LE PROJET SUR LE CAPITAL HUMAIN EN AFRIQUE QUELQUES EXPÉRIENCES RÉUSSIES TABLE DES MATIÈRES 3 Avant-propos 5 Le Projet sur le capital humain en Afrique, Investir dans la population pour l’équité et la croissance QUELQUES EXPÉRIENCES RÉUSSIES 20 Africa de l’Est 22 Éthiopie 24 Lesotho 26 Madagascar 28 Mali 30 Mauritanie 32 Mozambique 34 Tanzanie 36 Zambie 39 Remerciements #36860 - Octobre 2018 LE PROJET SUR LE CAPITAL HUMAIN EN AFRIQUE QUELQUES EXPÉRIENCES RÉUSSIES AVANT-PROPOS Pour que l’Afrique parte à la conquête du XXIe siècle D ans ce monde interconnecté et à l’ère du tout-numérique, le XXIe siècle s’incarnera dans la jeunesse d’Afrique et dans ses générations montantes de femmes et d’hommes de mieux en mieux formés. Au cours de la prochaine décennie, environ 11 millions de jeunes Africain(e)s arriveront sur le marché du travail chaque année. Ne nous y trompons pas. C’est sa population qui constitue la plus grande source de richesse de l’Afrique, ainsi que sa principale contribution à l’économie mondiale. Pour bâtir un monde plus prospère, il est indispensable de permettre à tous les Africains de s’épanouir physiquement et intellectuellement. Les investissements dans le capital humain, à travers l’éducation et les soins de santé notamment, sont de plus en plus considérés comme le facteur clé de la croissance et la prospérité d’un pays. Ils présentent un rapport coût-efficacité très élevé, renforcent la résilience des pays et peuvent leur permettre de mieux s’adapter à des changements rapides, tels que la mutation technologique à l’œuvre aujourd’hui. Avec la diffusion de la téléphonie mobile, l’Afrique a déjà prouvé qu’il était possible de sauter des étapes dans le processus de développement et d’inclure davantage de citoyens. L’un des principaux objectifs de la Banque mondiale est d’aider la région à développer son capital humain en apportant un soutien financier et une expertise approfondie. Nous aidons les pays à combler leurs carences en matière de santé maternelle et infantile, de retard de croissance et de malnutrition, et d’accès à une éducation de qualité. Avec, à la clé, des populations en meilleure santé et mieux formées. On peut insister sur les mauvais indicateurs du capital humain en Afrique, mais c’est ignorer que plusieurs pays de la région ont progressé. Nous mettons ici en lumière des parcours qui montrent comment on peut parvenir à renverser la situation et offrir un avenir meilleur aux prochaines générations. C’est tout l’enjeu du Projet sur le capital humain. Avec cette initiative, la Banque mondiale s’engage à aider les pays à redoubler d’effort pour renforcer leur capital humain. Cette ressource est le socle qui permettra à l’Afrique de partir à la conquête du XXIe siècle. HAFEZ GHANEM Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique 3 LE PROJET SUR LE CAPITAL HUMAIN EN AFRIQUE L e capital humain, c’est-à-dire l’état de santé, les compétences, connaissances et expériences d’une population, représente à l’échelle mondiale la principale richesse d’un pays. De plus en plus considéré comme le principal ressort de la croissance économique d’une nation, le capital humain permet aux individus de se réaliser pleinement. La Banque mondiale a lancé une initiative mondiale destinée à accélérer l’accumulation de capital humain en s’efforçant d’identifier et de soutenir des investissements et des politiques plus efficaces. Son « Projet sur le capital humain » aidera les pays à renforcer leur ressource humaine, à améliorer les méthodes de mesure et les données et à promouvoir l’échange de connaissances. Dans le cadre de cette nouvelle initiative, la Banque s’emploiera tout particulièrement à collaborer avec ses partenaires et les pays d’Afrique subsaharienne afin de leur permettre d’atteindre leurs objectifs de développement du capital humain. Car les investissements dans les populations africaines sont la clé de la prospérité future du continent et de sa participation active sur les marchés internationaux. Cette publication a pour objectif de démontrer l’importance vitale des investissements dans le capital humain en Afrique, tout en mettant en lumière les avancées obtenues dans certains pays et la manière dont le Projet sur le capital humain peut améliorer les performances nationales en la matière. Investir dans la population pour l’équité et la croissance 5 LE CAPITAL HUMAIN, UN ATOUT QUI COMPTE POUR L’ÉCONOMIE, L’INDIVIDU ET LA SOCIÉTÉ Le capital humain est l’un des principaux ressorts de la croissance économique et du renforcement de la compétitivité. Les pays investissent dans la santé et l’éducation de leurs habitants en raison de leur importance intrinsèque : ce sont les éléments constitutifs du bien-être et du développement humain. Mais le capital humain est également l’un des atouts dont dispose un pays pour stimuler sa croissance et sa prospérité. Des études ont montré que 10 à 30 % des écarts de revenus par habitant entre pays sont imputables à leur niveau de capital humain1. À terme, la mondialisation et l’économie numérique rendront cette forme de capital encore plus vitale pour asseoir la compétitivité d’un pays. Le capital humain influe sur le potentiel des individus tout au long de leur vie. Une mauvaise santé, une malnutrition chronique et l’absence de stimulations adaptées et de sécurité, dès la naissance et pendant l’enfance, peuvent avoir des effets durables sur l’état physique et les capacités cognitives d’un individu, au point de fragiliser ses performances scolaires et sa productivité. Pour une famille et un pays, les décès d’enfants sont la manifestation extrême et la plus tragique d’une perte de potentiel irréversible. De mauvaises conditions de scolarisation ont un effet direct sur les connaissances pratiques et théoriques des élèves et, par conséquent sur leurs capacités à être compétitifs et productifs une fois sur le marché du travail. L’état de santé importe lui aussi, une maladie ou un handicap exigent des soins médicaux coûteux et freinent la productivité quand ils ne débouchent pas sur une incapacité de travailler. Au cours de la vie, l’accès aux services essentiels associé à une protection contre l’extrême pauvreté et la vulnérabilité constitue la base du renforcement du capital humain. Dans de nombreux pays, les privations qui freinent le potentiel des individus ne sont pas réparties de manière égale — les investissements inégaux dans le capital humain sont l’un des principaux facteurs à l’origine des profondes disparités économiques et sociales observées. Investir dans le capital humain est l’un des investissements les plus rentables qu’un État puisse faire. Accroître les interventions prioritaires pour la nutrition peut engendrer des bénéfices substantiels — jusqu’à 35 dollars pour un dollar investi dans la promotion de l’allaitement maternel exclusif et 13 dollars pour 1 dollar investi dans la prévention de l’anémie2 . Sachant qu’une fois adultes, des enfants mieux nourris auront de meilleures capacités cognitives et toucheront des revenus de 5 à 50 % supérieurs. De fait, les investissements dans la santé peuvent avoir des retombées économiques très satisfaisantes, à la fois pour la valeur intrinsèque des vies sauvées et en termes de hausse des revenus. De même, chaque année supplémentaire de scolarité se traduit en général par des gains supérieurs de 8 à 10 %3. Mais la qualité de l’éducation entre aussi en ligne de compte : des enseignants plus compétents formeront mieux leurs élèves et leur permettront d’avoir un revenu plus élevé tout au long de leur vie. Offrir aux familles et aux sociétés une protection sociale adaptée peut permettre de gérer les risques et de protéger les investissements dans le capital humain. 6 Le Projet sur le capital humain en Afrique En n’investissant pas suffisamment dans le capital humain, de nombreux pays n’obtiennent pas les résultats escomptés et risquent de laisser les pauvres sur le bord du chemin. Les investissements dans le capital humain relèvent des pouvoirs publics, mais aussi des ménages et du secteur privé. Les premiers sous-estiment souvent les rendements de ces investissements, préférant privilégier d’autres secteurs. Bien souvent, les dépenses sont inefficaces, mal gérées et ne parviennent pas à toucher ceux qui en ont le plus besoin, ce qui prive les pays des retombées sociétales que procure un capital humain solide. Les ménages, notamment les plus démunis, tendent quant à eux à sous-investir dans cette forme de capital, souvent parce qu’ils ne parviennent pas à mobilier les moyens nécessaires ou ne sont pas conscients que leurs comportements auront des effets à long terme sur leur avenirs. Lorsque le secteur public a du mal ou est incapable d’assurer des services, l’État pourrait assumer un rôle réglementaire important. Or, rares sont les pays à utiliser les capacités des acteurs non étatiques pour atteindre les populations qui sont privées de services essentiels. Par conséquent, la nation et ses habitants ne parviennent pas à exprimer leur potentiel de croissance et de prospérité ou à s’atteler à la question centrale de l’équité, et sont souvent très mal préparés à l’avenir. MESURER LE CAPITAL HUMAIN : COUP DE PROJECTEUR SUR L’AFRIQUE Le nouvel indice du capital humain mis au point par le Groupe de la Banque mondiale s’intéresse à la manière dont le capital humain contribue à la productivité de la prochaine génération de travailleurs. L’un des axes du Projet sur le capital humain consiste à élaborer un indice pour mesurer l’état de santé ainsi que la qualité et la durée de l’éducation dont un enfant, né aujourd’hui, est susceptible de bénéficier d’ici ses 18 ans (encadré 1). D’un pays à l’autre, cet indice Encadré 1. L’indice du capital humain L’indice du capital humain mesure les performances des pays par rapport aux composantes clés du capital humain de la prochaine génération. Il intègre trois facteurs étroitement liés aux cibles des Objectifs de développement durable en matière de santé, d’éducation et de nutrition :   Survie : un enfant né aujourd’hui atteindra-t-il l’âge d’aller à l’école ?  Scolarité : quelle sera la durée de sa scolarité et quels seront ses acquis ?  Santé : cet enfant sortira-t-il du système scolaire en bonne santé, prêt à poursuivre ses études ou à entrer sur le marché du travail ? Investir dans la population pour l’équité et la croissance 7  algré des progrès importants, la mortalité infantile chez les Graphique 1. M en Afrique subsaharienne 1990 180 160 140 120 100 2015 80 60 40 20 0 Faible revenu Source : Indicateurs du développement dans le monde, 2017. a vocation à susciter auprès des hauts responsables politiques l’attention nécessaire pour impulser des actions porteuses de transformation à l’échelon national. Malgré les progrès considérables obtenus par certains pays d’Afrique, la plupart accusent un retard par rapport aux trois composantes de l’indice : survie, scolarité et santé. Survie des enfants Depuis 25 ans, les taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans ont sensiblement reculé dans les pays d’Afrique subsaharienne, mais la région accuse du retard par rapport au reste du monde. La généralisation d’interventions essentielles, comme la vaccination, le traitement des fièvres et des diarrhées et l’utilisation de moustiquaires, a contribué à faire baisser la mortalité 8 Le Projet sur le capital humain en Afrique moins de cinq ans reste élevée Revenu Revenu intermédiaire intermédiaire tranche inférieure tranche supérieure & revenu élevé infantile. Pour autant, l’Afrique subsaharienne perd chaque année 2,9  millions d’enfants de moins de cinq ans, le plus souvent de causes évitables (complications liées à des infections respiratoires, diarrhée ou paludisme notamment). Alors que de nombreux pays sont loin d’avoir atteint les cibles de mortalité infantile fixées par les objectifs du Millénaire pour le développement, la réalisation des cibles liées aux Objectifs de développement durable représente un défi immense. Le Mali, le Nigéria, la République centrafricaine, la Sierra Leone, la Somalie ou encore le Tchad ont beaucoup de mal à réduire les décès chez les enfants de moins de cinq ans : encore supérieurs à 100 décès pour 1 000 naissances vivantes, leurs taux de mortalité infantile sont parmi les plus élevés du monde (graphique 1). La persistance de taux élevés de mortalité infantile dans la région reflète le manque global d’accès à des biens et des services essentiels comme l’eau et l’assainissement, aux soins de santé Investir dans la population pour l’équité et la croissance 9 L e niveau des acquis scolaires est faible dans de nombreux Graphique 2.  Pourcentage d’élèves du primaire ayant acquis un niveau minimal de compétences 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Afrique Amérique Europe subsaharienne latine et et Asie centrale Caraïbes Moyen-Orient Asie de l’Est et Afrique du et Pacifique Nord Mathématiques Lecture Source : Rapport sur le développement dans le monde, 2018. de base et à un abri adapté. Malgré les améliorations apportées au secteur de la santé, les pays présentent encore de profondes inégalités d’accès aux services, notamment pour des actes plus complexes comme l’accouchement assisté par du personnel qualifié ou le traitement de maladies graves. Même pour des services de routine comme la vaccination, rares sont les pays à être parvenus à une couverture universelle. La piètre qualité des soins qu’illustrent les pénuries de médicaments essentiels, l’absence d’équipement médical et le manque de formations pratiques et théoriques pour le personnel soignant de premier rang vient aggraver ce constat. Scolarité L’Afrique a le meilleur retour sur investissement dans l’éducation au monde, chaque année supplémentaire de scolarité entraînant une hausse de revenu de respectivement 11 et 14 % pour les hommes et pour les femmes. Mais l’accès et la qualité sont des enjeux prépondérants, puisqu’environ 50  millions d’enfants ne sont pas scolarisés. L’Afrique est par ailleurs la seule région du monde où le nombre d’adolescents non scolarisés 10 Le Projet sur le capital humain en Afrique pays d’Afrique subsaharienne Niveau de compétences en mathématiques d’après l’enquête 2007 du Consortium d’Afrique australe et orientale pour le pilotage de la qualité de l’éducation (SACMEQ), en Afrique subsaharienne 100 50 0 Haut niveau Faible niveau Compétences inférieures de compétences de compétences au seuil minimal augmente depuis quelques années, en partie sous l’effet du dynamisme démographique chez les plus démunis, qui sont aussi les moins bien lotis en termes d’accès à l’éducation. La poursuite des efforts visant à généraliser l’accès à l’éducation de base est indispensable, mais la scolarisation en soi ne suffit pas  : les niveaux d’apprentissage dans la région restent extrêmement bas (graphique 2). Dans certains cas, plus de 85 % des écoliers du primaire ne savent pas lire couramment. Dans certains pays d’Afrique, les populations les plus défavorisées s’en sortent beaucoup moins bien en termes d’accès à l’éducation et de réussite sur le plan de l’apprentissage. Des mesures audacieuses seront indispensables pour remédier aux inégalités d’accès à une éducation de qualité et faire en sorte que tous les enfants puissent effectivement apprendre. De nombreux éléments prouvent que l’Afrique peut mieux faire. Un certain nombre de pays ont déjà progressé grâce à la réorientation de leurs systèmes éducatifs, par le biais de nouvelles initiatives comme la quantification et le suivi des acquis scolaires des élèves, l’application des méthodes qui ont fait leurs preuves, le recours aux allocations monétaires pour favoriser la scolarisation des pauvres, et la sensibilisation des principaux acteurs pour faire évoluer la situation. Investir dans la population pour l’équité et la croissance 11 Graphique 3. Les taux de retards de croissance restent élevés en Afrique 60 50 1990 40 2015 30 20 10 0 Faible revenu Source : Estimations conjointes UNICEF/OMS/Banque mondiale sur la malnutrition infantile : Retard Santé Une bonne santé est la clé de la réussite scolaire et professionnelle. Le calcul de l’indice du capital humain repose notamment sur les taux de retard de croissance, un indicateur de la malnutrition chronique et du développement de l’enfant. Ce facteur joue de manière déterminante sur les capacités cognitives de l’individu, son état de santé à l’âge adulte et sa future productivité. L’Afrique subsaharienne est l’une des régions au monde les plus touchées par ce phénomène (graphique 3). Un enfant trop petit pour son âge tombera plus souvent malade que les autres, ne profitera pas autant des possibilités d’apprentissage, obtiendra de moins bons résultats à l’école, grandira avec un handicap économique et aura plus de probabilités de souffrir de maladies chroniques à l’âge adulte. Étant donné les taux élevés de fécondité et le faible recul des retards de croissance en Afrique, le nombre d’enfants dans cette situation a augmenté de 12 millions entre 1990 et 2015, et devrait continuer de progresser, à moins de s’emparer du problème à bras-le-corps. 12 Le Projet sur le capital humain en Afrique subsaharienne Revenu intermédiaire Revenu intermédiaire tranche inférieure tranche supérieure & revenu élevé de croissance. Mai 2018. Heureusement, quelques pays — dont des pays à faible revenu — sont parvenus à réduire considérablement les taux de retard de croissance. Même si les progrès sur ce front sont lents en Afrique, certains pays (le Lesotho, le Malawi et le Sénégal, notamment) ont obtenu des avancées notables, rendues possibles par des campagnes de sensibilisation et le déploiement de programmes à l’efficacité avérée, ciblant en particulier les femmes enceintes et les nourrissons : distribution d’acide folique et d’autres micronutriments, promotion de l’allaitement au sein et de pratiques adaptées de stimulation et d’alimentation des bébés, accès à des services de santé essentiels et amélioration de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement. Des actions concertées de ce type sont nécessaires : les données recueillies en Afrique montrent que la hausse des revenus et la réduction de la pauvreté n’ont, en tant que telles, que peu d’impact sur les niveaux de malnutrition chronique. Investir dans la population pour l’équité et la croissance 13 L’indice du capital humain intègre également le taux de survie des adultes, qui rend compte des conditions sanitaires d’ensemble et des différents problèmes de santé, n’engageant pas le pronostic vital, qu’un enfant né aujourd’hui connaîtra à l’âge adulte. Les taux de survie en Afrique sont très faibles par rapport à d’autres régions, avec d’importants écarts d’un pays à l’autre. Les maladies transmissibles et les complications liées à la grossesse restent les premières causes de mortalité sur le continent, mais la prévalence des maladies non transmissibles augmente rapidement. Plus de 700  000 personnes sont décédées de causes liées au VIH/SIDA en 2016, sachant que la tuberculose a fait autant de victimes. Le paludisme reste un facteur de mortalité important, surtout chez les enfants. Avec 500 décès pour 100 000 naissances vivantes, l’Afrique affiche le taux le plus élevé de mortalité maternelle au monde — soit 200 000 morts par an. Les maladies non transmissibles gagnent quant à elles du terrain, essentiellement sous l’effet de l’évolution des modes de vie : le taux de tabagisme est élevé et, dans certains cas, en hausse. Des vies plus sédentaires et une mauvaise alimentation expliquent aussi cette tendance, avec la multiplication des cas d’hypertension artérielle, de diabète et d’autres pathologies qui ne sont ni systématiquement diagnostiqués ni traités. Malgré des performances sanitaires préoccupantes, certains exemples de réussite et la volonté grandissante de parvenir à une couverture santé universelle autorisent un certain optimisme. La couverture antirétrovirale en Afrique a considérablement augmenté depuis 15 ans, comme celle d’autres interventions sanitaires, même si les progrès sont moins prononcés. Dans huit pays, les avancées sont impressionnantes : Cabo Verde, l’Érythrée, l’Éthiopie, la Guinée équatoriale, le Mozambique, le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie ont fait reculer le taux de mortalité maternelle de plus de 60 % entre 1990 et 2015. Tout aussi important, plusieurs pays commencent à déployer des politiques et des programmes pour améliorer l’accès aux soins de santé et diminuer les risques sanitaires (tels que les épidémies et maladies chroniques), en particulier l’obésité, qui touche de plus en plus d’Africains. MISER SUR LE CAPITAL HUMAIN POUR INSTALLER UNE CROISSANCE INCLUSIVE ET UNE PROSPÉRITÉ PARTAGÉE : QUELLES MESURES PRENDRE ? L’accumulation de capital humain produit des gains avérés dont les pays africains se privent actuellement. Comment y remédier ? Chaque pays doit trouver sa propre voie pour progresser. L’une des grandes finalités du Projet sur le capital humain est de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de plans d’action conçus par les pays, mais également de faciliter les apprentissages mutuels. De toute évidence, le maintien des politiques actuelles et des réformes marginales ne produira pas les résultats dont la région a besoin. Seuls un leadership politique et des mesures concertées sur plusieurs fronts permettront de progresser : 14 Le Projet sur le capital humain en Afrique   A ugmenter les investissements publics dans les services sociaux. Le capital humain ne se matérialise pas de lui-même ; il exige une action collective des ménages, des pouvoirs publics, des membres du secteur privé et des acteurs non gouvernementaux. L’État doit recentrer son rôle sur la fourniture de biens publics, la gestion des externalités, la promotion de l’équité et la réglementation des services. Laisser ces responsabilités aux seuls individus revient à se priver des gains plus vastes procurés par le capital humain. Pourtant, de nombreux pays d’Afrique sous-investissent dans la santé, la nutrition, l’éducation, les systèmes de protection sociale et d’autres facteurs qui favorisent de bonnes performances en la matière. La mobilisation des ressources intérieures en faveur des investissements dans le capital humain exige de rationaliser les régimes fiscaux, de trouver de nouvelles approches de gestion du patrimoine naturel et d’améliorer la gestion des finances publiques.  éformer et favoriser l’innovation pour améliorer les services  R rendus. La hausse des ressources allouées au capital humain n’est qu’un élément du tableau : les gouvernements doivent aussi accroître les retours sur investissement, notamment en améliorant l’efficacité des dépenses courantes et la qualité des services aux populations. Bien souvent, cela exigera de réformer les systèmes de fourniture de services publics essentiels, en veillant à optimiser la gouvernance et la transparence et à renforcer la responsabilité face aux résultats. Les promesses que recèlent les technologies et le marché des idées donnent aux pays d’Afrique l’occasion d’agir différemment. Beaucoup se sont déjà engagés dans cette voie : au Rwanda, l’application RapidSMS a permis de sauver des femmes enceintes grâce à une surveillance régulière de leur état de santé par des agents de santé communautaires ; la Sierra Leone et la Tanzanie recourent à la modélisation statistique spatiale pour établir des cartes de la pauvreté dans le but d’étendre et d’harmoniser les programmes de protection sociale4 ; et à Lagos, la capitale commerciale du Nigéria, l’utilisation, même restreinte, de liseuses électroniques adaptées aux cursus scolaires a permis d’améliorer sensiblement le niveau d’apprentissage des élèves, sans supports de cours imprimés. S ’engager en faveur de l’équité et de l’inclusion. Les disparités   observées sur le plan de la santé, de l’éducation et de la nutrition reflètent les écarts de pauvreté, les individus les plus démunis ayant en général le niveau de développement humain le plus faible. Les familles pauvres ont souvent du mal à trouver le temps et les ressources nécessaires pour constituer le capital humain de leurs enfants, accéder à des services de santé et de nutrition, et investir dans leurs propres compétences pour accroître leur productivité. La parole des femmes enceintes et des jeunes enfants est rarement relayée dans les enceintes nationales et internationales, entretenant de facto leur exclusion. Les systèmes de santé et d’éducation doivent être repensés en gardant ces impératifs à l’esprit, pour s’assurer que les groupes Investir dans la population pour l’équité et la croissance 15 défavorisés ont accès à des services de qualité. Un vaste corpus de données issues des programmes de protection sociale montre que le soutien aux revenus permet aux ménages pauvres et vulnérables d’accéder à des services qui renforcent leur capital humain et d’améliorer globalement les résultats sur le plan du développement humain5. Les ménages qui vivent dans un environnement en proie au conflit et à la fragilité sont particulièrement exposés6. Les dispositifs de base pour constituer et entretenir le capital humain ont de fortes chances d’être désorganisés, ces manques étant en outre aggravés par le stress socioaffectif des familles et des enfants. Une collaboration étroite avec les acteurs concernés afin d’assurer la poursuite des services essentiels et le renforcement de la résilience peut prévenir le débordement des conflits et contribuer au rapprochement entre aide humanitaire et aide au développement.  ésoudre les enjeux de fécondité et d’inégalités entre les  R sexes pour profiter du dividende démographique. L’Afrique a — et de loin — le taux de fécondité le plus élevé au monde, avec pratiquement cinq enfants par femme, contre 1,8 à 2,8 enfants dans les autres régions. Aujourd’hui, la moitié environ de la population subsaharienne a moins de 15 ans ; en 2050, les dix pays du monde ayant les populations les plus jeunes seront des pays d’Afrique7. Pour exploiter ce dividende démographique, il faut accélérer la baisse de la fécondité afin de réduire les taux de dépendance et de libérer des ressources pour investir dans le capital humain des travailleurs d’aujourd’hui et de demain. Cela passe par un élargissement de l’accès à des services de planification familiale intégrés, l’amélioration de la santé et de la nutrition des mères et des enfants, et des investissements dans l’éducation des filles. L’accélération du renforcement du capital humain est possible, mais exige un leadership politique affirmé et des mesures concertées des différents secteurs. Seule une approche gouvernementale globale peut favoriser la coordination des programmes sectoriels, maintenir la dynamique au-delà des alternances politiques et promouvoir une orientation politique factuelle. La mobilisation des différents partenaires, des acteurs privés et de la société civile favorisera par ailleurs la responsabilisation et la sensibilisation, mais permettra aussi d’ouvrir de nouvelles voies au profit de l’efficacité des services. LE PROJET SUR LE CAPITAL HUMAIN : POUR QUE L’AFRIQUE AILLE DE L’AVANT Le Projet sur le capital humain entend susciter un engagement en faveur de réformes et d’investissements qui transformeront les performances des pays dans tous les secteurs concernés, pour le bien des individus, des sociétés et des économies. 16 Le Projet sur le capital humain en Afrique En Afrique, cette initiative aidera spécifiquement les pays de la région à privilégier l’augmentation et l’optimisation des investissements dans le capital humain. Elle s’attachera à mettre l’accent sur l’importance de cette forme de capital, à identifier les lacunes, à assurer le suivi des services rendus à la population et des résultats, et à soutenir l’adoption de réformes étayées par des données probantes en vue d’améliorer les services et les résultats. Multisectoriel par essence, ce travail reposera sur le soutien de nombreux partenaires au sein du gouvernement, du secteur privé et de la société civile. Le Projet sur le capital humain s’articule autour de trois piliers :  ’indice du capital humain, pour initier un débat crucial sur  L les retombées économiques des investissements dans le capital humain. Cet indice permet de mesurer la distance qui sépare un pays d’une situation optimale, à savoir l’écart entre le bien-être actuel des populations et une situation future où chacun aura les moyens de se réaliser pleinement. Il aide les pays à apprécier les pertes de revenu découlant de ces carences, comparer leurs progressions et évaluer dans quelle mesure ils pourraient se rapprocher plus vite de leur potentiel. Ce faisant, cet indice suscitera auprès des hauts responsables politiques l’attention nécessaire pour impulser des actions porteuses de transformation à l’échelon national.  a recherche et la mesure du capital humain, pour favoriser la  L création de biens publics et comprendre comment optimiser au mieux ces résultats. Pour compléter les éléments fournis par l’indice et améliorer la qualité des données entrant dans les futurs calculs, la participation des pays à des évaluations internationales (sur les acquis scolaires, par exemple) et le développement d’enquêtes nationales (sur la qualité des services rendus, notamment) permettront de suivre plus finement les progrès en termes d’investissements dans le capital humain et de résultats. Ces informations serviront à identifier les leviers politiques à actionner pour éliminer les obstacles fondamentaux à l’amélioration du capital humain, dont notamment la nécessité d’engager des réformes et des programmes innovants et de renforcer les systèmes en place. L’enrichissement de ce corpus d’éléments probants pourra aussi faciliter les décisions d’allocation de ressources, surtout intérieures, pour rendre les dépenses publiques plus efficaces. n engagement durable, concerté et reposant sur des  U éléments factuels, pour aider les pays à lever les principaux obstacles à l’amélioration de la santé, de l’éducation et de la résilience des populations. De nombreux gouvernements se sont déjà approprié le Projet sur le capital humain et s’efforcent actuellement de prioriser les investissements et les réformes allant dans ce sens. La Banque mondiale s’emploie à aider ces pays « pionniers » à définir leur vision pour accélérer le développement du capital humain au profit des générations actuelles et futures, mais aussi à établir leurs plans pour élaborer une stratégie qui détaille la mise en œuvre concrète de cette vision. Le Groupe Investir dans la population pour l’équité et la croissance 17 de la Banque mondiale soutiendra la matérialisation de ces ambitions en proposant une palette intégrée d’indicateurs et d’interventions qui ont fait leurs preuves, réalisables et rentables. Il mettra également l’accent sur l’apprentissage entre pairs : le partage de connaissances sera privilégié pour favoriser l’échange d’idées et constituer des communautés de pratiques, en Afrique bien entendu mais aussi en s’appuyant sur les activités de l’institution dans le reste du monde. En multipliant les initiatives, le Projet sur le capital humain pourra permettre aux prochaines générations d’Africains d’avoir tous les atouts en main pour apprendre, gagner leur vie, innover et être compétitifs sur les marchés de l’emploi. Endnotes 1  Chang-Tai Hsieh et Peter J. Klenow. 2010. ‘Development Accounting.’ American Economic Journal: Macroeconomics 2 (1): 207–23. 2  Eozenou, Patrick Hoang-Vu; Shekar, Meera. 2017. Stunting Reduction in Sub-Saharan Africa. 2017 (English). Washington, D.C, Groupe de la Banque mondiale. 3  Banque mondiale, 2018. Rapport sur le développement dans le monde. 2018. Learning to Realize Education’s Promise. Washington, D.C. 4  Kathleen Beegle, Aline Coudouel et Emma Monsalve. 2018. Realizing the Full Potential of Social Safety Nets in Africa. Washington, D.C., Groupe de la Banque mondiale. 5 F  rancesca Bastagli, Jessica Hagen-Zanker, Luke Harman, Valentina Barca, Georgina Sturge et Tanja Schmidt. 2016. “Cash transfers: What does the evidence say? A rigorous review of programme impact and the role of design and implementation features.” Overseas Development Institute, Londres. 6  James Manor. 2007. Aid That Works: Successful Development in Fragile States. Directions in Development — Groupe de la Banque mondiale. 7  avid Canning, Sangeeta Raja et Abdo S. Yazbeck, 2015. La transition D démographique de l’Afrique : dividende ou catastrophe ? Collection « L’Afrique en développement ». Banque mondiale et Agence française de développement. Washingtonn, D.C. 18 Le Projet sur le capital humain en Afrique QUELQUES EXPÉRIENCES RÉUSSIES AFRIQUE DE L’EST ENDIGUER LA PROPAGATION DES MALADIES CONTAGIEUSES En partageant leurs ressources et savoir-faire, les pays d’Afrique de l’Est s’efforcent désormais ensemble d’endiguer la propagation des maladies contagieuses. Des responsables de la santé publique du Burundi, du Kenya, de l’Ouganda, du Rwanda et de la Tanzanie collaborent au sein d’un réseau de 41 laboratoires modernes. E n 2010, des responsables de la a été reconnu comme Laboratoire santé publique en Afrique de de référence supranational par l’Est ont réalisé à quel point leurs l’Organisation mondiale de la santé systèmes sanitaires étaient inadaptés (OMS), le deuxième seulement dans ce face à la tuberculose multirésistante cas en Afrique. Aujourd’hui, il apporte et aux flambées épidémiques (Ebola, son soutien à plus de 20 pays sur Marburg et fièvre jaune, notamment). le continent. Le sous-investissement chronique dans leurs laboratoires était à l’origine En 2017, 96 % des installations avaient d’erreurs de diagnostic, empêchant obtenu un label de deux étoiles au les autorités de détecter rapidement moins dans le cadre d’un dispositif et avec précision une menace pour régional d’amélioration de la qualité, la santé publique. Une telle situation reconnu par l’OMS, en vue d’obtenir entraînait une prise en charge inadé- une accréditation. Quatre laboratoires quate des malades avec, pour corol- ont décroché l’accréditation maximale laires, la propagation des maladies et ISO 15189. la hausse des coûts de santé. Le déploiement d’appareils GeneXpert, Pour remédier à ce problème, un dernier cri dans des établissements financement de l’IDA d’un montant de comme l’hôpital régional de Mbale, 128 millions de dollars est venu soutenir à proximité de la frontière entre le développement d’un réseau de l’Ouganda et le Kenya, a contribué à 41 laboratoires répartis dans cinq pays. accélérer et affiner les diagnostics trans- Chaque laboratoire sert de centre d’ex- frontaliers en cas de tuberculose multi- cellence dans un domaine précis, teste résistante. Des tests ont été réalisés des innovations, renforce l’efficacité de à l’aide des machines GeneXpert sur la prévention et de la prise en charge, l’ensemble du réseau, qui et partage les bonnes pratiques. permettent d’obtenir des résultats en  l’espace de Un système de financements condi- quelques heures au lieu de tionnés aux résultats déjà expéri- plusieurs mois. menté au Rwanda a ainsi pu servir de modèle dans les autres pays. Et, « Avant d’aller consulter à l’hôpital en 2013, le laboratoire de référence de Mbale, j’ai été soigné pour une pour la tuberculose en Ouganda grippe et de la fièvre dans une clinique 20 Le Projet sur le capital humain en Afrique située près de chez moi, sans aller d’enquêtes conjointes, des exercices mieux pour autant. J’ai cru que j’avais de simulation d’épidémies comme attrapé le sida », raconte Aliyi Mwanika, Ebola ou encore la mise en place d’un un chauffeur de taxi-moto âgé d’une système de notification par téléphone trentaine d’années. Une fois à l’hô- pour partager des informations pital, la machine GeneXpert a permis en temps réel sur l’apparition d’un de rectifier le diagnostic. Aliyi avait en foyer épidémique. fait une tuberculose multirésistante et a eu accès au traitement requis. «  Au Grâce à des actions de formation, le bout de six mois, j’ai pu reprendre nombre d’évaluateurs, de respon- mon travail. » sables de laboratoires et d’agents de surveillance épidémiologique quali- Le réseau a permis d’augmenter de fiés a été renforcé pour atteindre 80  % le taux de confirmation des 13 000 personnes, soit un vivier essen- agents pathogènes, et d’améliorer la tiel pour produire les données et les collaboration régionale, avec la création connaissances qui permettront d’étayer de comités transfrontaliers, la conduite et orienter les décisions politiques. Quelques expériences réussies | Afrique de l’Est 21 ÉTHIOPIE GÉRER LES CONSÉQUENCES DES SÉCHERESSES Pendant les épisodes de sécheresse, le gouvernement éthiopien déploie systématiquement une aide à sa population, avec le soutien de la Banque mondiale qui finance des programmes pour la mise en place de mesures concrètes et durables de prévention de la famine. D ans les immenses plaines d’habitants (soit près de 20 % de du sud-est de l’Éthiopie, des la population totale) ont reçu de la amas de poussière tournoient nourriture ou de quoi en acheter. Le comme autant de mini-tornades. Pour programme de filets de protection les habitants, ce phénomène marque sociale productifs (PSNP), l’un des normalement le début de la saison plus importants dispositifs de ce type des pluies, mais, entre 2015 et 2017, au monde, a permis de concrétiser pas une goutte d’eau n’est tombée en l’opération sur le terrain. Géré par de nombreux endroits. Les autorités l’État, il centralise les fonds apportés éthiopiennes connaissent bien les par 11 donateurs, dont des ressources sécheresses : depuis 2003, elles ont du Groupe de la Banque mondiale dû affronter cinq épisodes graves qui par le biais de l’Association internatio- ont touché des millions d’habitants nale de développement (IDA). — une récurrence qui les a obligées à chercher des solutions pour anticiper, Le programme verse des allocations planifier et réagir à ces phénomènes. monétaires ou distribue des dons de nourriture de manière régulière. Son Chaque année, les populations les plus volet « travail contre nourriture » appuie touchées donnent un nom à ce fléau. des projets de travaux publics, géné- Cette fois-ci, ils l’ont baptisé Sima, ralement en rapport avec la restaura- le «  grand niveleur » dans la langue tion des terres dégradées, l’irrigation somali parlée par de nombreux habi- ou l’agroforesterie. Deux approches tants du sud-est du pays : personne, sont mises en œuvre en parallèle : riche ou pauvre, ne sera épargné. le programme de filets sociaux et la Pourtant, des études ont montré distribution d’aide humanitaire. que les sécheresses appauvrissent davantage les pauvres. Avec Sima, les Halimo et Mariama éleveurs ont perdu pratiquement la Ali sont voisines. Elles moitié de leur cheptel. Et les ménages habitent dans le district peuvent mettre jusqu’à quatre ans de Kabribayah woreda. pour rebondir. Contrairement à Mariama, Halimo ne fait partie de la liste des En 2016, la réponse du gouverne- bénéficiaires de l’aide humanitaire ment éthiopien a été la plus impor- que depuis 2016. « Avant, je devais tante jamais organisée : 18,2 millions compter sur la générosité de mes 22 Le Projet sur le capital humain en Afrique voisins pour passer le cap », explique- « La sécheresse est un phénomène t-elle. Halimo a huit enfants à nourrir, récurrent en Éthiopie », souligne mais sur son petit lopin de terre, rien Carolyn Turk, directrice des opérations n’a poussé. Sur le papier, rien ne permet de la Banque mondiale pour ce pays. vraiment de faire la différence entre les « Avec d’autres donateurs, nous aidons bénéficiaires des deux programmes, le gouvernement à renforcer ses capa- mais le PSNP ne peut pas prendre en cités de réaction dans le cadre de ses charge tout le monde. Le mieux qu’il programmes classiques de développe- puisse faire, c’est d’optimiser la coordi- ment. Nous étudions la possibilité de nation pour s’assurer que la nourriture recourir à des produits financiers inno- et l’eau parviennent bien aux bénéfi- vants et de consolider le PSNP. » ciaires mais aussi aux «  victimes d’in- sécurité alimentaire conjoncturelle  », Les évaluations prévues dans le comme la famille d’Halimo. programme indiquent qu’il est en général bien ciblé et a un impact Lancé voici une dizaine d’années, le sensible sur la sécurité alimentaire. programme de filets sociaux couvre Entre 2006 et 2012, la part de béné- l’ensemble des échelons administra- ficiaires dont la sécurité alimentaire tifs, du kebele (le plus bas) au niveau est garantie est passée de 17 à 32  %. national, en passant par les districts Le programme s’est révélé particu- (woreda). Des fonctionnaires dédiés y lièrement efficace chez les ménages travaillent à plein temps et, avec l’expé- dirigés par des femmes. Il a contribué à rience, parviennent à mieux cibler les la hausse des dépenses des ménages, bénéficiaires. Lorsqu’on les interroge, alimentaires et autres, ainsi qu’à l’amé- ces derniers déclarent, pour la plupart, lioration des résultats scolaires, notam- préférer ce programme à l’aide huma- ment chez les filles. nitaire d’urgence, parce qu’il est fiable, prévisible et régulier. Actuellement, le Aujourd’hui, l’Éthiopie est le premier gouvernement met en place un cadre pays d’Afrique subsaharienne à tester pour regrouper le PSNP et l’assistance un programme pilote de protection alimentaire humanitaire. Ce cadre sociale en milieu urbain, le UPSNP. étend et intègre les procédures opéra- Couvrant 11 villes, il devrait atteindre tionnelles des deux programmes. 55 % des citadins pauvres à l’horizon 2021 (soit 604 000 bénéficiaires), grâce à des interventions conjuguant chan- tiers publics, aide directe et appui aux moyens de subsistance. Quelques expériences réussies | Éthiopie 23 LESOTHO AMÉLIORER DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES PEU PERFORMANTS Depuis l’introduction de l’enseignement primaire gratuit, en 2000, le royaume du Lesotho a nettement amélioré ses services éducatifs. Mais la qualité et l’efficacité des enseignements demeurent préoccupantes. Le pays dépense 8,4 % de son PIB pour l’éducation et, malgré cela, le chômage touche un quart de la population. A u Lesotho, maintenir les son acronyme en anglais) et, un an enfants à l’école est un plus tard, un projet d’amélioration de redoutable défi : les forts taux l’éducation de base (LBEIP). L’opération, d’absentéisme, de décrochage scolaire dotée d’une enveloppe de 27,1 millions et de redoublement s’expliquent par de dollars, est financée par l’IDA (le de nombreux facteurs, liés au sexe fonds de la Banque mondiale pour les (les garçons restant à la maison pour pays les plus pauvres) et le Partenariat s’occuper du bétail tandis que les mondial pour l’éducation (GPE). filles connaissent des mariages ou des grossesses précoces), à la situation Le projet a pour objectif spécifique économique, au coût de l’éducation et de rénover l’enseignement des à l’éloignement des écoles. De sorte que mathématiques et des sciences, de nombreux jeunes n’acquièrent pas ainsi que les programmes scolaires les compétences de base sur lesquelles nationaux. Il entend également aider reposent les apprentissages ultérieurs. les écoles à accroître les taux de rétention des élèves et à assurer de Les écoliers du primaire accusent un bonnes conditions d’apprentissage retard en lecture et en mathématiques en accordant des subventions par rapport à la moyenne régionale, conditionnées à la mise en œuvre de tandis que moins d’un quart des plans d’amélioration scolaire. élèves qui se présentent aux examens de fin de collège sont reçus en À ce jour, 60 enseignants en mathématiques et en sciences. mathématiques et en sciences du L’amélioration de la qualité de premier cycle secondaire ont été l’éducation de base est cruciale pour formés à la pédagogie progressive, donner aux jeunes les bases solides et 424 aux programmes scolaires. qui leurs permettront de conforter Environ 17 écoles ont reçu leurs compétences et leur aptitude à des outils didactiques participer de manière plus productive interactifs et, à ce jour, à l’économie. 14  des établissements les moins performants du pays En 2016, avec le soutien de la Banque ont obtenu des subventions mondiale, le gouvernement a lancé un pour améliorer les conditions projet axé sur la qualité de l’éducation d’apprentissage et la rétention et l’équité (le projet « LEQEP » selon des élèves. 24 Le Projet sur le capital humain en Afrique « Le déploiement d’enseignants qualifiés À l’horizon 2021, le projet devrait en mathématiques et en sciences concerner 85 600 bénéficiaires. Parmi reste problématique mais, grâce aux eux, des étudiants, des instituteurs outils fournis dans le cadre du LEQEP, et des enseignants du premier cycle nous avons noté un changement secondaire, des enseignants-ressources positif d’attitude chez les enseignants de district, des conseillers dans les comme chez les élèves. Les uns et différentes matières, des inspecteurs les autres prennent de plus en plus et des membres des comités scolaires. de plaisir à enseigner et à apprendre ces matières  », se réjouit Bertha Mabakubung Seutloali, directrice au ministère de l’Éducation du Lesotho. Quelques expériences réussies | Lesotho 25 MADAGASCAR UN PARTENARIAT SOLIDE POUR AMÉLIORER LA NUTRITION Les retards de croissance, conséquences de la malnutrition chronique, sont le frein majeur au développement du capital humain à Madagascar. Ce fléau, qui touche pratiquement un enfant de moins de cinq ans sur deux (soit le quatrième taux le plus élevé au monde), empêche la population de se réaliser pleinement et représenterait, chaque année, un manque à gagner compris entre 7 et 12 % du PIB. L a crise politique prolongée qui a enfants souffraient également de frappé la Grande Île entre 2009 malnutrition aiguë. Spécialiste de la et 2014 a aggravé la pauvreté nutrition communautaire, Noëline et mis à rude épreuve les services Razafindraibe se rendait régulièrement sociaux. En 2012, la Banque mondiale dans les foyers pour des séances de a lancé le projet d’appui d’urgence conseil aux mamans. « Tous les mois, aux services essentiels d’éducation, de je leur montrais comment nourrir nutrition et de santé (PAUSENS), doté correctement leurs enfants malgré de 65  millions de dollars et financé le manque de ressources », rappelle- par l’IDA, pour aider le gouvernement t-elle. « Quelques solutions simples à maintenir des services essentiels permettent d’éviter les carences dans cinq des régions les plus pauvres alimentaires : rajouter des haricots, un du pays. Près de 500  000 femmes peu de riz, une poignée de sel iodé, de enceintes et 1,7 million d’enfants ont pu l’huile, des légumes. » ainsi bénéficier de services de santé et de nutrition gratuits. Le PAUSENS s’est surtout attaché à supprimer les obstacles géographiques Le PAUSENS est venu renforcer et financiers. Chaque dispensaire un programme national du proposait des services de santé mater- gouvernement engagé de longue date nelle et infantile gratuits, par le biais et qui, jusqu’en 2017, visait à lutter d’un système de bons et d’autres inter- contre la malnutrition sévère à travers ventions ciblées. Le nombre de consul- un réseau de plus de 6 500 sites de tations prénatales a ainsi augmenté nutrition communautaire en zones de 10 % par an, les accouchements rurales. Pour des familles comme assistés ont été multipliés par six dans celle de Jocelyne Rasoanantenaina, de nombreuses régions, et les taux de dont le bébé pesait à peine 7 kilos à vaccination systématique un an, cette aide gratuite a eu une ont fortement progressé. importance capitale  : « Nous n’avions « Avant, lorsque ces pas grand-chose à manger », explique- services étaient payants, les t-elle. Notre récolte ne suffisait pas à femmes enceintes ne venaient nourrir nos enfants. » au dispensaire que lorsque la date de l’accouchement approchait. Dans son village du district Aujourd’hui, elles sont nombreuses à d’Ambositra, au centre de l’île, d’autres se présenter dès leur troisième mois 26 Le Projet sur le capital humain en Afrique de grossesse », explique Voahangy s’efforcent de donner à tous les enfants Rahantamalala, médecin chef dans la du pays une meilleure chance d’avoir localité voisine d’Ambohimanjaka. un avenir prospère. » Des données recueillies en 2012 ont Le programme, qui ciblera près de montré que si le programme national 75  % des enfants de moins de cinq de nutrition communautaire avait un ans, s’attaquera d’abord aux huit impact positif sur le nombre d’enfants régions qui affichent les taux de retard présentant une insuffisance pondérale, de croissance les plus élevés du pays, il n’avait en revanche pas d’effet sensible avant d’être progressivement étendu à sur le rapport taille/âge (et donc sur la 15 régions. réduction des retards de croissance). Ces résultats déconcertants ont « Les interventions ponctuelles peuvent poussé le gouvernement à revoir sa être efficaces dans certains contextes, stratégie. En 2017, la lutte contre la mais face à une question aussi com- malnutrition chronique est devenue plexe que le retard de croissance dans sa priorité. Les autorités ont obtenu un pays comme Madagascar, l’ap- une aide de 200 millions de dollars proche-programme à phases multi- de la Banque mondiale, financée ples est idéale, puisqu’elle permet de par l’IDA, pour élaborer une nouvelle viser le long terme tout en atténuant initiative décennale, le programme les risques d’une approche au coup pour l’amélioration des résultats par coup, qui retarde, voire anéantit, nutritionnels. Le dispositif repose, et les progrès obtenus », précise Jumana c’est une première, sur une approche Qamruddin, spécialiste senior en santé programmatique à phases multiples, au pôle Santé, nutrition et popula- qui permet aux pays de décomposer tion de la Banque mondiale et chef un engagement de long terme, d’équipe du programme. important ou complexe, en plusieurs opérations. La première étape a commencé. Elle prévoit d’étendre les interventions à fort « Le gouvernement a pour ambition impact, comme la supplémentation de ramener de 47 à 33 % le taux de en micronutriments et la promotion de retard de croissance », souligne Coralie l’allaitement maternel. Elle privilégiera Gevers, responsable des opérations de les 1 000 premiers jours de la vie (de la la Banque mondiale pour Madagascar. conception au deuxième anniversaire), « Cela passe par un investissement à une période clé pour réduire les long terme. Nous nous réjouissons de retards de croissance et maximiser le constater que les autorités malgaches développement cognitif. Quelques expériences réussies | Madagascar 27 MALI DES VÉLOS POUR FAVORISER LA SCOLARISATION ET L’ÉDUCATION DES FILLES Dans les zones rurales du Mali, beaucoup de filles abandonnent l’école à la puberté, en raison de l’éloignement des établissements, du niveau élevé de pauvreté et le poids des normes sociales. Grâce à la distribution de bicyclettes et au soutien de membres influents de la communauté, les filles peuvent poursuivre leurs études. C e matin pas comme les autres, à côté de ses camarades, tout en Déboura Goita descend de son s’appliquant à écrire dans son cahier vélo bleu flambant neuf pour se les phrases que le maître est en train diriger vers le grand arbre qui étend d’écrire au tableau. « Mon rêve est de son feuillage dans la cour de l’école devenir enseignante », poursuit-elle. de Waki, à Kimparana. Nous sommes dans la région de Ségou, à environ Comme Déboura, 27 autres jeunes 490 kilomètres de Bamako. Plusieurs filles de Kimparana ont retrouvé les bicyclettes sont déjà appuyées contre bancs de l’école grâce au vélo qu’elles l’arbre. Déboura dépose le sien, ont reçu. Après l’école, Déboura rajuste son sac à dos et rejoint sa salle aide en général sa mère aux tâches de classe. ménagères : préparer les repas, puiser de l’eau, faire la vaisselle et balayer la Élève en septième année, Déboura cour. Elle participe aux travaux des a 16 ans. Elle a trois sœurs et deux champs pendant les vacances. frères. Depuis la mort de leur père, sa mère élève seule ses six enfants. « Déboura suit les cours assidûment, Avant d’avoir ce vélo, Déboura devait elle arrive à l’heure tous les jours et a parcourir chaque jour six kilomètres à même passé ses examens juste après pied pour aller à l’école. « En rentrant la distribution des vélos », explique le soir, j’étais très fatiguée et je n’avais Mamadou Konaté, le proviseur. ni le temps ni le courage de faire mes devoirs », confie-t-elle. Résultat, elle a Au Mali, le taux de scolarisation dans abandonné ses études. le secondaire (premier et deuxième cycles) est de 52,9 % pour les garçons Ce n’est que récemment qu’elle a et de 42,8 % pour les filles. « Certains repris le chemin de l’école, grâce à villages se situent à plus son vélo. Elle le manie avec beaucoup de 15 kilomètres de de dextérité et en prend grand soin. l’école  », souligne Birama En classe, Déboura a notamment des Kassogué, directeur du centre cours de français, mathématiques, d’animation pédagogique de histoire et géographie. « Mes matières Kimparana. « Grâce aux vélos, préférées sont la physique, la chimie, la nous espérons réduire le taux de biologie, la géographie et l’éducation décrochage scolaire. » civique et morale », dit-elle, assise 28 Le Projet sur le capital humain en Afrique Près de 900 jeunes filles scolarisées entrepreneuriale, comme les mariages dans 75 écoles à Ségou et dans d’autres et les grossesses précoces ou les régions du Mali ont elles aussi reçu violences de genre. Des responsables des bicyclettes. Le fait de les scolariser religieux et communautaires ont aussi permet certes de les instruire, mais été mobilisés afin qu’ils se posent en limite aussi le risque de les contraindre champions de la défense des droits à accepter un mariage arrangé par des jeunes filles. leurs parents. Plus de 100 000 filles vulnérables dans La distribution des deux-roues fait six pays (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, partie des mesures financées par la Mali, Mauritanie, Niger et Tchad, pour Banque mondiale à travers le projet l’instant) pourraient bénéficier des d’autonomisation des femmes et de interventions menées dans le cadre de dividende démographique au Sahel ce projet régional. Plusieurs opérations (SWEDD). Elle s’inscrivait dans le cadre sont menées à l’initiative des ministères d’une campagne dont le slogan était « de l’Éducation pour maintenir les filles Mon défi, le DEF ! », le diplôme d’études à l’école, mais d’autres impliquent fondamentales qui valide la fin du les ministères des Affaires sociales, collège en 9e année. des Droits de la femme, de la Santé, de la Population, de la Planification Ces initiatives pourraient permettre et de la Jeunesse. Les ministres des à pas moins de 22 000 jeunes Finances et du développement filles de poursuivre leurs études humain d’au moins quatre des six et de prendre ainsi leur destin en pays concernés ont révisé leurs main. Le projet a aussi formé des plans de développement national enseignants et des conseillers afin de donner davantage de place pédagogiques, les sensibilisant aux aux politiques socioéconomiques pratiques qui empêchent les jeunes et aux mesures favorisant l’égalité filles de contribuer à la vie sociale et hommes-femmes. Quelques expériences réussies | Mali 29 MAURITANIE INVESTIR DANS LA PETITE ENFANCE D’ici 2020, environ 100 000 ménages parmi les plus pauvres de Mauritanie bénéficieront d’allocations monétaires trimestrielles. En incitant les parents à investir dans le développement de leurs enfants, le programme s’attaque à la pauvreté intergénérationnelle. A ujourd’hui, l’atmosphère est en arabe). Ce programme d’une à la fête dans le village de durée de cinq ans est mis en œuvre Bachatt Ould Boughrou, au par le gouvernement mauritanien, sud de la Mauritanie. Moustapha qui a investi 10 millions de dollars et et Hawa, deux animateurs sociaux, bénéficie du soutien de la Banque sont venus le temps d’une séance mondiale (à hauteur de 15 millions de consacrée aux bienfaits d’une dollars), du Département britannique alimentation équilibrée. Des femmes pour le développement international de tous âges sont attroupées, (4 millions) et de l’Agence française bambins sur les genoux, et écoutent de développement millions). (2,5  avec attention les recommandations L’objectif ? Améliorer le quotidien des jeunes gens. Ces derniers des ménages les plus vulnérables en préconisent de nourrir sainement investissant dans le capital humain les enfants, avec des apports bien et en les incitant à des changements répartis entre protéines (lait, viande), de  comportement. hydrates de carbone (céréales, tubercules) et nutriments (légumes). Tous les trois mois, plus de 22  000 ménages dans six des départements « Quel métier souhaiteriez-vous pour les plus pauvres du pays reçoivent votre enfant ? », demande Moustapha. la somme de 1  500 ouguiyas (soit Enseignant, s’exclame l’une. Médecin, environ 42 dollars). Mais, pour en répond l’autre. Militaire, lance une bénéficier, ces familles doivent troisième. En posant cette question assister à des séances telles que celle anodine, Moustapha et Hawa dispensées par Moustapha et Hawa, souhaitent que ces mères de famille qui traitent de nutrition, d’hygiène et se projettent dans l’avenir. « Bien de développement du jeune enfant. nourrir vos enfants, jouer avec eux, leur apprendre les règles d’hygiène, « D’ici 2020, le programme c’est leur garantir un avenir meilleur », ciblera pas moins de assurent-ils d’une seule voix. 100  000 ménages et s’étendra à l’ensemble du Bachatt Ould Boughrou est l’un des territoire  », précise Mohamedou villages ciblés par le programme de M’Haimid, coordinateur du programme transferts sociaux Tekavoul (solidarité national Tekavoul. 30 Le Projet sur le capital humain en Afrique « L’un des objectifs du programme séances de sensibilisation. « Avant, je est d’investir dans la génération négligeais l’hygiène  », explique-t-elle. future et d’interrompre la spirale de la « Aujourd’hui, j’incite ma famille à se pauvreté en s’attaquant aux facteurs laver les mains, je balaye ma maison de transmission intergénérationnelle », et, au village, nous voyons déjà la explique Matthieu Lefebvre, spécialiste différence, car il y a moins de diarrhées senior en protection sociale et ou de maladies de peau. Je sais aussi responsable du projet à la Banque maintenant quoi donner à manger mondiale. « Il y a donc à la fois un impact à mes enfants pour améliorer leur  à court terme, les ménages pouvant alimentation. » utiliser l’argent pour leurs besoins immédiats, généralement l’achat Selon Penda Sow, maire adjointe du de nourriture et l’accès aux services village voisin, l’impact du programme de base, et un impact à plus long est double : il permet aux femmes terme, ces allocations permettant aux (les destinataires principales du ménages de mettre un peu d’argent de programme, car ce sont elles qui côté et d’investir dans leurs moyens de s’occupent des enfants) d’acquérir subsistance et leur bien-être. » une certaine autonomie financière pour subvenir aux besoins des enfants Et d’ajouter : « Sans oublier que les et il permet à ces derniers de grandir allocations monétaires versées aux correctement. pauvres ont également un effet d’entraînement démontré sur les Pour garantir l’efficacité et la économies locales et profitent ainsi à sécurisation des paiements, l’agence l’ensemble de la collectivité. » Tadamoun, qui gère le programme Tekavoul, a déployé un réseau d’agents Mariam Samba Sow, 42 ans, mère de cinq équipés de terminaux portables, enfants, bénéficie de cette aide depuis chaque bénéficiaire ayant reçu une plus d’un an et assiste assidûment aux carte à puce à cet effet. Quelques expériences réussies | Mauritanie 31 MOZAMBIQUE LES RÉSULTATS AU CŒUR DES SYSTÈMES DE SANTÉ ET D’ÉDUCATION Le programme de financement de la santé publique et de l’éducation axé sur les résultats décaisse les fonds en fonction de l’atteinte de cibles convenues. Les incitations ainsi mises en place pour modifier les comportements à l’échelon infranational sont à l’origine d’améliorations notables dans la gestion des écoles primaires et la chaîne d’approvisionnement médicale. L es médicaments n’ont d’intérêt directrice de l’école primaire 3 de que s’ils parviennent en temps Fevereiro. C’est un vrai plus, puisque voulu aux patients qui en ont cela nous permet de mieux planifier besoin », estime João Grachane, haut l’année à venir. » Jusque-là, les responsable au ministère de la Santé du allocations étaient souvent versées en Mozambique. Lorsque le programme retard, compliquant le fonctionnement de gestion des finances publiques axé des établissements. sur les résultats a été lancé en 2014, c’était une première, le Mozambique Près de 1 300 écoles primaires ont n’ayant encore jamais testé cet profité de cette amélioration dans le instrument financier de l’IDA. Le but versement des subventions. Celles-ci, était d’effectuer des décaissements connues sous leur acronyme portugais échelonnés dans les secteurs de la ADE, permettent d’acheter des santé et de l’éducation, conditionnés à supports d’apprentissage de base et l’atteinte de cibles convenues. d’aider les enfants les plus vulnérables à suivre une scolarité. En 2017, 100  % La hausse des médicaments des écoles primaires couvertes par disponibles pour assurer les soins le programme avaient reçu leurs maternels dans les hôpitaux publics subventions en février, au début de (de 78,6 à 82,6 % entre 2013 et l’année scolaire. 2017) ou le net recul du nombre de sites connaissant des pénuries Des équipes de formateurs et d’antirétroviraux (de 27 à 5 % sur d’animateurs ont été dépêchées la même période) font partie des dans les ministères et les provinces améliorations notables observées pour favoriser la coordination. « Le dans le secteur de la santé pendant le projet a opté pour une approche déploiement du programme. innovante, itérative et centrée sur le problème », Le dispositif a également eu des explique Humberto Cossa, répercussions sur l’éducation publique : spécialiste senior en santé « Aujourd’hui, nous recevons nos à la Banque mondiale, qui a allocations au début de l’année participé au programme. scolaire  », explique Matilde Xilume, 32 Le Projet sur le capital humain en Afrique Le gouvernement mozambicain a districts scolaires et de leurs budgets. amélioré la transparence et l’efficacité Un financement complémentaire de ses dépenses pour la distribution, permettra d’améliorer les soins de le stockage et la mise à disposition santé primaires dans les régions mal de médicaments, mais également desservies du pays. pour la gestion des conseils et des Quelques expériences réussies | Mozambique 33 TANZANIE MISER SUR L’AUTONOMIE DES FILLES POUR BÉNÉFICIER D’UN DIVIDENDE DÉMOGRAPHIQUE La Tanzanie est parvenue à augmenter l’espérance de vie de 16 années entre 1990 et 2015 et à réduire de moitié la morta- lité des enfants de moins de cinq ans. Néanmoins, son taux de fécondité n’a baissé que d’un enfant par femme, contre deux ou trois enfants par femme au Kenya et au Rwanda, les pays voisins. A u rythme actuel de croissance Rebeca Gyumi fait partie des jeunes de 3 % par an, la population militants qui se sont mobilisés en tanzanienne pourrait franchir faveur de cette décision de justice. la barre des 150 millions d’habitants Enfant, elle avait constaté que en 2064, faisant de ce pays l’un des certaines de ses camarades de classe plus peuplés du monde. disparaissaient soudainement, sans explication. « Nous allons pouvoir nous De multiples raisons expliquent cette concentrer sur les investissements tendance, notamment le fait que plus permettant l’épanouissement de d’un tiers des femmes s’y marient nos filles au lieu de les marier trop toujours très jeunes : 36 % sont déjà jeunes », explique-t-elle. mariées à 18 ans. Or, le taux élevé de fécondité, lié à la longueur de la Entre 2001 et 2015, le nombre de période de procréation, interdit l’ap- jeunes filles scolarisées dans le parition d’un « dividende démogra- secondaire est passé de moins de 20 % phique » — ou l’avantage économique à pratiquement 55 %, mais les taux découlant du recul rapide des taux de d’abandon restent élevés. En 7e année, mortalité et de fécondité qui entraîne les élèves doivent passer un examen une réduction de la taille des familles pour poursuivre leurs études, mais et une amélioration de leur état une directive pénalise les jeunes filles de santé. enceintes qui souhaiteraient continuer. Les autorités tanzaniennes s’efforcent « Les données montrent que les taux de d’enrayer la pratique des mariages fécondité chez les adolescentes en ville précoces : en juillet 2016, la Haute Cour sont en recul depuis 1990 », souligne a abrogé une loi de 1971 autorisant Miriam Schneidman, spécialiste le mariage des filles à 15 ans avec le principale en santé à la consentement parental et à 14 ans Banque mondiale. «  Mais sur dispense d’un tribunal (pour les en milieu rural, ces taux garçons, l’âge légal est fixé à 18 ans), sont en légère augmentation. rendant désormais illégal le mariage Les mères adolescentes de mineurs. abandonnent l’école et perdent ainsi toute possibilité de s’extraire de la pauvreté avec leurs enfants. » 34 Le Projet sur le capital humain en Afrique Selon une simulation effectuée par la Zanzibar, et identifier des solutions res- Banque mondiale, une baisse du taux pectueuses de la culture locale pour les de fécondité supérieure à un enfant faire évoluer. par femme induirait une hausse de 19 % du PIB réel par habitant à l’horizon « Le degré d’instruction de la mère est 2030, qui passerait ainsi de 610 dollars étroitement corrélé aux résultats sco- (2015) à 1 192 dollars, puis à 2 709 dollars laires de ses enfants », souligne Bella en 2050. Bird, directrice des opérations de la Banque mondiale pour le Burundi, L’abaissement du taux de fécondité le Malawi, la Somalie et la Tanzanie. permettrait d’extraire six millions de « Les recherches menées en Tanzanie personnes de la pauvreté d’ici 2050. montrent que 74 % des enfants dont la mère a suivi au minimum un par- La Banque mondiale conduit actuel- cours secondaire sont capables de lement une analyse approfondie pour faire des exercices de deuxième année mieux comprendre les caractéris- du primaire, contre seulement 46 % tiques de la fécondité chez les adoles- des enfants dont la mère n’a bénéficié centes de Tanzanie continentale et de d’aucune instruction formelle. » Quelques expériences réussies | Tanzanie 35 ZAMBIE CONTRIBUER À L’AUTONOMISATION DES FEMMES ET AU MAINTIEN DES FILLES À L’ÉCOLE En Zambie, le projet GEWEL apporte une aide directe à 89 000 filles et femmes vulnérables dans les zones rurales. Bénéficiant du soutien de trois ministères, le projet de la Banque mondiale peut déployer une approche plus globale. M ary Maliti vit dans la chefferie pauvres, avec l’octroi d’une bourse de Nkana, à plus de 100 d’études ; le second, qui s’adresse aux kilomètres de Kitwe, le centre femmes en âge de travailler, offre des urbain le plus proche dans la province formations, des capitaux d’amorçage du Copperbelt. Cette agricultrice cultive et un accompagnement. des arachides, du maïs et des légumes sur un hectare de terre. Tous les ans, Âgée de 50 ans et mère de cinq elle se livrait au même combat : faire enfants, Mary a gagné suffisamment pousser de quoi nourrir sa famille et, d’argent pour acheter des semences, les bonnes années, vendre l’excédent. payer quelqu’un qui laboure le sol Grâce à une subvention et à une et s’acheter un vélo pour livrer ses formation pratique et commerciale, légumes. Elle s’est aussi équipée d’un elle peut désormais nourrir sa famille pulvérisateur de pesticides, pour et vendre ses produits dans son village protéger ses cultures. « L’an dernier, et aux environs. j’ai perdu de l’argent parce que des insectes avaient envahi mon potager », Comme des milliers d’autres explique-t-elle. « Et (sans vélo), certains Zambiennes, Mary est l’une des béné- légumes pourrissaient avant que je ficiaires du projet pour l’éducation des puisse les proposer à mes clients. » filles et l’autonomisation des femmes (GEWEL). Financé par l’Association Mary gère désormais son budget et internationale de développement ses économies. Tous les vendredis, elle (l’IDA, le fonds de la Banque mondiale rejoint les 41 autres membres de son pour les pays les plus pauvres), le pro- club d’épargne, où chacune s’efforce jet contribue aux efforts des autorités d’économiser environ 1,25 dollar zambiennes pour rendre les femmes par semaine. L’argent est prêté aux plus autonomes. Trois ministères y membres du club qui le participent directement  : genre, édu- remboursent avec intérêts. cation nationale et développement communautaire. L’autre axe du projet a permis à Eunice Sichone, 14 ans, de Le projet est constitué de deux volets : retrouver le chemin de l’école. le premier a pour objectif d’étendre Jusque-là, son père n’avait pas les l’accès à l’enseignement secondaire moyens de payer ses frais de scolarité. pour les adolescentes de familles La plupart des filles du pays expliquent 36 Le Projet sur le capital humain en Afrique avoir abandonné leurs études pour des Dans ce pays, environ 60 % de la raisons financières. La bourse permet population vit en milieu rural. « En de remédier à cette situation. 2017, pratiquement 20 000 femmes et filles ont bénéficié du projet GEWEL », « Ces programmes sont conçus pour indique Emily Weedon, spécialiste lever les obstacles auxquels sont senior en protection sociale à la confrontées les femmes et les filles Banque mondiale et chef d’équipe du vulnérables en milieu rural. Ils favorisent projet. « En 2018, le gouvernement des investissements de long terme et devrait étendre cette couverture à plus renforcent les capacités des autorités de 50 000 personnes, grâce aux deux à gérer les interventions  », explique programmes. » Ina-Marlene Ruthenberg, responsable des opérations de la Banque mondiale pour la Zambie. Quelques expériences réussies | Zambie 37 38 Le Projet sur le capital humain en Afrique REMERCIEMENTS Cette publication de la Banque mondiale est le fruit de la collaboration des équipes du Bureau de la vice-présidence de la Région Afrique (AFRVP), du Projet sur le capital humain (HCP), la vice-présidence du développement humain (HDVP), et du département Communication externe et partenariats de la Région Afrique (AFREC). Nous remercions plus particulièrement Tom O’Brien, Diariétou Gaye, Magnus Lindelow, Laura Rawlings, Muna Salih Meky, Katelyn Jison Yoo, Martín De Simone, Julieta Trias, Dena Ringold, Amer Hasan, Zelalem Debebe, Emily Weedon, Kavita Watsa, Amit Dar et Pia Schneider. Ce projet n’aurait pas pu être mené à bien sans le soutien des directeurs, responsables-pays et chefs d’équipe qui supervisent la mise en œuvre des opérations et programmes de la Banque mondiale en Afrique. Nous tenons à remercier Jumana Qamruddin, Margareta Norris, Humberto Cossa, Lucian Pop, Miriam Schneidman, Matthieu Lefebvre, Lynne Sherburne-Benz, Meera Shekar, Michele Gragnolati, Jeremy Veillard, Luis Benveniste et Olusoji Adeyi. Nous remercions également les chargés de communication des bureaux-pays de la Banque mondiale qui assurent la promotion de ces programmes et la diffusion de leurs résultats, notamment Elita Banda, Carlyn Hambuba, Habibatou Gologo, Sonu Jain, Loy Nabeta, Rafael Saute et Diana Styvanley. La réalisation de cette publication a reposé sur un important effort de réflexion et de planification, conjugué au savoir-faire de toutes celles et ceux qui y ont contribué. Nous remercions tout particulièrement Catherine Bond et Leslie Ashby pour leur investissement dans le projet et sa bonne exécution, ainsi qu’Alex Hery, Daniella Leggelo et Anne Senges. Nous adressons également nos remerciements à Ahmad Omar, Marisa Simone, Bernadette Poaty, Justine Bilong (GCSTI), et Elena Queyranne (AFREC), pour leur contribution à la réalisation de la traduction en français. Enfin, nous remercions Sarah Farhat, Mohamad Al-Arief, Elita Banda, Andrea Borgarello, Bachir Diallo, Arne Hoel, Gustavo Mahoque, Tintseh Mukundi, Vincent Tremeau, Dorte Verner et Daniel Silva Yoshisato pour leurs photographies, ainsi que Manuella Lea Palmioli, et Gregory Wlosinski (GCSSV), pour la conception graphique. Remerciements 39 40 Le Projet sur le capital humain en Afrique CRÉDITS PHOTOS Page de couverture - Vincent Tremeau Page 4 - Sarah Farhat Page 21 - Sarah Farhat Page 23 - Andrea Borgarello Page 25 - Elita Banda Page 27 - Mohamad Al-Arief Page 29 - Bachir Diallo Page 21 - Dorte Verner Page 33 - Gustavo Mahoque Page 35 - Arne Hoel Page 37 - Daniel Silva Yoshisato Page 42 - Vincent Tremeau Pages de couverture internes - Arne Hoel Investir dans la population pour l’équité et la croissance 41