EFORMI= 0 NC IE H~•~332 .W67 FRE World Bank. Land reform: sector policy paper. Politique sectorielle HD 1332 .W67 FRE •11111111111 MGC008016 Banque Mondiale l1'175 •• • REFORME FONCIERE Pages Introduction 3 Resume ............... . . . . . . . .. . .... . .. . . .. ...... ..... . 5 . 1 C , . . d 'f ,uf"\C:H O BANK Ch apItre : aracteristIques es re orme91YOf'ltt~es ......... . 17 L'homme et la terre . . ... ...... .. .. . . . .... . ... .. .. . . 17 Contexte de la reforme fonciere ... . .... . . . . .. . .. . . . . . . . . 18 Dimensions de la reforme fonciere .. . .. . . ........ .. ... . . 23 Chapitre 2: Reforme fonciere et developpement economique . 29 Influence sur la productivite ..... . . .. ...... .. .... . . . ... . 29 Reforme fonciere et emploi . .. . . . ... . . ...... .... .. ... . . 33 Reforme fonciere et justice sociale ... ..... ............ . . 34 Influence sur l'excedent commercialisable et I sur l'epargne ... ..... ... ........... . ......... .. . .. . . 36 I Reforme du regime des baux ... . . .. .. ... . . ..... ... . .. . . 39 Problemes d'execution ... .. .... .. ....... ... .. .... .. ... . 40 I- ~ Chapitre 3: La Banque et les reformes foncieres .. . . ..... .. . . 44 I L'evolution des points de vue . ........ " ............... . . 44 L'assistance technique .... ...... ........ . ..... ... .. .. . . 45 L Operations de prets .. .. .. . . . . . .. ..... ...... . .... . . . . . . 46 Choix fondamentaux .... . . .. ... • . . . .. ... . .. ... .. ...... . . 53 I Annexes ..... ... .. .. ................. ... . . .......... .. . 55 l 1. Le contexte de la reforme fonciere .. . .. .. ....... . .... . 57 t a Les ratios de la population la terre .. . . . ... •. . . . . ... . 57 Population et production . . . ... . .... . . . ....... . . .. . . 60 Repartition des terres .. .. . . . . ... ... .......... .. .. . . 63 Locataires et ouvriers agricoles ... .... .. . ....... . ... . 69 Ouvriers sans terre .. .... ........ . .. . ......... . ... . 71 2. Experiences de reforme agraire ...... . . . .. .... .... . . . . 73 Republique de Chine ... . ... . . . . . . . ... .... .. . ... .. . 73 Republique de Coree ..... ..... . . ... . ..... . . .... .. . 74 Japon . .. . . . . .. ........ .. .. . ..... . . . ........ ... .. . 74 1 lnde ... . . . . . .. . . . .. .. . .. . . . . .. . . . .. . . . . .. ..... . . . 76 Iran. . .. . .. .. ..... .. .. . .. . .. . ... . .. . ......... . .. . 77 Maroc . . .. . .. . . ... . ... ... . . . . . ... . .. . . . . . . . . . . . . . . 79 Yougoslavie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Kenya...... . ..... . .. . ... . .. .. . .. ... .... . .. ... . .. 81 Mexique . .. .. . . . .............. . .. . . . .. . . .. ....... 82 Perou... .. . .. .. . .. .. . .. .. .. .. . . . ... . ...... .. .... . 83 2 INTRODUCTION La reforme fonciere a pour objet de transformer le cadre institu- tionnel a l' interieur duquel s'organisent les rapports entre l'homme et la terre. A l'heure actuelle, la subsistance de plus de la moitie de l'humanite depend directement de !'agriculture et 90% de cette population agricole vivent dans les pays en developpement. Dans ces pays, toutes les questions relatives a l'acces a la terre et aux droits fonciers revetent l•ne importance vitale pour plus de deux milliards d'individus. ta terre est l'un des facteurs essentiels a la production des den- rees alimentaires et des autres produits de l'agriculture. Dans les pays en developpement, l'accroissement de la production alimen- taire etant parallele a la progression demographique, la pression se fait de plus en plus forte sur les ressources foncieres pour accroi- tre la production. Cet accroissement devra provenir en grande par- tie d'une amelioration des rendements a l'hectare. Dans certains pays, la modification des structures de la propriete fonciere et la redistribution des terres peuvent contribuer a augmenter la produc- tion mais en d'autres, ces mesures n'auront qu'une incidence re- duite. La situation de !'agriculture varie considerablement d'un pays en developpement a l'autre. Un trait, toutefois, est general: la crois- sance tres rapide de la population rurale . Ainsi , tandis qu'augmen- te la pression exercee sur les ressources foncieres, le rapport moyen du nombre d'habitants a la superficie des terres se deterio- re. Or cette evolution fntervient a un moment ou les possibilites d'emploi non agricole n~ s'accroissent pas assez vite pour assurer un revenu suffissant a tous les nouveaux venus sur le marche du travail. Certains pays pourraient occuper une main-d'oeuvre plus nombreuse dans le secteur rural en mettant en valeur de nouvelles terres, d' autres -en redistribuant les terres . II est des pays nean- moins ou la modification des droits fonciers n'aura qu'une faible incidence sur la resorption de la main-d'oeuvre supplementaire. La repartition des terres selon la dimension des exploitations va- rie d'un pays a l'autre. C'est en Amerique latine que les disparites sont les plus prononcees. Quand la structure fonciere est asymetri- que, la repartition des revenus n'est en general pas uniforme, bien que les exploitations les plus etendues soient dans une certaine mesure constituees des sols les plus pauvres. En Asie et au Moyen Orient, la mauvaise repartition des terres transparait au niveau des rapports entre proprietaires et locataires. Dans ces regions, en effet, la population est plus uniformement repartie, mais les droits d'ac- ces a la terre sont limites . Le probleme se pose differemment en- core pour une grande partie de l'Afrique ou les structures tradition- 3 nelles -propriete collective et droits communaux- reculent de- vant un regime de propriete individuelle comportant divers degres d'egalite. La definition d'une politique de reforme fonciere doit done tenir compte de toute une gamme de situations culturelles et politiques -fondees sur differents types d'organisation sociale et de coutu- mes- et de stades de developpement. Comme l'indique le Chapi- tre 1, les regimes fonciers se repartissent en six categories au moins. Les differences separant ces regimes illustrent la variete des reformes requises, selon la situation du pays concerne, pour rendre plus equitable l'acces a la terre et pour augmenter la pro- ductivite. En cc;>nsequence, s'il est facile de constater la necessite d'une reforme ·fonciere, ii l'est beaucoup moins de recommander des solutions generales concernant le regime de la propriete ou le type de distribution fonciere requis pour atteindre les objectifs polyvalents du developpement. De surcroit, l'on se trouve en presence d'une situation dynami- que, l'accroissement de la population rurale et !'evolution techni- que interagissant avec les structures institutionnelles des societes rurales. Or, ii est rare que ces interactions se repercutent favora- blement sur la majorite de la population qui vit de la terre. Une situation peut sembler relativement stable et equitable pendant des decennies puis dev~nir insoutenable, et une solution accepta- ble ii y a dix ans risque d'etre perimee aujourd'hui. II n'est done pas surprenant de voir nombre de pays en developpement experi- menter diverses solutions et differentes formes d'organisation rura- le allant de la commune a la propriete individuelle. Tout en reconnaissant la complexite des questions liees a la re- forme fonciere, la presente etude se borne essentiellement a defi- nir le role que devrait jouer la Banque Mondiale. 1 A cette fin, le Chapitre 1 traite des caracteristiques des reformes foncieres: leur contexte rural et leurs diverses composantes. Le Chapitre 2 exami- ne les incidences economiques des reformes foncieres par rapport aux objectifs du developpement. Le Chapitre 3 analyse la politique de la Banque en matiere de reforme fonciere. L'Annexe 1 contient des statistiques sur les structures demographiques et foncieres, illustrant le contexte des reformes. L' Annexe 2 retrace certaines ex- periences de reforme. Les recommandations en matiere de politi- que fonciere sont presentees a la fin du Resume. 1 Dans la presente etude, toutes /es references a la Banque Mondiale se rapportent ega/ement A /"Association Internationale de Developpement, A mains que le contexte ne requiere une interpr~ta- tion differente. L'exercice financier des deux imtitutions commence le1er iuillet et se termine le 30 juin suivant. 4 RESUME La reforme fonciere intervient pour modifier le regime de· pro- priete, de jouissance et d'utilisation des ressources foncieres en vue de changer la structure des exploitations, d'accroitre la pro- ductivite des terres et d'elargir la repartition des avantages. En pra- tique, les reformes foncieres sont decidees pour repondre aux pres- sions exercees au niveau politique en faveur de changements socio-economiques; ces pressions peuvent d'ailleurs decouler de divers facteurs -accroissement demographique, insuffisance des ressources foncieres par rapport a la population- ou d'une ideo- logie egalitaire aspirant a rendre plus uniforme la distribution des terres ou des revenus . La reforme fonciere, de par son contexte meme, offre done des dimensions politiques, economiques et so- ciales, toutes liees les unes aux autres, qui ont d'importantes inci- dences sur le developpement. On peut classer en six categories, presentees au Chapitre 1, les regimes fonciers des pays en developpement, encore que dans nombre d'entre eux plusieurs de ces categories coexistent. Trois d'entre elles appartiennent a un contexte traditionnel: le systeme de type feodal qui preside aux rapports entre proprietaires et loca- taires dans certains pays d'Asie, le systeme feodal des grandes ex- ploitations d'Amerique latine, enfin, la mise en commun de la pro- priete fonciere que pratiquent beaucoup de collectivites tribales (en Afrique particulierement). Le contexte des trois autres catego- ries est moderne: -propriete fonciere individuelle, de regle dans la plupart des economies de marche -propriete d'Etat ou collecti- ve, dans les pays socialistes -exploitation du type plantation ou ranch, enfin, souvent associee a d'autres modes de faire-valoir. Face aux inegalites marquees des multiples situations particulie- res et de la productivite agricole, les reformes foncieres impliquent necessairement toute une gamme d'ajustements. Ce sont dans la plupart des cas des considerations sociales ou un souci d'equite qui sont au centre des preoccupations. Ainsi, dans le cadre du type feodal asiatique ou latino-americain, ou les proprietaires fon- ciers exploitent leurs locataires, la reforme inclut des modifications aux droits des preneurs, une redistribution de la propriete en fa- veur des locataires en place, ou la substitution de la tribu ou de la collectivite au proprietaire individuel. Lorsque la propriete indivi- duelle, dans le cadre d'une economie de marche, est de regle, mais que la repartition des terres n'est pas uniforme, la reforme peut exiger le morcellement des grandes exploitations ou leur transfert a l'Etat. A !'inverse, quand le role de celui-ci est tres deve~ loppe, la reforme peut impliquer le transfert de certaines terres domaniales aux particuliers. 5 La reforme fonciere peut prendre d'autres formes et viser a la ra- tionalisation de !'exploitation des ressources plus qu'a l'equite. Quand les exploitations sont morcelees, ii peut etre justifie de IPs remembrer sans modifier la structure de la propriete fonciere. Quand les terres communales s'erodent ou s'epuisent, la reforme peut se traduire par un programme de gestion co9perative et su- pervisee des ressources foncieres sans modification de la reparti- tion des terres. Dans d'autres cas, c'est !'ensemble des droits loca- tifs qu'il faudra modifier en veillant a garantir au preneur une sta- bilite suffisante pour !'encourager a investir dans son exploitation . Encore une fois, cette modification n'exige pas une redistribution des terres, mais finit par entrainer un emploi plus rentable des ressources . La typologie esquissee au Chapitre 1 montre clairement que dans certains cas ii est indispensable de proceder a une reforme fonciere pour modifier les structures sociales et augmenter la pro- duction agricole. Cependant, pour necessaire qu'elle soit, la refor- me fonciere ne suffit pas a elle seule a ameliorer la productivite des terres ni la repartition des revenus . Les modifications apportees aux structures de la propriete fonciere n'entraineront pas automa- tiquement une augmentation des rendements ni un changement technologique dans le secteur agricole. Ces phenomenes n'inter- viendront que si l'on prend des mesures appropriees pour mettre a la disposition des exploitants les facteurs de production et les ser- vices dont ils ont besoin . En fait, comme le souligne le Chapitre 2, ii est essentiel d'organiser, parallelement a tout programme de re- forme fonciere, la fourniture des facteurs de production requis; ii en est particulierement ainsi lorsque le processus de reforme desa- grege le cadre institutionnel du secteur agricole, sans le remplacer par de nouvelles structures. En dernier lieu, ii convient de reconnaitre l'impossibilite d'enon- cer en termes simples la politique de reforme fonciere applicable a une situation donnee. II faut d'abord juger de la valeur du systeme en vigueur et de la meilleure solution de remplacement. Or, les ju- gements de ceux qui decident des mesures a prendre peuvent varier. Les etudes de cas figurant a I'Annexe 2 montrent que des gouvernements favorables aux reformes, au Kenya et au Perou par exemple, ont emprunte des voies differentes. Certains gouverne- ments donnent la preference a la propriete individuelle, d'autres a la maitrise collective ou communautaire des sols. II est clair que les mesures adoptees ne dependent pas seulement de facteurs eco- nomiques. Elles refletent egalement des considerations d'ordre po- litique et ideologique et transcendent done largement tout calcul purement economique. 6 Repartition des terres et des revenus Bien que les donnees soient peu abondantes a ce sujet, on sait que la repartition de la propriete fonciere est asymetrique, le degre de concentration variant selon les regimes fonciers. La propriete, tres concentree dans les systemes feodaux asiatique et latino-ameri- cain et dans le type plantation-ranch, l'est moins dans les systemes communautaires socialiste et traditionnel, le degre de concentra- tion etant intermediaire dans le type de l'economie de marche. Le Tableau 1:9 de !'Annexe 1 donne une classification des pays selon la concentration de la propriete fonciere. La structure dimensionnelle des exploitations est tres asymetri- que dans le monde entier. Comme le montre le Tableau 1:6 de I'Annexe, 1, 80% des exploitations auraient moins de cinq hectares, dont 40% seraient inferieures a un hectare. Ces deux categories occupent environ 20% de !'ensemble des terres cultivees et 7% seulement de la superficie totale des exploitations. Prise separe- ment, I' Amerique latine offre une distribution particulierement asymetrique: les exploitations, de plus de 50 hectares, qui represen- tent 20% du nombre des exploitations, occupent plus de 90% des surfaces; les exploitations de moins de cinq hectares representent plus du tiers du nombre des exploitations mais seulement 1% des surfaces (cf. le Tableau 1:8 de l'Annexe 1). En Asie, par contre, la categorie des exploitations de moins de cinq hectares regroupe pres de 80% des exploitations et couvre 40% des surfaces . La structure dimensionnelle des exploitations est souvent utilisee comme mesure approchee de la distribution du patrimoine et des revenus agricoles. L'asymetrie de la distribution des exploitations ne reflete pourtant pas d'une maniere precise les modeles de dis- tribution du patrimoine ou des revenus. La raison en est tout d'abord que les sols ne sont pas comparables; une concentration de grandes exploitations en region semi-aride peut refleter une concentration du patrimoine moins poussee qu'une concentration de petites exploitations en zone irriguee. En second lieu, la reparti- tion des exploitations selon leur taille n'est pas identique a celle de la propriete fonciere; en general, cette derniere est plus con- centree, comme le demontre la pratique tres repandue de la loca- tion du sol, notamment dans certaines regions d'Asie (cf. l'Annexe 1). Dans ces cas, la repartition des revenus dependra largement des modalites contractuelles liant les proprietaires d'une part et les fermiers ou les metayers d'autre part. Cependant, la repartition des revenus sera generalement plus asymetrique que celle des exploita~ tions . Les revenus des metayers et des fermiers peuvent souvent n'etre guere differents de ceux des ouvriers agricoles sans terre. 7 Questions economiques et sociales La population rurale des pays en developpement continue a aug- menter de plus de 2% par an, ce qui accroit encore la pression humaine, deja elevee, sur les terres. A quelques exceptions pres, toutes les terres cultivables sont deja utilisees; pour creer de nouveaux emplois dans !'agriculture, ii faudra done intensifier la culture des terres deja exploitees. II n'est pas uniformement neces- saire dans tous les pays d'accroitre l'emploi en milieu rural. Dans de nombreux pays en developpement, le grave sous-emploi que connaissent les campagnes s'accompagne de taux de chomage reel eleves dans les villes et d'une inegalite croissante de la repartition generale des revenus. La OU ces problemes sont particulierement graves -dans certaines regions d'Asie par exemple- !'apparition dans les zones rurales d'un grand nombre de travailleurs sans terre donne a penser que le systeme de !'exploitation familiale, envisage comme moyen de fournir du travail aux membres de la famille, est en voie de desintegration. L'extreme pauvrete que connaissent beaucoup de ceux qui vi- vent de la terre et la pression humaine croissante s'exen;:ant sur les ressources foncieres illustrent le double defi du developpement rural : ameliorer la productivite et les revenus agricoles, et accroi- tre simultanement l'offre d'emplois . Dans cette situation, l'acces a la terre, et les conditions regissant sa devolution, sont d'importan- ce majeure. Lorsque les terres sont commercialisables, l'accroisse- ment de la pression demographique conduit fatalement a en faire monter le prix, ce dont beneficient les proprietaires fonciers, et si la repartition de la propriete fonciere n'est pas uniforme, cette evolution ne fera qu'accentuer l'inegalite de la distribution des revenus . Cette meme situation (liee a l'emploi et a la repartition des reve- nus) fait naitre des doutes sur l'efficacite avec laquelle sont utili- sees les ressources foncieres dans le cadre des regimes fonciers en vigueur. Pour diverses raisons, les proprietaires preferent souvent sous-utiliser leurs terres, soit qu'ils les exploitent eux-memes d' une maniere extensive au lieu de les faire cultiver d'une maniere inten- sive par des locataires, soit qu' ils les laissent en jachere. En d'au- tres cas, les modalites de location sont telles qu'elles n'incitent ni les proprietaires a operer des investissements, ni les locataires a employer divers facteurs de production, car les benefices seront partages pour moitie. Dans certaines situations, le morcellement des exploitations reduit la bonne utilisation de la terre, en entra- vant les operations de transport, d'irrigation optimale des terres et les operations mecanisees (meme a petite echelle). D'une fa~on generale, l'accroissement de la population en age de travailler 8 renforce la demande d'emplois et de revenus, mais simultanement le surcroit de main-d'oeuvre disponible, rationnellement utilise, pourrait permettre d'augmenter la production. De nombreux argu- ments plaident done en faveur d'une reforme fonciere (accompag- nee d'une reforme des baux ruraux et d'operations de remembre- ment) lorsqu'en !'absence d'une telle reforme, la capacite produc- tive des terres resterait sous-util isee. Les renseignements dont on dispose concernant !'incidence (ana- lysee au Chapitre 2) des changements apportes a la superficie des exploitations indiquent que la productivite fonciere -soit le ren- dement a l'hectare- est generalement plus elevee dans les petites que dans les grosses exploitations. Cette meilleure productivite s'explique essentiellement par !'utilisation d'une main-d'oeuvre abondante. Cependant, les avantages economiques dependent sou- vent de l'efficacite des techniques nouvelles utili.sees sur les peti- tes, par opposition aux grosses, exploitations; une simple redistri- bution des terres, si elle ne s'accompagne pas de reforme agraire et de la prestation de nouveaux services, risque de ne pas suffire pour augmenter sensiblement la production des agriculteurs. La reforme fonciere a certains effets secondaires qui peuvent ve- nir renforcer cette incidence sur la production. Les petits exploi- tants ont tendance a consommer une part plus importante de ce qu'ils produisent, done a commercialiser moins, par unite de pro- duction, que les gros exploitants; cette tendance risque d'imposer a un pays !'importation de produits alimentaires destines a subve- nir aux besoins des consommateurs urbains. Par contre, ii aurait sans doute fallu acheter le surcroit d'aliments consommes par les petits exploitants si certains membres de leur famille avaient emi- gre en ville. En outre, la consommation de denrees alimeniaires par les producteurs pauvres est peut-etre moins couteuse que celle, par des exploitants mieux nantis, de biens de consommation im- portes ou· dont la production exige un fort coefficient de capital. Enfin, l'epargne est peut-etre plus faible, par unite de revenu, chez les petits exploitants. Les donnees disponibles donnent toutefois a penser qu'ils epargnent proportionnellement plus que les citadins et que le volume global de cette epargne, encore qu'elle soit peut- etre directement investie dans !'exploitation, pourrait etre plus eleve que celle des gros exploitants. Dans une societe agraire, un programme s'inspirant du principe selon lequel "les produits de la terre doivent revenir a ceux qui la travaillent" est souvent raisonnable, mais dans une societe partiel- lement urbanisee, ceux qui ne la travaillent pas ont tout de meme besoin des produits de la terre et doivent pouvoir se les procurer. 9 II n'est pas rare que les partisans d'une reforme fonciere perdent de vue que la population non agricole a besoin de denrees alimen- taires, de fibres textiles (et aussi d'espace) . C'est pourquoi, s'agis- sant de la dimension des exploitations, ii conviendrait de definir une superficie tant minimale que maximale. Les petites exploita- tions devraient avoir une superficie telle que d'une part elles puis- sent produire le minimum requis pour assurer a coup sGr la subsis- tance de la famille exploitante, d'autre part elles degagent un ex- cedent commercialisable suffisant pour satisfaire les besoins des consommateurs urbains, notamment en ce qui concerne les pro- duits frais. Peu de programmes de reforme fonciere comportent des dispositions reglementant la superficie minimale; pourtant la preuve a ete faite dans de nombreuses regions que laisser les exploitations devenir trop exigues (eu egard aux meilleures techni- ques disponibles) risque d'etre tout aussi contraire a l'equite et nuisible a l'efficacite que les exploiter en faire-valoir indirect non controle. Experiences recentes de reforme fonciere L'analyse de !'experience passee debouche sur une premiere conclusion: !'importance primordiale de l'element politique dans la mise en oeuvre de changements reels . C'est sur la concentration de la maitrise du sol que de nombreux groupes des pays en deve- loppement fondent leur pouvoir. La terre est un symbole de l'auto- rite et une source de pouvoir politique, particulierement lorsque le proprietaire foncier controle l'acces des paysans a leur unique source de securite, la terre. Toute veritable reforme fonciere de- truira ou sapera fatalement les assises du pouvoir de beaucoup d'individus. 11 n'est done pas surprenant que la reforme fonciere soit souvent au coeur des debats politiques, ni que ces derniers portent sur une redistribution du pouvoir politique tout autant que du patrimoine. II est rare de voir realiser de vastes programmes de reforme fonciere sans modification des opinions et pouvoirs poli- tiques. Beaucoup de pays ont adopte des programmes de reforme fonciere, mais bien peu d'entre eux les ont reellement appliques - et encore ces programmes n'ont-ils ete executes qu'a la suite d'un changement de gouvernement, dans des conditions favorables a des mutations radicales, comme en Republique de Chine, au Ja- pon, au Kenya et au Mexique. Un deuxieme facteur revet une grande importance lorsqu'il s'agi_ t de faire passer la reforme dans les faits : ii faut creer des institu- tions chargees de mettre en oeuvre les reformes promulguees et de a veiller ce qu'elles soient poursuivies. A cette fin, les beneficiaires 10 de la reforme ont generalement ete regroupes au sein d'organisa- tions chargees de veiller a !'application des mesures prises. Ainsi, le Japon, la Republique de Chine et le Venezuela ont cree des ins- titutions chargees de s'assurer que les terres etaient effectivement transferees. Dans d'autres pays, la collusion d'interets existant en- tre proprietaires et fonctionnaires, combinee a !'absence de pres- sion organisee de la part des beneficiaires, a largement reduit la portee des efforts reels deployes en faveur de la reforme. Les resul- tats des reformes appliquees dans une grande partie de I'Asie et de I'Amerique latine laissent a penser que la mise en place, sous une forme ou une autre, d'une organisation rurale, surtout si la popula- tion locale y est representee, peut jouer un role vital dans le suc- ces de la reforme. L'experience acquise dans les divers pays debouche sur une troi- sieme conclusion: une reforme fonciere est rarement accomplie sans bouleversements considerables ni baisse accentuee de la pro- duction, encore que certaines indications laissent penser que ces coGts peuvent rester modestes et devenir nuls au bout d'un certain temps. La restructuration des exploitations foncieres s'accompagne souvent d'une dislocation des systemes de commercialisation et de distribution des facteurs de production ; ces systemes, en effet, sont presques toujours lies aux activites des exploitants plus impor- tants, de ceux done que l'on depossede. C'est pour ce motif, plut6t qu'en raison d'une carence propre aux petits, par opposition aux gros, exploitants, que la reforme fonciere s'est souvent revelee coO- teuse, en raison des pertes de production qu'elle entrainait. Pour reduire ces coGts au minimum, ii faut assurer la prestation de ser- vices conjointement a la mise en oeuvre aussi planifiee que possi- ble de la reforme. La quatrieme conclusion que l'on peut tirer de cette analyse est qu'il faut prendre uil certain recul pour mieux apprecier les effets de la reforme. Comme le montrent les experiences nationales resumees a I' Annexe 2, une reforme fonciere risque d'etre relative- ment peu efficace dans l'immediat; beaucoup de ses avantages socio-economiques (accroissement de la mobilite sociale, plus gran- de stabilite politique) ne se font jour qu'a plus long terme et con- tinuent ensuite a s'accumuler pendant de nombreuses annees. Les cas du Japon et du Mexique sont a ce propos particulierement si- gnificatifs . On ne considere pas comme integralement benefiques les effets directs et immediats de leurs programmes de reforme; par contre ii ne fait guere de doute que leurs consequences a long terme, sur la societe dans son ensemble, on ete tres largement fa- vorables et qu'elles ont contribue de fa~on importante au develop- pement economique de ces deux pays. 11 La Banque Mondiale et la reforme fonciere La Banque Mondiale s'est activement interessee a la reforme fonciere a diverses reprises. Son attention s'est alors generalement portee sur les nouvelles -OU les meilleures- possibilites de pro- duction qu'entrainerait une modification du regime foncier, et elle a insiste sur la necessite d'assurer au preneur des garanties suffi- santes. Plus recemment, l'ampleur et la gravite des problemes po- ses par la situation de l'emploi et les disparites de revenus au sein des pays en developpement ont suscite un regain d'interet en fa- veur des reformes foncieres, dans un souci d'equite et non plus seulement de productivite. L'experience acquise par la Banque, dans le cadre des projets qu'elle finance, est encore tres limitee en matiere de reforme fonciere, ce qui peut s'expliquer en partie par le faible nombre de pays ayant applique des reformes, surtout parmi ceux dont la si- tuation politique etait raisonnablement stable et permettait par ailleurs a la Banque d'intervenir. Mais le fait que les moyens finan- ciers qu'exige !'application d' une reforme fonciere sont generale- ment faibles, a aussi son importance. Meme lorsque les terres transferees sont rachetees aux anciens proprietaires, les sommes necessaires a ces transactions sont habituellement peu elevees, surtout si les paiements sont effectues sous forme d'obligations. En outre, ces paiements constituent en general des transferts internes (a moins qu'il n'y ait des etrangers parmi les proprietaires), et se pretent done mal a un financement exterieur. La presente etude ci- te dans le Chapitre 3 quelques exemples de participation de la Banque a des programmes de reforme fonciere, en Tunisie et au Malawi notamment. La presente etude conclut que, dans l'ens~mble, la reforme fon- ciere est compatible avec les objectifs de developpement que sont l'accroissement de la production, !'amelioration de la repartition des revenus et !'expansion de l'emploi, et que la Banque devrait apporter son soutien aux reformes compatibles avec ces objectifs . 11 est de fait, toutefois, que la Banque ne saurait imposer des changements structurels; elle ne peut que soutenir des mesures justifiees dans le cadre des structures en place. Bien que l'action directe de la Banque doive etre limitee, ses preferences quant aux politiques que pourraient adopter les Etats et a celles qu'elle consi- dere comme compatibles avec les objectifs de developpement poursuivis par la Banque sont exposees dans la section ci-dessous intitulee " Recommandations relatives aux politiques des Etats". Les " recommandations relatives a la politique de la Banque" presen- tees dans la section suivante s'inspirent des memes conclusions. 12 Recommandations relatives aux politiques des Etats 1. Les Etats qui acceptent de s'engager fermement dans la voie d'une reforme fonciere devraient envisager trois types d'interven- tions: i) redistribution de la propriete fonciere en vue d'attenuer les disparites actuelles, ii) reforme du regime des baux, et iii) re- membrement des exploitations lorsque les conditions le justifient. 2. S'engager a appliquer une reforme fonciere implique la crea- tion ou le developpement simultanes d'un systeme de fourniture de focteurs de production, en vue de repondre aux besoins specifi- ques des beneficiaires de cette reforme. A cette fin, ii peut etre necessaire de mettre en place de nouvelles institutions, ou de creer des services ad hoc au sein des institutions existantes, ou en- core de leur fournir les moyens financiers requis pour mettre a la disposition des agriculteurs des credits, des focteurs de production et des services techniques, notamment des services de recherche et de vulgarisation. 3. Dans les regions, ou les pays, ou la densite de la population est foible, des operations de colonat specialement structurees peu- vent remplacer la redistribution des terres deja exploitees, ou venir s'ajouter a celle-ci. 4. Dans les regions surpeuplees ou l'espoir demeure lointain de voir le secteur non agricole ou les grandes exploitations absorber la main-d'oeuvre sous-employee, ii conviendrait de reconnaitre le role que pourraient jouer a cet egard les petites exploitations. Puis- que les techniques, en matiere de semences, d'eau et d'engrais, sont desormais applicables quelle que soit l'echelle de !'exploita- tion, une telle structure peut assurer un rendement a !'hectare egal a celui des grandes exploitations. 5. Lorsque la reforme repond a un souci d'equite, ii conviendrait de veiller a ce que: i) la superficie maximale reelle des exploita- tions reste foible; ii) les beneficiaires appartiennent au groupe le plus pauvre; iii) les services de vulgarisation et le systeme de dis- tribution des focteurs (non fanciers) de production fovorisent les beneficiaires; et iv) la redistribution porte sur les terres exploitees tant en foire-valoir direct qu'en foire-valoir indirect. 6. S'ils sont rentables, ii n'est pas indispensable de demembrer les grandes plantations ni les ranches importants en exploitation; ii conviendrait toutefois d'admettre que les objectifs de la reforme ne seront atteints que si ces entreprises sont assujetties a un bare- me fiscal progressif et que si les travailleurs sont interesses de fo- c;on satisfoisante aux benefices. 7. II conviendrait d'organiser des recherches en vue de defiriir une politique de colonat peut couteuse. Les Etats qui lancent des H programmes de colonisation conjointement a une reforme foncie- re, devraient s'efforcer d'en obtenir a peu pres les memes effets que la redistribution des exploitations existantes, ce qui est possi- ble aux conditions suivantes: i) les colons sont choisis parmi les exploitants pauvres ou les ouvriers agricoles sans terre et disposent d'un systeme de fourniture de facteurs de production; ii) la repar- tition des nouvelles exploitations est equitable; et iii) le faire-valoir indirect n'est pas encourage et n'est autorise que dans le cadre de contrats-types determines. 8. Quand la penurie de terres est aigue au point d'imposer la fixation d'un plafond tres faible, et qu'il est impossible d'affecter des lots d'une taille minimale a la fois aux petits exploitants et aux travailleurs sans terre, les premiers devraient avoir la preference et ii conviendrait alors d'organiser en faveur des derniers un program- me de travaux ruraux. 9. L'experience acquise en Asie de l'Est et dans certains pays d'Amerique latine montre clairement que rassembler les beneficiai- res au sein d'organisations, avant et apres la promulgation de la reforme, constitue une condition indispensable au succes de la re- forme. 10. A ceux qui re<;:oivent des terres alors qu'ils n'en avaient jamais possedees, et se consacrent pour la premiere fois de leur vie a des activites agricoles independantes, ii faudra probablement fournir tous les credits a court et a long termes dont ils auront be- soin ainsi, eventuellement, que des credits a la consommation pendant les trois ou quatre premieres campagnes. II y aura peut- etre egalement lieu de creer a leur intention des installations de formation speciales et d'organiser des recherches et des demons- trations pratiques. 11. II ne sera pas toujours possible d'eliminer le faire-valoir indi- rect dans de nombreux pays (ou regions) ou la demande de terres, de la part des ouvriers agricoles et des petits exploitants, est tres superieure a l'offre. Dans ces conditions, ii pourrait etre plus effi- cace de reglementer les modalites de faire-valoir indirect. En gene- ral, l'affermage de la terre moyennant une redevance fixe, parce qu'il incite a optimiser l'emploi des facteurs de production, est preferable au metayage. Quand ii n'est pas possible de supprimer le metayage, • le partage de la recolte representant pour les meta- yers une assurance contre les risques, le mode de faire-valoir peut devenir plus efficace et plus equitable s'il prevoit egalement un partage des couts. Un systeme d'avantages et de contraintes con- nexes devrait etre mis en place en vue de promouvoir de tels baux de metayage. Ces avantages pourraient notamment comprendre !'acquisition progressive de droits sur la terre et la fourniture de 14 credits et de facteurs de production, dont l'octroi serait subordon- ne a l'adoption de certains types de baux. 12. Quand le rapport entre les terres et la main-d'oeuvre dispo- nible devient favorable, ii conviendrait de donner aux preneurs la possibilite de devenir proprietaires des terres qu'ils cultivent, de preference moyennant paiement d'une indemnite tres faible, car en regle generale le faire-valoir direct se revele plus efficace et phi.: equitable que les modes de faire-valoir indirect. Recommandations relatives a la politique de la Banque 1. Dans les operations de la Banque au titre de l'agriculture, priorite sera donnee aux pays membres qui ont adopte de vastes plans agricoles en vue de creer des emplois en nombre suffisant, en s'effon;ant tout particulierement de repondre aux besoins des groupes les plus pauvres. La Banque soutiendra les politiques de reforme fonciere conc;ues a ces fins. 2. La Banque fera savoir qu'elle est disposee a financer les pro- jets et programmes speciaux que peut exiger !'application de refor- mes foncieres, a condition que ces reformes.et les programmes s'y rapportant soient compatibles avec les objectifs mentionnes ci-des- sus . Ces programmes pourraient comprendre des projets de credit, des services techniques et d'infrastructure adaptes aux besoins spe- cifiques des beneficiaires de la reforme. 3. La Banque collaborera avec !'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et !'agriculture (FAO), le Programme des Na- tions Unies pour le developpement (PNUD) et d'autres organisa- tions pour soutenir et aider les Etats membres qui demandent leur aide en vue de mettre au point des programmes de reforme foncie-- re conformes aux objectifs de la Banque. A cette fin, elle apporte- ra notamment des concours techniques et financiers a !'execution de releves cadastraux, a l'enregistrement des titres de propriete et a la fourniture d'autres services de meme nature . 4. La Banque continuera a etudier, dans le cadre de ses projets agricoles et de developpement rural, comment assurer une repar- tition d'avantages compatible avec les objectifs enonces au para- graphe 1) ·ci-dessus. A ce titre, elle etudiera les modes de faire-va- loir indirect les mieux appropries et preparera des projets visant a repondre aux besoins des petits exploitants et colons. 5. Dans le cadre de ses etudes sur les economies nationales et de ses analyses sectorielles, la Banque examinera tout particuliere- ment s'il est necessaire et possible d'appliquer une reforme, comp- te tenu des regimes fonciers en vigueur et de leurs effets econo- miques . 15 6. La Banque encouragera et appuiera les recherches relatives a l'economie de la reforme fonciere sous tous ses aspects, y compris ses incidences sociales. Elle continuera d'apporter son concours aux programmes de recherche economique et technique visant a repondre aux besoins specifiques du type de petits exploitants qui fera sans doute son apparition a la suite de la reforme fonciere. 7. La Banque etudiera les coOts et avantages des projets de co- lonisation agricole, en s'effon;:ant notamment de definir des me- thodes permettant de reduire le coOt par famille. 8. Lorsque les droits fanciers sont tels que la majeure partie des avantages d'un projet reviendra aux groupes titulaires de revenus eleves, la Banque n'apportera son soutien que s'il importe avant tout pour le pays concerne d'accroTtre sa production et d'ameliorer sa balance des paiements. Dans ce cas, la Banque s'assurera que les modalites fiscales sont telles que l'Etat rec;:oive une part raison- nable des avantages. 9. Dans les cas ou ii est impossible d'accroTtre effectivement la productivite sans reforme fonciere prealable, la Banque n'accorde- ra pas son soutien aux projets qui ne prevoiraient pas cette re- forme. 10. En cas de location des terres, la Banque encouragera !'adop- tion de modalites de fermage et de metayage equitables et favora- bles a un usage optimal des ressources. 11. Lorsque les terres sont detenues par la collectivite sans que leur mode de devolution soit reglemente, la Banque encouragera leur division, s'il est possible de pratiquer une agriculture sedentai- re ou bien !'adoption de modalites d'accession aux ressources fon- cieres et de jouissance des terres permettant d'assurer la producti- vite a long terme de ces sols et le bien-etre de la population. 12. La Banque accordera une attention speciale aux effets de !'interaction des techniques nouvelles et des structures institution- nelles en place, telle qu'elle se reflete dans le regime foncier, afin d'eviter !'adoption de changements qui accentueraient la reparti- tion inegale des revenus et susciteraient des difficultes econo- miques. 16 Chapitre 1: CARACTERISTIQUES DE REFORMES FONCIERES L'homme et la terre L'interaction d'un ensemble de forces - climatiques, economi- ques, culturelles, religieuses et politiques - fa~onne les relations de l'homme avec la terre ainsi que le regime de la propriete et de !'utilisation des ressources foncieres. En Afrique orientale, par exemple, les conditions physiques des zones temperees sont propi- ces a une agriculture sedentaire alors que les regions plus tropica- les et arides conviennent mieux aux cultures itinerantes ou a l'ele- vage. De ce fait, differents systemes de gestion fonciere et diverses structures agraires coexistent dans des zones voisines. De meme, les lois et coutumes regissant les successions ont une incidence sur la repartition des terres. Dans les societes ou le premier-ne herite de la terre sans partage, le tissu des exploitations est moins lache que dans celles ou ii est de coutume de proceder a un partage egal entre tous les heritiers. En outre, beaucoup de facteurs socio- economiques ont une incidence sur les coutumes relatives a l'usu- fruit, les traditions de metayage et les autres modalites concernant !'utilisation de la terre dans diverses situations. Les ideologies politiques des gouvernements au pouvoir ont ega- lement une influence sur les relations qui s'etablissent entre les individus et la terre. Le droit pour un individu de posseder, de vendre et d'accumuler des biens a titre prive -y compris la terre - constitue l'un des piliers des economies de marche. Certes, ce droit peut se voir apposer des limites pour cause d'interet public, mais les particuliers sont habituellement libres d'exploiter et d'accu- muler des terres et d'en disposer dans un but lucratif. D'autres ideologies nient aux particuliers la faculte d'acquerir et d'accumu- ler des terres; l'Etat ou des institutions semi-publiques ont seuls le droit de posseder des terres et c'est l'Etat, selon ses propres crite- res, qui organise et controle les ressources foncieres. Dans la mesure ou c'est l'Etat qui detient la maitrise fonciere, la procedure d'affectation peut servir diverses fins ideologiques. Certains gou- vernements ont utilise cette prerogative pour mettre en oeuvre des politiques visant a separer geographiquement divers groupes ra- ciaux. La Republique populaire de Chine, quant a elle, a modifie plusieurs fois au cours des 25 dernieres annees les droits sur later- re et !'organisation de son exploitation dans le cadre d'un effort tendant a eliminer les inegalites en milieu rural. Le niveau de developpement economique d'un pays exerce une forte influence sur sa position a l'egard des droits fonciers. Plus un 17 pays est industrialise, moins la population vivant de !'agriculture est nombreuse et moins le role de la terre est vital dans l'econo- mie. Dans les pays ou la population est tres mobile et dispose de multiples possibilites d'emploi, la terre ne constitue qu'un facteur de production parmi d'autres, dans une agriculture commerciale hautement developpee. Dans les pays moins developpes par con- tre, ou la population rurale est importante, ou le choix entre acti- vites est restreint et ou la pression exercee sur les terres ne cesse de s'accroitre, la possibilite pour un individu de disposer de terres peut lui garantir au moins un revenu de subsistance. Dans ces pays, :a terre represente pour les producteurs beaucoup plus qu'un facteur de production et peut •fort bien etre leur seule chance d'echapper a la misere et d'assurer leur subsistance. Le regime de la propriete fonciere est l'un des fondements essentiels de l'organisation sociale et des structures institutionnel- les des zones rurales. La hierarchie sociale de la plupart des socie- tes agraires reflete les facultes d'accession a la terre dont disposent les differents groupes; au sein de ces groupes, le prestige indivi- duel depend de l'etendue et de la qualite des terres que l'on possede. Les structures institutionnelles qui concretisent les divers moyens de controle ainsi que les rapports entre categories d'usa- gers de la terre determinent egalement la possibilite pour les divers groupes d'avoir acces aux institutions exterieures et aux services. Contexte de la reforme fonciere Les facteurs, nombreux et complexes, qui influencent les regi- mes fonciers et l'utilisation des terres dans les diverses regions du monde peuvent etre ainsi resumes: i) systeme et situation politi- ques; ii) structure economique; iii) systeme social; iv) systeme juri- dique; v) situation demographique; vi) systeme agricole; et vii) do- r tation en ressources naturelles. Compte tenu de ces elements inter- dependants, ii est possible de distinguer six categories de regimes fonciers dont les principales caracteristiques sont decrites ci-des- sous: 1. Type feodal asiatique Propriete tres concentree Grande inegalite sociale Grande inegalite economique Faible productivite des ressources foncieres Faible productivite de la main-d'oeuvre Niveau technique rudimentaire Principal mode de faire-valoir: metayage Coefficient de travail eleve 18 Coefficient de capital faible Production essentiellement orientee vers la subsistance Tres grande rarete de la terre Structure institutionnelle centralisee. 2. Type feodal latino-americain Propriete tres concentree Grande inegalite sociale. Grande inegalite economique Faible productivite des ressources foncieres Faible productivite de la main-d'oeuvre Niveau technique rudimentaire Main-d'oeuvre constituee d'exploitants sans titre, de petits exploi- tants du voisinage et de saisonniers Capital et travail utilises d'une maniere extensive Exploitation par le proprietaire ou par un regisseur, avec l'aide de main-d'oeuvre salariee, de serfs ou de metayers Production aux fins de subsistance et d'exportation Structure institutionnelle tres centralisee. 3. Type communautaire traditionnel Faible concentration de la propriete - la collectivite est titulaire de droits souverains Exploitation decentralisee - les membres de la collectivite jouis- sent des droits d'usufruit Egalite socio-economique moyenne OU elevee Faible productivite de la main-d'oeuvre Faible productivite des ressources foncieres Niveau technique rudimentaire Coefficient de travail moyen Faible coefficient de capital Production aux fins de subsistance Structure des services de soutien peu developpee. \ 4. Type d'economie de marche Moyenne concentration de la propriete Exploitation decentralisee lnegalite socio-economique moyenne Forte productivite de la main-d'oeuvre Niveau technique eleve Coefficient de capital eleve Utilisation extensive de la main-d'oeuvre Production destinee a la commercialisation Institutions et services ramifies 5. Type socialiste L'Etat, ou la collectivite, est titulaire du droit de propriete Exploitation centralisee OU decentralisee 19 Egalite socio-economique faible, moyenne ou elevee Productivite des ressources foncieres faible, moyenne ou elevee Productivite de la main-d'oeuvre faible, moyenne ou elevee Niveau technique moyen Production aux fins de commercialisation ou de subsistance Centralisation des systemes de soutien 6. Type plantation-ranch Forte concentration de la propriete, aux mains de l'Etat ou d'etran- gers Grande inegalite sociale Grande disparite des revenus Forte productivite des ressources foncieres Faible ou moyenne productivite de la main-d'oeuvre Niveau technique moyen OU eleve Exploitation par des regisseurs a l'aide de main-d'oeuvre salariee Production axee sur l'exploitation. Dans le contexte traditionnel, les deux extremes sont d'une part le systeme de type feodal liant le proprietaire au locataire, carac- teristique de certains pays d'Asie et d'Amerique latine, d'autre part la propriete collective des droits fonciers qui est de regle dans cer- tains groupes tribaux d'Afrique. Dans le premier systeme, c'est une elite minoritaire qui detient les droits de la propriete et la majeure partie de la population accede a la terre par l'intermediaire de di- verses modalites de location . La propriete fonciere est en general tres concentree, plus que les exploitations elles-memes. Cepen- dant, ces dernieres (seule categorie sur laquelle la Banque dispose de donnees) incluant aussi des metairies, la distribution des reve- nus est egalement tres asymetrique (cf. les Tableaux 1 :6 et 1 :8 de l'Annexe 1). Dans le systeme communautaire, a l'inverse, la terre appartient a la collectivite et l'acces est relativement libre. Alors que dans le systeme a caractere feodal, la distribution de la pro- / priete fonciere et la repartition des benefices sont tres dissymetri- ques et les differences entre classes sociales prononcees, dans le systeme communautaire, l'acces a la terre est relativement ouvert a tous et les differences entre classes sociales sont moins accusees. Les deux systemes sont relativement stables lorsque les condi- tions sont favorables; par contre, ils peuvent entrainer des difficul- tes lorsqu'a la suite de la croissance demographique, le rapport des superficies a la population decroit, a moins que n'interviennent des changements techniques compensatoires. Dans le systeme pro- prietaire-locataire, la pression exercee sur les terres se manifeste par !'augmentation de la foule de paysans sans terre et par des dis- parites croissantes de revenus (cf. le Tableau 1:11 de !'Annexe 1). Dans le systeme communautaire, ces tensions se traduisent par la 20 reduction des temps de jachere, la degradation de la fertilite du sol, le surpaturage, !'aggravation de l'erosion, qui s'accompagnent d'une extension de la pauvrete et d'une plus grande vulnerabilite aux variations saisonnieres. Les deux systemes different par leur aptitude a s'adapter a !'evo- lution des conditions exterieures et notamment des techniques. L'elite des proprietaires, de par sa situation privilegiee et son pou- voir, a la possibilite - dont elle profite d'ailleurs souvent - de s'instruire et d'innover, que ce soit en experimentant ou en adop- tant les idees de l'exterieur (ce faisant, toutefois, le souci principal des proprietaires peut fort bien etre de promouvoir leur propres interets - richesse et pouvoir - lorsqu'en mecanisant leur exploi- tation ils reduisent le nombre des locataires) . Un tel mecanisme institutionnel fait en general defaut au systeme communautaire, qui tend done a perpetuer ses techniques et dans une certaine me- sure a se refermer sur lui- meme; ii est rare toutefois que ces col- lectivites puissent rester totalement a l'abri des influences exte- rieures . Dans le contexte moderne, les deux regimes extremes sont d'une part la propriete individuelle de la terre, element fondamental de l'economie de marche et cas general a la plupart des pays occi- dentaux, de l'autre la propriete publique ou collective qui caracte- rise les pays socialistes . Au titre de !'appropriation individuelle, la terre est detenue par des particuliers et peut etre vendue ou ache- tee a l'instar de n'importe quel autre bien, encore que ces transac- tions soient habituellement soumises a certaines restrictions. Ces terres torment generalement des exploitations familiales employant peu de main-d'oeuvre salariee. Cette categorie se subdivise toute- fois aux nombreux sous-groupes selon la superficie, depuis les peti- tes exploitations axees sur la production de subsistance que con- naissent beaucoup de pays en developpement jusqu'aux grandes surfaces d' Amerique du Nord et d' Australie. Ces diverses formes d'exploitation ont certes un statut juridique et institutionn~I simi- laire, mais elles different considerablement quant a leurs techni- ques, quant aux facteurs de production utilises et a !'orientation - plus ou moins commerciale - d.e leur production. Dans le systeme socialiste, par contre, le droit des particuliers a acquerir ou a accumuler des terres n'existe pas ou est tres limite; en effet, ce droit est reserve a l'Etat qui decide du regime de jouis- sance de la terre en fonction de ses objectifs. Cependant, ii existe encore des variations au sein de nombreux systemes socialistes qu~ autorisent parfois la presence de petites exploitations privees con- jointement aux grandes unites collectives. II existe en outre un ty- pe propre au contexte moderne - les plantations et vastes ran- 21 ches - que l'on retrouve d'ailleurs aussi bien dans les pays en de- veloppement que dans certains pays industrialises et qui forme, a certains egards, une categorie speciale a l'interieur du type de l'economie de marche; mais la tendance de ces exploitations a se doter du regime juridique des societes et l'emploi de main-d'oeu- vre salariee les differencient des exploitations familiales privees. Certes, la propriete privee a generalement ete compatible avec le progres technique et !'adaptation economique de !'agriculture, mais cette forme de propriete a souvent entraine des injustices, certains paysans etant forces d'abandonner leurs activites rurales ou confines dans des enclaves rurales ou la terre etait rare. C'est generalement lorsque la mise en exploitation de nouvelles terres ou la creation pour les ruraux d'emplois non agricoles permettaient de compenser la pression demographique que !'appropriation indi- viduelle a dpnne les meilleurs resultats. • Par contre, cette forme d'appropriation s'est revelee tres peu satisfaisante lorsque la struc- ture de la propriete a ete desequilibree par la formation de gran- des exploitations, alors que les ruraux n'avaient guere de possibili- tes de quitter !'agriculture, et par !'apparition d'un dualisme econo- mique. L'appropriation publique ou collective n'a pas entraine autant d'injustices entre les individus mais s'est traduite dans la plupart des cas, par de plus graves inefficacites economiques . La reforme fonciere se ramene a une question de justice aussi bien dans le cadre des relations traditionnelles entre proprietaire et locataire que dans le contexte moderne lorsque la propriete n'est pas uniformement repartie. Dans ces deux cas, elle pose souvent un probleme hautement politique, particulierement lorsqu'elle vise des systemes de type feodal traditionnel et communautaire. C'est souvent le regime foncier en vigueur qui constitue l'obstacle ma- jeur au developpement. Par exemple, un morcellement tres pro- nonce peut rendre pratiquement impossible !'irrigation par canaux et tres difficile la mecanisation, fGt-elle elementaire. En d'autres cas, les modalites de metayage sont telles que ni le proprietaire ni le metayer ne sont en mesure d'introduire des techniques nouvel- les; le premier, en effet, ne peut s'approprier une part interessante du profit de son investissement; quant au second, ii ne peut reunir les capitaux necessaires ou n'est pas assure de pouvoir exploiter les terres assez longtemps pour toucher les benefices de son investis- sement. De surcroit, dans certaines situations, le climat social est si inequitable et oppressif que les individus na sont nullement encourag·es a ameliorer la productivite OU a resoudre quelque pro- bleme que ce soit dans le cadre des structures existantes. La refor- me fonciere peut alors fort bien constituer un prealable a tout developpement. Quoi qu' il en soit, qu'elle s' inspire d'un souci 22 d'equite ou qu'elle vise A ('amelioration de la production, ii est clair que la reforme fonciere impliquera des changements de natu- re differente selon la situation. Dimensions de la reforme fonciere La reforme fonciere porte done sur l'emploi des ressources ron- cieres du point de vue de la productivite et de la justice, deux as- pects d'ailleurs indissociables. II n'est pas rare que la reforme soit une fin en soi, mais, dans un contexte de developpement economi- que, elle est le plus souvent envisagee comme faisant partie inte- grante d'une reforme agraire ou de programmes de developpement rural. La reforme fonciere differe des reformes politiques, adminis- tratives, fiscales ou monetaires du fait qu'elle n'interesse general~ ment qu'un seul secteur. De surcroit, elle entraine des modifrca- tions dans la maitrise d'un bien materiel dont l'offre est fixe et qui est en outre essentiel A la subsistance de la majorite des habitants des pays en developpement. La reforme fonciere peut impliquer des changements de portee differente et comprendre tout ou partie des interventions suivan- tes: 1. Redistribution des terres publiques ou privees, de fa~on A modifier la structure de la repartition des terres et la taille des ex- ploitations. Cette intervention se traduit habituellement par un accroissement du nombre des petites ou des moyennes exploita- tions et une diminution des grandes exploitations. La nationalisa- tion des sols et leur regroupement en exploitations d'Etat, pouvant toutes etre tres etendues, peut constituer une autre solution. 2. Remembrement des exploitations individuelles, c'est-A-dire reorganisation materielle de la maitrise fonciere. Les exploitations morcelees peuvent etre regroupees pour former un seul tenant. Cette operation peut s'effectuer avec ou sans modification de la distribution de la propriete fonciere, qu'il s'agisse de la taille ou de la valeur de ce qui appartient A chaque particulier. 3. Modification des droits de propriete et de location, avec ou sans redistribution materielle des terres . Les terres redistribuees peuvent etre attribuees A de nouveaux proprietaires ou A ceux qui les exploitaient. Ou encore, sans qu'il soit besoin de redistribuer (es terres, on peut simplement rendre les locataires ou les ouvriers agricoles proprietaires des terres qu'ils travi3illaient. En general, ('adoption de cette derniere solution aboutit au transfert d'une part des revenus des anciens proprietaires aux nouveaux. Ces derniers peuvent exploiter a titre individuel ou par l'intermediaire de coo- peratives. 23 4. Changement des conditions de location sans modifier la pro- priete ni redistribuer les terres . Sans changer la propriete, ii est en effet possible d'adopter des dispositions juridiques visant a prote- ger les droits de ceux qui travaillent la terre. A ce titre, on peut notamment garantir la stabilite des baux, introduire des modalites de metayage equitables, prevoir une gestion fonciere cooperative. Ces modifications impliqueraient egalement la conversion des droits coutumiers d'acces a terre en droits juridiques. Mutations structurelles En regle generate, la reforme fonciere est envisagee comme un moyen de declencher au sein du secteur agricole des mutations structurelles ayant pour effet de modifier la si.Jperficie des exploi- tations et la distribution des revenus. Par definition, !'execution de projets pil.otes ne saurait etre assimilee a une reforme fonciere, puisqu'il s'agit d'operations intervenant au sein du cadre structure! preexistant, meme si elles ont leur utilite pour juger de la valeur economique de divers "modeles", identifier les problemes que pourrait poser leur gestion ou les mesures susceptibles de faire partie d'une reforme ulterieure. La colonisation de nouvelles terres ne constitue pas non plus une reforme fonciere, bien que cette operation puisse permettre de mettre en valeur des terres jusqu'- alors inutilisees. En soi, le colonat peut avoir ou non une inciden- ce sur la structure des exploitations: tout depend de la fac;on dont sont choisis les colons et de la superficie des nouvelles exploita- tions. La nature de la mutation depend du type de regime foncier en vigueur et de celui qui est propose a la place. Comme l'indi- quent les experiences nationales, resumees a I'Annexe 2, la plupart des modifications impliquent un passage des types traditionnels aux types modernes. Ainsi, la Republique de Chine, la Republique de Coree et le Japon sont passees du type "feodal asiatique"; au type "moderne, fonde sur la petite exploitation orientee vers le marche"; l'lnde et l'lran sont passes du type "feodal asiatique" au type "moderne d'economie de marche", tout en maintenant quel- ques exploitations traditionnelles et en creant quelques variantes du type "plantation-ranch" dans certaines regions. Le Kenya et le Maroc ont redistribue les grandes exploitations etrangeres du type "economie de marche", legs de leur passe colonial, et les ont transformees en petites exploitations du type "economie de mar- che" ou en domaines du type "plantation-ranch". Le Mexique et le Perou sont passes d'un type "feodal latino-americain", le premier a un type "moderne d'economie de marche, combinant de grandes et de petites exploitations", le second a une structure mixte alliant 24 le type "moderne d'economie de marche" au type "socialiste". Dans tous les cas. les organisations et services connexes ont ete modifies conjointement aux changements apportes au systeme fancier. Mesures fiscales On affirme souvent que la perception d'impots fanciers et d'impots sur le revenu de la terre donnent les memes resultats qu'une reforme fonciere. Un veritable impot fancier peut avoir une incidence sur l'emploi de la terre, mais ii est habituellement desti- ne a intensifier la production car l'impot rend couteux soit de ne pas exploiter une terre productive soit de la sous-utiliser. Par con- tre, de tels impots peuvent egalement decourager les investisse- ments, qui permettraient d'accroitre la productivite ou de mettre en exploitation de nouvelles terres. En tout etat de cause, le re- cours a des mesures fiscales, tel l'impot fancier, n'entrainera pas ·de mutations structurelles dans l'agriculture - du moins pas a breve echeance. C'est plus vraisemblablement l'instauration d'un impot progressif sur les successrons, qui annoncera cette evolution en obligeant les legataires a ceder des terres pour honorer leurs obligations financieres. Toutefois, cette mesure fiscale ne saurait entrainer de mutations qu'a long terme. Si les impots fanciers et les taxes successorales sont souvent juges comme importants dans les politiques fiscales visant a redistribuer les revenus, ils ne peu- vent entrainer une reforme structurelle aussi profonde que le pour- rait une reforme fonciere et ont generalement ete inoperants. Lors- que les mesures fiscales - qu'elles visent a redistribuer les terres ou a assurer la rentabilite des investissements de l'Etat - ne don- net pas les resultats escomptes, la reforme fonciere risque d'etre la seule autre solution permettant la poursuite du developpement economique. Reforme agraire La notion de reforme agraire est beaucoup plus large que celle de reforme fonciere, car la reforme agraire implique la modifica- tion de nombreux facteurs touchant au secteur agricole. Elle peut utiliser des moyens d'interventions tres divers: changer la politique des prix en vue de rendre les termes de l'echange favorables a !'agriculture, accroitre les allocations de fonds au secteur agricole en vue de developper la recherche, la vulgarisation, les activites de formation et les installations de stockage, rendre disponibles les facteurs de production materiels, tels les engrais et les credits necessaires a leur achat, ou encore ameliorer !'infrastructure afin 25 de faciliter la production agricole. La reforme agraire n'inclut pas forcement une reforme fonciere; cette derniere ne s'imposant pas lorsque la terre est deja uniformement repartie. Dans d'autres cas, la reforme fonciere n'est pas souhaitable pour des raisons politi- ques, alors qu'il est possible, tant au plan politique qu'economique d'accroitre la production en appliquant des mesures de reforme agraire. Le point a retenir est que la reforme fonciere peut etre une condition necessaire a la reforme agraire mais qu'elle est rare- ment une condition suffisante pour accroitre _la production agrico- le, la terre n'etant qu'un facteur de production parmi d'autres. Developpement rural La portee de la notion de developpement rural est. encore plus large: en effet, ii interesse taus les aspects du secteur rural (agrico- le et non agricole) et porte davantage sur le bien-etre de la popu- lation rurale que sur la production ou la productivite agricoles envisagees comme fins en soi. Eu egard a !'importance de la refor- me fonciere du point de vue de l'equite, ii se peut fort bien qu'il faille, pour assurer le succes d'un programme de developppement rural, lancer conjointement une operation de reforme fonciere; tout depend du regime fancier en vigueur. La reforme fonciere ris- que d'etre indispensable lorsque la propriete fonciere influe direc- tement sur la nature des institutions locales et la representation au sein de ces institutions de la majorite de la population rurale. Toutefois, s'agissant des modalites d'execution, ii se peut qu'en certains cas, la creation d'institutions locales et !'organisation de services au benefice des petits exploitants soit une condition prea- lable a la reforme fonciere, plutot que l'inverse. Quand les services et l'appareil administratifs ont ete con~us en fonction des grandes exploitations, ii est a craindre qu'une reforme fonciere, qui ne se- rait pas accompagnee d'actions de developpement rural, n'en- traine des difficultes et des pertes economiques qui depasseraient ce que la redistribution des terres aurait fait gagner en equite. Par ailleurs, la reforme des baux ruraux, dans la mesure ou elle stabili- se les rapports existant entre proprietaires f'onciers et locataires, peut constituer un prealable utile aux programmes de developpe- ment rural. Aspects politiques On ne saurait reformer profondement la structure des exploi_ ta- tions ni la distribution des revenus fanciers sans ·action de portee politique. Par exemple, en presence de conditions semi-feodales, la 26 tradition a modele la structure des droits fanciers et les modes de faire-valoir, et le jeu du marche ne pourra les transformer puisqu'il n'y a pratiquement aucun marche organise de la terre. Ailleurs, de grands proprietaires fanciers ant accumule du capital et agrandi leurs exploitations en achetant de nouvelles terres sur le marche; dans la plupart des economies orientees vers le marche, ou la dis- tribution des terres n'est pas equilibree, cette asymetrie a tendance a empirer. Quelle que soit la situation, ii est rare qu'elle puisse etre modifiee sans mesures relevant d'autres domaines que celui du marche. Ces interventions se fondant sur des politiques visant expressement a modifier la distribution de la terre et les modes de faire-valoir, la mise en oeuvre de ces politiques depend done de la volonte des autorites politiques et de !'aptitude de !'administration a executer cette volonte. Dans beaucoup de societes non industrialisees, c'est a la con- centration du controle fancier que certains groupes doivent leur pouvoir. Lorsque leur puissance derive de leurs biens fanciers, un programme veritable de reforme fonciere detruira ou limitera ine- vitablement l'assise de ce pouvoir. La reforme finciere peut done modifier l'equilibre politique et la structure du pouvoir d'un pays. C'est !'application de reformes qui a depouille de leur pouvoir cer- tains grands proprietaires fanciers, qu'ils fussent militaires, eccle- siastiques ou simples particuliers. II n'est done pas surprenant que la reforme fonciere soit souvent au coeur des debats politiques, ni que ces debats portent sur la redistribution du pouvoir politique tout autant que du patrimoine. II faut done tenir compte des im- plications politiques de la reforme fonciere; a mains que d'impor- tantes modifications n'interviennent dans le climat politique et le pouvoir, ii est rare que l'on puisse mettre en oeuvre d'ambitieux programmes de reforme fonciere. Bien des pays en ant promulgue, mais assez peut on reussi a les appliquer, encore fGt-ce toujours a la suite d'un changement de gouvernement. C'est souvent !'organisation efficace de beneficiaires qui a per- mis !'execution de reformes majeures. La Republique de Chine, le Japan et le Venezuela - pour ne nommer que trois pays - ant cree des organisations chargees de veiller a ce que les transferts fussent reellement effectlies. D'autres pays, tels que l'lnde et le Pa~ kistan, ant confie !'application de la reforme a leurs services admi- nistratifs et en raison de la collusion d'interets existant entre les fonctionnaires et les proprietaires fanciers, et de !'absence de pres- sion organisee de la part des beneficiaires, •la vaste legislation qu'ils avaient adoptee n'a pas entra,ne de veritable reforme. L'ex- perience acquise dans de nombreux pays d'Asie et d'Amerique lati- ne donne a penser que la participation effective de la population 27 rurale peut constituer une condition determinante du succes d'une reforme fonciere . Incidence sur la justice sociale Le desequilibre entre la distribution de la maitrise fonciere .et le nombre de ceux qui vivent de la terre a de tout temps suscite des pressions croissantes en faveur de changements. Si !'importance accordee a la reforme fonciere est liee au developpement econo- mique, de nombreux groupes, dont l'Eglise catholique, reconnais- sent maintenant que la terre a avant tout une fonction sociale, qui justifie !'imposition de 'limites aux droits indiv.iduels. En Europe comme en Amerique latine, l'Eglise catholique, qui fut l'un des plus importants proprietaires du monde, appuie de plus en plus cette idee de toute son influence, en parole ·et en pratique. Selon la nouvelle conception qu'a l'Eglise des relations entre l'homme et la terre, ."la propriete privee ne constitue pour personne un droit inconditionnel et absolu". Applique au probleme agraire mondial, ce principe signifie que: "le bien commun exige parfois !'expro- priation si, du fait de leur etendue, de leur exploitation faible ou nulle, de la misere qui en resulte pour les populations, du domma- ge considerable porte aux interets du pays, certains domaines font obstacle a la prosperite collective". Un autre aspect de la reforme fonciere merite de retenir !'atten- tion a cet egard: a savoir que la reforme peut etre a l'origine d'une nouvelle structure sociale. Certains des pays qui ont applique des reformes, comme le Mexique, plus recemment l'Egypte et la Boli- vie, connaissaient des societes semi-feodales, semblables a celles qui existent encore dans d'autres regions du monde. Locataires et ouvriers agricoles etaient attaches a la terre et tenus en divers etats d'asservissement imputables a la coutume, a la tradition, ou tout simplement a l'endettement envers les proprietaires fonciers. Cette situation a ete modifiee par les reformes accomplies dans ces pays . Au Mexique, la reforme a brise un systeme qui refusait a beaucoup d'individus le moindre choix dans leurs moyens d'exis- tence. Si l'on juge des effets a long terme de la reforme d'apres !'experience du Mexique - qui est la plus ancienne - on peut di- re que les reformes ant accru la mobilite sociale. La reforme fonciere est d'une grande complexite et touche a de nombreux domaines. La nature des mesures a appliquer differe selon la situation . En pratique, la reforme fonciere est surtout une question d'equite et a done un aspect politique evident. Nean- moins, elle comporte aussi d'importantes repercussions sur le de- veloppement economique, dont ii convient de tenir compte dans la definition de la politique de la Banque Mondiale. 28 Chapitre 2: REFORME FONCIERE ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE Trois objectifs fondamentaux sont generalement assignes au de- veloppement economique: croissance economique rapide, plein emploi et justice distributive. Certaines politiques sont essentielle- ment cons;ues pour favoriser la croissance economique et ii en est de meme des investissements qui en decoulent, comme ceux qui portent sur les centrales electriques ou l'industrie lourde; d'autres politiques, par exemple celles qui interessent les travaux ruraux, ont plus directement pour objectif la croissance de l'emploi; cer- taines enfin, notamment celles qui traitent de la reforme fonciere, visent essentiellement une plus grande justice sociale. Un ensem- ble donne de politiques et d'investissements cons;u pour atteindre l'un de ces objectifs a sur les deux autres des repercussions impor- tantes dont ii convient de tenir compte lors de l'examen des con- sequences possibles d'une politique donnee sur le developpement economique. II importe en particulier de calculer quelles seront les repercussions d'une reforme fonciere sur la croissance et l'emploi . L'evaluation des coOts et des avantages d'une reforme fonciere pose de multiples problemes . II faut en particulier definir d' une maniere raisonnable la duree de la periode pendant laquelle ii est propose de mesurer les effets des changements structurels induits dans le secteur agricole . L'experience a montre qu'un programme de reforme fonciere judicieux n'est pas forcement mis a execution aux depens des autres objectifs; ii influe sur la production et sur l'emploi, ainsi d'ailleurs que sur la justice sociale s'il est mene avec rapidite et efficacite et s'il est soutenu par les investissements necessaires . Pour mieux cerner les effets d'une reforme fonciere, ii est souhaitable de centrer l'etude sur un certain nombre de points precis et d'examiner par exemple !'influence de la dimension des exploitations sur la productivite, la justice sociale et l'emploi, ainsi que sur l'epargne et l'excedent commercialisable; ii est certain que ces divers facteurs son lies mais, pour faciliter !'analyse, ils seront etudies ici separement. Influence sur la productivite La meilleure maniere d'isoler les consequences d'une reforme fonciere sur la productivite est de comparer la productivite dans une region donnee avant et apres la reforme . Cette solution n'est malheureusement pas applicable en pratique, car ii est impossible d'isoler une situation caracterisee par un seul parametre - la di- mension de !'exploitation - qui varierait au cours du temps. La 29 Tableau 1 Productive, emploi et repartition des terres dans divers pays PIH PIH Hombre OinenSK>n India! de agricole ps agricole ps d'l?IT'4)lois m oyenne G ini de hactse travalleur per des explo,. concentra- Pays Annee tations l$EUI IIEUI hect•e tion d es 1er- lhectsesl res Europe Espagne 196:L 90 980 0,09 14,85 0,832 Grece 1961 424 848 0,50 3,18 0,597 Amerique Centrale Costa Rica 1963 83 951 0,09 40,74 El Salvador 1961 186 489 0,38 6,95 Guatemala 1964 144 492 0,29 8,17 Mexique 1960 22 569 0,04 123,90 Nicaragua 1963 55 580 0,09 37,34 Republique Dominicaine 1971 129 463 0,28 8,64 Am erique du Sud Argentine 1970 18 1.903 0.0, 270,10 0,873 Bresil 1960 14 285 0,05 79,25 0,845 Chili 1965 18 692 o.oa 118,50 Colombie 1960 67 663 0,10 22,60 0,865 Paraguay 1961 11 479 0,02 108,70 Perou 1961 50 477 0,10 20,37 0,947 Uruguay 1966 14 1.333 0,01 208,80 0,833 Venezuela 1961 31 925 o.oa 81,24 0,936 Asie lnde 1960 172 141 1,22 6,52 0,607 lndonesie 1963 323 149 2,17 1,ffi Iran 1960 187 581 0,32 6,05 0,624 Japan 1960 1.720 1.188 1,45 1,18 0.473 Nepal 1961 /62 352 138 2,54 1,23 Pakistan 1960 240 249 0,96 2,35 0,607 Philippines 1960 250 200 1,25 3,59 0,580 Republique de Chine 1960/61 841 410 2,05 1,27 0,474 Republique de Coree 1970 1.085 377 2,88 0,85 Republique du Viei. Nam 1960 355 127 2,79 1,33 Sri Lanka 1962 376 337 1,1 2 1,61 Thailande 1963 166 137 1,21 3.47 Turquie 1963 155 243 0,64 5,03 0,611 Afrique Botswana 1969/70 168 142 1,18 4,75 Kenya 1969 183 140 1,31 4,20 Mali 1960 98 48 2,06 4,35 Maroc 1961 144 295 0,49 4,62 Ouganda 1963/64 167 198 0,84 3,29 Republiqu e arabe d'Egypte 1960/61 681 160 \89 1,59 Hepublique m algache 1961 /62 293 88 3,32 1,04 Senegal 1960 209 174 1,20 3,62 Togo 1961/62 189 180 1,05 2,62 Turnsie 1961 /62 42 341 0,12 15.41 Zambie 1960 68 101 0,67 Sources Les chllfres des coloones 1 et 3 sont ures de: FAQ , AnnuBlfl! de la production, 1971, p. 10·11, 2J.13 et caux de la coloooe 4 de: ONU, BIM- Im mw,a,,I destS11sr,que~ XXVI, No 4, avril 1972 et XXVII, No 11, nov. 1973. Pour les taux de change, vo• i/Jid., et FMI, lnllmltioNI Fi- a - • Srllistl