres de la population, il faut mesurer le risque par la réduction maximale possible du bien-être, les meilleurs instruments de gestion du risque sont ceux qui minimisent cette réduction, comme la fourniture de soins de santé de base ou d'une aide alimentaire d'urgence. Dans le cas des individus qui vivent à un niveau proche du seuil de pauvreté, il importe de minimiser la probabilité d'une réduction de la consommation faisant tomber celle- ci en dessous d'un seuil donné ; les instruments de gestion du risque les plus appropriés sont donc probablement ceux qui leur permettent d'atténuer les fluctuations des niveaux de consommation en épargnant ou en effectuant des ponctions sur leurs économies. Dans le cas des groupes de population ayant un revenu élevé, le risque doit être mesuré par l'écart-type du revenu, et le meilleur moyen de le gérer consiste probablement à diversifier les portefeuilles et à contracter des assurances. 15 4. Les principales catégories de stratégies de gestion du risque et leur degré de formalisation Étant donné qu'en réalité l'information est diffusée de manière asymétrique et que le type de risque considéré influe largement sur le choix des instruments de gestion, il est utile de répertorier les différentes stratégies de gestion du risque et les différents degrés d'intégration de ces stratégies dans les structures formelles. La classification matricielle à trois niveaux présentée ci-après a déjà été élargie pour répondre aux exigences régionales (pour l'Afrique, voir Banque mondiale, 1999c) et aux besoins de l'analyse (Siegel et Alwang, 1999). i) Il existe trois grandes catégories de stratégies de gestion du risque : a. Les stratégies de prévention, qui visent à réduire la probabilité du risque. Ces stratégies sont adoptées avant que le risque ne se matérialise. Tout réduction de la probabilité d'un événement défavorable a pour contrepartie un accroissement de l'espérance mathématique du revenu et une diminution de sa variance (ce qui, dans les deux cas, a pour effet d'accroître le bien-être). Les stratégies de prévention ou de réduction des événements qui influent de manière négative sur les revenus ont une très large portée qui dépasse le cadre traditionnel de la protection sociale. Elles comprennent les mesures prises dans les domaines de la macroéconomie, de la santé publique, de l'environnement, de l'éducation et de formation. Les mesures préventives de protection sociale visent généralement à amenuiser les risques associés au marché du travail, tels que le chômage, le sous-emploi ou l'offre de salaires peu élevés, parce que les intéressés n'ont pas les qualifications requises ou que le marché lui-même ne fonctionne pas correctement. Ces mesures sont axées sur les conditions d'emploi et le (dys)fonctionnement du marché du travail résultant d'un manque de concordance entre les compétences et les besoins, des carences de la réglementation du marché du travail ou d'autres facteurs de distorsion. b. Les stratégies d'atténuation, qui visent à réduire l'impact d'un risque pouvant se matérialiser à l'avenir. Ces stratégies, comme les précédentes sont appliquées avant que le risque ne se concrétise. Si les stratégies de prévention permettent de réduire la probabilité qu'un événement défavorable ne se matérialise, les stratégies d'atténuation réduisent l'impact qu'il pourrait avoir s'il se produit. Le risque peut être atténué de diverses manières : · Une diversification du portefeuille permet de réduire la variabilité des revenus car ceux-ci sont alors produits par des actifs dont les rendements ne sont pas parfaitement corrélés. Il importe, pour cela, d'acquérir et de gérer différents types d'actifs revêtant des formes diverses (biens corporels, actifs financiers, capital humain et capital social). Par exemple, un individu qui ne peut investir que dans son capital humain peut néanmoins diversifier ce capital en exerçant des activités différentes, bien que cela puisse nuire à sa rentabilité. Si une femme ne peut pas posséder de terrain, ou hériter de biens fonciers et n'a pas non plus accès à des instruments financiers assortis de risques peu élevés, elle peut acheter de l'or et des bijoux. Toutefois, cette manière de procéder est généralement peu rentable et n'assure pas une protection suffisante à leur propriétaire ; il est donc essentiel, notamment pour les pauvres, d'avoir accès à un large éventail d'actifs. 16 · Les mécanismes d'assurance formels et informels se caractérisent par le partage (ou la mise en commun) des risques par les membres d'un groupe dont les risques ne sont pas (étroitement) corrélés. Les systèmes d'assurance du secteur formel ont l'avantage de regrouper un grand nombre de participants, ce qui diminue le degré de corrélation des risques, tandis que les mécanismes d'assurance informels bénéficient d'une diffusion relativement symétrique de l'information. Les systèmes d'assurance institutionnels ou régulés par le marché, dans le cadre desquels le versement d'une prime d'assurance dont le niveau est fonction du risque donne lieu au paiement de dédommagements ultérieurs si la situation le requière, sont simples. Les mécanismes d'assurance informels sont plus difficiles à décrire car ils revêtent des formes diverses et souvent non évidentes, car « l'institution » (famille ou collectivité) qui joue le rôle d'assureur a par ailleurs un rôle très différent. · Les opérations de couverture revêtent une importance croissante sur les marchés des capitaux (tels que les contrats de change à terme) et reposent sur l'échange de risques ou le versement d'une prime de risque à un tiers qui, en échange, assume ce risque. Mais ces mécanismes ne semblent pas donner de bons résultats lorsque le risque à couvrir se rapporte au revenu du travail et que l'opération s'effectue dans un cadre institutionnel car, dans ce cas, les effets de l'asymétrie de la diffusion de l'information sont trop marqués. Certains systèmes informels ou de personne à personne, en revanche, sont eux aussi assimilables à des opérations de couverture. Par exemple, certaines structures familiales (mariage) et divers types de contrats de travail ressemblent davantage à des opérations de couverture qu'à des systèmes d'assurance. c. Les stratégies de réaction, qui visent à atténuer l'impact du risque une fois qu'il s'est matérialisé. Les principaux mécanismes de réaction consistent, pour un individu, à effectuer des ponctions sur ses économies ou à emprunter, à émigrer, à vendre son travail (et celui de ses enfants), à réduire la quantité d'aliments qu'il consomme ou à obtenir des transferts publics ou privés. L'État a un rôle important à jouer, en venant en aide, par exemple, aux ménages qui n'ont pas suffisamment épargné pour pouvoir faire face à des chocs répétés ou catastrophiques. Les personnes qui ont toute leur vie vécu dans la pauvreté et n'ont pu accumuler des biens, sombrent dans une misère profonde lorsque leur revenu diminue même très peu, et courent le risque de subir des dommages irréversibles. ii) Le degré de formalisation permet de classer les instruments/mécanismes utilisés dans le cadre de chacune de ces stratégies de gestion du risque. Trois degrés de formalisation sont considérés : a. Les systèmes informels (mariage, entraide communautaire, et épargne sous forme d'actifs réels comme le bétail, des biens fonciers et l'or). En l'absence d'institutions de marché et de services publics, les ménages se protègent eux-mêmes en ayant recours à des mécanismes informels/personnels (Alderman et Paxon, 1994, Besley 1995, Ellis, 1998). Ces mécanismes ont l'avantage d'éliminer la plupart des problèmes d'information et de coordination qui causent les défaillances du marché mais ils peuvent dans certains cas ne 17 pas être efficaces et avoir d'importants coûts directs et d'opportunité (Coate et Ravallion, 1993, Morduch, 1999a). Citons, à titre d'exemple, la vente et l'achat d'actifs réels, les prêts et les emprunts effectués sur une base informelle, la diversification des cultures et des champs, l'emploi de technologies de production plus sûres (cultures moins risquées), ou le stockage de biens pouvant être consommés à une date ultérieure. b. Les dispositifs de marché (tels que les actifs financiers ­ liquidités, dépôts bancaires, actions et obligations ­ et les contrats d'assurance). Les avoirs monétaires en l'absence d'inflation, les actifs financiers ayant un taux de rendement positif, déterminé par les forces du marché, et les contrats d'assurance équitables accroissent sensiblement l'aptitude des ménages (y compris les ménages pauvres) à gérer le risque. Toutefois, ils impliquent l'existence d'un marché des capitaux comptant diverses institutions fonctionnant de manière harmonieuse (banque centrale, système bancaire, marchés des titres et compagnies d'assurance) ; or, on a pu constater qu'il faut du temps et de la persévérance pour surmonter de nombreux obstacles avant de parvenir à ce stade. Les personnes qui ont recours à ces instruments pour accroître leur bien-être doivent également posséder certaines connaissances financières. Comme la constitution de solides institutions financières demande beaucoup de temps et que même les banques opérant sur des bases saines sont peu enclines à prêter à des particuliers qui n'offrent pas de garanties, les institutions de microfinancement qui fonctionnement de manière harmonieuse, sous leurs diverses formes, contribueront largement au processus de développement. c. Les dispositifs publics ou obligatoires (tels que les assurances sociales, les mécanismes de transferts et les travaux d'intérêt général). Lorsqu'il n'existe pas de systèmes de gestion du risque informels ou régulés par le marché ou lorsque ceux-ci fonctionnent mal sinon pas du tout, les pouvoirs publics peuvent mettre en place ou imposer des systèmes d'assurances sociales (assurances chômage, vieillesse, accidents du travail, invalidité, survie et maladie). La participation obligatoire à une communauté de risque peut éviter le problème de l'antisélection et améliorer le bien-être. Comme ces régimes sont généralement liés à l'emploi dans le secteur formel, ils ne couvrent souvent qu'une faible partie de la population dans les pays en développement. En revanche, lorsque les habitants d'un pays sont confrontés à des fluctuations de leur consommation par suite d'une perte de revenu induite par un choc, l'État dispose de différents moyens pour les aider à faire face à la situation, tels que l'aide sociale (transferts en nature et en espèces en fonction du niveau des ressources), la subvention de biens et de services de base et les projets de travaux d'utilité collective. Il peut aussi assurer un revenu de base à l'ensemble de la population ou à certaines catégories (les personnes âgées, par exemple). Ses décisions seront fonction des considérations de répartition des revenus, des ressources budgétaires disponibles, des capacités administratives et du type de risque. iii) Divers exemples de gestion du risque social, ventilés par type de stratégie et degré d'intégration au secteur formel, sont présentés au Tableau 3.1. 18 5. Les principaux acteurs en présence et leur contribution à la gestion du risque Étant donné que la question de la gestion du risque social se pose parce que la diffusion de l'information est asymétrique, il importe d'examiner la manière dont les agents/institutions en présence peuvent le mieux faire face à cette situation. Une diffusion asymétrique de l'information ayant aussi pour contrepartie des institutions du marché imparfaites (défaillance du marché) et des pouvoirs publics qui n'assurent pas leur fonction de prévoyance (défaillance des politiques), il convient de replacer les rôles des divers parties en présence dans leur contexte. Comme les individus/les ménages possèdent essentiellement toute l'information privée, la gestion du risque peut s'effectuer en grande partie au niveau du ménage. Les stratégies de minimisation du risque (diversification des actifs et contrats d'assurance) et d'ajustement (ponctions sur les économies/emprunts) permettent d'optimiser la structure de la consommation dans le temps face à un large éventail de risques. Plus les instruments régulés par le marché donnent de bons résultats et plus il est possible de gérer le risque à ce niveau (Hoogeveen, 2000). À l'inverse, en l'absence d'instruments de marché appropriés, les ménages ont davantage recours à des systèmes informels, qui sont souvent moins efficaces et moins efficients en longue période et peuvent avoir des conséquences peu souhaitables au niveau de la société (comme le travail des enfants). Les collectivités sont, après les ménages, les principaux détenteurs d'informations privées. Dans les pays en développement, les collectivités, qui ne pouvaient s'adresser à des institutions de marché appropriées ont créé divers mécanismes informels de partage des risques. Ces mécanismes offrent des moyens variés de minimiser le risque et de s'adapter à la situation, assurent la protection et fournissent les services que le marché ne peut offrir, et sont un élément du «capital social ». Citons, par exemple, les «susu » en Afrique de l'Ouest, les systèmes d'entraide appuyés par des fêtes et des rituels en Asie du Sud et les groupements d'entraide funéraire dans les pays andins. Bien qu'ils contribuent à répartir les risques, certains de ces mécanismes peuvent avoir des répercussions peu souhaitables sur la société parce qu'ils perpétuent des rapports de dépendance ou entravent le développement économique (Platteau, 1999). Les ONG peuvent (ou non) détenir autant d'informations privées que les collectivités dont les membres sont étroitement unis mais, parce qu'elles opèrent à l'échelon local et de manière informelle, elles sont mieux à même d'observer les comportements individuels que les institutions de marché formelles. C'est ce qui explique l'existence et l'importance des systèmes d'épargne et de microcrédit parrainés par des ONG dans de nombreux pays en développement. 19 Tableau 3.1 : Exemples de stratégies et de dispositifs de gestion du risque social Système Informel régulé par le marché administré par l'État Stratégie Prévention du risque · Activité moins risquée · Formation en cours · Bonne politique · Migration d'emploi macroéconomique · Bonnes pratiques · Connaissance du · Formation continue d'allaitement et de marché des capitaux · Politique de l'emploi sevrage des enfants · Normes du travail au · Normes du travail · Hygiène et autres niveau des entreprises · Mesures de lutte activités de prévention et régies par le marché contre le travail des des maladies enfants · Politiques de lutte contre le handicap et l'invalidité · Prévention du sida et d'autres maladies Atténuation des risques Portefeuille · Emplois multiples · Investissement dans · Systèmes de retraite · Investissement dans le différents actifs · Transferts d'actifs capital humain et financiers · Protection des droits physique et dans les · Microfinancement des pauvres actifs réels (notamment des · Investissement dans le femmes) capital social (rituels, · Appui à l'extension échange de cadeaux) des marchés des capitaux aux pauvres Assurance · Mariage/famille · Annuités de vieillesse · Assurance · Systèmes · Assurance-invalidité, obligatoire/publique communautaires assurance-accident et (chômage, vieillesse, · Colocation autres (i.e. sur les invalidité, survie, · récoltes) maladie, etc.) Opérations de · Famille élargie couverture · Contrats de travail Réaction · Vente d'actifs réels · Vente d'actifs · Secours aux sinistrés · Emprunts aux voisins financiers · Transferts/aide sociale · Charité/transferts · Emprunts bancaires · Subventions intra-communautaires · Travaux d'intérêt · Travail des enfants général · Ponctions sur le capital humain · Migration saisonnière/ temporaire Source : Auteurs, tiré de Holzmann et Jorgensen (1999) Les institutions de marché, comme les banques et les compagnies d'assurance, doivent se fonder sur l'information publique, et sont donc confrontées aux problèmes de l'aléa moral et de la sélection adverse. En revanche, si elles sont bien réglementées et supervisées, le principe de valeur pour l'actionnaire (shareholder value) incite ces institutions à opérer de manière transparente et efficace, en offrant à tous les habitants du pays un large éventail 20 d'instruments de gestion du risque. En situation de concurrence, les institutions de marché peuvent aussi fournir efficacement des services financés par le secteur public (services de placement, prestations d'aide sociale, etc.). Pour résoudre l'important problème de la relation mandant-mandataire qui se pose dans ce contexte, il faut établir des contrats qui évitent autant que possible le problème de la détention privée d'information. L'État joue plusieurs rôles importants dans le cadre de la gestion du risque social. En particulier : i) il met en oeuvre des mesures de prévention des risques ; ii) il facilite la mise en place d'institutions financières de marché, établit les structures juridiques nécessaires, assure la réglementation et la supervision de ces institutions, et facilite les échanges d'information ; iii) il fournit des instruments de gestion du risque en cas de défaillance du secteur privé (comme l'assurance-chômage) ou lorsque les individus n'ont pas les informations nécessaires pour prendre leurs propres dispositions (myopie) ; iv) il fournit des filets de sécurité sociale pour permettre aux individus de s'adapter ; et v) il assure une redistribution des revenus si le marché produit des résultats socialement inacceptables. Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, l'OIT et les institutions spécialisées de l'ONU, les bailleurs d'aide bilatérale et la communauté mondiale jouent un rôle de premier plan dans la gestion du risque social bien que ce rôle soit parfois controversé (voir Deacon et al., 1997). Les institutions de Bretton Woods contribuent dans une mesure importante à la fourniture de secours d'urgence et de ressources à des fins d'ajustement en période de crise économique et financière, tandis que les institutions de l'ONU et les bailleurs d'aide bilatérale distribuent des secours lorsqu'il s'est produit une catastrophe naturelle. Mais au delà des mesures qu'elles prennent pour aider les populations à faire face à des événements défavorables, les institutions internationales et de nombreuses ONG internationales s'efforcent d'empêcher le risque de se matérialiser (par exemple, en définissant des normes pour l'environnement et l'emploi) et en minimisant ce dernier (notamment en amélioration le fonctionnement des marchés des capitaux). Si ces divers intervenants offrent des systèmes de gestion du risque, ils peuvent à l'inverse être eux-mêmes un important facteur de risque. C'est le cas, par exemple, lorsqu'ils appuient des projets de développement qui exposent certaines personnes à des risques accrus, lorsque l'aide en nature a un impact sur les producteurs des pays, ou parce que certains prestataires de services sont en situation de monopole et perçoivent une rente. Il importe donc de replacer la gestion du risque social dans un contexte politique et se demander dans quelles conditions les intervenants sont le plus ou le moins susceptibles de créer un risque ou d'offrir des mécanismes adaptés de gestion du risque. La réponse à ces questions dépend essentiellement des rapports de forces et du degré d'asymétrie de la diffusion de l'information. IV. Les principales implications du nouveau cadre théorique Le cadre de gestion du risque social a de nombreuses implications dans des domaines qui vont de la théorie de la protection sociale à la conception et à la mise en oeuvre des politiques en ce domaine. Cette section examine trois grands aspects de la question : l'élargissement de la portée de la protection sociale, la protection sociale assurée en dehors du cadre des structures publiques et les nouveaux principes directeurs de la protection sociale. 21 1. L'élargissement de la portée de la protection sociale Considérons en premier lieu le chevauchement entre la gestion du risque social et la notion traditionnelle de protection sociale. Trois remarques s'imposent : · De nombreuses mesures de prévention et d'atténuation du risque, relevant, par exemple, de la politique économique ou d'autres domaines de l'action publique, réduisent la vulnérabilité et les fluctuations des revenus et, partant, appuient la réalisation des objectifs de la protection sociale, bien qu'elles ne rentrent aucunement dans le cadre de celle-ci. Comment établir une distinction avec ces activités et quel est le rôle de la protection sociale ? · Les mesures de redistribution des revenus par l'État sont loin de se limiter à des transferts aux personnes extrêmement pauvres. Quelles sont les limites de la protection sociale ? · La protection sociale au sens large met l'accent sur les problèmes d'exclusion et la nécessité d'une action publique inclusive. Cela rentre-t-il dans le cadre de la gestion du risque social ? Ces trois types d'intervention, leur chevauchement et leurs limites probables sont représentés ci-dessous (Figure 1). Figure 1 : Gestion du risque social, protection sociale et redistribution: chevauchements et limites La partie ombrée de l'ellipse de la protection sociale (SP sur le graphique) couvre les questions qui sont pas couvertes par les mesures de redistribution et la gestion du risque social, telles que l'exclusion sociale ; la partie hachurée en gris représente l'intersection de la protection sociale et des mesures de redistribution, mais non de gestion du risque social, telles que la garantie d'un revenu aux personnes extrêmement pauvres ; enfin l'aire blanche indique les aspects de la protection sociale qui relèvent de la gestion du risque social. La zone gris clair couvre les questions de redistribution des revenus qui relèvent de la gestion du risque social mais non de la protection sociale, telles que des investissements dans des infrastructures visant à prévenir ou à minimiser le risque. Les zones blanches de l'ellipse de la redistribution représentent les mesures prises par l'État pour parvenir à une distribution des revenus plus égale, abstraction faite de toute considération relative à la gestion du risque, telles qu'un régime d'imposition des revenus progressif. Enfin, la partie blanche de l'ellipse de la gestion du risque social (SRM sur le graphique) couvre la gestion du risque hors du cadre de la protection sociale, qui fait l'objet des paragraphes qui suivent. 22 i) La gestion du risque hors du cadre de la protection sociale, et le rôle de la protection sociale De nombreuses mesures de politique générale qui influent sur la vulnérabilité et sur l'instabilité des revenus ne relèvent manifestement pas de la protection sociale, comme les mesures de stabilisation macroéconomique, les mesures de protection contre les catastrophes naturelles et les investissements dans des équipements collectifs (routes et approvisionnement en eau). Étant donné les objectifs de la gestion du risque social, la protection sociale pourrait avoir un rôle de soutien et d'analyse, consistant à évaluer l'effet de ces mesures sur la prévention et l'atténuation des risques ainsi que la réaction à ces derniers. Il est essentiel de promouvoir et de faire mieux comprendre l'importance de la contribution de politiques de vaste portée à la création d'un environnement moins risqué pour les ménages et les collectivités. Certains universitaires des pays développés et décideurs des pays en développement ne comprennent pas encore pleinement qu'une politique macroéconomique saine, des marchés financiers solides, le respect des droits de propriété, le respect des droits fondamentaux des travailleurs et les mesures axées sur la croissance sont les meilleurs moyens de faire face au risque et d'améliorer le bien-être8. Lorsque ces conditions sont réunies, les ménages sont moins exposés au risque et donc moins vulnérables, ce qui devrait leur permettre d'atténuer dans une large mesure les fluctuations de leur consommation à l'aide de dispositifs informels ou de marché. Il importe donc de faire oeuvre de sensibilisation et d'information dans les pays en développement et auprès des bailleurs de fonds. La protection sociale a peut-être un rôle spécifique à jouer, en attirant l'attention d'autres secteurs sur le fait que des mesures préventives sont nécessaires et efficaces au plan des coûts actualisés. On peut citer, à cet égard, les récentes manifestations d'El Niño et les répercussions de son impact catastrophique à l'échelle mondiale. Le coût actualisé des mesures prises a posteriori par les pouvoirs publics pour remédier aux effets de revenu défavorables pourraient s'avérer plus élevé que celui de mesures prises ex ante, par exemple, pour investir dans des équipements collectifs (Vos et de Labadista 1998). Le concept de gestion du risque social peut être un puissant outil d'analyse pour évaluer la manière dont divers projets ou interventions (construction de routes ou système d'irrigation, par exemple) pourrait contribuer à réduire la pauvreté, à savoir leur impact sur la gestion du risque. La construction d'une route entre un village isolé et un bourg réduit la vulnérabilité de la collectivité en faisant du commerce un instrument de partage des risques (Collier et 8 L'OIT, les organisations syndicales internationales (telles que la Confédération internationale des syndicats libres) et les ONG internationales comprennent et exposent mieux les effets positifs de la stabilité macroéconomique sur la société, et entretiennent des rapports plus étroits avec les institutions de Bretton Woods. 23 Gunning, 1999). Un projet d'irrigation est, de même , un excellent moyen de minimiser les risques courus par les agriculteurs qui ne peuvent compter sur des précipitations régulières9. ii) La redistribution des revenus et la protection sociale La redistribution des revenus occupe une place importante dans les activités relevant de la gestion du risque social et de la protection sociale, mais n'en est pas nécessairement l'unique ou le principal objectif si l'on considère la définition plus traditionnelle de la protection sociale ou de l'État providence (voir Barr, 1998). Pour certains théoriciens et certains responsables de l'action publique, le principal objectif de la protection sociale est de redistribuer les revenus et de modifier la distribution initiale, déterminée par le jeu du marché, pour aboutir à une distribution des revenus plus égalitaire, corrigée par l'État. Dans le cadre de la gestion du risque social, la redistribution des revenus est un objectif d'égalisation en cas de choc négatif et devient un résultat important de politiques de protection sociale bien conçus, à plusieurs niveaux : · La fourniture d'un soutien aux personnes extrêmement pauvres est l'un des grands objectifs de la protection sociale. Étant donné que, pour financer les transferts monétaires ou en nature nécessaires, il faut imposer les revenus des travailleurs et les biens des personnes fortunées, la redistribution des revenus est donc une conséquence mais non un objectif primordial de la protection sociale. · L'amélioration de l'équité par le biais de la protection sociale donne également lieu à des opérations de redistribution. À tout le moins, celles-ci visent à égaliser les chances, et au mieux, elles remédient aux problèmes créés par des choc négatifs. · Le renforcement des capacités de gestion du risque a d'importants effets redistributifs sur la situation des individus, mais il n'est, dans ce cas, par nécessaire de procéder à une redistribution directe des revenus entre les individus pour assurer une distribution plus équitable du bien-être. · Cependant, nombre des opérations de redistribution menées par les pouvoirs publics par le biais de mécanismes de transferts fiscaux mis en place à des fins explicites de redistribution des revenus, ou par le biais de la fourniture de biens publics, n'entrent pas dans le cadre de la gestion du risque ou dans celui de la protection sociale. iii) La protection sociale et l'intégration sociale Depuis quelques années, le concept de «l'exclusion/intégration sociale » est l'un des grands sujets du débat consacré à la politique sociale et des études théoriques sur la pauvreté et les garanties de ressources. Les partisans de la lutte contre l'exclusion sociale font valoir que la protection sociale moderne ne devrait pas se borner aux formes traditionnelles de garantie des ressources, mais devrait aussi viser, par exemple, à renforcer la cohésion sociale. Ils sont d'avis qu'il conviendrait de prendre des mesures pour promouvoir l'intégration sociale (voir Badelt, 1999b). 9 Ces investissements étaient autrefois essentiellement évalués en fonction de leur taux de rentabilité. On pourrait désormais également examiner l'impact de l'investissement sur la vulnérabilité des populations. Il faudra pour ce faire recouvrir d'autres données et adopter de nouvelles méthodes d'analyse. 24 L'intégration sociale est également l'un des grands objectifs de la Banque mondiale, comme en témoigne sa mission et ses travaux10. Il convient donc de déterminer si elle fait partie intégrante de la protection sociale. Étant donné que la notion d'exclusion sociale est aussi intuitive que difficile à cerner, et donc doit être «abordée avec prudence » (Gore, 1995, : p. 2), ce ne sera probablement pas une tâche facile. L'encadré 5 présente les cinq principaux types d'exclusion sociale (voir aussi Silver, 1995). Nous estimons pour notre part que l'intégration sociale relève de la protection sociale et qu'il nous faut uniquement décider dans quelle mesure. Or, la réponse à cette question procède moins de l'analyse que d'un choix politique. D'un côté, l'intégration, la cohésion, la solidarité et la stabilité sociales sont des résultats souhaitables de la gestion du risque social, qui ne vise, quant à elle, que les manifestations du Encadré 5 : Types d'exclusion sociale Si l'on considère le niveau général de développement d'une société, les types d'exclusion ci-après sont les plus importants : · l'exclusion des biens et services (c'est-à-dire, en général, l'absence d'accès à certains marchés des produits où sont négociés les biens de consommation type d'une société particulière ; ce terme peut toutefois aussi signifier ne pas avoir le droit fondamental de gagner sa vie) ; · l'exclusion du marché du travail, qui a des aspects matériels et non matériels ; · l'exclusion des droits de propriété foncière, qui est un aspect particulier de l'exclusion sociale dans les pays en développement ; · l'exclusion de la sécurité, aussi bien matérielle que physique ; · l'exclusion des droits de la personne, à savoir aussi bien l'accès réel au système juridique que les droits politiques (le droit de participer en tant que citoyen aux activités de l'État, le droit d'association, le droit à une protection contre toute discrimination) et les droits sociaux. risque au niveau du revenu, pour aussi large que soit la définition du risque. Tous les objectifs de politique sociale susmentionnés peuvent être définis comme des externalités positives découlant de systèmes de gestion du risque social bien conçus et bien employés. Par exemple, un bon système de garantie des ressources des chômeurs non seulement améliore les conditions de vie de chaque chômeur en réduisant sa vulnérabilité et en l'aidant à réduire les fluctuations de la consommation, mais aussi favorise la réalisation d'objectifs qualitatifs tels que la stabilité sociale. La garantie de ressources aux personnes âgées a pour effet de leur permettre, bien sûr, de consommer davantage, mais aussi de participer dans une plus large mesure à des activités sociales (activités culturelles, voyages, etc..). La fourniture aux pauvres d'une aide sociale et d'un accès aux services de santé de base et à l'éducation offrent aux parents, et à leurs enfants, des possibilités de s'intégrer au reste de la société. Dans une autre optique, la protection sociale ne se limite pas à viser des objectifs purement financiers mais doit englober des mesures de plus vaste portée, conçues pour agir sur la structure sociale d'un pays. Dans ce cas, il deviendrait possible de décider d'investir dans les équipements socioculturels, en privilégiant des systèmes informels et en accordant une place 10« Notre objectif doit être de réduire ces disparités entre pays et au sein des pays, d'intégrer de plus en plus de gens à la vie économique, de promouvoir un accès équitable aux bienfaits du développement, indépendamment de la nationalité, de la race ou du sexe. En finir avec l'exclusion, tel est le grand défi du développement à notre époque. » Allocution prononcée par James D. Wolfensohn devant le Conseil des Gouverneurs à Hong Kong (Chine) le 23 septembre 1997. 25 accrue au secteur à but non lucratif. La politique sociale met alors très vraisemblablement davantage l'accent sur les droits sociaux. Cette approche élargit le champ des instruments et des institutions pouvant servir à assurer une protection sociale, y compris la notion de « capital social». 2. La protection sociale en dehors du cadre public Le cadre présenté ici implique que la protection sociale est souvent, ou principalement, assurée en dehors du secteur public, par le secteur informel ou le secteur privé, et fait intervenir de nombreux acteurs qu'il s'agisse d'individus, de collectivités, d'ONG, ou encore de l'État ou des institutions internationales. Trois questions se posent : Que peut faire l'État pour faciliter la gestion du risque dans les autres secteurs ? Dans quelle mesure faut-il choisir entre promouvoir le développement économique et appuyer la gestion du risque social dans différents secteurs ? Et de quelle manière le fait que tous les intervenants agissent dans leur propre intérêt en se fondant sur une information diffusée de manière asymétrique influe-t-il sur la conception et la viabilité des systèmes ? i) L'action publique et la gestion du risque social en-dehors de l'Etat La famille était dans le passé, et reste très probablement aujourd'hui, l'institution fondamentale dans le cadre de laquelle le risque est géré au niveau des individus. L'information y est diffusée de manière relativement symétrique, ses membres sont quotidiennement en contact les uns avec les autres, et il est facile de vérifier que des engagements ont été pris (et probablement de faire respecter ces derniers). Bien que la dislocation de la famille élargie dans certaines parties du monde ait nécessité l'adoption de nouveaux systèmes, tels que les régimes de retraite publics ou privés, même les ménages ou les familles monoparentales des pays industrialisés emploient encore nombre de ces stratégies de gestion du risque. Toutefois, le pouvoir n'est pas également réparti au sein de la famille, la gestion du risque peut ne pas avoir des avantages aussi prononcés pour les hommes et pour les femmes, et les femmes et les enfants peuvent avoir un statut juridique ou une position sociale précaires. Il convient alors de se demander si l'État pourrait exercer un effet positif sur les systèmes de gestion du risque social en offrant des incitations monétaires et non monétaires, en fournissant des informations, etc. Bien que certaines études confirment l'efficacité de quelques interventions, nous n'avons guère d'information en ce domaine. La situation est également incertaine au niveau des collectivités et des ONG. Celles-ci contribuent à fournir des instruments de gestion du risque, et un grand nombre d'entre elles se sont créées sans aucune intervention de l'État. Les mécanismes informels de partage du risque à l'échelon de la collectivités résultent des contacts réguliers entretenus à ce niveau et de la mise en place progressive de moyens permettant de prendre des engagements. L'État peut-il intervenir pour encourager ou renforcer de tels systèmes, et de quelle manière ? Serait-il plus facile d'agir au niveau de la constitution ou des activités des ONG pour promouvoir la fourniture d'instruments de gestion du risque ? Comment faire pour assurer leur pérennité ? 26 Dans le cas des dispositifs informels de gestion sociale du risque que l'on vient d'examiner, on possède de nombreux éléments d'information sur ce que les pouvoirs publics ont fait pour éliminer des activités désirables de gestion du risque, on en possède certains sur ce qu'ils peuvent faire pour faire disparaître des mécanismes d'ajustement peu souhaitables (comme le travail des enfants), mais on n'en possède pratiquement aucun sur ce qu'ils peuvent faire pour encourager des interventions souhaitables en ce domaine. Il semble, en revanche, plus facile de comprendre comment l'État peut aider et influencer la création d'instruments de gestion du risque privés. On apprécie mieux à présent le rôle qu'il peut jouer en réglementant et en supervisant de manière judicieuse les institutions financières, et ce, paradoxalement, depuis que de récentes crises financières ont ébranlé de nombreux pays. Toutefois, les institutions du secteur formel ne fournissent guère de services aux groupes de population les plus vulnérables, qui vivent en marge de la société et, si l'on attend beaucoup des institutions de microfinancement qui se créent, certains auteurs estiment que l'on fait peut-être preuve d'un optimisme excessif (Morduch, 1999b). Il importe, en fait, pour les pays industrialisés comme pour les pays en développement, d'acquérir une certaine connaissance des questions financières, c'est-à-dire de comprendre le rôle et le fonctionnement des institutions financières et des instruments disponibles. ii) La gestion du risque social et le développement économique La gestion du risque social n'est pas sans effet sur le développement économique (Ahmad, Dreze, et Sen, 1991) : elle peut le favoriser en encourageant la prise de risques, en permettant d'adopter des technologies plus productives et en prenant en compte la problématique hommes-femmes, mais elle peut aussi le freiner en éliminant le risque et en incitant les individus à modifier leur comportement. La fourniture par l'État d'un soutien aux systèmes de gestion du risque est donc un instrument important du développement économique, qui force parfois à choisir entre l'efficacité à court terme et l'efficience à long terme. Comme on l'a vu au paragraphe ii) de la deuxième section, il est possible d'avancer de faire valoir de diverses manières que le manque d'instruments de gestion du risque est un obstacle à la prise de décisions efficaces et à la croissance économique : en effet, les personnes qui se trouvent en dessous ou à proximité du seuil de pauvreté ne sont guère incitées à prendre des risques ; elles ont recours à des mécanismes informels et inefficaces de partage du risque et emploient des techniques de production non optimales, autant de facteurs qui compromettent la croissance et perpétuent la pauvreté. En revanche, les instruments (efficaces) de gestion des risques privés ou publics permettent aux individus de prendre plus de risques que les mécanismes d'autoassurance. Prendre des risques est un comportement productif, et le risque peut être considéré comme un facteur de production au même titre que d'autres mieux connus comme le capital et le travail (Sinn, 1998, dans une citation de Pigou, 1932). Qui plus est, l'absence d'instruments appropriés de gestion du risque expose encore plus les pays à des chocs externes qui peuvent interrompre leur croissance. Comme on a récemment pu le constater, c'est peut-être à cause de conflits sociaux latents et des carences des institutions ayant pour mission de gérer ces conflits (y compris l'insuffisance des filets de sécurité sociale) que tant de pays voient leur économie s'effondrer depuis le milieu des années 70 (Rodrik, 1999). 27 Toutefois, la fourniture d'instruments de gestion du risque peut également inciter les individus à adopter des comportements qui ont des effets préjudiciables sur le développement économique. La création par l'État de mécanismes pour garantir des ressources peut améliorer la situation des individus lorsque différents risques se matérialisent, mais peut aussi amener ceux-ci à limiter leurs efforts (par exemple pour trouver un emploi) ou les inciter à prendre trop ou pas assez de risques. Le problème peut être exacerbé par les mesures omniprésentes de redistribution des revenus qui sont souvent un aspect des systèmes publics de protection sociale ; l'expérience des pays de l'OCDE montre que l'accroissement de la protection contre le risque par un État providence réduit l'esprit d'entreprise (Ilmakunnas et al., 1999). L'action des pouvoirs publics peut en outre créer une situation paradoxale dans laquelle une intensification de l'effort de redistribution a pour effet d'accroître l'inégalité de la distribution des revenus avant et/ou après imposition(Sinn, 1995 and 1998). Il importe donc de procéder à une analyse et à des observations détaillées des résultats produits par des systèmes de gestion du risque mis en place et administrés par l'État. Même dans le cas des systèmes informels de gestion du risque utilisés dans les pays moins développés, il faut parfois choisir entre l'efficacité de la redistribution (à court terme) et l'efficience du processus à long terme. De nombreux mécanismes informels permettent de minimiser les risques courus par les membres du groupe qui les appliquent, mais ils peuvent aussi avoir pour effet de lourdement grever les revenus présents et futurs, en particulier pour les pauvres. A l'inverse, de nombreux systèmes publics peuvent paraître onéreux à court terme car il faut, pour les financer, dégager des ressources budgétaires supplémentaires, mais avoir des effets positifs sur l'efficience à long terme, notamment lorsque les structures institutionnelles informelles répressives et les technologies peu productives sont abandonnées. Il est donc parfois nécessaire de procéder à un arbitrage entre, d'une part, les avantages économiques et l'assouplissement de la contrainte du budget de l'État en longue période et, d'autre part, le coût immédiat du nouveau système de gestion du risque, qui grèvera probablement lourdement à court terme le budget de pays qui ne peuvent dégager d'importantes recettes fiscales. iii) La viabilité des systèmes sur le plan politique Les débats consacrés aux politiques de protection sociale (ou, plus généralement, à l'État providence) ont traditionnellement revêtu la forme d'un simple arbitrage entre égalité et efficacité une fois définie la fonction de protection sociale par rapport aux niveaux de revenu des individus. Or, on a pu constater, à l'occasion d'interventions de l'État et de tentatives de réforme, que la meilleure solution technique n'est pas toujours politiquement viable11. Le plan optimal initial doit donc être ajusté, voire totalement modifié, tandis qu'il s'avère politiquement difficile sinon impossible de prendre les mesures nécessaires pour adopter un pis-aller qui pourrait être viable. On peut en déduire qu'il est indispensable de replacer la conception et la réforme des systèmes dans le cadre de l'économie politique. L'alternative initiale doit faire place au «ménage à trois » des considérations d'égalité, d'efficacité et de viabilité politique. La détérioration de la structure et de la mise en oeuvre des systèmes de protection sociale publics résulte de l'évolution des coalitions formées à des fins électorales 11 Par exemple, les fonds de réserve des régimes de retraite par répartition dans les pays en développement sont généralement épuisés par suite d'un accroissement des prestations ou de vols caractérisés. Ces fonds auraient dû permettre des taux de cotisation moins élevés. 28 et des intérêts personnels des politiciens et des bureaucrates. Pour préserver la structure initialement conçue, il importe d'adopter un mécanisme approprié obligatoire, accroître la transparence et forcer les entités chargées de son administration à rendre des comptes au public. Au nombre des exemples de mécanismes à caractère obligatoire qui ont donné des résultats relativement satisfaisants, citons les projections budgétaires à long terme effectuées dans le cadre du régime de pension aux États-Unis, le système de budgétisation en valeur actuelle en Nouvelle-Zélande et l'évaluation périodique de tous les systèmes en place et des changements proposés dans de nombreux pays industrialisés. Si la situation évolue de manière encourageante, il reste beaucoup à faire dans les pays clients de la Banque mondiale. Une fois décidé que la viabilité politique d'un système doit être un facteur déterminant de sa structure, la capacité de résistance aux contraintes politiques devient un important critère de sélection. Puisque, comme nous venons de le voir, il faut effectuer un compromis entre les considérations d'égalité, d'efficacité et de viabilité, il peut être souhaitable de choisir un système qui n'est peut-être pas le plus efficace ou le plus égalitaire mais semble devoir mieux résister au risque politique. C'est ce qui se produit, par exemple, dans le cas du maintien obligatoire de comptes d'épargne pour protéger les particuliers d'une baisse de leurs revenus en cas de chômage ou de maladie, par opposition au versement de prestations sociales directes par le biais d'un système administré par l'État. Il est politiquement très difficile de modifier des systèmes de gestion du risque administrés par l'État tels que les pensions de retraite et les prestations d'assurance chômage ou maladie. On se heurte en effet, le plus souvent, à l'existence de droits garantis ou acquis ou encore au manque de crédibilité des variantes proposées. Bien que les systèmes de protection sociale ne soient pas les seuls dont la réforme se heurte à une opposition, dans leur cas cette dernière est généralisée et difficile à surmonter. Il semblerait donc que, avant de créer de nouveaux mécanismes, plus efficaces, de gestion du risque, il est crucial de mieux comprendre l'économie politique des réformes. 4. Les nouveaux principes directeurs de la protection sociale Pour qu'un cadre théorique puisse avoir un intérêt pratique, il doit permettre de formuler des recommandations pour l'action publique. Cette section décrit quelques-uns des principes directeurs suggérés par le cadre de la gestion du risque social, assortis de quelques réserves suggérées par l'expérience des systèmes de protection sociale. i) Il est important d'adopter une approche globale Étant donné la complexité du cadre théorique de la gestion du risque social, il est important d'avoir une vue globale des problèmes, des options et des parties en présence : a. Lorsque l'on considère les problèmes et les solutions possibles, il faut, au lieu de placer les systèmes traditionnels dans des compartiments distincts (régimes de pension publics, politique du marché sur travail et filets de sécurité sociale), déterminer les relations qui peuvent être établies entre ces derniers et des dispositifs informels ou de marché, ainsi que le degré de substituabilité et la complémentarité des principales stratégies ; 29 b. S'agissant des parties en présence, il faut que les principaux bénéficiaires (les particuliers), les pouvoirs publics et les représentants des institutions qui souhaitent apporter leur soutien, agissent de manière concertée ; c. Au plan de l'information, il faut rassembler de nouvelles données, ou du moins de données différentes, pour établir un cadre de référence, procéder à des évaluations et améliorer les méthodes d'analyse. On ne dispose pas actuellement de données qui permettraient de mesurer et d'évaluer l'efficacité de différentes méthodes de gestion du risque, et il faudra probablement, pour les obtenir, que les pays, les institutions internationales et les autres intervenants nationaux et internationaux déploient des efforts de collaboration. ii) Il faut établir un bon équilibre entre les stratégies de prévention, d'adaptation et de réaction La meilleure manière de gérer le risque consiste manifestement à éviter qu'il ne se concrétise. En second lieu, il faut chercher à s'y adapter et le minimiser, pour réduire ses effets ex ante. La stratégie de réaction est essentiellement la dernière à laquelle il peut être fait recours, lorsque tous les efforts déployés précédemment ont échoué. Or, chacune de ces stratégies a des coûts directs et d'opportunité, si bien qu'il n'est pas toujours efficace ni réaliste de compter uniquement employer des stratégies de prévention ou d'adaptation. On a pu constater, dans les ex-économies planifiées que les efforts déployés pour éliminer tous les risques ex ante en laissant l'État planifier les volumes de production et fixer le niveau des prix et en faisant de celui-ci le propriétaire des facteurs de production ont un coût très élevé en ce sens qu'ils ralentissent le développement économique. Il n'en demeure pas moins que les pouvoirs publics ont, actuellement, trop tendance à concentrer leurs efforts sur les stratégies de réaction, notamment dans le cas des segments pauvres de la population. Pour accroître l'efficacité des stratégies, il faut accorder une plus grande attention aux mesures de prévention et d'adaptation du risque. Des résultats prometteurs ont déjà été obtenus dans certains domaines, tels que les politiques du marché du travail, le renforcement des compétences de la population active, les projets communautaires à caractère participatif, l'accès à des actifs financiers sans risque et la fourniture de prestations d'assurance chômage appropriées. 30 iii) Il convient d'exploiter les avantages comparatifs des parties en présence La gestion du risque social fait intervenir de nombreux acteurs : les personnes, les ménages, les collectivités, les ONG, les différents échelons des administrations publique locales, les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, les organisations internationales et la communauté internationale tout entière. Ces acteurs n'ont pas tous les mêmes informations et ils emploient des moyens différents pour compenser cette asymétrie. Ils jouissent tous d'avantages divers mais aucun d'entre eux ne peut mettre en place un système de gestion du risque parfait. Les avantages comparatifs évoluent dans le temps, à mesure que l'information devient plus efficace et que les marchés se développent. Il s'ensuit que, loin d'être essentiellement le fait d'un acteur ou d'un système particulier, la gestion du risque social doit exploiter les avantages comparatifs des diverses parties en présence, tout en s'adaptant aux changements qui pourront intervenir. En particulier, l'État et les institutions internationales pourraient envisager, pour faciliter la gestion du risque social : a. de renforcer leur action directe de prévention, notamment dans les domaines de la prévention de catastrophes et du renforcement des ressources humaines, par exemple en luttant contre le travail des enfants et en créant des conditions équitables sur des marchés du travail accessibles à tous, en fournissant des services pour le développement du jeune enfant et pour les jeunes ; b. de participer moins directement aux efforts d'adaptation au risque mais de renforcer leurs fonctions de réglementation et de supervision des dispositifs privés (assurance-maladie, caisses de retraite, etc.) ; c. de limiter leurs efforts de réaction aux mécanismes qui bénéficient aux personnes handicapées, à celles qui sont les plus vulnérables et aux périodes de crise. iv) Il importe d'agir différemment face à des risques différents Les personnes, les ménages ou les collectivités peuvent difficilement faire face à certains risques tels que les catastrophes naturelles, les épidémies et les crises financières. Il leur faut, dans ce cas, bénéficier d'une intervention de l'État et de l'appui des institutions internationales et de l'ensemble de la communauté internationale. Les risques moins catastrophiques peuvent être gérés au moyen de dispositifs informels ou privés ; dans ce cas, encore, l'État doit souvent intervenir en établissant un cadre réglementaire, ou en prenant des dispositions particulières. Pour être efficace à court et à long terme, le système adopté doit être particulièrement adapté au type de risque et à l'environnement dans lequel il existe. Par exemple, l'assurance-chômage n'est pas toujours le meilleur moyen pour la société de gérer le risque de chômage (qui peut être individuel, conjoncturel, structurel, dû à une crise, etc.) dans certains environnements (existence d'un secteur informel plus ou moins important). On a pu observer, lors du difficile passage de certains pays d'un système de planification centrale à une économie de marché dans les années 90 et de la crise financière qui a récemment ébranlé l'Asie de l'Est, qu'il est nécessaire de trouver des solutions adaptées, en s'appuyant sur l'expérience accumulée dans le monde entier. V. Conclusion Le nouveau cadre théorique proposé pour gérer le risque est intellectuellement attrayant et pourrait être employé pour réévaluer les systèmes de protection sociale, leur structure et leur 31 application. Le véritable intérêt d'un nouveau concept, quel qu'il soit, tient au fait qu'il permet de mieux comprendre et décrire la réalité et, partant, de formuler et de mettre en oeuvre de meilleures politiques. Le verdict n'a pas encore été rendu dans le cas présent, mais il y a lieu d'être optimiste. La réaction des responsables de l'action publique et de la conception de ces systèmes est jusqu'à présent très encourageante. Le nouveau cadre permet aux ministres des finances de reconnaître le rôle de la protection sociale, leur montre qu'il leur faut prendre des mesures qui sont loin de se limiter à un simple accroissement des ressources budgétaires, et leur permet de replacer le problème sous une forme qui leur est familière. Il permet aux responsables de la formulation de l'action publique d'adopter une approche intégrée et leur permet de constituer de nombreux mécanismes légitimes de gestion du risque, comme les institutions de microfinancement, les plans de crédit mis en place pour aider les populations pauvres, les femmes ou desservir les régions isolées, et les fonds d'investissements sociaux qui permettent de prévenir le risque (en créant des sources de revenu), de le minimiser (approvisionnement en eau) et de s'ajuster (projets de travaux d'utilité collective). Le cadre présenté ici a déjà permis de repenser les fonds d'investissements sociaux (Jorgensen et van Domelen, 2000), d'évaluer les problèmes et les opportunités associés à la fourniture de systèmes d'assurance-vieillesse en Asie de l'Est (Holzmann et al., 2000) et de préparer des études de stratégies sectorielles pour des régions présentant des caractéristiques économiques et sociales diversifiées. Le cadre théorique a également été élargi pour prendre en compte, notamment, les risques observés dans les régions rurales d'Afrique subsaharienne (Siegel et Alwang, 1999) et a été appliqué dans plusieurs pays (Bendokat et Tovo, 1999). Il sert aussi actuellement à élaborer des systèmes de garanties de ressources pour les chômeurs. Les résultats obtenus sont tous encourageants. De toute évidence, cela conforte la nouvelle approche de la réforme des régimes de pension proposée par la Banque (Holzmann, 2000). Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour perfectionner le cadre théorique et faire progresser les travaux de recherche, ne serait-ce que pour déterminer si et comment l'État peut promouvoir les systèmes informels de gestion du risque ; formuler des directives théoriques et pratiques pour trouver un juste équilibre entre la prévention, l'adaptation et la réaction au risque ; définir le rôle du capital social dans la gestion du risque social et les mesures que peut prendre l'État pour le promouvoir ; ou encore déterminer les circonstances dans lesquelles la contribution à la gestion du risque des diverses parties en présence est optimale ou, au contraire, une source de risque. 32 Bibliographie Ahmad, E., Dreze. J. et Sen , A.K. (1991) : Social Security in Developing Countries, Oxford (Oxford University Press). Alderman, H. et Paxson, Ch. (1992) : Do the poor insure. 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