21321 POUR BÂTIR UN MONDE É Q U I TA B L E James D. Wolfensohn Président Groupe de la Banque mondiale Discours prononcé devant le Conseil des Gouverneurs à Prague (République tchèque), le 26 septembre 2000 Prague, République tchèque, 2000 J ’ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette Assemblée annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et du Groupe de la Banque mondiale. Je tiens également à souhaiter tout spécialement la bienvenue à la délégation de Saint-Marin, qui vient d’adhérer à la Banque. Je voudrais remercier le président de l’Assemblée, M. Trevor Manuel, pour son soutien et son discours énergisant. Ses talents exceptionnels lui ont permis à la fois de mener le combat pour la liberté et de conduire de bonnes politiques économiques une fois cette liberté conquise. Je voudrais aussi remercier les gouverneurs et le Conseil des administrateurs pour leur participation aux travaux de la Banque. Je tiens également à exprimer toute l’admiration que m’inspire l’action remarquable que Michel Camdessus a menée pendant toutes ses années à la tête du FMI et à le remercier pour son amitié et son étroite collaboration. Je me réjouis à la perspective de collaborer aussi étroitement avec Horst Köhler, et je pense que nos premiers contacts augurent bien de l’avenir. J’attends avec intérêt de me rendre avec lui en Afrique, comme il l’a mentionné. Je tiens par ailleurs à confirmer que je souscris totalement à ce que Horst Köhler vient de dire sur notre compréhension mutuelle de la complémentarité de la mission de la Banque et du Fonds. Nous poursuivons le même objectif : améliorer la qualité de vie et résorber la pauvreté grâce à une croissance durable et équitable. Pour atteindre cet objectif, la Banque a pour mandat fondamental de réduire la pauvreté, en axant plus particulièrement ses interventions sur les dimensions institutionnelles, structurelles et sociales du développement. Son action complète ainsi celle du Fonds, qui porte plus spécialement sur les questions macroéconomiques, conformément à sa mission première qui consiste à promouvoir et à maintenir la stabilité financière internationale. Je voudrais souligner à quel point ces missions sont indissociables. Si nous ne parvenons pas à remédier aux carences structurelles et aux tensions sociales qui compromettent la stabilité macroéconomique, les premiers à en pâtir seront les pauvres. Alors que nous nous appliquons à renforcer la responsabilité 3 Pour bâtir un monde équitable budgétaire, la protection des plus défavorisés doit figurer au premier rang de nos priorités. Je tiens également à remercier la République tchèque, ainsi que les habitants et les autorités de Prague pour l’accueil qu’ils ont réservé à cette Assemblée et pour le travail remarquable qu’ils ont accompli dans des circonstances difficiles. J’adresse aussi mes remerciements à M. Vaclav Havel, qui incarne et exprime de manière aussi remarquable les espoirs et les rêves de toute une génération. Le discours qu’il a prononcé aujourd’hui est une véritable source d’inspiration, et nous nous souviendrons toujours de son appel à adhérer à de nouvelles valeurs. La République tchèque a entrepris d’opérer une transition douloureuse et difficile. Mais elle montre la voie à suivre et est fermement résolue à mettre en place les institutions, les mécanismes du marché et les structures de gouvernance indispensables à la réalisation d’une croissance équitable. Et le fait que nous nous rencontrions ici à Prague, au cœur de l’Europe, témoigne de l’importance attachée à la dynamique de l’intégration européenne. C’est la sixième fois — la première depuis le début de mon second mandat — que je m’adresse à cette Assemblée en qualité de président du Groupe de la Banque mondiale. J’ai beaucoup appris durant les cinq dernières années, au fil des voyages qui nous ont conduits, Elaine et moi, dans plus de 100 pays. J’ai appris d’une habitante des favelas de Rio de Janeiro, qui participait à un programme communautaire d’approvisionnement en eau et d’assainissement autonome, que promouvoir le développement, ce n’est pas faire la charité, mais démarginaliser les exclus et leur donner les moyens de se prendre en charge. J’ai appris d’un producteur de crevettes dans le delta du Mékong, privé de ses moyens de subsistance par la dégradation des mangroves, que travailler dur ne sert à rien si les problèmes environnementaux ne sont pas réglés. J’ai appris d’un chef religieux musulman en Côte d’Ivoire, à l’occasion de l’un de mes tout premiers voyages pour la Banque, 4 Prague, République tchèque, 2000 que donner de l’argent à un pauvre d’une main et le lui reprendre de l’autre, en règlement de sa dette, n’aide guère à atténuer la pauvreté. Cette leçon toute simple est à l’origine de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Et surtout j’ai appris que nous sommes tous liés par notre humanité. Les pauvres veulent pour leurs enfants ce que nous tous, qui sommes réunis ici, voulons pour les nôtres — une éducation, une bonne santé, la sécurité matérielle et des opportunités. Les pauvres veulent faire entendre leur voix. Ils ne veulent pas la charité. Ils veulent une chance d’améliorer leur sort. Et ils veulent que leurs droits fondamentaux soient respectés. Nous sommes ici pour défendre cette humanité commune et, par- dessus tout, pour combattre la pauvreté avec passion. Mais si nous voulons vaincre la pauvreté, la passion ne suffit pas. Nous devons passer à l’action, en faisant preuve d’efficacité et en nous engageant sur le long terme. Je suis convaincu que les profonds bouleversements de ces dix dernières années, aussi éprouvants et difficiles qu’ils aient été, nous offrent une véritable chance de marquer une avancée radicale dans le combat contre la pauvreté. Cette chance est à notre portée et nous devons la saisir. Nous comprenons mieux aujourd’hui en quoi consiste la pauvreté et comment promouvoir un développement équitable. Nous avons entrepris de réformer notre institution et nos modes d’intervention pour nous acquitter de notre mission de manière plus efficace, plus transparente et plus responsable. Mais nous n’avancerons sur le front de la pauvreté que si nous unissons tous nos forces — pays en développement et développés, institutions internationales, société civile sous toutes ses formes et secteur privé. Cette union doit nous permettre de démultiplier l’effort de lutte contre la pauvreté. Cette union doit nous permettre de bâtir une nouvelle solidarité internationale face à la mondialisation de l’économie. 5 Pour bâtir un monde équitable Hors de ces murs, des jeunes manifestent contre la mondialisation. J’ai le profond sentiment que beaucoup d’entre eux posent des questions légitimes et j’applaudis à l’engagement d’une nouvelle génération dans le combat contre la pauvreté. Je partage leur passion et, comme eux, je m’interroge. Certes, nous avons beaucoup à apprendre. Mais je suis persuadé que nous ne pourrons aller de l’avant que si nous engageons un dialogue constructif fondé sur le respect mutuel. Je suis reconnaissant à cet égard au président Havel pour le dialogue qu’il a su récemment organiser ici, à Prague. Le monde au seuil d’un nouveau millénaire Nous voici à l’aube d’un nouveau millénaire, qui marque la fin d’une décennie où la mondialisation s’est sensiblement accélérée. L’heure est venue de dresser un bilan, de faire le point de la situation et de fixer des objectifs pour l’avenir. Les possibilités qui s’offrent sont immenses, mais les défis qui se posent sont redoutables. Nous devons tirer parti de la mondialisation pour relever le défi de la pauvreté. Mais qu’entendons-nous par mondialisation ? La mondialisation, c’est un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant. Ce sont des échanges, des investissements et des flux financiers internationaux qui progressent à un rythme beaucoup plus rapide que le revenu national, si bien que nos économies sont de plus en plus intégrées. Ce sont des crises financières d’envergure internationale. Comme nous l’avons vu en Asie de l’Est, l’instabilité d’un pays peut avoir des répercussions qui nous concernent tous. Ce sont des technologies, qui nous offrent des capacités de communication encore inconcevables il y a quelques années. Ce sont des maladies, et je pense en particulier au VIH/SIDA, au paludisme et à la tuberculose. Ce sont les comportements criminels, la violence, les menaces et le terrorisme, qui ne connaissent pas de frontières. 6 Prague, République tchèque, 2000 Ce sont de nouvelles possibilités offertes aux travailleurs de tous les pays de réaliser leur potentiel et de subvenir aux besoins de leur famille grâce aux emplois créés par une plus grande intégration économique. Mais ce sont aussi des travailleurs, dans les pays développés, qui craignent de perdre leur emploi au profit de pays où les coûts sont moins élevés et où la main-d’œuvre est moins bien protégée. Ce sont des travailleurs, dans les pays en développement, qui s’inquiètent de voir leur sort décidé dans les directions lointaines de sociétés internationales. En résumé, la mondialisation est à la fois synonyme de risque et d’opportunité. Nous devons neutraliser ces risques à l’échelon national en procédant aux ajustements nécessaires et en renforçant les systèmes de protection sociale, les structures et le cadre financier. Et à l’échelon mondial, nous devons conforter l’architecture financière internationale, nous employer à combattre les maladies, inverser la tendance à la dégradation de l’environnement et utiliser les moyens de communication pour donner la parole à ceux qui ne peuvent faire entendre leur voix. La mondialisation est un phénomène irréversible. Notre mission est de veiller à ce que cette dynamique génère des opportunités et des possibilités d’insertion, et non un sentiment de crainte et d’insécurité. Les dix dernières années ont vu non seulement une accélération de la mondialisation, mais également des progrès tangibles dans l’amélioration des politiques des pays en développement. Un peu partout dans le monde, un plus grand nombre d’enfants sont scolarisés dans le primaire et le secondaire. Dans de nombreux pays, l’espérance de vie s’est accrue, la mortalité des nourrissons et des enfants en bas âge est en régression, et moins de mères meurent en couches. En matière de politique économique, l’inflation a été jugulée, les marchés ont été libéralisés et les investissements ont fortement progressé. Les perspectives économiques pour les prochaines années sont encourageantes ; la progression du revenu par habitant devrait 7 Pour bâtir un monde équitable largement dépasser les 3 % dans les pays en développement, soit un taux de croissance inégalé depuis plusieurs dizaines d’années et plus fort que dans les pays développés. En fait, les habitants des pays en développement sont nombreux à recueillir les fruits du mariage de l’amélioration des politiques publiques et de la mondialisation. Mais ce tableau optimiste est encore trop souvent un mirage. Trop nombreux sont les pays où l’accroissement de la population annule la progression du revenu par habitant. Trop nombreux sont ceux où le sida réduit à néant l’allongement de l’espérance de vie, occasionnant des souffrances et des difficultés incalculables. Trop nombreux sont ceux où les armes, la guerre et les conflits ont annihilé les acquis du développement. Et les perspectives d’évolution mondiales ne laissent pas place à l’autosatisfaction, en particulier au vu de l’instabilité des prix du pétrole et des produits de base et des fluctuations erratiques des taux de change. Nous vivons dans un monde où règne l’inégalité. Il est injustifiable que les 20 % les plus riches de la population mondiale accaparent plus de 80 % du revenu mondial. Il est injustifiable que 10 % de la population absorbent la moitié du revenu national, comme c’est aujourd’hui le cas dans un trop grand nombre de pays. Il est injustifiable que le revenu moyen des 20 pays les plus riches soit 37 fois plus élevé en moyenne que celui des 20 pays les plus pauvres, écart qui a plus que doublé au cours des 40 dernières années. Il est injustifiable que 1,2 milliard d’êtres humains vivent encore avec moins de 1 dollar par jour et que 2,8 milliards de personnes subsistent avec moins de 2 dollars par jour. À l’heure où tout concourt à effacer les frontières, il est temps de repenser entièrement notre façon de voir. L’heure est venue d’admettre que nous ne vivons pas dans deux mondes séparés mais sur une seule et même planète, et que cette pauvreté, où que nous habitions, est à notre porte. Nous en sommes responsables. Il est temps que les dirigeants politiques assument cette responsabilité. 8 Prague, République tchèque, 2000 Les enjeux ne sauraient être plus élevés. Les conflits, si préjudiciables au développement, ne sont pas de simples accidents de l’histoire. Ils risquent davantage de se produire dans les pays très pauvres et tributaires des produits de base. La délinquance violente est plus susceptible de sévir dans les pays où les inégalités de revenu sont flagrantes. Et ce que l’on constate aujourd’hui au sein d’une seule et même société vaudra de plus en plus pour les conflits internationaux et le terrorisme dans un monde sans frontières. Lutter contre la pauvreté, c’est lutter pour la paix et la sécurité mondiales. Qu’avons-nous appris sur la manière de combattre la pauvreté ? Pour relever ces défis, nous devons agir ensemble. Et nous devons tirer les leçons de l’expérience. Mais qu’avons-nous appris ? Nous avons appris qu’être pauvre, ce n’est pas seulement avoir un revenu insuffisant, voire peu de connaissances ; c’est aussi ne pas avoir voix au chapitre, ni être représenté. C’est être sans défense face aux abus et à la corruption. C’est subir de mauvais traitements lorsqu’on est femme, et craindre d’être victime de la délinquance. C’est être privé de dignité. Être pauvre, comme nous l’ont appris les 60 000 défavorisés que nous avons interrogés dans 60 pays, c’est être privé du droit fondamental d’agir, de choisir et d’avoir sa chance. Nous avons appris que la mise en œuvre de réformes axées sur le marché, couplée au renforcement des dispositifs sociaux et du cadre institutionnel, peut générer une croissance favorable aux pauvres. Nous avons appris que la croissance économique est l’arme la plus puissante qui soit pour réduire durablement la pauvreté. Promouvoir la croissance est capital, mais cela ne suffit pas. Si nous voulons véritablement combattre les inégalités, nous devons également aider les pauvres à se constituer un patrimoine, notamment en leur donnant accès à l’éducation, à la santé et à la propriété foncière. Nous devons leur donner accès aux infrastructures 9 Pour bâtir un monde équitable et aux connaissances, à la campagne comme à la ville. Nous devons nous attaquer aux inégalités profondément enracinées, en comblant les écarts liés au sexe ou à l’appartenance à un groupe ethnique, social ou racial. Nous devons protéger les pauvres contre les mauvaises récoltes et les catastrophes naturelles, contre la criminalité et les conflits et contre la maladie et le chômage. Le développement doit être global. Il doit couvrir l’éducation et la santé, mais aussi la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la réforme du cadre juridique et judiciaire, la réforme du secteur financier. Le développement doit viser le renforcement des infrastructures et la protection de l’environnement, de même que l’application de bonnes politiques économiques. Autant d’aspects interdépendants, qui se renforcent mutuellement. Nous avons appris — et ceci est fondamental — que le développement ne peut être imposé d’en haut. Il n’existe pas de formule universelle. Le développement doit être impulsé et piloté par les pays eux-mêmes. Chaque pays doit formuler et adopter une stratégie d’ensemble, faute de quoi nous ne pourrons concrétiser le développement indispensable à la construction d’un monde de paix et d’équité. Nous mettons en pratique ce que nous avons appris. Conscients de l’importance d’une telle approche, nous avons formulé il y a plus d’un an le Cadre de développement intégré (CDI). Cette approche, globale et à long terme, d’un développement maîtrisé par le pays est actuellement mise en œuvre dans une douzaine de pays. L’année dernière, en collaboration avec le FMI, nous avons entrepris d’aider nos partenaires à élaborer des stratégies de lutte contre la pauvreté — des stratégies impulsées par les pays eux- mêmes et axées sur la réduction de la pauvreté. Notre cadre de développement intégré et les stratégies de lutte contre la pauvreté traduisent une vision du développement qui fait de plus en plus d’adeptes au sein de la communauté du développement. Reconnaissons ici qu’un principe fondamental sous-tend cette approche, je veux parler de la participation. La participation est 10 Prague, République tchèque, 2000 un gage de résultats tangibles au niveau des projets et des programmes. Et elle peut favoriser le consensus, qui est le fondement même de l’évolution et de la refonte du cadre social. Elle fait partie intégrante de la liberté. Où, mieux qu’à Prague, ville de la « révolution de velours », pourrions-nous souligner l’importance cruciale de la participation ? Où mieux qu’ici pourrions-nous réaffirmer ce à quoi les défavorisés du monde entier disent eux-mêmes aspirer — au droit d’être libres, de participer et de se faire entendre pour améliorer leur sort ? La participation revêt de multiples formes — et elle donne de bons résultats. Au Bangladesh, nous aidons des organisations non gouvernementales à financer des programmes de microcrédit novateurs qui touchent plus de 5 millions de pauvres, dont 90 % de femmes. En Ouganda, les dons de contrepartie que nous avons fournis à des groupes communautaires ont eu pour effet d’améliorer considérablement la fréquentation des écoles et le recours aux installations sanitaires. En Inde, le renforcement de la démocratie a encouragé la participation des habitants des plus petites villes. Grâce aux réformes, les femmes sont beaucoup mieux représentées dans les conseils locaux. Avec l’aide et à l’initiative de nos pays clients, nous nous appliquons avec les populations locales, les collectivités territoriales, le secteur privé et la société civile à promouvoir le développement de proximité. En Indonésie, plus de 2 000 villages et groupes communautaires s’emploient à formuler leurs propres propositions pour obtenir un financement local. Au Bénin, des femmes s’organisent pour protéger les forêts et en faire une source de revenu plutôt que de combustible. 11 Pour bâtir un monde équitable Et à l’échelon national, nous contribuons à renforcer les institutions, de sorte que les pauvres puissent s’insérer dans la vie économique et sociale de leur pays et recueillir les fruits de cette participation. Nous devons faire en sorte que les institutions publiques soient davantage à l’écoute des pauvres. Nous devons reconnaître que, dans un trop grand nombre de pays, combattre la pauvreté revient à lutter contre les intérêts bien ancrés d’une élite économique qui influe de manière abusive sur les politiques publiques et le cadre législatif et réglementaire. Si nous parvenons, en collaboration avec les gouvernements, à mettre en œuvre cette approche globale, et si nous réussissons à traduire dans les faits ces principes de participation, d’équité et d’inclusion, nous aurons véritablement démocratisé le développement. La révolution de l’information et de la communication Aujourd’hui, nous disposons d’un moyen unique pour assurer une participation d’une ampleur inconcevable il y a tout juste quelques années. La révolution de l’information et de la communication transformera le développement tel que nous le concevons aujourd’hui. Cette révolution nous offre une occasion historique de redessiner les contours de l’économie mondiale en assurant à tous le même accès au savoir et à l’information ; en assurant aux communautés locales une plus grande maîtrise de leur destin et une meilleure insertion sociale ; et en favorisant la croissance économique, la création d’emplois et un meilleur accès aux services essentiels. Aussi, au cours des cinq dernières années, nous sommes-nous attachés à étudier les moyens d’utiliser la technologie de l’information et de la communication et le savoir pour accélérer le développement. Nous nous employons avec les gouvernements à encourager l’adaptation des politiques, de la réglementation et des réseaux à la situation nouvelle, par nos travaux d’analyse et de conseil, et dans le cadre de notre mécanisme de dons, InfoDev. 12 Prague, République tchèque, 2000 Nous mettons en relation les responsables du développement du monde entier grâce à notre Réseau mondial pour l’enseignement à distance, qui, tout en assurant une formation, permet la création de larges communautés de diffusion du savoir. Nous mettons en communication les élèves et les enseignants des établissements d’enseignement secondaire des pays en développement avec leurs homologues des pays industrialisés dans le cadre de notre programme Liaisons mondiales pour le développement. Nous mettons la technologie de l’information et de la communication au service de la création d’une « université sans murs », et donnons ainsi aux pays d’Afrique subsaharienne un accès direct aux connaissances et au corps professoral du monde entier dans le cadre de l’Université virtuelle africaine. Grâce au Portail mondial du développement et au Réseau mondial pour le développement, nous encourageons la production et le partage de connaissances. Nous apportons notre concours à l’établissement de réseaux de diffusion du savoir, à la recherche mondiale et à la constitution de cercles de professionnels à partir de la base. Enfin, nous mettons au point de nombreuses applications pratiques à l’intention des communautés défavorisées du monde entier, pour leur donner accès à des connaissances dans leur langue, pour créer des synergies génératrices d’activités économiques, pour faciliter les traitements médicaux, et pour relier ces communautés les unes avec les autres et avec le monde. La révolution de l’information et de la communication nous offre une occasion sans précédent de faire de la démarginalisation et de la participation une réalité. Et les pauvres du monde entier nous pressent d’agir. À la suite de notre étude « La parole est aux pauvres », de nombreux groupes nous ont demandé, en priorité, un plus large accès aux technologies de l’information et de la communication. Nous devons œuvrer pour qu’un jour, grâce à l’internet, à l’enseignement à distance, aux téléphones mobiles et aux radios à 13 Pour bâtir un monde équitable manivelle, le notable du village ou l’étudiant potentiel aient accès à la même information que le ministre des finances. Les technologies de la communication nous donnent le moyen d’instaurer une participation véritable. Elles assurent l’égalité des chances. C’est cela l’équité véritable. Une Banque qui s’acquitte de sa mission Tout au long de son histoire, la Banque a su s’adapter à l’évolution du monde extérieur — de la reconstruction postérieure à la Seconde guerre mondiale aux défis du développement mondial. Cette transformation se poursuit aujourd’hui. Permettez-moi de vous en dire davantage sur ce que nous avons accompli au cours des cinq dernières années, pour amplifier les immenses contributions de mes prédécesseurs et les acquis solides du passé. Au cours des cinq dernières années, nous avons continué d’axer nos prêts sur les secteurs sociaux, comme la santé, l’éducation et la protection sociale, qui représentent désormais environ un quart du total de notre portefeuille. Il y a cinq ans, le volume de nos prêts en faveur de la lutte mondiale contre le VIH/SIDA était modeste. Aujourd’hui, nos engagements atteignent environ 1 milliard de dollars, dont 500 millions ont récemment été mis à disposition pour des programmes en Afrique. Il y a cinq ans, nous n’étions pas présents dans les pays sortant d’un conflit. Aujourd’hui, nous intervenons dans plus de 35 de ces pays. Il y a cinq ans, nous n’avions pas imaginé l’Initiative PPTE. Aujourd’hui, nous avons décidé d’alléger la dette de dix pays et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour atteindre le chiffre total de 20 pays d’ici à la fin de l’année. Il y a cinq ans, nous n’avions pas de programmes anti-corruption. Au cours des cinq dernières années, nous avons mené plus de 600 actions en ce domaine. Il y a cinq ans, nous nous efforcions simplement de « ne pas porter préjudice » à l’environnement. Aujourd’hui, notre portefeuille environnemental s’élève à 15 milliards de dollars, et comprend notamment des programmes relatifs au changement climatique et à la biodiversité. 14 Prague, République tchèque, 2000 Nous collaborons avec les États pour améliorer la gestion des affaires publiques et le climat de l’investissement. Nous nous efforçons d’instaurer des cadres réglementaires rationnels, qui permettent au secteur privé de contribuer plus efficacement à la réalisation d’infrastructures. La Société financière internationale (SFI) s’emploie, dans le cadre de ses projets novateurs et d’un portefeuille en expansion, à repousser les limites des opportunités d’investissement. Il en va de même de l’AMGI, dont le volume de garanties est passé de 600 millions de dollars il y a cinq ans à plus de 1,5 milliard de dollars aujourd’hui. Nous avons mis l’accent sur les résultats et nous les avons obtenus. Même si certains disent que nous promettons plus que nous ne pouvons tenir. En 1995, j’avais déclaré que nous deviendrions une « banque du savoir », et nous avons accompli des progrès marquants. En 1996, j’avais déclaré que nous combattrions le « fléau de la corruption », et nous sommes à la pointe de ce combat. En 1997, j’avais parlé d’« en finir avec l’exclusion », et nous nous employons plus que jamais à démarginaliser les faibles et les plus vulnérables, et à leur faire une place centrale dans la société. En 1998, j’avais parlé de la nécessité d’instaurer un équilibre entre une croissance économique indispensable et les facteurs sociaux et structurels, et appelé à l’adoption d’un « Cadre de développement intégré ». Depuis, nous avons testé cette approche et nous introduisons aujourd’hui les stratégies de lutte contre la pauvreté de manière plus universelle. Enfin, en 1999, j’ai évoqué l’importance de la gouvernance et du renforcement des capacités, et de la formation de partenariats. Nous travaillons quotidiennement et sans relâche sur ces questions, et obtenons d’excellents résultats. Nous nous efforçons inlassablement d’améliorer la qualité de nos programmes. Au cours des cinq dernières années, la proportion de nos opérations de prêt dont les résultats sont jugés au moins « satisfaisants » par notre département indépendant de l’évaluation des opérations a sensiblement augmenté. Il y a cinq ans, 34 % de nos projets étaient classés « à risque ». Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 15 %. Nous nous sommes rapprochés de nos clients ; désormais, plus de la moitié de nos directeurs des opérations-pays 15 Pour bâtir un monde équitable et 2 300 de nos agents sont basés sur le terrain. Nous sommes aussi plus transparents, puisque nous publions plus de 85 % de nos stratégies d’aide-pays, alors que nous n’en publiions aucune il y a cinq ans. La Banque a changé, elle « développe » différemment. Sommes-nous au bout de nos peines ? Assurément non. Mais n’avons-nous pas accompli plus de la moitié d’un programme de réforme majeur ? Oui. Et au cours des cinq prochaines années, nous axerons encore bien plus nos efforts sur l’exécution. Nous sommes prêts à assumer la responsabilité du programme social et structurel, et sommes à même de le faire, dans le cadre de l’appui apporté avec le FMI aux programmes des pays. Nous étudions avec nos collègues du système des Nations Unies, et les autres banques multilatérales de développement, les problèmes de sélectivité et de division du travail entre nous. Nous ne nous contentons pas d’exécuter nos projets, mais nous collaborons avec les gouvernements en les aidant à faire progresser leurs politiques et leurs institutions. Tout cela exige que nous transformions encore notre stratégie opérationnelle : moins de microgestion, une collaboration plus poussée avec les gouvernements pour les aider à fixer les grands paramètres. Nous entendons maintenir la conditionnalité, mais en la simplifiant et en privilégiant les principes fondamentaux. Nous appuierons des stratégies nationales dont les pays concernés auront la pleine maîtrise, avec des prêts programmatiques alignant l’appui des bailleurs de fonds sur le rythme d’action des pouvoirs publics et le cycle budgétaire de l’État. C’est à cet effet que nous introduisons le Crédit d’appui à la réduction de la pauvreté. Qu’il s’agisse de projets ou de programmes, nous nous adapterons aux besoins spécifiques de chaque pays et nous étudierons des modalités novatrices d’appui à des programmes régionaux par le biais de prestations de conseil, d’octroi de financements et de dons. 16 Prague, République tchèque, 2000 Nous nous emploierons avec nos partenaires de développement à harmoniser et coordonner nos normes et procédures de passation des marchés, d’information, ainsi que celles ayant trait à l’environnement, pour réduire la charge administrative qu’elles imposent à nos clients. Nous sommes convaincus que c’est la voie à suivre pour élargir l’échelle du développement et pour accélérer l’exécution, y introduire davantage de souplesse et améliorer son efficacité. Permettez-moi aussi de bien préciser que nous continuerons à nous employer à vaincre la pauvreté dans les pays à revenu intermédiaire, et y intensifierons notre action. Nous ne pouvons ignorer le milliard d’êtres humains qui vivent avec moins de 2 dollars par jour dans les pays à revenu intermédiaire. Nous continuerons à mettre nos ressources monétaires et nos connaissances au service de l’éducation, de la santé et de la protection sociale dans les communautés défavorisées. Nous continuerons à tirer parti de la synergie entre nos opérations de prêt et nos services hors prêt, qui est déterminante pour encourager les réformes. Nous continuerons de coopérer avec les autorités nationales et régionales pour instaurer un climat plus propice à l’investissement et à la création des emplois qui sont indispensables pour faire reculer la pauvreté. Avec le temps, ces pays auront davantage accès aux marchés. Nous ne pouvons pas simplement leur demander de compter sur des marchés des capitaux instables pour financer leur lutte contre la pauvreté. Notre partenariat se doit d’être un partenariat à long terme, résolu et axé sur la lutte contre la pauvreté — dans les moments difficiles comme dans les périodes fastes. C’est là un programme exigeant, et nos contraintes budgétaires sont extrêmes. Permettez-moi, à ce propos, d’exprimer ma profonde gratitude au personnel et à la direction du Groupe de la Banque mondiale — qui ont tant travaillé durant cette période de transition — pour leur dévouement et leur professionnalisme. À mon sens, c’est là l’équipe de développement la plus dévouée, 17 Pour bâtir un monde équitable la plus talentueuse du monde et je tiens à les saluer, ainsi que leur famille. Je suis extrêmement fier de travailler avec eux. L’avenir : responsabilité et opportunité J’ai parlé d’opportunité, de sécurité et de démarginalisation. J’ai parlé de participation, de transparence et d’obligation de rendre compte. Mais qu’en est-il de la responsabilité ? Il y a deux ans, nous avons publié une étude sur l’efficacité de l’aide. Ses résultats sont sans ambiguïté. Les pays appliquant des politiques judicieuses qui reçoivent de l’aide l’emploient à bon escient. Dans les pays dont les politiques laissent à désirer, l’aide est gâchée. Davantage de pays mettent en place les politiques propices à une croissance saine. Davantage de pays obtiennent de bons résultats. De plus en plus de pays en développement tiennent leurs engagements. Mais qu’en est-il des pays développés ? Certains assument superbement leurs responsabilités, et nous leur en sommes extrêmement reconnaissants. Mais beaucoup ne le font pas. Plusieurs problèmes doivent, me semble-t-il, retenir en priorité notre attention à l’avenir. Premièrement, beaucoup de pays développés sont désormais bien en dessous des objectifs d’aide au développement convenus au plan international. Ils doivent augmenter leur aide. Deuxièmement, les pays développés doivent fournir les ressources nécessaires à un allégement de dette plus prononcé, plus rapide et plus large. Si nous voulons appliquer rapidement l’Initiative PPTE, nous devons nous tourner vers les pays riches pour obtenir des ressources. Il n’est pas pensable de financer cette Initiative en réduisant les ressources fournies aux autres pays à faible revenu ou aux pays à revenu intermédiaire, ou en renchérissant leur coût. Troisièmement, les pays développés doivent abolir les barrières commerciales qu’ils opposent aux pays pauvres. Selon nos estimations, le coût annuel de toutes les barrières commerciales érigées par les pays industriels représente plus de deux fois le montant total de l’aide au développement. 18 Prague, République tchèque, 2000 Quatrièmement, nous devons faire appel à des instruments novateurs, y compris à des dons, face à des problèmes pressants comme le VIH/SIDA, l’environnement, l’éducation de base et la santé. En ce qui concerne la Banque, nous devons renforcer notre Mécanisme d’octroi de dons pour le développement. Cinquièmement, les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux doivent s’employer ensemble à simplifier leurs procédures et à réduire les coûts de transaction. Enfin, il nous faut admettre que de plus en plus de problèmes appellent une intervention à l’échelle mondiale. Nous devons agir de concert. Le moment est propice. Les budgets des pays riches sont plus solides que jamais. Le rythme du progrès technologique est sans précédent. Les perspectives de croissance ont rarement été meilleures. Dans tous les pays, l’action des pouvoirs publics doit être inspirée par une adhésion renouvelée à la lutte contre la pauvreté. La démographie nous met au défi. Au cours des 25 prochaines années, presque 2 milliards d’êtres humains viendront s’ajouter aux 6 milliards actuels, pour la quasi-totalité d’entre eux dans les pays en développement. Dans 25 ans, la population de l’Europe sera restée presque la même, tandis que celle des pays en développement passera de 5 milliards à près de 7 milliards. Sans cette adhésion au développement, nous ne contiendrons pas la montée du dénuement, de la misère et du désespoir. Nous n’instaurerons pas ce monde équitable, nous n’assurerons pas à nos enfants paix et stabilité. Nous tous, qui sommes ici aujourd’hui, savons que nous pouvons et que nous devons faire davantage. Une occasion historique s’offre à nous Ce monde nouveau, notre plus grande convergence de vues, une communauté du développement plus avertie et l’évolution des institutions internationales, pour autant que nous collaborions, que nous mettions en œuvre le développement différemment, que 19 Pour bâtir un monde équitable nous donnions la parole aux sans-voix, nous offrent une chance de faire véritablement reculer la pauvreté au cours de la prochaine décennie. Les opportunités et les perspectives que présentent une économie mondialisée, l’âge de l’information et les technologies permettant de sauver des vies humaines et de réaliser des gains de productivité sont là ; il nous appartient de les saisir. Nous devons coopérer pour que la mondialisation ne réserve pas ses fruits à une minorité, mais apporte la prospérité au plus grand nombre. Ce n’est pas simplement un nouveau programme économique. C’est une obligation — une obligation fondée sur des valeurs morales et sociales communes. C’est aussi une obligation fondée sur un intérêt bien compris. C’est l’obligation de léguer à la génération suivante un monde meilleur, un monde où règnent l’équité, la paix, et la sécurité. 20