Haïti: Renforcer la douane dans un contexte d’insécurité avril 2024 Thomas Cantens (OMD), Evans Jadotte (BM), David Cal MacWilliam (BM), Javier Suarez (BM) Auteur correspondant: Thomas Cantens, thomascantens@hotmail.com Macroeconomics, Trade and Investment © 2024 The World Bank 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Telephone: 202-473-1000; Internet: www.worldbank.org Ce travail est un produit du personnel du Groupe de la Banque mondiale. Les constatations, interprétations et conclusions exprimées dans ce volume ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la Banque mondiale, de son Conseil d’administration et des gouvernements qu’ils représentent. Le Groupe de la Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude du contenu inclus dans ce travail. Les frontières, couleurs, dénominations et autres informations figurant sur les cartes de cet ouvrage n’impliquent aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Droits et licences Le contenu de cette publication est protégé par le droit d’auteur. Le Groupe de la Banque mondiale encourage la diffusion de ses travaux et accorde l’autorisation de reproduire en tout ou en partie, à des fins non commerciales tant que l’attribution complète à ce travail est donnée. Attribution – Veuillez citer l'ouvrage comme suit : « Banque mondiale, 2024. Haïti: Renforcer la douane dans un contexte d’insécurité » Pour tous renseignements sur les droits et licences s’adresser à World Bank Publications, The World Bank Group, 1818 H Street NW, Washington, DC 20433, USA ; télécopie : 202-522-2625 ; courriel : pubrights@worldbank.org. Table des matières Introduction .................................................................................................................................. 1 1. Recettes, douane et crise sécuritaire en Haïti ................................................................. 4 1.1. L'effet des gangs sur l'activité économique et le commerce international .............. 5 1.2. Impact des gangs sur les opérations douanières. ..................................................... 9 2. La crise sécuritaire affecte également les activités portuaires ......................................11 3. Violence, contrebande et commerce aux frontières terrestres ....................................12 4. Une perspective stratégique sur les défis auxquels est confrontée la douane haïtienne .....................................................................................................................20 4.1. Implications et mise en œuvre du nouveau code douanier haïtien .......................20 4.2. La corruption, obstacle à l'égalité de traitement ....................................................23 4.3. Faiblesses structurelles de l'AGD dans sa réponse aux défis sécuritaires ..............24 5. Recommandations .........................................................................................................25 5.1. Renforcer la numérisation ......................................................................................27 5.2. Développer et renforcer les infrastructures des bureaux des frontières terrestres et des ports secondaires. .........................................................................................28 5.3. Renforcer les capacités de surveillance douanière. ................................................29 5.4. Contrôler les pratiques des bureaux et des inspecteurs afin de réduire les mauvaises pratiques...........................................................................................30 5.5. Fournir des scanners de conteneurs au port principal et à l'aéroport international de Port-au-Prince.....................................................................................................31 5.6. Mettre en place un cadre de consultation locale. ..................................................32 5.7. Soutenir une mise en œuvre progressive de la valeur transactionnelle. ...............33 5.8. Soutenir l'installation du guichet unique au port de PAP et revoir les procédures. ..............................................................................................................34 5.9. Coopérer avec les administrations douanières étrangères, y compris les douanes dominicaines............................................................................................................34 5.10. Mettre en œuvre l'analyse des données, créer une unité de réforme douanière dotée de capacités d'analyse des données. ............................................................36 6. Bibliographie ..................................................................................................................41 iii Tableaux Tableau 1. Résumé des recommandations ............................................................................................. 2 Tableau 2. Résumé de l'activité des gangs ............................................................................................. 6 Tableau 3. Évaluation des frais de sécurité pour les opérateurs du commerce international ............... 8 Tableau 4. Résumé des recommandations ........................................................................................... 25 Encadrés Encadré 1. Points de passage de la frontière entre Haïti et la République dominicaine ..................... 13 Encadré 2. Incidents violents aux frontières terrestres ........................................................................ 14 Cartes Carte 1. Répartition des incidents armés dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (2018-avril 2023). ....................................................................................................................... 7 Carte 2. Carte des ports ........................................................................................................................ 11 Carte 3. Principaux points de passage de la frontière .......................................................................... 13 iv ACRONYMES ET ABBREVIATIONS ACLED Armed Conflict Located Events Database AGD Administration Générale des Douanes d'Haïti ALC Amérique latine et Caraïbes APN Autorité portuaire nationale ASYVAL ASYCUDA Valorisation BM Banque Mondiale BRH Banque de la République d'Haïti BLTS Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiant CESFRONT Unité spécialisée dans la sécurité des frontières CIMO Unité d'intervention DG Directeur général DGI Direction Générale des Impôts DGM Direction Générale des Migrations DR République Dominicaine ENSEA École nationale de la statistique et de l'économie appliquée FED Fonds européen de développement FCV Pays fragile et affecté par les conflits FERDI Fondation pour les études et la recherche sur le développement international FMI Fonds Monétaire International FSI Forces de sécurité intérieure ONE Office statistique de la République dominicaine ONG Organisation non gouvernementale PIB Produit intérieur brut PNH Police nationale d'Haïti POLIFRONT Police frontalière (Haïti) PSI Inspection avant expédition PTF Partenaire Technique Et Financier SAR Radar à synthèse d'ouverture SGS Société générale de surveillance SYDONIA Système douanier automatisé TEU Unité équivalente à vingt pieds OIM Organisation Internationale pour les Migrations OMC Organisation mondiale du commerce OMD Organisation Mondiale des Douanes Remerciements: L’équipe remercie MM. Jean Ralph Gracia (directeur de la surveillance de l'AGD) et Sebastian Franco Bedoya (économiste, BM) pour leurs commentaires utiles. Toutes les erreurs et omissions sont de la responsabilité des auteurs. v Introduction 1. Haïti est confronté à une grave crise sécuritaire, due à l’activité croissante de bandes armées (ci-après gangs). Cette crise affecte négativement et de façon significative les activités sociales et économiques, y compris les activités économiques de base. La situation s'est détériorée depuis les missions conduites dans le cadre de ce rapport: le Premier Ministre par intérim Ariel Henry n'a pas pu retourner en Haïti, il a annoncé sa démission aussitôt que le Conseil Présidentiel de Transition convenu entre la CARICOM et les acteurs politiques Haïtiens, alors que les gangs menaçaient et l'aéroport et le port principal de Port-au-Prince, occasionnant leur fermeture. La situation actuelle (avril 2024) est très instable et évolue quotidiennement. Préparé conjointement par l'Organisation mondiale des douanes (OMD) et la Banque mondiale (BM), ce rapport examine l'impact de la violence des gangs sur les flux commerciaux et les opérations douanières, ainsi que les efforts de l'Administration générale des douanes d'Haïti (AGD) face à la crise sécuritaire. L'AGD a élaboré un plan de modernisation complet sur les questions techniques douanières mais qui tient peu compte des risques, contraintes et défis propres à la crise sécuritaire actuelle. 2. Les administrations douanières peuvent contribuer à renforcer la légitimité de l'État et à restaurer la confiance entre le gouvernement et les citoyens. En tout premier lieu, l'augmentation des recettes fiscales collectées par la douane permettrait d'accroître les dépenses de l’Etat dans les domaines prioritaires aujourd’hui en manque alarmant de ressources, tels que les services sociaux de base (santé, éducation, protection sociale, etc.) et les investissements publics essentiels. L'instabilité politique et l’emprise des gangs en Haïti s'expliquent en partie par la faiblesse des services publics à la population voire leur quasi-absence dans une grande partie du pays. Ceci affaiblit la légitimité de l’Etat et conduit les citoyens à perdre confiance dans leurs gouvernements successifs, constituant un terrain favorable aux protestations et à l’origine de diverses formes de trouble à l’ordre public. Disposer d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire pour investir dans des secteurs porteurs de croissance grâce à des recettes douanières accrues, contribuerait à un meilleur bien-être de la population, une plus grande légitimité du gouvernement et à plus de stabilité politique. Deuxièmement, en renforçant leur gouvernance et en réduisant la corruption, les douanes peuvent démontrer que les pratiques de corruption, reconnues comme répandues et endémiques en Haïti, sont combattues et les logiques prédatrices à l'égard de la population abandonnées. Une action forte de la douane dans ce domaine pourrait inciter les autres administrations à améliorer également leurs pratiques et convaincre la population que le gouvernement, via des administrations responsables, se concentre sur les besoins des citoyens. La gouvernance ne doit pas être sous-estimée comme une dimension essentielle d’une réforme des douanes. Si la mobilisation des recettes demeure un objectif majeur de l’administration, cet objectif doit être atteint par une juste collecte des droits et taxes, en toute légalité, sans poursuivre le but d’augmenter les recettes à tout prix. 3. Ce rapport répond donc à trois motivations principales. Premièrement, les administrations douanières continuent généralement de fonctionner dans les situations de crise, contrairement à d'autres administrations publiques. De plus, la taxation douanière est l'instrument fiscal le plus simple à mobiliser en période de crise sécuritaire car elle s’applique à des biens matériels échangés, donc plus faciles à taxer que les individus ou les entreprises. Les recettes fiscales en Haïti sont faibles (6,3 % du PIB pour l'exercice 2023) et insuffisantes à fournir des services publics adéquats. Or, les douanes fournissent la part la plus importante des recettes nationales, et les pertes de recettes douanières sont significatives. Deuxièmement, comme indiqué précédemment, l’amélioration des pratiques et procédures douanières est susceptible d’avoir un effet de levier sur la légitimité de l'État et de restaurer la confiance entre le gouvernement et les citoyens, aussi en contrôlant l'activité criminelle transfrontalière. L'AGD jouit d'une grande notoriété, mais la corruption, les traitements inégaux des usagers et l’inefficacité qu’elle occasionne sont perçus comme des dysfonctionnements préoccupants par les citoyens. Troisièmement, l'insécurité croissante en Haïti, l’enchâssement des gangs dans 1 l’économie et les menaces sur la sécurité physique des personnes, sont devenues des contraintes essentielles dans la conduite des opérations douanières de base, et, a fortiori, pour déployer des réformes. Les défis posés aux administrations civiles par l’insécurité étant spécifiques, l’AGD pourrait tirer parti de l’expérience d'autres pays en situation de fragilité, de conflit ou de vulnérabilité, afin de s'adapter et d’adapter ses réformes. 4. En résumé, il est essentiel de renforcer le contrôle douanier sur le territoire, non seulement pour collecter davantage de recettes, mais surtout pour les collecter plus efficacement, plus justement et plus équitablement dans le respect de la loi. Il est nécessaire d’éviter les distorsions de concurrence dues aux différences de traitement entre les bureaux de douane, et de décourager les pactes de corruption conclus par certains fonctionnaires avec des importateurs. Les partenaires au développement devraient donc aider l'AGD à inscrire ses actions dans un cadre politique plus large de restauration de la légitimité de l'État, en donnant la priorité aux mesures qui rendront la collecte des recettes plus équitable et le traitement douanier plus égalitaire, tout en tenant compte des défis matériels et techniques posés par le niveau élevé d'insécurité. 5. Le rapport propose des actions pour améliorer la performance et la gouvernance des douanes dans les circonstances de crise sécuritaire. La numérisation des procédures demeure un levier majeur et il s’agit de la poursuivre. Cela ne peut se faire sans des bureaux de douane rénovés et adaptés au contrôle, sur les frontières terrestres et dans les ports secondaires, ni sans un soutien fort aux capacités techniques de surveillance. En outre, pour avoir un impact positif, ces réformes doivent être encadrées par une direction générale disposant d’un contrôle des pratiques des inspecteurs et des bureaux, à partir des données de SYDONIA. Enfin, des modalités de consultation régulière devraient être formalisées avec le secteur privé, la valeur transactionnelle mise en œuvre très progressivement et l’AGD être soutenue dans le projet de guichet unique au port de Port-au-Prince et sa coopération avec les douanes étrangères, y compris les douanes dominicaines (voir le tableau 1 ci- dessous). Tableau 1. Résumé des recommandations Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Renforcer la numérisation Appliquer l’affectation automatique des déclarations aux inspecteurs- haute immédiate vérificateurs. Connecter au SYDONIA les 4 bureaux de douane non connectés. haute non immédiate Permettre les paiements en ligne moyenne non immédiate Installer des terminaux SYDONIA dans les zones métropolitaines de Port- moyenne non immédiate au-Prince où il y a une présence douanière. Simplifier le traitement des documents haute non immédiate 2 Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Renforcer les infrastructures des bureaux des frontières terrestres et des ports secondaires • rénovation des locaux haute non immédiate • mesures et équipements de sécurité, y compris des caméras de surveillance en réseau • couloirs de passage selon les types de transporteurs • zones de contrôle physique et zones sous douane • scanners mobiles pour accélérer l'inspection des véhicules • Rénovation de l'alimentation électrique et de la connexion au réseau informatique de la douane Renforcer les capacités de surveillance douanière Elaborer une stratégie pour une action plus proactive des douanes sur le haute immédiate territoire Acquérir des équipements facilitant le mouvement (radios, GPS) et des haute immédiate équipements de protection individuelle Former les agents habilités au maniement des armes haute immédiate Acquérir des nouvelles technologies, notamment pour promouvoir moyenne non immédiate l'analyse spatiale Organiser des formations conjointes avec les forces de sécurité et de moyenne immédiate défense Contrôler les pratiques des bureaux et des inspecteurs Mettre en place une politique de mesure des performances individuelles haute immédiate des douaniers de première ligne Contrôler les conditions de dédouanement dans les bureaux haute immédiate Mesurer la performance des bureaux haute immédiate Installer des scanners de conteneurs dans le port principal et des scanners à l'aéroport international Bien que les scanners puissent être très utiles, il convient d'examiner moyenne non immédiate attentivement la question avant de s'engager dans leur installation (voir l'exposé ci-après). Formaliser des modalités de consultation avec le secteur privé Mettre en place un cadre régulier et transparent de consultation entre la haute non immédiate douane et le secteur privé Partager des analyses quantitatives et factuelles dans ce cadre moyenne non immédiate Soutenir une mise en œuvre progressive de la valeur transactionnelle Limiter l'introduction de la valeur transactionnelle à certains produits haute immédiate dans un premier temps Fournir aux inspecteurs des douanes des valeurs de référence pour haute immédiate évaluer la valeur déclarée 3 Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Développer un outil de calcul des valeurs acceptables (sur l’exemple de haute immédiate l'Union européenne) Assurer une formation régulière, illustrée par des cas concrets, pour les haute immédiate inspecteurs des douanes Soutenir l'installation du guichet unique au port de Port-au-Prince Le déploiement d’un guichet unique est l'occasion de passer en revue moyenne non immédiate toutes les procédures douanières et portuaires Renforcer la coopération avec les douanes étrangères, y compris les douanes dominicaines Faciliter l'échange de données sur le fret (manifeste, quantités, valeurs haute non immédiate déclarées, données sur le véhicule et le conducteur) Faciliter le partage et le croisement des informations, des données et des moyenne non immédiate statistiques Mettre en œuvre l'analyse des données et créer une équipe en charge de la réforme Des détails spécifiques sur la création et la mise en œuvre d'une équipe haute immédiate composée de spécialistes des données et chargée du suivi de la réforme sont inclus ci-après. La création d'une telle équipe dédiée aux données est une condition préalable au succès des autres mesures prioritaires. 6. Ce rapport a été préparé à partir de trois missions. La première mission (mars 2023) a consisté en une série d’entretiens avec l'AGD et des représentants du secteur privé à Port-au-Prince ; la deuxième mission (juin 2023) s'est rendue sur les quatre points de passage frontaliers officiels entre Haïti et la République dominicaine, à savoir Anse-à-Pitres/Pedernales, Malpasse/Jimaní, Belladère/Comendador (Elias Piña) et Ouanaminthe/Dajabón, ; et la troisième mission (janvier 2024) a permis d'affiner le rapport grâce aux commentaires de l'AGD et du cabinet du Ministre des Finances d'Haïti. Toutefois, la situation sur le terrain continue d’évoluer rapidement et de façon significative. Ce rapport contient donc des analyses liées à la situation qui prévalait au moment de sa rédaction. Les risques et la performance de la douane, autant que les conclusions et les recommandations de ce rapport, devraient être réévalués dès lors que les conditions sécuritaires, politiques et socio- économiques évoluent. 7. Les auteurs remercient M. le Directeur Général de l'AGD et son équipe pour la franchise dont ils ont fait preuve au cours des discussions et pour avoir facilité, sur le terrain, l'accès aux bureaux et aux personnels de la douane. 1. Recettes, douane et crise sécuritaire en Haïti 8. Haïti est le pays le plus pauvre de la région Amérique latine et Caraïbes (ALC) et dépend fortement du commerce extérieur. En tant que petite économie avec des ressources naturelles limitées et un marché intérieur réduit, Haïti dépend du commerce international pour obtenir de nombreux biens manufacturés et des services qui ne peuvent être produits dans le pays à des coûts compétitifs. Haïti est dépendant des importations de produits alimentaires à bas prix pour sa sécurité alimentaire. Une circulation fluide des marchandises aux frontières, donc des procédures de dédouanement efficaces, sont essentielles pour l’activité économique et la société toute entière. 4 9. La collecte des recettes fiscales est l'une des plus faibles au monde et dépend fortement des douanes. Avec 6,3 % du PIB en 2023, les recettes fiscales d'Haïti sont les plus faibles de l’ALC et sont insuffisantes pour assurer les services publics de base. Les recettes douanières représentent 60 % des recettes en 2023 et leur potentiel d'augmentation est élevé, la taxation des marchandises à la frontière étant plus facile à administrer que d'autres formes de fiscalité intérieure. D'importantes pertes de recettes douanières sont dues à des problèmes de gouvernance, de collusion et de fraude. La douane haïtienne se trouve donc au coeur de la collecte des recettes fiscales nationales mais elle joue aussi un rôle sécuritaire en assurant la présence de l'État à la frontière contre la contrebande de produits prohibés. 10. La violence des gangs et leur enchâssement dans l'activité économique réduisent considérablement la capacité du gouvernement à collecter des recettes. L’omniprésente violence des gangs augmente les coûts pour le secteur privé, décourage la création d’entreprises et contraigne les entreprises viables à fermer. La compétitivité décroît, et avec elle l’activité économique, la croissance et toutes les recettes fiscales de l’Etat, y compris les recettes douanières. 11. Les activités des gangs affectent aussi directement les performances de la douane. Le vol de conteneurs par les gangs, l'augmentation du coût de l'importation et du transport des marchandises, et l'insécurité au cours des opérations d’importation et d’exportation, réduisent significativement les volumes d’échanges, donc les recettes liées au commerce international. L'insécurité affecte aussi directement les opérations douanières, limitant les procédures d'inspection et entravant les fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction. Les impacts de l’emprise croissante des gangs et de l'insécurité qu’ils génèrent sont détaillés dans les sections suivantes. 1.1. L'effet des gangs sur l'activité économique et le commerce international 12. L'activité des gangs en Haïti n'a cessé d'augmenter, avec des conséquences dramatiques pour l’économie et les populations. Entre 2018 et 2023 (15 septembre), 95 gangs sont recensés comme acteurs d'incidents armés. Le nombre de gangs a augmenté depuis 2020, ainsi que le nombre de morts dus à des incidents armés. Les enlèvements ont également nettement augmenté. Quelques gangs concentrent l’essentiel de la violence: deux gangs, le G91 et le 400 Mawozo, ont été impliqués dans plus de 100 incidents violents au cours de la période. Six gangs - Kraze Baryè, Baz Krache Dife, Baz Gran Grif de Savien, Grand-Ravine, Chien Méchant et Village de Dieu - sont impliqués dans plus de 30 incidents chacun, selon le Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED2 ). De janvier à mars 2024, l'ONU estime à plus de 2 000 le nombre de morts dus aux gangs. Les gangs sont également devenus de plus en plus indépendants des patronages politiques, ils s’appuient sur des sources de financement additionnelles et variées, notamment en contrôlant des territoires et en imposant des « taxes » aux acteurs économiques. 13. La violence des gangs est concentrée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, mais elle s'étend à des localités moyennes et aux zones rurales. En effet, les pratiques des gangs de Port- au-Prince sont reproduites par d'autres groupes. Les gangs ont évolué d'un financement dominé par le patronage politique à un modèle de plus en plus autonome, financé par les enlèvements, l'extorsion et les rackets de protection, le vol de marchandises, le contrôle des routes et, principalement, la taxation des quartiers sous leur contrôle. Les affrontements entre gangs pour la domination des 1 Le G9 est un groupe de neuf gangs opérant dans la région de Port-au-Prince. Ils se sont reconstitués en un groupe plus large appelé Viv Ansanm (Vivre ensemble) en s’alliant à virtuellement tous les autres gangs puissant opérant dans la région de Port-au-Prince. 2 Voir https://acleddata.com/ et Raleigh et al. (2023) pour plus d'informations sur les données ACLED. 5 quartiers ont fortement augmenté depuis 2022 (voir tableau 2), transformant les stratégies territoriales défensives traditionnelles où les quartiers étaient des zones de repli, en stratégies offensives où les gangs se battent désormais pour contrôler plus de quartiers. Ce basculement se reflète également dans la sémantique, le nom créole des groupes armés a lui-même évolué: du nom de baz ("base") à celui de gang récemment, reflétant l'identification à un groupe (gang) plutôt qu'à un lieu ou à un quartier. Cela peut refléter l’appropriation de modes violence existants dans les pays voisins (Colombie, Etats-Unis, Mexique). Tableau 2. Résumé de l'activité des gangs3 Nombre d'incidents ayant Nombre de Nombre de Nombre entraîné au moins un victimes (avec au Nombre gangs d'affrontements décès (impliquant au moins un gang d'enlèvements identifiés entre gangs moins un gang) présent) 2018 7 80 (47) 224 (157) 1 7 2019 22 168 (120) 364 (286) 6 33 2020 41 216 (196) 522 (489) 63 52 2021 24 207 (184) 628 (528) 160 55 2022 38 372 (345) 1341 (1299) 157 80 2023 (15 34 318 (297) 1270 (1208) 101 45 septembre) Source: ACLED. 14. Les actions des gangs en mer sont jusqu'à présent limitées, bien que des attaques de bateaux par la mer aient été signalées au Terminal Abraham à Thor.4 La baie de Port-au-Prince n'est pas protégée par des forces navales, or, même si les gangs ne disposent pas d'armes d'assaut navales, ils peuvent tirer sur les navires et constituer ainsi une menace susceptible de décourager les compagnies maritimes de faire escale à Port-au-Prince. La carte 1 illustre les territoires des gangs les plus actifs. 15. L’activité des gangs affecte de plus en plus l'activité économique et les performances de la douane. Elle affaiblit l'activité économique et affecte le coût, la facilité et la capacité de faire des affaires en Haïti. Comme évoqué précédemment, cela réduit d’autant les recettes nationales, à la fois indirectement par la contraction de l’assiette fiscale, et directement par capacités opérationnelles réduites en douane. Ceci s’ajoute à l'impact dévastateur des gangs sur le bien-être de la société, la capacité des ménages à générer leurs revenus, donc la pauvreté et l'insécurité alimentaire. 3 Les données de l'ACLED font état de nombreux événements attribuables à des gangs non identifiés. Ces données peuvent sous-estimer l'ampleur de l'activité des gangs, car d'autres organisations de défense des droits de l'homme font état d'un nombre plus élevé d'affrontements entre gangs, d'enlèvements et d'autres victimes. Cependant, l'équipe n'a pas été en mesure d'obtenir des données spécifiques de la part de ces organisations. 4 Entretien avec un opérateur portuaire, Haïti, mission de mars 2023. 6 16. Port-au-Prince est aujourd'hui en proie à une Carte 1. Répartition des incidents armés dans la zone insécurité extrême et constitue le métropolitaine de Port-au-Prince (2018-avril 2023). cœur de l'activité des gangs qui ont placé sous leur contrôle une grande partie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La zone frontalière avec la République dominicaine, bien que les gangs n’y soient pas aussi présents qu’à Port-au-Prince, est touchée à son tour. Les ports et les frontières terrestres constituent des zones propices à l’implantation des gangs, du fait de leur concentration des activités économiques et de leur rôle critique pour les activités criminelles transfrontalières telles que le trafic d'armes et de stupéfiants. Les opérations douanières y sont normalement concentrées, elles sont donc particulièrement affectées par la crise sécuritaire actuelle et les douaniers constituent à ce titre des cibles privilégiées. 17. L’impact des gangs sur les activités économiques est triple: i) Le vol de marchandises importées et leur revente sur les marchés urbains locaux. Les gangs volent des conteneurs et des véhicules importés, sur les itinéraires entre les infrastructures portuaires et les installations privées des importateurs. Les gangs s’emparent de tout ou partie des marchandises et demandent une rançon pour leur restitution ou les revendent sur les marchés urbains locaux. Les conteneurs de sucre et de riz semblent particulièrement prisés, ainsi que les produits pétroliers. Les gérants de stations-service sont parfois contraints de vendre une partie de leur approvisionnement aux gangs à des prix inférieurs à ceux du marché, qui est ensuite revendue 4 à 5 fois plus cher dans des "laboratoires".5 La revente informelle de carburant par l'intermédiaire de ces laboratoires est une pratique ancienne en Haïti, mais elle semble avoir récemment pris de l’ampleur. Les incidents armés à proximité ou dans les marchés se sont multipliés depuis 2022, le contrôle de ces marchés pour la revente des produits volés induit une activité croissante des gangs le long des routes principales et autour des infrastructures d'intérêt économique. ii) Les prélèvements. Les gangs utilisent plusieurs méthodes pour extraire des rentes de l'activité économique, par différents types de prélèvements. Par exemple, quelques gangs ont installé des "postes de péage" à la sortie de Port-au-Prince et sur la route principale entre Malpasse (un point de passage frontalier terrestre) et Port-au-Prince. Sont soumis à ces péages 5 "Laboratoire" est le terme communément utilisé par les personnes interrogées dans le cadre de la mission pour désigner les stations-service illégales. 7 les bus de transport interurbain, notamment entre Port-au-Prince et Carrefour, les camions (vides ou pleins) et les particuliers et les véhicules privés. iii) Le coût des contre-mesures. Plusieurs opérateurs économiques ont adopté des contre-mesures, telles que des escortes policières et le transport de marchandises par voie maritime, pour protéger leurs marchandises de la prédation des gangs (tableau 3). Par exemple, de nombreux opérateurs préfèrent utiliser des barges pour transporter les marchandises par voie maritime, depuis les principaux points de déchargement jusqu’à des quais secondaires. Un opérateur à Lafiteau a ainsi choisi la voie maritime pour transporter des conteneurs jusqu'au port sec situé dans la périphérie de Port-au-Prince ; des industriels choisissent également cette modalité pour acheminer leurs conteneurs entre Port-au-Prince et Thor. Tableau 3. Évaluation des frais de sécurité pour les opérateurs du commerce international Coûts de l’extorsion par les gangs Coûts liés aux escortes 4 000 USD/conteneur pour l'escorte aux frontières terrestres par un gang 200 USD/conteneur pour une escorte entre le port de Lafiteau et un MAD Lafiteau Autres extorsions / 200 000 gourdes par mois par compagnie pétrolière ou gazière péages 400 USD par camion + conteneur (péage de Martissan) Rançons lors de 5 000 USD pour le conducteur l'interception d'un camion de marchandises 3 000 dollars pour le camion dans la ville 10 000 USD par conteneur 2 500 USD par véhicule prélèvement d'un conteneur ou d'un véhicule dans la cargaison Frais perçus par les forces de sécurité ou des acteurs civils pour un transport sécurisé Frais d'escorte policière 200 USD par conteneur pour l'escorte policière à Port-au-Prince Frais de transport 700-900 USD par conteneur par voie maritime entre le port de Lafiteau et Port- maritime au-Prince Sur la barge, 2300 USD par conteneur (période avant les gangs, 150-175 USD de frais pour sortir le conteneur). Source: Entretiens réalisés au cours des missions. 18. Les activités des gangs ont entraîné l’augmentation d'autres postes de dépense pour les acteurs économiques: • Coûts d’assurance: les compagnies d'assurance refusent d'assurer le transport des conteneurs ; certaines maintiennent leur service à un coût d'environ 1,5 % de la valeur du conteneur. • Coûts de transfert: les opérateurs portuaires et les compagnies maritimes n'offrent plus, ou évitent fortement, le service porte-à-porte et demandent aux importateurs d'organiser le transfert de leurs conteneurs vers leurs points de déchargement, avec des escortes policières voire par des voies de passage préalablement négociées avec les gangs. 8 • Coûts liés à l’augmentation des délais de dédouanement: le coût du conteneur a augmenté en raison de l'allongement probable des temps de séjour liés à celui des temps de dédouanement (cf. section suivante). • Répercussion des prélèvement des gangs dans le secteur des produits pétroliers. Les prix des carburants sont administrés, mais il semble qu'il y ait maintenant des disparités de prix entre le nord et le sud du pays, probablement en raison des taxes variables prélevées par les gangs sur les camions à destination de ces deux parties du pays. 19. Les activités des gangs ont également entraîné une réduction de la présence douanière et une réduction importante des activités portuaires. L’offre de services maritimes dans la baie de Port- au-Prince se maintient, en dépit d’un navire coulé au port de Lafiteau qui en gêne temporairement les opérations (avril 2024) et du terminal à conteneurs de Varreux inopérant faute de présence douanière. Selon les chiffres fournis par les différents opérateurs, le taux d'occupation du port de PAP est actuellement de 60 %. L'activité portuaire a diminué de 26 % entre 2021 et 2022. Le volume des importations était de 97 000 EVP en 2020, 73 000 EVP en 2021 et 54 000 EVP en 2022. En janvier 2023, le port de Port-au-Prince a reçu 2 875 conteneurs, ce qui correspond à peu près au volume mensuel moyen du port de Lafiteau. 1.2. Impact des gangs sur les opérations douanières. 20. Les activités des gangs limitent la circulation et la présence des douanes dans les villes et à la frontière. Le bâtiment qui abritait le bureau principal des douanes et la direction générale dans le centre de Port-au-Prince a été pris d'assaut par un gang et les forces de sécurité n’en ont pas repris le contrôle à ce jour. Le personnel du bureau et de la direction générale a dû s'installer dans le bâtiment des douanes de l'aéroport pour assurer la continuité du service. Par ailleurs, depuis 2022, plusieurs douaniers ont été enlevés. L'enlèvement de douaniers en Haïti n'est pas spécifique à cette période: des actes similaires étaient survenus en 20056 et en octobre 2020, le chef de la douane du port de Port-au-Prince avait été victime d'une tentative d'assassinat.7 Toutefois, en l'espace de quelques mois en 2022, les douaniers ont été particulièrement visés: le directeur général adjoint en mai 2022, 8 quatre douaniers en juin 2022 à Port-au-Prince, 9 un douanier à un poste frontalier, 10 et deux douaniers à Saint-Marc en juillet 2023.11 Cette insécurité rend les déplacements urbains et périurbains complexes et risqués pour les douaniers qui se rendent dans les ports, les entrepôts douaniers et les zones de dédouanement. Les opérateurs portuaires et les importateurs mettent ainsi à disposition des douaniers leurs propres véhicules (blindés ou non) pour les transporter vers les lieux de dédouanement, ce qui accroît la dépendance de la douane vis-à-vis des opérateurs privés pour ses opérations de contrôle. En dehors de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, les déplacements vers les bureaux frontaliers sont également très dangereux, et il est souvent impossible d'y maintenir une présence douanière permanente, ou, à défaut, les activités y sont fortement limitées (cf. section 4 ci- après sur les bureaux frontaliers). De nombreux douaniers travaillent donc à distance ; la capacité de contrôle et de vérification de la douane a fortement diminué. Pour opérer dans ce contexte, il sera donc important de limiter la pression sur la collecte des recettes dans un premier temps, et surtout de définir une nouvelle approche opérationnelle, visant à améliorer les pratiques et comportements des fonctionnaires et à construire un dialogue avec les opérateurs privés. 6 https://reliefweb.int/report/haiti/haiti-poursuite-ininterrompue-des-op%C3%A9rations-de- kidnapping-%C3%A0-port-au-prince. 7 https://www.juno7.ht/lattaque-contre-julcene-edouard-est-une-tentative/ 8 https://www.alterpresse.org/spip.php?article28409. 9 https://aidfdouaniers.org/haiti-enlevement-de-4-douaniers-a-port-au-prince/ 10 https://aidfdouaniers.org/enlevement-du-douanier-haitien-floreal-oriol-en-poste-a-la-frontiere-dominicaine/ 11 https://centreinfos.com/article/actualite/haiti-deux-agents-douaniers-enleves-a-la-croix-perisse/1511 9 21. La situation sécuritaire provoque des retards importants. En juillet 2022, des armes ont été saisies dans des conteneurs en provenance des États-Unis12. Les douanes ont alors été instruites de renforcer leurs contrôles de première ligne sur les conteneurs. L’augmentation du taux d'inspection des conteneurs et les restrictions de mouvement des douaniers ont contribué à l’allongement des temps de passage en frontière. Les temps de déchargement ont eux aussi probablement augmenté. A Port-au-Prince, la douane maintien des équipes chargées de la déclaration des marchandises avec les difficultés décrites précédemment, à Lafiteau, la douane n'est présente que 3 jours par semaine. En conséquence, des navires évitent de faire escale en Haïti et d’autres quittent le port sans avoir pu décharger. S’agissant des exportations, le problème est peut-être plus critique, car les navires n'ont qu'un temps très limité d’escale, ce qui contraint les exportateurs, en cas de problème, à attendre le navire suivant pour expédier leurs marchandises. Lorsque des inspections à domicile sont demandées par un opérateur situé dans une zone de "non-droit" (terme utilisé par les douaniers), les douanes les refusent et exigent que l'inspection soit effectuée en sécurité dans un autre lieu, ce qui augmente les coûts et les délais.13 Ces inspections à domicile sont souvent rendues nécessaires par la difficulté d’accès au port pour les douaniers et la nécessité pour les opérateurs de sécuriser leurs marchandises dans leurs propres locaux. 22. Dans ce contexte sécuritaire instable, l'AGD s'est adaptée en s'appuyant sur le télétravail, la numérisation et la simplification des procédures. L'administration a eu recours au télétravail. Pour ce faire, elle a modernisé son réseau et fournit des ordinateurs portables à ses cadres. Toutefois, il est important de relever que le niveau actuel de télétravail affaiblira à terme l'échange de connaissances pratiques, acquises via le terrain, entre les douaniers. Deuxième mesure, l’AGD a accéléré la numérisation des procédures douanières et introduit de nouveaux modules SYDONIA. Parmi ceux-ci, l’AGD a envisagé le déploiement de l'attribution automatique des déclarations aux inspecteurs, ce qui est une mesure largement pratiquée dans les douanes pour limiter la collusion entre douaniers et acteurs économiques. Toutefois, ce module n’est pas encore opérationnel, probablement pour répondre à un besoin temporaire de flexibilité dans l’attribution des tâches aux fonctionnaires, au moment où leur accès physique aux bureaux est complexe et imprévisible. Troisième mesure pour répondre aux contraintes sécuritaires, l'AGD a favorisé la coordination opérationnelle avec les acteurs économiques: anticipation des procédures (les manifestes sont enregistrés dans le système 24 heures avant l'arrivée des navires) et développement du dédouanement à domicile, dans les locaux du déclarant ou de l'importateur. 23. Des contrôles douaniers mieux organisés ont permis un doublement des recettes en 202314 Cela aurait conduit à une augmentation annuelle de 110 % des recettes douanières à la fin septembre 2023,15 malgré une baisse de plus de 50 % du volume des conteneurs importés. Les recettes de l'AGD représentaient plus de 60 % des recettes totales pour l'année fiscale 2023, contre 44,4 % pour l'année fiscale 2022. 12 https://www.alterpresse.org/spip.php?article28466. 13 L'équipe de la BM et de l'OMD n'a pas eu l'occasion d'effectuer des analyses quantitatives simples avec l'AGD sur l'impact total des délais de dédouanement, sur la base des données du SYDONIA. Cependant, de telles analyses seraient particulièrement utiles pour déterminer avec précision l'impact des délais plus longs et les opérateurs et unités douanières les plus touchés. 14 Jusqu'à très récemment, les douanes appliquaient la valeur de Bruxelles, elles s'orientent vers le système de la valeur transactionnelle avec l'adoption du nouveau code des douanes qui intègre les normes en la matière. Haïti est membre de l'Organisation mondiale du commerce depuis 1996. 15 Entre-temps, la gourde s'est dépréciée de 13,7 % par rapport au dollar américain au cours de cette période. Cette augmentation des recettes douanières a suscité le mécontentement de nombreux importateurs. Voir la section 6.1 ci-dessous pour une discussion. 10 24. Des analyses quantitatives, mobilisant les données de SYDONIA et de l'Autorité Portuaire Nationale, s’avèrent nécessaires pour disposer d’une image plus précise de l’activité économique et douanière. L'accès aux données permettrait d'approfondir les analyses, celles-ci devraient être menées conjointement avec l’AGD sur divers points: l'évolution du volume des marchandises par rapport à l'évolution des recettes, l'évolution des contentieux, l’évolution des valeurs seuils notamment en fonction des bureaux, une analyse miroir avec les données de UN COMTRADE pour mieux évaluer les pertes de recettes et les fraudes potentielles. Cela permettrait à l'AGD de mieux identifier les facteurs de variation des recettes, mais aussi, d'un point de vue plus opérationnel, d'améliorer sa stratégie de lutte contre la fraude. D'un point de vue politique, cela permettrait de sensibiliser les acteurs économiques, le gouvernement et les bailleurs de fonds au rôle crucial joué par les douanes et à la nécessité de le renforcer. Les cadres supérieurs de l'AGD devraient ainsi être mieux informés des atouts de la mobilisation des données, pour prendre des décisions fondées sur des faits étayés par des analyse de données. 2. La crise sécuritaire affecte également les activités portuaires 25. L'APN s'est adaptée au contexte d'insécurité. L'autorité Carte 2. Carte des ports portuaire accorde un délai élevé de 17 jours pour dédouaner les marchandises. Les frais de surestaries s'élèvent à 125 dollars US par jour pour les conteneurs réfrigérés, 75 dollars US par jour pour les conteneurs de 20 pieds et 140 dollars US par jour pour les conteneurs de 40 pieds. Les opérateurs portuaires semblent faire preuve de compréhension face à l’insécurité: lorsque les représentants des lignes maritimes leur signifient leur impossibilité à se rendre au port en raison d’affrontements armés, le décompte des jours francs est suspendu. 26. En dehors de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, trois ports secondaires reçoivent sporadiquement des escales internationales, d'autres ports, de taille inférieure, ont néanmoins une capacité Ro/Ro (Roll-on/Roll-off) et pourraient être des niches de recettes. Les ports secondaires semblent destinataires de marchandises de contrebande, notamment des véhicules neufs (4000 véhicules neufs importés chaque année, mais l’estimation d’un concessionnaire est de 20 000 véhicules neufs importés ; le trafic vient de Dubaï), et des conteneurs de groupage (30% des conteneurs dits « effets personnels » viennent de Floride et sont en fait des marchandises commerciales usagées importées par de petits importateurs en provenance de la diaspora haïtienne. 27. Les ports secondaires sont privilégiés par le secteur informel. En Haïti, ce secteur informel d'importation prend la forme de conteneurs dits "d'effets personnels". D'un point de vue douanier, les effets personnels sont exonérés en dessous d'une certaine valeur, à condition que les biens ne soient pas commercialisés. Des produits de première nécessité (poisson, riz, farine, lait) sont envoyés 11 chaque mois par des expatriés haïtiens, depuis la Floride. Ces "effets personnels" comprennent aussi des biens commercialisés par de petits importateurs plus ou moins informels qui facilitent ainsi les intrants, les approvisionnements et les opportunités de revenus pour les plus pauvres. Preuve du caractère social critique de ces petits ports, de violentes manifestations ont eu lieu à Saint-Marc en 2022 pour autoriser à nouveau le dédouanement des "effets personnels" dans ce petit port. 16 Cependant, ces marchandises constituent également une niche importante pour la corruption et la fraude. Par exemple, des bateaux arrivent avec des "matelas usagés" et quelques kilomètres plus loin, les matelas sont découpés, les marchandises récupérées et les matelas brûlés.17 Selon les opérateurs portuaires, environ 10 000 conteneurs de marchandises diverses, neuves ou usagées, transitent par ces petits ports, ce qui représente environ 5 % des importations. Les douanes haïtiennes de ces ports secondaires taxent les biens qui ne sont clairement pas des "effets personnels", mais la diversité des biens et leur nature usagée compliquent le calcul de leur valeur. Ces ports secondaires sont donc probablement des niches de recettes douanières potentielles qui pourraient être collectées à l’aide d’une meilleure supervision des contrôles contre la fraude et une réduction des mauvaises pratiques. 28. L'évolution du trafic par port, la part du trafic maritime dans chaque port et l'évolution du trafic de véhicules d'occasion n'ont pu être vérifiées conjointement avec l'AGD. Il a donc été impossible de quantifier les recettes douanières potentielles ou de détecter les importations "informelles" récurrentes par les mêmes importateurs. Avec ce type d’analyses, les autorités haïtiennes bénéficieraient d’une vision quantitative évaluant les pertes potentielles de recettes à l’aune des bénéfices sociaux de la contrebande. 3. Violence, contrebande et commerce aux frontières terrestres 29. La République dominicaine est le deuxième partenaire commercial d’Haïti, après les États Unis d’Amérique. Les importations haïtiennes en provenance de la République dominicaine ont augmenté de manière significative au cours des dernières décennies. Selon l'Office statistique dominicain (ONE), les exportations vers Haïti ont atteint 1 040 millions de dollars US en 2022,18 alors que les exportations d'Haïti vers la RD étaient de 10,5 millions de dollars US (AGD).19 La plupart des échanges entre les deux pays se font par voie terrestre, ce qui représente 89% des flux dominicains vers Haïti en 2017 (Banco Central 2021, p. 38). Une loi dominicaine de 2011 limite le commerce transfrontalier à 14 marchés "frontaliers" et définit les marchandises interdites ainsi que les règles d'octroi des licences de commerçants pour les Dominicains et les Haïtiens.20 Entre 2001 et 2021, la République dominicaine a visé la promotion et le développement des zones frontalières, via 14 mesures légales et réglementaires et la mise en place d'un observatoire des frontières en 2018 (Banco Central 2021, pp. 40-41). 21 Pourtant, le commerce informel le long de cette frontière de 360 kilomètres demeure important, et des preuves - anecdotiques - suggèrent qu'une grande partie des importations haïtiennes en provenance de la République dominicaine n'est pas enregistrée. Le manque à gagner fiscal dû au commerce informel a été estimé à 7 % des recettes totales d'Haïti. (FMI, 2020). 16 https://www.alterpresse.org/spip.php?article27854. 17 Entretien avec un opérateur logistique (mission de mars 2023). 18 anuario-de-comercio-exterior-2022.pdf (one.gob.do) 19 Douane de la République dominicaine. 20 Loi n° 216-11 réglementant l'établissement de marchés à la frontière dominico-haïtienne. G.0.No.10636 du 14 septembre 2011. https://prodominicana.gob.do/wp/wp-content/themes/ceird/ceirdpdf/Ley-216-11-regula- mercados-en-la-frontera.pdf 21 https://mepyd.gob.do/dpdzf/ozf/ 12 Encadré 1. Points de passage de la frontière entre Haïti et la République dominicaine Une étude (CSIS 2019) a montré que la présence de l'AGD et l'impact de la violence sur le commerce varient considérablement d'un point de frontière à l'autre. L'étude a évalué le trafic à quatre postes-frontières officiels: Anse-à-Pitres/Pedernales, Malpasse/Jimani, Belladère/Comendador (Elias Piña) et Ouanaminthe/Dajabon (voir carte 2). Ces 4 points de passage disposent de marchés frontaliers binationaux, du côté dominicain, ouverts aux Haïtiens généralement deux jours par semaine selon des plages horaires fixes de 9 heures à 16 heures, à l'exception de Ouanaminthe/Dajabón, qui est ouvert tous les jours. Les localités haïtiennes disposent également d'un marché communal, réservé au commerce national, non fréquenté par les Dominicains. Selon la Banque centrale dominicaine, les marchés de Dajabon, Comendador, Jimani et Pedernales sont les plus importants avec, respectivement, environ 2 000, 1 500, 680 et 330 vendeurs dominicains et haïtiens (Banco Central 2021, p. 49). La présence douanière est très variable sur ces 4 postes frontières: 5 agents des opérations commerciales à Anse-à-Pitre (sans collaboration de la brigade avec la Police), 10 à Malpasse, 20 à Belladère (avec l'appui d'une brigade de 15 agents), et 53 agents des opérations commerciales à Ouanaminthe (avec l'appui d'une brigade de 12 agents). A ces points frontaliers s'ajoutent des brigades de surveillance à l'intérieur du territoire. L'insécurité a fortement affecté les flux de marchandises à Malpasse et à Belladère. Le bureau de Malpasse est le plus proche de Port-au-Prince, ce point de passage représentait une part importante des importations terrestres (57 %) et des recettes mensuelles de l'ordre de 300 millions de gourdes (source: responsable local de l'AGD). Actuellement, le bureau collecte environ 1 % de ces montants, soit 3 millions de gourdes par mois à partir d'une vingtaine de déclarations par jour (idem). Les quelques importateurs restants sont des frontaliers, ce qui accroît la pression sur les fonctionnaires en poste. Les gangs imposeraient un péage en aval du poste de 25 000 à 30 000 gourdes par camion. Il ne reste plus de commissionnaires en douane agréés, mais ils ont laissé sur le point de passage quelques "représentants" qui ont une connaissance professionnelle ou une expérience du site et qui guident les opérateurs à travers le processus administratif. En revanche, les revenus mensuels à Belladère seraient passés de 70 millions de gourdes à 200 millions de gourdes par mois entre 2019 et 2022. L'équipe n'a pas eu accès aux données du SYDONIA pour effectuer une analyse quantitative. Une telle analyse aurait permis d'étudier le détournement du trafic, l'émergence de nouveaux opérateurs économiques aux frontières terrestres et d'examiner la compatibilité de la structure douanière actuelle avec les flux réels de commerce. Carte 3. Principaux points de passage de la frontière 13 30. Les points frontaliers entre Haïti et la République dominicaine sont dominés par un climat de violence, de part et d'autre de la frontière, le plus souvent non organisée. Il est fait état de violences régulières à l'encontre des femmes, très représentées dans le petit commerce transfrontalier (Petrozziello 2011), et de manifestations de colère de la population contre les services de l'Etat.22 Une simple observation de terrain suffit pour constater les relations très tendues entre les forces armées dominicaines et les commerçants haïtiens qui traversent la frontière. Les bureaux situés à ces points frontaliers sont régulièrement l'objet d'attaques très violentes de la part de la population suite à des saisies, des augmentations de taxes, des actions armées de la part des douaniers ou des accusations de corruption organisée.23 Les fonctionnaires travaillent dans des conditions précaires, loin de la capitale, avec des capacités de contrôle et de protection personnelle très limitées. Encadré 2. Incidents violents aux frontières terrestres En 2015, le bureau d'Anse-à-Pitres a été incendié suite à la saisie d'un camion contenant des sacs de farine. En 2015, à Thomassique, près de la frontière (non visitée), le bureau a été saccagé. En 2018, à Anse-à-Pitres, des personnes ont bloqué les opérations et menacé le personnel du bureau de douane pour protester contre une augmentation de la taxe sur les vêtements usagés. En 2018, à Belladère, le bureau des douanes a été vandalisé. En 2018, à Malpasse, le bureau des douanes a été attaqué par la foule, après qu'un chauffeur de camion a été abattu par un douanier. Certains policiers haïtiens se sont réfugiés en République dominicaine sous la protection de l'armée dominicaine ; il y a eu 7 morts, dont 5 douaniers. En 2018, une altercation entre douaniers et policiers à la frontière de Ouanaminthe a entraîné la mort d'un douanier, suivie de barrages routiers de la part de la population. En mars 2018, les autorités dominicaines ont fermé la frontière pour éviter les affrontements entre Dominicains et Haïtiens, à la suite d'un incident violent du côté dominicain. En 2019, à Trou-du-Nord (Nord-Est), des commerçants ont érigé des barricades sur les routes pour protester contre la saisie de leurs marchandises par la brigade des douanes. En septembre 2021, des commerçants haïtiens ont bloqué la frontière à Ouanaminthe pour protester contre les taxes dominicaines imposées aux chauffeurs. En octobre et décembre 2021, des commerçants ont bloqué la route à Belladère (El Carrizal) pour protester contre l'augmentation des droits de douane. En 2022, un commerçant haïtien a été tué par un douanier dominicain au point de passage. En 2023, à Ouanaminthe, des taxis-motos et la brigade des douanes échangent des coups de feu, blessant un douanier, car les taxis-motos, dont certains sont armés, refusent de payer une taxe douanière. 31. À la frontière terrestre, les valeurs déclarées sont inférieures à celles admises à PAP, et les contrôles physiques ne peuvent pas être effectués systématiquement pour s'assurer de la conformité, de la nature et de la quantité des marchandises. Il n'y a pas de déclaration préalable, 22 https://www.lenouvelliste.com/article/115947/le-calme-est-revenu-a-la-frontiere-fonds-parisienmalpasse https://www.lenouvelliste.com/article/150151/le-trafic-a-repris-a-la-frontiere-malpasse-jimani 23 https://www.lenouvelliste.com/article/164460/malpasse-des-douaniers-accuses-descroquerie. 14 toutes les formalités sont effectuées lors de l'entrée du camion au poste frontière ; les manifestes ne sont pas enregistrés dans le système informatique mais à la main, du moins là où les douaniers les collectent et lorsqu'il y a des manifestes de transport. Dans le cas du trafic "formel", les déclarations sont faites par des commissionnaires en douane agréés, tandis que ce sont les douaniers qui le font pour le compte des acteurs "informels". Les douaniers haïtiens des bureaux frontaliers reconnaissent que les relations avec la population et la part importante des opérateurs "informels" ne leur permettent pas d'effectuer les opérations de dédouanement dans les mêmes conditions que dans les grands ports. Le terme "informel" fait référence aux petits contrebandiers qui sont interceptés par la brigade de surveillance aux points de sortie de la frontière et conduits au guichet pour accomplir les formalités requises. 32. La contrebande à la frontière terrestre est omniprésente et entraîne d'importantes pertes de recettes. Les évaluations de la valeur des biens importés en contrebande sont autour de 430 millions de dollars américains en 2017, dont 98 millions de dollars américains d'Haïti vers la République dominicaine et 332 millions de dollars américains de la République dominicaine vers Haïti (Banque centrale dominicaine, 2021). Le commerce frontalier " informel " représenterait alors un peu plus d'un tiers du commerce bilatéral de la République dominicaine avec Haïti (idem) et concernerait principalement les produits agricoles, les vêtements et les produits d'entretien ménager. Les principaux points de passage correspondent aux quatre points frontaliers officiels (idem). D'autres études font également état de pertes de revenus significative.24 Toutefois, d’importantes questions méthodologiques se posent quant à l’élaboration de ces statistiques. Bien que ces chiffres soient basés sur les chiffres des exportations dominicaines, il est probable qu’une partie des exportations dominicaines vers Haïti soient des déclarations de transit frauduleuses 25 et que les marchandises soient renvoyées sur le territoire dominicain.26 33. Il existe probablement deux grands types de « contrebande » à la frontière terrestre. La première est la contrebande – selon la définition légale – par petits porteurs (motos, triporteurs) dans des zones peu contrôlées, voire à proximité du bureau de douane, pour la consommation locale des populations frontalières. La seconde est la fraude et les pratiques illégales (mais parfois tolérées), comme la sous-évaluation, la sous-déclaration des quantités et les glissements tarifaires par une mauvaise classification des marchandises. Ces pratiques portent sur les transbordements à la frontière de cargaisons de remorques dominicaines sur de petits camions, avant de traverser Haïti à destination des centres de consommation urbains, dont Port-au-Prince. Dans ces cas, les opérations sont formelles, les importateurs déclarent les cargaisons mais ils sont soumis à une pression fiscale réelle inférieure à celle appliquée aux opérateurs économiques passant par le port de Port-au-Prince. Dans le contexte actuel, compte tenu de l’insécurité et du mauvais état des routes secondaires, il est probablement plus rentable pour les importateurs de franchir formellement la frontière terrestre, 24 https://www.slideshare.net/Stanleylucas/the-effects-of-illegal-trade-across-the-border-with-the-dominican- republic-and-growth-in-the-haitian-economy-by-dr-daniel-dorsainvil https://ht.usembassy.gov/wp-content/uploads/sites/100/CSIS-HaitiDR-Border-study-March-2019_French- version.pdf. 25 Les marchandises sont soumises à un régime de transit douanier lorsqu'elles transitent par un pays de transit vers leur pays de destination finale. Dans le pays de transit, elles bénéficient d’une suspension de droits et de taxes. Une fraude douanière typique consiste à déclarer des marchandises comme étant "en transit" mais à les reverser frauduleusement sur les marchés dans le pays de transit. Dans ce cas, les marchandises transiteraient par la RD, entreraient en Haïti et seraient ensuite immédiatement renvoyées en RD pour y être vendues. 26 L'équipe n'a pas été en mesure de réaliser une analyse quantitative à partir des données SYDONIA en collaboration avec l'AGD et les douanes dominicaines, notamment sur les flux déclarés entre Haïti et la République Dominicaine. Compte tenu des enjeux financiers et des chiffres qui circulent régulièrement, une telle étude quantitative conjointe serait utile et pourrait démontrer la coopération entre les administrations douanières haïtiennes et dominicaines (voir section 4). L'équipe espère qu'une telle analyse sera possible à l'avenir, au fur et à mesure que le dialogue avec les autorités se poursuivra. 15 plutôt que d’utiliser les voies de contrebande en dehors du poste frontière. Ces deux pratiques entraînent des pertes de revenus, et, pour la seconde surtout, une concurrence déloyale entre le port maritime et les frontières terrestres. 34. Certains signes indiquent que la contrebande a augmenté ces dernières années: i) L’examen par imagerie satellite des infrastructures dominicaines le long de la frontière montre un développement économique structuré pour faciliter les déplacements vers Haïti. ii) Au cours de l’année 2022, les recettes du poste de contrôle du Morne à Cabrit, à la sortie de Belladère, ont été multipliées par dix. Cela reflète probablement à la fois l’augmentation des flux de contrebande et l’efficacité accrue des contrôles douaniers (source: AGD). iii) Le lac Azüei, près du bureau de la Malpasse, est depuis des années un lieu avéré de contrebande.27 Les images satellite montrent un développement d'installations et de maisons sur les rives du lac. 35. D'autres éléments indiquent que la contrebande par voie terrestre demeure limitée en termes de types de marchandises. La contrebande ne semble pas concerner les marchandises en vrac. Selon les opérateurs portuaires, les marchandises en vrac destinées à Port-au-Prince continuent d'être importées directement à Port-au-Prince. D'après les entretiens menés par l'équipe, il ne semble pas non plus que les clients des compagnies maritimes aient abandonné Port-au-Prince pour Saint- Domingue. 36. D'autres facteurs limitent également la contrebande, notamment la capacité de franchissement et l’infrastructure routière. Alors que la route reliant Saint-Domingue à Pedernales est en bon état et place la frontière à environ 6 heures du port dominicain, il n'existe pas d'itinéraire approprié à l’écoulement des marchandises importées à Anse-à-Pitre hors des limites locales. La route entre Anse-à-Pitres et Marigot, la prochaine localité urbaine en territoire haïtien, est en très mauvais état. Il faut 8 heures pour faire le trajet entre les deux localités par voie terrestre, contre 4 heures par cabotage. Les marchandises destinées à être consommées en dehors d'Anse-à-Pitres, comme le ciment ou le riz, sont donc chargées, par mer et à dos d'homme, sur des bateaux de faible capacité (environ 300 sacs de riz28 ). Ce type de transbordement et sa faible capacité limitent fortement la contrebande. Cependant, cette situation entrave également le commerce formel et le développement de la région frontalière d'Anse-à-Pitres. De même, la capacité de passage à Belladère semble limitée en termes de volumes quotidiens et l'environnement géographique montagneux rend difficile le passage de volumes importants par le poste frontalier. 37. Enfin, un dernier facteur susceptible de limiter la contrebande terrestre vers Port-au-Prince est la présence de gangs sur les routes principales. Pour les importateurs réguliers, emprunter la route revient à s'exposer à des extorsions, des enlèvements de chauffeurs, des vols de camions et de marchandises en de multiples points de l'itinéraire, contrairement au Port de Port-au-Prince où la forte territorialisation des gangs et les escortes qu'ils peuvent mobiliser rendent les risques plus prévisibles et calculables. S’agissant de petits importateurs qui pourraient être tentés d'emprunter la route, notamment en raison de relations locales de confiance avec les gangs, il n'est pas certain qu’ils disposent des ressources suffisantes pour s'établir comme importateurs réguliers. 27 https://www.lenouvelliste.com/article/202110/malpasse-la-contrebande-se-fait-au-grand-jour-sur-le-lac- azuei. 28 http://www.ipimh.org/fiche-cabotage-marigot-22.html. 16 38. Les importateurs sont souvent agressifs envers les douaniers et la violence est une menace constante. À certains postes frontaliers, les fonctionnaires évitent de se rendre au bureau par crainte d’attaques. Ils sont également réticents à se rendre sur les lieux où les marchandises dominicaines destinées à Haïti sont déchargées et chargées après être passées par les douanes dominicaines, y compris à toute proximité du bureau. « on lutte avec les importateurs » (douanier, bureau frontalier mission 2) « Les gens de la zone nous pensent que nous avons la latitude de faire ce que nous voulons, on nous prend pour des serviteurs des affaires sociales, on vient chaque jour nous demander pour les études, pour la santé… » (douanier en poste dans une bureau frontière, mission 2) « la frontière c’est notre patrimoine disent les gens d’ici » (douanier en poste dans un bureau frontalier, mission 2) « on fait la relaxation sur certains produits » (douanier poste frontalier mission 2) « Vous prenez nos millions, vous envoyez cela à l’Etat central mais qu’est-ce qu’ils en font » (douanier, poste frontalier, mission 2, rapportant les propos d’importateurs) 39. L'hostilité des populations frontalières envers le gouvernement central et l'adaptation locale des règles douanières sont deux phénomènes bien documentés. Cette hostilité a été observée ailleurs, notamment en Afrique subsaharienne et en Afrique du Nord (Cantens 2012, 2013, Cantens, Ireland et Raballand 2015). La "relaxation"29 des règles douanières pour préserver une forme de "paix sociale" est alors positive, elle permet de maintenir un lien entre la population et l'Etat, de continuer à percevoir des recettes et de collecter du renseignement et des informations. Toutefois, il y aurait un risque à ne percevoir l’efficacité d’un bureau de douane qu’à travers des chiffres de recettes ou l’absence d’incident avec les populations. 40. L'absence de contrôle de la direction générale sur ces bureaux peut entraîner une concurrence entre les bureaux de douane et l’établissement de rapports locaux de patronage. Premier risque, documenté sur d’autres terrains, les bureaux de douane situés sur la même frontière se font concurrence pour attirer les opérateurs (Cantens 2012, 2013). C’est le cas en Haïti puisque l'un des douaniers a indiqué avoir augmenté les valeurs en douane dans son bureau et « perdu » certains importateurs qui se sont rendus dans un bureau voisin. Les bureaux de douane risquent donc de se livrer à une concurrence pour proposer les « valeurs les plus basses ». Cette compétition est nécessairement importante en Haïti, car la frontière s’étend sur de courtes distances séparant les bureaux entre eux, les conditions de passage sont précaires, et les importations par voie terrestre proviennent principalement d’un seul port dominicain (Saint-Domingue). Second risque, l'adaptation des règles douanières aux conditions locales favorise les structures de patronage inégalitaires inhérentes aux activités frontalières informelles, où une élite commerçante locale emploie des petits commerçants et des contrebandiers (Cantens et Arfaoui 2018).30 Ces relations perdurent au détriment du développement des populations locales et des activités formelles. 41. Le manque d’investissement dans les points de passage frontaliers officiels est un problème crucial. L’alimentation électrique n’est pas garantie dans tous les bureaux. Actuellement, il est impossible aux douaniers d’assurer le contrôle des moyens de transport et des cargaisons, sauf peut- 29 Terme utilisé par les personnes interrogées lors des missions. 30 https://mag.wcoomd.org/fr/magazine/omd-actualites-82/faciliter-le-commerce-dans-un-contexte-de- menace-securitaire-lexperience-tunisienne/ 17 être à Malpasse où les flux sont très limités. Les bureaux de douane ne bénéficient d’aucune enceinte de protection, ni d’aires ou de magasin sous douane, ni de quai pour les inspections physiques, ni d’une organisation en couloirs de passage pour les entrées et les sorties. La situation la plus grave est probablement celle du bureau de Belladère qui a vu son trafic augmenter avec une infrastructure douanière limitée à un bâtiment de bureaux et un « poste » de garde à la sortie du point frontalier. Les douaniers et leur bureau sont ainsi sans protection au beau milieu du passage et des multiples activités formelles et informelles du point frontalier, exposés aux protestations et aux jets de projectiles (pierres et autres). 42. Le contrôle des frontières n'est effectué qu'aux points de passage et ne s'étend pas à l’hinterland. Aucun bureau frontalier ne dispose de moyens mobiles, de radios, ni même d’effectifs suffisants pour conduire des opérations de lutte contre la contrebande hors des points de passage, et la configuration de la frontière ne le permettrait pas même avec des moyens accrus. À Malpasse, par exemple, la douane n’a pas les moyens de contrôler les passages par le lac. La douane haïtienne assure donc la lutte contre la contrebande au moyen de 6 brigades positionnées sur les routes principales dans l’hinterland. 43. Une meilleure coordination entre les unités douanières de la frontière et celles de l’hinterland, le suivi et l'évaluation de la stratégie de surveillance et l’acquisition de moyens mobiles amélioreraient considérablement les contrôles et la lutte contre la contrebande. Premièrement, la coordination entre les unités intérieures et frontalières est essentielle pour réduire la contrebande et limiter les opportunités de corruption. Deuxièmement, le contrôle, l'évaluation et le suivi de la stratégie de surveillance et des plaintes exprimées par les acteurs économiques à la frontière pourraient aider la douane à devenir plus efficace et à adapter son dispositif en fonction de l’évolution des tendances de fraude. Cela permettrait également d'anticiper les détournements de trafic liés à l'efficacité accrue de certaines unités par rapport à d'autres. En outre, le fait de répondre aux plaintes des acteurs économiques par des analyses de données pourrait faciliter les interactions entre la douane et le secteur privé et contribuer à instaurer un climat de confiance. Ces instruments d'évaluation ne sont pas difficiles à mettre en œuvre et pourraient combiner les données du système SYDONIA avec des outils de cartographie et d'analyse géographique (voir section 4). Troisièmement, disposer de véhicules permettrait aux bureaux frontaliers de réagir rapidement à des renseignements transmis par des informateurs qui les alerteraient de déchargements illégaux sur la route ou dans des zones proches du point frontalier. Cette capacité des bureaux frontaliers à opérer hors de leurs locaux pour des réponses rapides à des renseignements est compatible avec une deuxième ligne de contrôle dans l’hinterland sous réserve de coordination opérationnelle. 44. En conséquence, l’environnement est inefficace à protéger les douaniers. POLIFRONT (une branche de la Police Nationale d'Haïti - PNH) est en charge du contrôle des frontières depuis 2018 et lutte également contre la contrebande. Il existe un conseil national de sécurité, mais l'AGD n'en fait pas partie. L'AGD entretient des communications informelles avec la PNH, mais il n'existe pas de canal officiel pour le partage d'informations sur la sécurité ou la contrebande. Les relations entre la PNH et les douanes apparaissent complexes. Il a été reproché aux policiers de ne pas être intervenus suffisamment rapidement lors de l’assassinat de 5 douaniers à Malpasse en 2018. Sur le terrain, les relations entre policiers et douaniers semblent bonnes, mais il est très difficile aux policiers affectés à la sécurité des douanes d’assurer réellement leur mission, du fait de leur faible nombre. Enfin, un obstacle à la coopération effective est une différence de culture professionnelle entre les deux corps: certains douaniers considèrent ainsi la police comme un dernier recours et préfèrent régler eux- mêmes les litiges avec les importateurs. Cela se produit dans de nombreux cas où les cultures professionnelles des acteurs frontaliers diffèrent, les douanes se concentrant sur les aspects fiscaux, tandis que les officiers de police sont davantage axés sur la sécurité. Bien que la coopération bilatérale Haïti-République Dominicaine ait été l’objet de nombreux soutien, dont celui important de l’UE de 18 2012 à 2017 (49 millions euros35), puis de 2018 à 2023 (9 millions euros36), sur le terrain, les autorités haïtiennes principales à la frontière, douane et police, demeurent dépourvues d’installations sécurisées et efficaces pour gérer les flux de personnes et de marchandises. « une fois qu’on appelle la police, la situation peut nous échapper » (douanier haïtien en poste dans un bureau frontalier, mission 2). 45. Les relations avec les douanes dominicaines semblent quasi inexistantes. Quelques réunions ont eu lieu à l'initiative de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), mais aucune coopération régulière n'a été mise en place. Un chef de bureau a indiqué qu'il communiquait avec ses collègues dominicains pour obtenir des informations sur les déclarations d'exportation en cas d'importation de nouveaux produits, mais cela semble être l'exception. A Belladère, la construction d'un mur du côté dominicain semble avoir compliqué le contrôle de la douane haïtienne en raison d'une ouverture le long du mur inaccessible aux douaniers haïtiens. Il est possible que la faible coopération entre les deux administrations douanières soit liée au rôle secondaire de la douane dominicaine dans le système dominicain de gestion des frontières où l'armée joue le rôle principal. En mars 2023, les administrations douanières haïtienne et dominicaine se sont réunies pour relancer la coopération, sans résultat concret à ce jour. 46. En 2015, le gouvernement haïtien a interdit l'importation de 23 produits par voie terrestre, y compris des produits de première nécessité et les matériaux de construction. Cette mesure a été imposée pour réduire la contrebande, protéger les opérateurs économiques nationaux et l'agriculture, et réduire le détournement des marchandises des ports vers la frontière terrestre en raison de la pression fiscale effective plus faible à la frontière terrestre. Le secteur privé a encouragé l'État à investir davantage dans les douanes à la frontière terrestre et à rendre cette décision effective. 31 Cependant, peu d'investissements ont été réalisés jusqu'à présent et ces produits continuent d'entrer sur le territoire. Les critiques à l'encontre de ce manque d'investissement dans les douanes refont surface dans la période d'insécurité actuelle 32 L'augmentation récente des saisies douanières sur les routes menant de la frontière terrestre à Port-au-Prince et les émeutes du côté haïtien lorsque les autorités décident de fermer les postes frontières sont des signes de la vitalité et de l'importance du commerce transfrontalier informel. Des questions subsistent quant à son ampleur, à la menace qu'il représente pour les importateurs formels par voie maritime et à son évolution dans le contexte de la crise sécuritaire. 47. La modernisation de l'administration douanière est essentielle pour réduire la contrebande. Assurer leur pleine capacité aux unités douanes présentes sur les frontières terrestres est essentiel, à un moment où la douane haïtienne introduit de nouvelles méthodes d'évaluation des marchandises au port, augmentant ainsi la pression fiscale réelle sur les importations par voie maritime, donc augmentant aussi les bénéfices associés à la contrebande terrestre. Il pourrait alors tout simplement ne pas s’agir de contrebande au sens douanier du terme mais uniquement d’importateurs qui cherchent à bénéficier des mesures de « relaxation-adaptation » de la douane décrites précédemment. Le risque est élevé d'un « double standard » dans l'AGD - une inégalité de traitement - entre voies maritime et terrestre. La modernisation nécessitera des investissements, mais ceux-ci auront un effet sur les recettes et sur l’attractivité des localités frontalières si le commerce légal se développe. 48. Des interrogations subsistent sur la capacité de l'Etat à lutter contre la contrebande terrestre, à deux niveaux. Le premier est technique: quelles adaptations de la surveillance douanières 31 https://challengesnews.com/lassassinat-de-la-production-nationale/ 32 Entretiens avec le secteur privé à Port-au-Prince (mission de mars 2023). 19 sont nécessaires en termes d’équipements, de développement du renseignement et de l’analyse, et de positionnement géographique ? Le second niveau de réflexion est politique: si la contrebande est liée à des activités transfrontalières mobilisant les communautés locales, l’action de la douane doit tenir compte des aspects sociaux et des conséquences sur la vie de ces communautés frontalières, au risque de faire basculer celles-ci dans l’influence politique des groupes armés contre l’Etat. Ce phénomène a été observé sur de nombreux terrains autres qu’Haïti. Dans quelle mesure la lutte contre la contrebande terrestre doit-elle passer par des mesures transitoires et progressives, via une pression fiscale et un contrôle « adaptés », pour à la fois garantir une concurrence loyale avec les importations par voie maritime et ne pas couper les communautés transfrontalières de leurs sources de revenus ? 4. Une perspective stratégique sur les défis auxquels est confrontée la douane haïtienne 49. Toute stratégie de réforme de la douane en Haïti ne peut se limiter à la modernisation technologique ou à l'adaptation aux normes internationales, mais doit également contribuer à la restauration de la légitimité de l'Etat. L'AGD (ainsi que les bailleurs de fonds soutenant les efforts de réforme) devrait anticiper les effets positifs et négatifs des nouvelles mesures douanières dans le contexte de la crise sécuritaire. 50. Compte tenu de la crise actuelle, la réforme de l'AGD doit s'inscrire dans un cadre plus large visant à restaurer la légitimité de l'État. Le principe usuel du contrat social fiscal, "payez des impôts à l'Etat, qui en retour vous garantit la sécurité et la fourniture de biens et services publics", ne fait pas sens dans la crise sécuritaire actuelle. D'une part, l'État haïtien n’est pas actuellement capable de rétablir l'ordre et de garantir la sécurité, et il n'est pas non plus en mesure de fournir les niveaux attendus de biens et de services publics. D'autre part, la "taxe" payée aux gangs ou aux comités locaux de défense pour assurer la sécurité immédiate des cargaisons, des personnes et des lieux est bien inférieure à la fiscalité d'Etat. Enfin, les relations entre l'administration haïtienne, la population et les acteurs économiques se sont fortement détériorées. Outre la perte de son monopole sur la violence, l'Etat a, dans une large mesure, perdu son rôle de premier plan dans la fourniture de services sociaux au profit d'autres institutions. La présence d'une multiplicité d'acteurs non étatiques, y compris des ONG, des organisations internationales, des agences bilatérales et des groupes armés, et les services qu'ils fournissent à la population, contribue à la perte de capacité et de légitimité de l'État haïtien. Dans ce cadre politique, la douane est perçue négativement par la population comme étant corrompue et, par ses usagers, comme une source de coûts indus. La douane elle-même a aussi une légitimité à réaffirmer. 4.1. Implications et mise en œuvre du nouveau code douanier haïtien 51. L'AGD s'est dotée d'un nouveau code des douanes, promulgué par décret le 21 mars 2023. L'ancien code datait de 1987. La mise en œuvre effective du nouveau code doit maintenant prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrivent ces réformes. Le nouveau code vise à mettre la douane haïtienne en conformité avec les normes internationales de l'Organisation mondiale des douanes et de l'Organisation mondiale du commerce, deux organisations dont Haïti est membre. Le nouveau code propose toutes les dispositions classiques d'une douane moderne, équilibrant mesures de facilitation et capacités de contrôle, notamment par la numérisation des procédures: statut d'opérateur économique agréé, crédit d’enlèvement, régimes économiques spéciaux, valeur transactionnelle, signature électronique, dépôt anticipé des manifestes, guichet unique, commission de conciliation/recours. Si l’adoption de ce nouveau code constitue de toute évidence un progrès, il n’est qu’un cadre réglementaire dont la mise en œuvre sur le terrain génère de nombreuses attentes. 20 52. La mise en place d’un guichet unique, le passage à la valeur transactionnelle et le comité de recours sont probablement les trois mesures les plus marquantes de ce code. Alors que la mise en place d'un guichet unique devrait offrir de nombreux avantages et positionner la douane comme acteur clé à la frontière, dans le contexte de la crise de l'insécurité et du manque de légitimité de l'État, l'équipe recommande fortement aux partenaires techniques et financiers qui soutiennent l'AGD et les autorités haïtiennes d’adopter une grande prudence dans la mise en œuvre des deux autres mesures, à savoir le passage à la valeur transactionnelle et le comité de recours. 53. L'AGD initie sa transition vers la valeur transactionnelle. Depuis 2019, il n’existe plus d’attestation de valeur ni d’inspection avant expédition par la Société Générale de Surveillance (SGS). Dans le système récent, la douane fixait la valeur, à partir des valeurs d’importations passées. Dans le même temps, au début de l’année 2023, l’administration a relevé ses valeurs de référence, provoquant un fort mécontentement des acteurs économiques33. Récemment, la douane a mis en place un corps d’une trentaine de contrôleurs de la valeur. Ces contrôleurs ont été formés à l’école nationale des douanes, six d’entre eux ont bénéficié d’une formation approfondie avec les douanes du Panama sur une initiative du Fonds Monétaire International (FMI) en décembre 2023. Ce corps est opérationnel à la douane du port et de l’aéroport de Port-au-Prince. 54. Passer de la valeur de Bruxelles à la valeur transactionnelle requiert une importante préparation, surtout dans le contexte actuel de hausse des valeurs de référence par la douane et de défiance entre la douane et les acteurs privés majeurs. Cette préparation va au-delà de la formation des douaniers et de l’information des opérateurs économiques. Des entretiens avec ces opérateurs, qui sont peu nombreux dans le contexte insulaire haïtien, il ressort que leur inquiétude majeure est l’inégalité de traitement fiscal et procédural. 55. Il est très probable que l'établissement de la valeur transactionnelle provoquera, au moins temporairement, des difficultés dans l'application des procédures. Cela pourrait conduire à un accroissement des inégalités en raison d'une augmentation des possibilités de corruption. En effet, la valeur transactionnelle suppose un renversement de la preuve, la douane doit démontrer que l'importateur déclare une valeur incorrecte. Dans un contexte de fraude importante, les méthodes de contestation spécifiques à la valeur transactionnelle sont difficiles à mettre en œuvre par la douane. Il existe donc un risque que des importateurs malhonnêtes préfèrent les éviter et tenter des opérations frauduleuses soutenues par des tentatives de corruption. Le passage à la valeur transactionnelle a souvent généré de nouvelles niches de corruption dans les douanes où elle a été adopté. Dans un environnement dépourvu de valeurs prédéterminées et non négociables, les possibilités de corruption et de fraude autour de la détermination de la valeur peuvent devenir plus problématiques et « dérégulées ». La détection des pratiques de corruption revêt donc une importance accrue pour la douane, tant du point de vue des recettes que du point de vue économique pour maintenir l'égalité de traitement entre les acteurs économiques, en particulier pendant la période de transition. 56. Outre ces difficultés techniques, deux questions d'ordre général méritent considération. La première est que la valeur transactionnelle est devenue la norme dans la plupart des administrations douanières, y compris dans les économies à faible revenu, mais elle y est rarement mise en œuvre correctement. Dans les contextes de fraude endémique, les douanes maintiennent des mécanismes plus ou moins formels qui garantissent des valeurs "raisonnables". Faire accepter ces mécanismes par 33 Ce mécontentement ne signifie pas que les valeurs imposées par la douane soient erronées, mais plutôt que les redressements sont intervenus « brutalement ». Un transitaire a reconnu que les valeurs sont redressées « mais qu’on les avait tellement sous estimées auparavant que cela fait une moyenne ». 21 le secteur privé exige de la part des douanes de fortes capacités d'analyse et de négociation, y compris une surveillance continue des opérations douanières et de leur évolution. 57. Le deuxième point à prendre en considération sur la valeur transactionnelle est qu’elle peut augmenter la charge fiscale relative des petits importateurs. Dans un contexte où les opportunités d'emplois formels sont limitées, où une partie importante de la population vit d'activités informelles, ne fait pas confiance à l'Etat et accuse les élites économiques et l'Etat de collusion avec les gangs, la valeur transactionnelle pourrait ne pas contribuer à apaiser ces ressentiments. En effet, actuellement - et c'est une critique faite par les grands importateurs - la valeur de Bruxelles, telle qu'appliquée par les douanes haïtiennes, traitait tous les importateurs de la même manière, c'est-à-dire que les grands importateurs déclaraient à la même valeur que les plus petits importateurs, alors que les valeurs transactionnelles des premiers étaient souvent plus faibles. Le passage aux valeurs transactionnelles entraînera donc une charge fiscale relative plus élevée pour les petits importateurs et commerçants, ce qui pourrait augmenter leur ressentiment à l'égard de l'État. Cela pourrait aussi accroître la contrebande, la fraude et la corruption chez ces mêmes petits importateurs, et entraîner une baisse potentielle des recettes.34 58. La seconde mesure sensible du nouveau code des douanes est la procédure de recours à trois niveaux. Ces niveaux sont les suivants: le directeur général, le comité de recours et le recours en justice (article 23 du code). Il s'agit d'une avancée significative puisque jusqu’à présent, les importateurs ne disposaient d'aucune procédure pour faire appel des décisions douanières. Toutefois, deux questions restent en suspens. La première concerne la composition du comité de recours, qui doit être fixée par le ministre en charge de l'économie et des finances (MEF). La seconde concerne la constitution d'une garantie pour les droits et taxes pendant la durée du recours. 59. L'une des propositions faites par les importateurs consisterait à mettre en place un comité de recours sans nécessairement prendre de garantie. Selon cette approche, l'importateur paierait les droits et taxes demandés par les douanes, contesterait les droits devant le comité en cas de désaccord et recevrait un crédit d'impôt s'il obtenait gain de cause. L'avantage pour la douane est de sécuriser ses recettes, et l'avantage pour l'importateur est de ne pas avoir à déposer de garantie et supporter de frais bancaires. Toutefois, cette proposition soulève également des questions. La première concerne la simplicité et la rigueur du crédit d'impôt, qui peut constituer une procédure complexe de coordination avec l'administration fiscale et donner lieu à de nouveaux griefs à l'encontre des administrations fiscales et douanières. La deuxième question est le devenir des petits importateurs dans ce cadre, ceux qui ne sont pas en mesure de payer les taxes et les droits demandés par l'administration, ou ceux qui n'ont pas de numéro d'identification fiscale et qui ne pourraient donc pas faire appel d'une décision de la douane. 60. La mise en œuvre d'une nouvelle procédure de recours est nécessaire, mais ne devrait pas créer d'inégalités de traitement ou de problèmes d'accès pour l’ensemble des importateurs. Il est important que les autorités haïtiennes démontrent qu'elles prennent en considération les demandes des grands importateurs mais qu'elles sont également conscientes de l'existence et des contraintes auxquelles sont confrontés les petits importateurs. La nouvelle méthode d'évaluation mise en œuvre par l'AGD peut déjà désavantager les petits importateurs dont les valeurs de transaction sont plus élevées. Aujourd'hui, les grands importateurs se plaignent que la valeur qui leur est appliquée est identique à celle appliquée aux petits importateurs, alors que ces derniers bénéficient certainement de conditions d'achat moins attractives. Avant la réforme de l'évaluation, tous les importateurs 34 Les données douanières pourraient être mobilisées pour évaluer la part des "grands" et des "petits" importateurs et exportateurs dans la production de recettes douanières et leur évolution pendant la crise sécuritaire. De même, une simple analyse miroir pourrait mettre en lumière la responsabilité des importateurs en cas de fraude potentielle et indiquer des niches de recettes potentielles. 22 subissaient une pression fiscale réelle égale (si les données le confirment), ce qui ne sera plus le cas avec l'application des valeurs transactionnelles, qui profitera aux grands importateurs. S'assurer que les nouvelles mesures n'entraîneront pas davantage d'inégalités lors de leur mise en œuvre devrait être une priorité pour les autorités haïtiennes. 4.2. La corruption, obstacle à l'égalité de traitement 61. Le terme de corruption a été omniprésent dans les discussions, y compris avec l'AGD. La corruption est un problème de longue date que l'AGD tente de combattre avant même la crise sécuritaire, pour augmenter les recettes, et parce que la corruption de certains douaniers est un obstacle à la mise en œuvre des réformes et une atteinte à la légitimité de l'État, comme relevé précédemment. En 2016, l'OMD avait déjà entrepris deux missions sur la mesure de la performance pour lutter contre les mauvaises pratiques. 62. La crise sécuritaire a rendu cette question plus complexe. Tout d'abord, l'insécurité peut diminuer la corruption, mais elle entrave également la lutte contre la fraude. En effet, les douaniers qui avaient l'habitude de recevoir des pots-de-vin de la part des opérateurs ne peuvent plus le faire aussi parce qu’ils ne peuvent plus accéder physiquement aux sites de dédouanement notamment portuaires. Ils sont donc moins motivés pour effectuer des contrôles. Deuxièmement, la direction de l'AGD a fait part de son inquiétude concernant la fuite de cadres à l’étranger, les experts de la douane démissionnent pour participer au programme américain d’octroi facilité de visas « Humanitarian Parole ». 35 Enfin, outre la corruption, d'autres mauvaises pratiques affectent la perception des recettes. Comme nous l'avons vu, certains bureaux peuvent se livrer à une concurrence fiscale sur quelques produits, afin d'attirer davantage d'importations et ainsi augmenter leurs recettes. 63. L'AGD a démontré sa volonté de lutter contre les mauvaises pratiques en remplaçant les cadres clefs chargés de la collecte des recettes. Une autre mesure simple telle que l'affectation automatique des déclarations dans le SYDONIA est envisagée et pourrait être utile. En effet, cette fonctionnalité est susceptible non seulement d'accélérer l'examen des déclarations, en les affectant en fonction de la charge de travail des inspecteurs, mais aussi de réduire le risque de collusion entre chefs de bureau, inspecteurs et transitaires. Néanmoins, il est toujours possible pour un transitaire et un douanier de s'entendre pour déjouer le système, mais ces accords sont désormais plus complexes à mettre en œuvre. L'engagement de l'AGD dans la lutte contre les mauvaises pratiques est donc positif, même s'il n'est pas encore totalement efficace. 64. L'augmentation des recettes, établie par l'AGD comme un indicateur de l'amélioration de l'intégrité des agents des douanes ; la gouvernance devrait être mieux communiquée et expliquée. Au cours des entretiens, la plupart des acteurs privés ont contesté cette augmentation des recettes et son lien avec l'amélioration de l'efficacité de la douane. Selon eux, l'augmentation des recettes peut également être le résultat d'une augmentation d’abus de pouvoir lors de la collecte de recettes, lesquels sont associés à court terme à la corruption. Il sera donc nécessaire de convaincre et de démontrer que non seulement les recettes augmentent, mais aussi que les pratiques de gouvernance s'améliorent. A ce titre, le "comment" devrait primer sur le "combien": il importera à l'AGD de montrer que les recettes sont perçues de manière juste et égale, plutôt que de montrer uniquement combien de recettes ont été collectées. 35 Ce programme est officiellement connu sous le nom de Processus pour les Cubains, Haïtiens, Nicaraguayens et Vénézuéliens (CHNV). 23 4.3. Faiblesses structurelles de l'AGD dans sa réponse aux défis sécuritaires 65. L'AGD a une capacité d'analyse limitée, malgré un système informatisé qui capture toutes les données du dédouanement dans treize des dix-sept bureaux de douane. La direction chargée de la recherche et des statistiques a perdu de nombreux cadres, ce qui entrave l'analyse stratégique ainsi que l'évaluation et la hiérarchisation des réformes. Dans un contexte de crise sécuritaire et de relations tendues avec les acteurs économiques, il est essentiel que la douane, qui collecte des données sur l'ensemble du processus de franchissement des frontières, puisse les mobiliser pour établir des analyses objectives et quantitatives. Ces analyses sont la condition nécessaire d’un dialogue efficace, en interne et avec les acteurs privés sur les difficultés de dédouanement et les réformes, ainsi que pour appuyer les politiques économiques et fiscales du gouvernement dans un contexte de crise sécuritaire. 66. La surveillance douanière est sous-dimensionné et sous-équipé, ce qui limite la présence de l'État à la frontière. La direction de la surveillance est composée de 318 fonctionnaires, dont seulement 200 sont opérationnels.36 La direction a une compétence nationale. Outre Port-au-Prince, elle est présente sur cinq points de contrôle opérationnels à travers le pays, un sixième poste a été pillé et n’est actuellement pas opérationnel. La direction a établi des camps provisoires pour tendre des embuscades aux contrebandiers. Dans les zones urbaines, la direction coopère avec la brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS). Principale entité responsable de la lutte contre la contrebande, la direction de la surveillance est dotée de peu de moyens, elle est peu présente et peu mobile sur le territoire: elle ne possède ni système de contrôle non intrusif (scanner fixe ou mobile), ni moyen de communication radio. 67. L'équipe n'a pas été en mesure d'observer ses procédures opérationnelles et les remarques suivantes sont donc à considérer avec prudence. Il semble que la stratégie de la direction de surveillance soit essentiellement réactive, reposant principalement sur des informateurs. La direction ne lance pas que peu d’opérations d'initiative dans les "bassins de contrebande". Or, la surveillance active et la présence de l'Etat sur le terrain sont indispensables pour collecter du renseignement, prévenir la contrebande et limiter l'augmentation de l'activité du commerce transfrontalier informel à un moment où l'Etat est pressé par les recettes mais n'a qu'une capacité de contrôle limitée en première ligne. 68. La coopération entre les douanes et les forces de sécurité intérieure est faible. Il n'existe pas de confiance entre les douanes et les forces de sécurité intérieure au niveau opérationnel (à l'exception des services spécialisés dans la lutte contre les stupéfiants). En période de crise sécuritaire, les gouvernements ont tendance à favoriser le financement des forces de sécurité intérieure (FSI) - Haïti dispose d'une police des frontières depuis 2018 - et à imposer des états d'urgence qui excluent généralement les administrations civiles, y compris les douanes. Ce remplacement progressif des douanes par des forces de sécurité à la frontière a été observé sur de nombreux terrains en dehors d'Haïti. Il conduit inévitablement à un durcissement des conditions de mouvement pour les commerçants, sans pour autant résoudre le problème de la contrebande. Par ailleurs, ce remplacement a parfois contribué à une corruption "dérégulée", en raison des prélèvements "informels" erratiques imposés aux commerçants par les forces de sécurité. En outre, les populations locales sont confrontées à un État sécuritaire et coercitif, sans mission économique ni culture de la négociation. Compte tenu de sa culture équilibrant objectifs de sécurité et objectifs économiques, des données qu'elle collecte et de sa connaissance des milieux commerçants transfrontaliers, la douane pourraient mener une réflexion stratégique afin de mieux s’intégrer au dispositif de sécurité nationale. Dans d'autres pays, il a souvent été constaté que cette coopération demeurait complexe à mettre en 36 Cette direction gère également la sécurité des locaux douaniers. 24 place et reposait essentiellement sur la création de contacts individuels et d'une culture commune tout en évitant la militarisation de la douane.37 Cependant, diverses expériences ont été menées dans des contextes d'insécurité au Sahel en réalisant des formations conjointes entre les douanes et les FSI, afin de créer cette culture commune de l'action de l'Etat à la frontière. Cette approche permettrait également de renforcer la formation initiale et continue des douaniers (cf. section 5). 5. Recommandations 69. Sur la base des défis stratégiques discutés ci-dessus, cette dernière section se concentre sur les actions politiques qui pourraient être soutenues par les partenaires techniques et financiers. Les actions retenues sont choisies selon trois critères qui correspondent à la valeur ajoutée des PTF dans une réforme administrative: (i) l'action soulève des difficultés techniques spécifiques en raison du manque d'expérience de l’administration (par exemple, la transition vers les valeurs transactionnelles) ; (ii) l'action nécessite un soutien financier externe pour sa mise en œuvre (par exemple, une infrastructure plus adéquate dans les bureaux de douane aux frontières) ; et (iii) l'action a une dimension politique où le PTF peut assurer un rôle de tiers indépendant de confiance nécessaire à sa réussite (par exemple, soutenir la coopération bilatérale avec les douanes haïtiennes). Les recommandations sont résumées dans le tableau 4 et décrites plus en détail ci-dessous. Tableau 4. Résumé des recommandations Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Renforcer la numérisation Appliquer l’affectation automatique des déclarations aux inspecteurs- haute immédiate vérificateurs. Connecter au SYDONIA les 4 bureaux de douane non connectés. haute non immédiate Permettre les paiements en ligne moyenne non immédiate Installer des terminaux SYDONIA dans les zones métropolitaines de Port- moyenne non immédiate au-Prince où il y a une présence douanière. Simplifier le traitement des documents haute non immédiate Renforcer les infrastructures des bureaux des frontières terrestres et des ports secondaires • rénovation des locaux haute non immédiate • mesures et équipements de sécurité, y compris des caméras de surveillance en réseau • couloirs de passage selon les types de transporteurs • zones de contrôle physique et zones sous douane • scanners mobiles pour accélérer l'inspection des véhicules • Rénovation de l'alimentation électrique et de la connexion au réseau informatique de la douane 37 Des chapitres sur ces questions ont été publiés dans une étude de l'OMD sur la fragilité des frontières (juin 2022), dont une partie pourrait être présentée aux dirigeants haïtiens pour renforcer leur stratégie de surveillance. 25 Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Renforcer les capacités de surveillance douanière Elaborer une stratégie pour une action plus proactive des douanes sur le haute immédiate territoire Acquérir des équipements facilitant le mouvement (radios, GPS) et des haute immédiate équipements de protection individuelle Former les agents habilités au maniement des armes haute immédiate Acquérir des nouvelles technologies, notamment pour promouvoir moyenne non immédiate l'analyse spatiale Organiser des formations conjointes avec les forces de sécurité et de moyenne immédiate défense Contrôler les pratiques des bureaux et des inspecteurs Mettre en place une politique de mesure des performances individuelles haute immédiate des douaniers de première ligne Contrôler les conditions de dédouanement dans les bureaux haute immédiate Mesurer la performance des bureaux haute immédiate Installer des scanners de conteneurs dans le port principal et des scanners à l'aéroport international Bien que les scanners puissent être très utiles, il convient d'examiner moyenne non immédiate attentivement la question avant de s'engager dans leur installation (voir l'exposé ci-après). Formaliser des modalités de consultation avec le secteur privé Mettre en place un cadre régulier et transparent de consultation entre la haute non immédiate douane et le secteur privé Partager des analyses quantitatives et factuelles dans ce cadre moyenne non immédiate Soutenir une mise en œuvre progressive de la valeur transactionnelle Limiter l'introduction de la valeur transactionnelle à certains produits haute immédiate dans un premier temps Fournir aux inspecteurs des douanes des valeurs de référence pour haute immédiate évaluer la valeur déclarée Développer un outil de calcul des valeurs acceptables (sur l’exemple de haute immédiate l'Union européenne) Assurer une formation régulière, illustrée par des cas concrets, pour les haute immédiate inspecteurs des douanes Soutenir l'installation du guichet unique au port de Port-au-Prince Le déploiement d’un guichet unique est l'occasion de passer en revue moyenne non immédiate toutes les procédures douanières et portuaires 26 Faisabilité compte Recommandation Priorité tenu de l’insécurité actuelle (avril 2024) Renforcer la coopération avec les douanes étrangères, y compris les douanes dominicaines Faciliter l'échange de données sur le fret (manifeste, quantités, valeurs haute non immédiate déclarées, données sur le véhicule et le conducteur) Faciliter le partage et le croisement des informations, des données et des moyenne non immédiate statistiques Mettre en œuvre l'analyse des données et créer une équipe en charge de la réforme Des détails spécifiques sur la création et la mise en œuvre d'une équipe haute immédiate composée de spécialistes des données et chargée du suivi de la réforme sont inclus ci-après. La création d'une telle équipe dédiée aux données est une condition préalable au succès des autres mesures prioritaires. 5.1. Renforcer la numérisation 70. La numérisation est un axe important de la réforme douanière. En général, dans toutes les situations de fragilité, de conflit et de violence, y compris dans les situations de guerre ou de crise sanitaire, les administrations douanières sont plutôt résilientes en raison de leur forte numérisation et de leur système de dédouanement informatisé bien établi. Ceci est observé dans de nombreux contextes de conflit, et la situation semble être similaire en Haïti: le système informatique des douanes permet la continuité des douanes haïtiennes. 71. La douane dispose d'une direction des technologies de l'information depuis 2019, avec environ 30 agents. Cependant, moins d'une dizaine d'entre eux sont formés à la douane. Quatre bureaux qui ne sont pas connectés à SYDONIA, en raison d'une mauvaise connexion Internet (Port de Paix et Thomassique), de l'inexistence d'importations parce que le port a été endommagé lors du tremblement de terre de 2010 et n'a pas été reconstruit à date (Jérémie), ou d'un bureau inadéquat incapable de traiter les activités douanières (Jacmel).38 Comme indiqué, les douanes ont fourni des ordinateurs portables aux agents qui ne peuvent pas se rendre au travail afin qu'ils puissent se connecter à distance au système SYDONIA. 72. La migration vers SYDONIA WORLD permet de nouvelles fonctionnalités. Le module ASYVAL pour le contrôle des valeurs est disponible. Ce module devrait être opérationnel à la fin du premier trimestre 2024. De même, il sera possible de produire des rapports de vérification automatiquement dans le système à l'aide de tablettes mises à disposition des agents de visite. Cette fonctionnalité est également attendue pour la fin du premier trimestre 2024. 73. Cependant, certaines fonctionnalités, telles que l'affectation automatique des déclarations aux inspecteurs-vérificateurs, ne sont pas en place. Cette fonctionnalité ne nécessite pas de nouveau module puisqu'elle fait partie de la configuration du système (elle existait dans les versions précédentes), ni de connaissances particulières (elle était activée dans le passé par l'AGD). Il s'agit d'une fonctionnalité utile pour réduire le risque de collusion et de corruption. Le paiement en ligne 38 Dans le cas de Jacmel, le bureau des douanes a été reconstruit après le tremblement de terre de 2010, mais a été transféré au ministère du Tourisme vers 2013, sous l'administration Martelly-Lamothe (entretien avec le directeur du bureau des douanes de Jacmel en septembre 2019 dans une petite pièce qui servait de bureau des douanes à l’aérogare de Jacmel). 27 n'est pas non plus opérationnel. La Banque de la République d'Haïti (BRH) travaille encore sur des tests avec les banques commerciales pour render opérationnel le paiement en ligne. 74. La localisation des marchandises et des contrôles douaniers pourrait être améliorée grâce à la numérisation. A priori, des contrôles physiques sont effectués au port ou dans les entrepôts et aires sous douane des opérateurs avant le paiement des droits et taxes. Les importateurs souhaiteraient que le dédouanement se fasse au bureau le plus proche ou que les douaniers du bureau le plus proche aient accès au fichier de déclaration dans SYDONIA pour effectuer les contrôles. Par exemple, un importateur fait livrer ses marchandises dans le quartier de Carrefour, où les douaniers sont présents, mais n'ont pas la capacité de traiter le dossier, celui-ci étant situé à Port-au-Prince. Des terminaux secondaires du SYDONIA dans les zones métropolitaines de Port-au-Prince (qui comprennent également Carrefour, entre autres quartiers) pourraient être considérés comme des postes, ou des bureaux satellites du bureau principal du Port de Port-au-Prince pour traiter ces dossiers sur place. 75. De même, la numérisation pourrait faciliter la correction, la rectification et la simplification des documents. Les procédures de correction et de redressement des documents, des manifestes et des déclarations sont longues et nécessitent une correspondance avec le directeur général. Plusieurs mesures simples pourraient être envisagées, notamment l’apurement automatique du manifeste, la disponibilité du numéro de manifeste avant l'arrivée du navire, le remplissage du certificat d'inspection, la garantie du paiement rapide des droits et taxes en reportant les contrôles à la fin du dédouanement, la libération des marchandises des magasins et aires sous douane par les gestionnaires des entrepôts. 76. Les projets qui manquent actuellement de financement ou de ressources techniques sont les suivants: - la numérisation des ressources humaines (RH), - un système intégré de gestion des avantages fiscaux liés aux importations et aux investissements pour la reconnaissance des ONG, - l'utilisation d'un logiciel de firewall/pare-feu (provenant d'un fournisseur de services israélien), - la connexion des magasins et aires sous douane de l'aéroport, - la construction d'un centre de données et la formation à l'analyse des données. 77. De plus, alors que les procédures sont numérisées, les procédures manuelles persistent, ce qui provoque l’incompréhension de nombreux acteurs. Deux options alternatives pourraient être envisagées: l'envoi des documents joints scannés aux douanes, qui les stockent dans un centre de données, et la soumission de documents papier une fois par mois pour les opérateurs agréés. 5.2. Développer et renforcer les infrastructures des bureaux des frontières terrestres et des ports secondaires. 78. L’aménagement des bureaux aux frontières terrestres et dans les ports secondaires est une priorité en raison des différences de traitement douanier entre les unités du port de Port-au-Prince et les autres. Ces différences sont actuellement importantes et risquent de s'aggraver avec la mise en œuvre du nouveau code des douanes, ce qui se traduirait par deux administrations aux fonctionnements différents et parallèles, générant ainsi des opportunités de fraude, de corruption et de détournement de trafic. 79. Le renforcement des points de passage de la frontière terrestre est un préalable, compte tenu des relations tendues, voire violentes, entre les douaniers et la population. L'état très dégradé 28 des infrastructures du côté haïtien, les trafics de contrebande avérés et le risque de leur expansion, et, pour certains bureaux frontaliers (ex. Malpasse), la proximité sociale entre les gangs et les populations frontalières en font une priorité urgente. Cette réorganisation devrait inclure: - rénovation des locaux - les mesures et équipements de sécurité, y compris les caméras de surveillance en réseau reliées à la direction générale - les couloirs de passage selon les types de transporteurs - les espaces zones de visite et zones sous douane - éventuellement des scanners mobiles pour accélérer l'inspection des véhicules - l'alimentation électrique et la connexion au réseau informatique de la douane - les réunions régulières des fonctionnaires des douanes des postes frontières terrestres pour partager leurs expériences 80. Tous les postes frontaliers visités par l'équipe disposent d'un espace suffisant pour cette mise à niveau de l'infrastructure. L'investissement est actuellement relativement limité: seuls quatre points frontaliers sont concernés par le contrôle de l'ensemble de la frontière terrestre, compte tenu de sa géographie, de sa topographie et de l'état actuel des routes. En ordre de priorité, Belladère et Ouanaminthe sont actuellement les points où les flux sont les plus difficiles à gérer pour la douane haïtienne. Néanmoins, l'action doit se concentrer sur les quatre points principaux sur la même période, afin de décourager le détournement de trafic. 81. Cette stratégie de développement pourrait également inclure les petits ports afin de contrôler et de contenir les activités informelles qui s'y déroulent (en particulier les importations de véhicules) et qui représentent des niches de recettes importantes et des opportunités pour quelques acteurs économiques de réaliser des profits considérables (à confirmer par l'analyse des données). 82. Le réaménagement de ces bureaux, y compris leur protection et celle du personnel, lancerait deux dynamiques. Premièrement, elle inverserait en partie le déséquilibre des pouvoirs entre les douaniers et les acteurs frontaliers, actuellement défavorable aux premiers. Une infrastructure protégée créerait les conditions d'un véritable dialogue et de négociations et non, comme c'est le cas actuellement, sous la menace constante de la violence. La deuxième dynamique est économique. Les infrastructures douanières sont essentielles pour protéger les marchandises, offrir aux usagers un accès facile et décent aux procédures administratives, favoriser l'installation de transitaires en douane et de gestionnaires d'entrepôts, ainsi que pour délimiter des espaces dédiés à tous les acteurs frontaliers qui fournissent des services aux usagers et aux transporteurs (nourriture, restauration, fourniture de documents, etc.). Disposer d'un bureau de douane efficace est une condition préalable au développement des villes frontalières et un signe que l'État investit dans des services qui ne sont pas à vocation uniquement coercitive mais qui visent également à faciliter l'activité économique. 5.3. Renforcer les capacités de surveillance douanière. 83. La deuxième série de mesures de contrôle concerne la surveillance douanière et la sécurité des agents. Celle-ci est nécessaire à la fois pour leur sécurité physique personnelle et, plus largement, pour éliminer leur dépendance à l'égard des opérateurs économiques, en leur permettant d'effectuer les contrôles de manière sûre et indépendante. 84. Le renforcement de la surveillance douanière, y compris les brigades dans les bureaux, peut prendre quatre formes: 29 (i) Renforcer la sécurité des agents, par l'acquisition d'équipements matériels (radios, GPS) et de protection personnelle (gilets pare-balles, petits drones pour la protection des dispositifs), et une formation spécialisée, notamment dans le maniement des armes (les observations aux postes frontières ont montré un niveau très inégal en ce qui concerne le port sécurisé de l’arme par les douaniers), a fortiori dans des environnements tendus avec des populations qui sont en contact direct avec les bureaux de douane ou lorsqu’un incident conduit à la mort de contrebandiers. (ii) La formation et l'acquisition de nouvelles technologies, notamment pour favoriser l'analyse spatiale (analyse de données géolocalisées). Le renseignement géospatial (GEOINT) est de plus en plus exploré par les douanes afin d'optimiser leur présence sur le terrain, de préparer leurs missions et d'avoir une stratégie de contrôle plus proactive, notamment dans les zones où les déplacements sont dangereux. (iii) La mise en place d'une formation conjointe avec les forces de sécurité et de défense pour diligenter des contrôles douaniers en environnement d’insécurité. (iv) Une redéfinition de la stratégie pour une action plus proactive des douanes, notamment par le redéploiement de postes et d'unités de surveillance sur l'ensemble du territoire, le développement de camps douaniers et l'organisation de patrouilles comme c'était le cas avec les patrouilles conjointes avec la police et le personnel de l'administration fiscale avant 2014. 85. L'OMD a produit une série de recommandations et d'études à l'intention de ses membres opérant dans des contextes de fragilité et de conflit, qui pourraient être utiles aux douanes haïtiennes.39 86. La mise en place de scanners de conteneurs pourrait faciliter les contrôles douaniers. Cela pourrait être très utile dans le contexte actuel d'insécurité, où une grande partie des conteneurs sont inspectés physiquement, principalement pour la recherche des armes et des munitions. Cependant, le rapport coût/bénéfice, dans un contexte d'insécurité et d'accès difficile au port, doit être soigneusement évalué, surtout si d'autres options de coopération avec les pays de provenance des conteneurs peuvent être envisagées. 87. La fourniture d'équipement et la formation au maniement des armes doivent être adaptées au contexte et à l'environnement de la douane haïtienne. Il est clairement perçu comme nécessaire de fournir une formation policière ou militaire aux agents des douanes, étant donné le niveau élevé de risque dans le pays et la vulnérabilité des agents et des bureaux des douanes. Cependant, la militarisation des douanes doit être évitée. Les agents des douanes doivent apprendre à développer des approches non violentes dans les situations de conflit et, en cas de violence armée à leur encontre, être prêts à adopter des pratiques défensives et mobiliser des moyens de protection. 5.4. Contrôler les pratiques des bureaux et des inspecteurs afin de réduire les mauvaises pratiques. "La corruption ici, c'est comme un plat de spaghettis, on ne peut pas en prendre qu'un" (un opérateur de ligne maritime, mission 1). 39 https://www.wcoomd.org/-/media/wco/member/fr/pdf/topics/research/wco_fragilityreport_fr.pdf 30 88. La corruption et les mauvaises pratiques sont associées à la fraude. Le renforcement du contrôle douanier passe par le renforcement de la capacité de l'administration douanière à contrôler l’exécution du service par ses agents. La mesure a à la fois un impact fiscal pour lutter contre la fraude et un impact politique pour combattre les distorsions de concurrence causées par la corruption, tous deux étant susceptibles d'améliorer la légitimité de l’État. 89. La douane haïtienne a les moyens d'améliorer ses pratiques en mobilisant plus efficacement les données dont elle dispose dans le système de dédouanement de la manière suivante: i) Introduire une politique de mesure des performances individuelles axée sur la sanction des mauvaises pratiques et l'incitation positive à l'adoption de bonnes pratiques. Face à la corruption qui bloque les réformes, certaines douanes ont adopté de telles politiques avec un succès relatif. La pression sur les douaniers dans l'exercice de leurs fonctions est déjà élevée en raison des risques physiques encourus et des difficultés à se rendre sur leur lieu de travail, en plus de l'exiguïté actuelle du bureau du port et de la direction générale suite à la prise du bâtiment principal de la douane par des gangs. Il est donc essentiel de distinguer les douaniers dont les pratiques sont efficaces et exemptes de corruption. C'est peut-être dans ce cadre conceptuel " positif " que la stratégie douanière de lutte contre la corruption peut s'inscrire pour maintenir la motivation, compte tenu des circonstances actuelles. ii) Contrôler en continu les conditions de dédouanement dans les bureaux sur des produits ciblés. Certaines administrations douanières ont mis en place un tel dispositif avec une équipe de "veille" chargée de convoquer immédiatement les importateurs ayant obtenu des dédouanements apparemment favorables avec des sous-évaluations et de rappeler à l'ordre les bureaux qui se livrent à ces pratiques. iii) Mesurer la performance des bureaux en complétant les objectifs de recettes par d'autres indicateurs de performance (lutte contre la fraude, respect des règles de la direction générale sur l'évaluation de certains produits). 5.5. Fournir des scanners de conteneurs au port principal et à l'aéroport international de Port- au-Prince. 90. Il ne fait aucun doute que l'utilisation de scanners de conteneurs (mobiles ou fixes) au port et de scanners de bagages à l'aéroport pourrait contribuer à améliorer les performances de la douane en général. Toutefois, l'équipe émet les réserves suivantes: i) La mise en place de scanners de conteneurs pour lutter contre le trafic de drogue et d'armes doit être coordonnée au niveau national, compte tenu des nombreux points d'entrée possibles. L'installation d'un scanner dans un seul port entraînera presque certainement un détournement du trafic vers les ports qui n'en sont pas équipés. Outre l’inefficacité à lutter contre le trafic, cela pourrait perturber la concurrence entre les ports, dont certains sont privés, et conduire les opérateurs à privilégier un port ou un poste frontière par rapport à d'autres. ii) Le contexte sécuritaire actuel n'est pas favorable. Les douaniers rencontrent actuellement des difficultés pour se rendre sur les sites portuaires. Ils rencontreraient donc des difficultés pour accéder aux scanners. De même, les scanners nécessitant une maintenance régulière, il pourrait être difficile de faire venir des techniciens de 31 l'étranger pour des raisons de sécurité, ces compétences n'existent pas actuellement en Haïti et leur développement prendrait du temps. iii) Les coûts de maintenance, qui peuvent être considérables, et un mode de financement doit être proposé. iv) Enfin, les scanners ne résolvent pas en eux-mêmes les problèmes de corruption ou de facilitation et l'expérience a montré que l'installation de scanners peut accroître les problèmes de corruption et ralentir les délais de dédouanement. Les scanners doivent être effectivement intégrés dans les procédures de dédouanement, ce qui posera à l'AGD de nouvelles questions sur son organisation opérationnelle dans les ports, à savoir: la création d'un bureau spécial pour les scanners dans le port ? Création d'une équipe surveillance « scanners » ? Le taux de passage au scanner et la gestion des risques, c'est-à-dire le choix des conteneurs à scanner ? L'organisation du circuit de passage ? Localisation du scanner dans l'enceinte portuaire ? Protection de l'équipement ? Toutes ces considérations peuvent être difficiles à gérer, et des pratiques de passage au scanner inefficaces peuvent accroître les opportunités de corruption, le mécontentement du secteur privé, et entraîner des retards dans le dédouanement des marchandises. 91. Si les équipes de la Banque mondiale et de l'OMD ne contestent pas l'utilité des scanners, elles encouragent les autorités haïtiennes et les bailleurs à prendre pleinement en compte ces questions avant de déployer des équipements coûteux. 5.6. Mettre en place un cadre de consultation locale. 92. En temps normal, les relations entre les douanes, les importateurs, les exportateurs, les transitaires et les acteurs de la chaîne logistique et financière sont souvent tendues mais peuvent s'articuler autour d'une relation de confiance. La frontière est autant une ressource économique pour certains qu'un obstacle coûteux pour d'autres. La crise sécuritaire complique encore ces tensions naturelles et a entraîné une profonde détérioration des relations entre la douane et les acteurs économiques. Les grands importateurs se plaignent de ne pas être entendus par l’administration, les plus petits importateurs informels opérant aux frontières terrestres peuvent rapidement se montrer violents à l'égard des douaniers. 93. L'expérience de nombreux pays a montré que les difficultés techniques lors du dédouanement sont souvent résolues par les douanes, qui disposent d'une grande flexibilité dans la mise en œuvre du code des douanes. Les difficultés peuvent provenir d'une méconnaissance de la réglementation douanière ou, à l'inverse, d'une méconnaissance par les douanes des différentes contraintes auxquelles sont confrontés les acteurs du secteur privé. Lors des entretiens, il a été frappant de constater que des acteurs privés se sont fortement opposés à certaines réformes douanières, notamment parce qu'ils n'avaient pas été consultés, alors que ces réformes étaient essentiellement une mise à niveau de la douane haïtienne aux normes internationales ou leur mise en conformité avec les conventions internationales auxquelles Haïti a adhéré. Si la douane a estimé que des consultations n'étaient pas nécessaires car les mesures adoptées étaient standards, il aurait néanmoins été souhaitable de les présenter aux opérateurs et d'en discuter l'historique et les fondements. La crise actuelle a érodé encore plus la confiance mutuelle entre les douanes et le secteur privé, et les rumeurs et accusations de corruption, de collusion, d'inefficacité et de fraude troublent le dialogue entre les acteurs publics et privés à la frontière. 32 94. Renouer un dialogue apaisé suppose à la fois: i) un cadre régulier et transparent de concertation entre la douane et le secteur privé au sens large, et pas seulement avec les plus grands opérateurs ou transitaires ; et ii) des analyses quantitatives et factuelles à partager dans ce cadre. 95. Le cadre du dialogue peut prendre différentes formes: - Un "groupe de facilitation" pour les ports de Port-au-Prince, qui réunirait l'Autorité portuaire nationale et des représentants des secteurs portuaire, logistique, du transport, de l'importation, de l’exportation et de la douane et des forces de sécurité présentes dans le port. Ces groupes/comités de facilitation pourraient se réunir mensuellement pour résoudre les problèmes techniques qui se posent sur le terrain. - Des groupes similaires au niveau local qui, dans certains cas, formaliseraient les contacts existants et les rendraient plus réguliers et plus transparents pour tous les acteurs frontaliers. - Un "Forum douanes-entreprises-transitaires" serait l'occasion pour la douane d’échanger, de diffuser ses analyses et de mettre en valeur les principales entreprises contribuables, celles qui présentent le moins de cas de fraude et les commissionnaires en douane agréés les plus performants. 96. Plusieurs types d'analyse sont susceptibles de constituer la base d'échanges fructueux entre la douane et le secteur privé, ils ont été mentionnés tout au long de ce rapport, par exemple: - Analyse des flux portuaires et calcul de la durée de chaque partie du passage afin d'identifier les principaux points d'étranglement, de décider d'actions concrètes et de suivre leur évolution au moyen d'indicateurs quantitatifs ; - Analyse des conditions de dédouanement dans les principaux bureaux afin de garantir l'égalité de traitement douanier ; - Analyse des marchés urbains pour le déversement des conteneurs ; et - Analyse des exonérations. 97. La mise en place d'un cadre formel de consultation entre les douanes et le secteur privé, ainsi que la production et la diffusion d'analyses par les douanes, sont complémentaires. Sans cadre régulier, il y a peu d'expression des besoins d'analyse, et sans analyse, tout cadre de concertation se réduit souvent à une confrontation. 5.7. Soutenir une mise en œuvre progressive de la valeur transactionnelle. 98. Comme précédemment, le passage à la valeur transactionnelle pourrait modifier profondément les pratiques et même la structure des importateurs pour certains biens de consommation. Ce changement pourrait désavantager considérablement les petits importateurs et accroître le ressentiment à l'égard de l'État. Il est donc conseillé d'introduire progressivement l'application de la valeur transactionnelle: 33 - limiter son introduction à certains produits ciblés dans un premier temps ; - fournir aux douaniers des valeurs de référence pour évaluer la valeur présentée par les déclarants ; - développement un outil de calcul statistique des valeurs acceptables (similaire à celui des « fair price » de l'Union européenne) ; - organiser régulièrement de courtes sessions de formation basées sur des cas concrets pour les douaniers des bureaux concernés. 99. L’appui d’un bailleur est probablement nécessaire compte tenu du fait que la douane haïtienne débute sa transition vers la valeur transactionnelle. 5.8. Soutenir l'installation du guichet unique au port de PAP et revoir les procédures. 100. L'adoption du code des douanes fait de l'AGD le chef de file du guichet unique (article 108 bis). Elle constitue l'occasion de lancer un projet ambitieux qui comprendrait la construction d'une infrastructure et d'un système d'information spécifiques pour le guichet unique, ainsi que la mise en place d'une organisation de gestion du guichet unique. 101. Le guichet unique est une initiative forte, et il est remarquable que la douane haïtienne en supervise la mise en place et la gestion. Dans d'autres contextes nationaux et régionaux, les conflits dans la gestion du guichet unique entre les différents acteurs portuaires affectent son efficacité et réduisent souvent son application à de simples guichets physiques regroupés dans un même bâtiment. Ainsi, en sa qualité de gestionnaire du futur guichet unique, il appartiendra à la douane de fédérer l'ensemble des acteurs autour de cette nouvelle entité. 102. La création d'un guichet unique ne devrait pas se limiter à un bâtiment regroupant les guichets physiques des acteurs du dédouanement. Elle devrait être considérée comme l’opportunité de revoir toutes les procédures. En outre, d'autres mesures pourraient être étudiées et améliorées, telles que les procédures de dédouanement dans les locaux des importateurs et l'utilisation de garanties globales voire le paiement des taxes et des droits sur une base périodique plutôt qu’à chaque transaction pour les opérateurs de confiance.40 5.9. Coopérer avec les administrations douanières étrangères, y compris les douanes dominicaines. 103. La coopération avec les autorités dominicaines est vitale pour la douane haïtienne, qui ne peut endiguer seule les flux de contrebande. Cette coopération peut également intéresser la République dominicaine, où une partie des flux en transit vers Haïti peut être déversée illégalement sur le territoire national. 104. Comme décrit précédemment, les rencontres entre les autorités haïtiennes et dominicaines à la frontière ont été souvent initiées par des organisations internationales et portaient essentiellement sur la circulation des personnes. En outre, il ne semble pas y avoir d'échange de données entre les deux autorités douanières, malgré les efforts passés, en particulier avec l'appui du 11th FED pour l'interconnexion des systèmes d'information (réception anticipée du manifeste et apurement de la déclaration de transit dominicaine avec enregistrement de la déclaration dans le 40 Voir Union européenne (2022, pp. 31-32). 34 système haïtien). Un accord de coopération pour la mise en place d'une commission de réconciliation statistique n'a pas été mis en œuvre. Au vu de ces expériences, l'appui des acteurs internationaux semble nécessaire. 105. Il existe plusieurs modalités à cette coopération: - L'échange systématique de données de cargaison entre les systèmes informatiques (type de manifeste, quantités, valeurs déclarées, données sur les véhicules et les chauffeurs) pour faciliter le passage et renforcer la prise en charge des marchandises à la frontière (pécor, détection du fret non vu, etc.) ; - Le partage d'informations, la mise à disposition de données et d'informations (anonymisées) entre les deux parties, pour l'analyse des risques par exemple ;41 - Réconciliation statistique ; et - Un cadre binational instituant des cadres de consultation locaux et leur accordant une certaine latitude pour résoudre les obstacles techniques au jour le jour. 106. Certaines de ces mesures ont déjà été envisagées, mais les engagements pris n'ont pas abouti à des résultats concrets. L'une des raisons est que la douane dominicaine elle-même est un acteur secondaire dans la gestion de la frontière terrestre assurée par l’armée. Plus généralement, le gouvernement dominicain mène une politique volontariste alliant le développement économique des zones frontalières et la lutte contre l'immigration haïtienne. De son côté, le gouvernement haïtien ne semble pas avoir la même capacité à gérer ses zones frontalières. Trois conditions sont probablement nécessaires pour une telle coopération: - Un examen préliminaire des causes de l'échec des mesures précédentes, afin d'identifier les conditions techniques nécessaires (notamment informatiques) ; - Une approche globale de cette coopération utilisant toutes les modalités décrites ci- dessus, au lieu d'actions isolées, afin de faire de ces modalités de coopération un "paquet de coopération douanière bilatérale" pour Haïti ; et - Le soutien d'une organisation/donateur international, de manière continue sur le moyen terme (3 ans minimum) pour garantir l'implication d'un tiers de confiance et aider à surmonter les obstacles techniques. 107. En outre, l'AGD a intérêt à étendre sa coopération bilatérale aux pays de provenance des importations maritimes, en particulier les États-Unis et le Canada. Il semble que les récentes saisies d’armes aient été réalisées dans des conteneurs en provenance d’Amérique du nord. Une coopération avec des ports bénéficient d'installations de contrôle sophistiquées pourraient bénéficier à la douane 41 L'échange de données s'entend comme des flux de données entre systèmes informatiques, les données envoyées par une partie sont automatiquement introduites dans le système d'information de l'autre partie et, souvent, vice-versa. Les données sont donc échangées sur une fonction spécifique des systèmes d'information, dans notre cas la déclaration sommaire par exemple. Le partage des données est un accord permettant à une partie d'accéder aux données de l'autre, sans avoir à justifier l'usage qu'elle en fera. Les technologies d'anonymisation et de préservation de la vie privée ont beaucoup progressé, ce qui rend ce type de partage possible. 35 haïtienne sur le modèle de dispositifs existants. 42 Par ailleurs, l’AGD a récemment élargi sa coopération en la matière avec le Panama: les directeurs généraux des administrations douanières d'Haïti et du Panama se sont réunis en décembre 2023 pour décider d'un protocole d'accord sur l'échange d'informations et le renforcement des capacités, dont la signature est prévue en mars 2024. Cette coopération devrait être étendue à d'autres grands pays partenaires commerciaux. 5.10. Mettre en œuvre l'analyse des données, créer une unité de réforme douanière dotée de capacités d'analyse des données. 108. L'équipe a observé que l’AGD pourrait tirer un meilleur parti du potentiel des données dont elle dispose (à la fois SYDONIA et les données des acteurs portuaires). Cela permettrait d'améliorer la conception et le suivi des réformes douanières, de surveiller le respect de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire, de lutter contre les mauvaises pratiques, y compris la corruption, et d'évaluer l'impact des réformes. Par exemple, une société gérant des infrastructures portuaires a donné aux douanes l'accès à son système d'information sur la gestion des conteneurs. 109. La mobilisation des données est désormais un objectif stratégique de la plupart des administrations publiques, y compris des administrations douanières.43 L'AGD, comme toute autre administration douanière, devrait tirer parti du potentiel des données. Aucun pays ne peut être considéré comme pauvre en données, en particulier les administrations douanières qui collectent les données des importateurs, des transporteurs et des opérateurs logistiques via leur système informatique de dédouanement. Dans les pays touchés par l'insécurité, y compris en temps de guerre comme en Ukraine, de scission du gouvernement comme en Libye, lors d'une révolution nationale comme en Tunisie, ou lors d'une pandémie comme la COVID-19, le système informatique de dédouanement reste l'épine dorsale de l'administration des douanes. C'est également le cas en Haïti. L'AGD n'a connu aucune interruption durable de ses services informatiques, même lorsque le siège situé au centre-ville de Port-au-Prince a dû être transféré à l'aéroport. Les conditions techniques sont donc réunies pour que l’AGD exploite pleinement les données collectées en permanence par son système informatique de dédouanement pour informer, concevoir et mettre en œuvre des réformes. 110. Dans cette perspective, l'AGD devrait mettre en place une équipe chargée de la réforme douanière mobilisant l’analyses de données: i) La réussite de l’ensemble des mesures discutées dans ce rapport repose sur la capacité de l'AGD à contrôler les performances et à mesurer l'impact et l'efficacité des réformes. Compte tenu de la résistance des acteurs douaniers et non douaniers aux nouvelles réformes, l’exercice analytique de transparence qui vise à évaluer et rendre compte des effets des réformes ne peut être que bénéfique pour l’AGD. ii) L'AGD devra mobiliser ses données, ainsi que des données externes provenant de l'autorité portuaire, des acteurs de la logistique et des autorités douanières étrangères, pour lutter efficacement contre la fraude et la corruption. 42 Pour améliorer la sécurité de leurs frontières, les États-Unis ont déployé des unités dans les ports d'exportation étrangers afin d'effectuer des inspections préalables à l'expédition des conteneurs à destination des États-Unis (https://www.cbp.gov/border-security/ports-entry/cargo-security/csi/csi-brief, https://aapa.files.cms-plus.com/SeminarPresentations/Lessard.Rowe.pdf) 43 Voir Rogger et Schuster (2023) sur les analyses gouvernementales et, par exemple, Cantens, Ireland et Raballand (2012) sur l'utilisation de la quantification pour la réforme des douanes. 36 iii) L'AGD devrait utiliser ses données aussi pour identifier les acteurs, autres que les douanes, responsables des ralentissements et des problèmes dans le processus de dédouanement. iv) L'AGD devrait mobiliser des données pour conseiller le gouvernement, ce qui est particulièrement important dans les situations de crise. Lors des crises sécuritaires, les gouvernements éprouvent des difficultés à évaluer la situation, à suivre son évolution en temps réel, à formuler leurs propres analyses des faits, donc à présenter un discours cohérent et factuel face à la rhétorique des groupes armés et aux rumeurs omniprésentes. Destinataire des données des acteurs économiques et logistiques, l'AGD peut jouer un rôle actif auprès du gouvernement et éclairer les choix politiques. Les douanes représentent souvent une source de données essentielle pour les autorités dans des environnements par ailleurs pauvres en données comme Haïti. Les données douanières capturent en temps réel une grande partie de l'activité économique dans les pays où le commerce international est essentiel à l'économie. 111. Les conditions favorables sont réunies pour l’AGD qui dispose d’une direction en charge des statistiques et de la recherche et d'un système douanier informatisé robuste. Par ailleurs, entre 2019 et 2021, l'AGD a expérimenté, sans succès, la mise en place de contrats de performance dans les bureaux. L'équipe a examiné ces contrats et a relevé les difficultés suivantes: de nombreux indicateurs n'étaient pas quantitatifs ; les indicateurs devaient être fournis par les bureaux eux-mêmes et ne pouvaient pas être calculés sur la base des données extraites du SYDONIA ; et les contrats ne comportaient pas de seuil ou d'objectif à atteindre par rapport aux indicateurs. En fait, ces contrats ne faisaient que contraindre les bureaux de douane à produire eux-mêmes des données sur leurs propres activités et à les partager avec la direction générale, mais ils n'ont pas permis de contrôler les pratiques individuelles des fonctionnaires ni d'endiguer la corruption. L'expérience de l'AGD était donc limitée et son échec a démontré que les chefs des bureaux de douane locaux n'étaient pas prêts à adopter une nouvelle culture professionnelle basée sur la quantification. L'équipe a présenté l'expérience de l'OMD44 en matière de contrats de performance, bien qu’elle ne recommande pas l'établissement de contrats à ce stade: de nombreuses conditions préalables, dont l'attribution automatique des déclarations, ne sont pas remplies. En revanche, les principes de cette expérience peuvent inspirer l’AGD pour l’exploitation de ses données. 112. L'unité chargée de la réforme douanière pourrait donc exploiter les données suivantes: - Les données du SYDONIA au niveau des transactions (déclarations en douane), y compris les données historiques qui permettent d'analyser les pratiques individuelles des agents des douanes, des transitaires, des importateurs, des exportateurs et des transporteurs au cours du passage transfrontalier. - Les données des partenaires publics comme celles collectées par l'Autorité portuaire nationale. Jusqu'à la mi-2023, l'APN publiait en ligne des données sur l'activité portuaire. Pour chaque escale, les données comprenaient: le nom du navire, l'origine, la destination, le type de navire, la date d'arrivée, la date de départ, la nature de la cargaison en vrac ou le nombre de conteneurs. (apn.gouv.ht/escales/navires_escaleslist.php, URL disponible en mars 2023). 44 https://www.wcoomd.org/-/media/wco/public/fr/pdf/topics/research/research-papers/pourquoi-comment- performance-contractualisation.pdf. 37 - Les données du secteur privé, comme celles collectées par les entreprises de logistique qui gèrent les terminaux portuaires (comme décrit ci-dessus, une entreprise de logistique a déjà fourni un accès en ligne à son système de gestion des conteneurs, mais l'AGD ne l'utilise pas). - Des données ouvertes telles que les données COMTRADE de l'ONU pour l'analyse miroir et la détection de fraudes potentielles, des données d'imagerie satellitaire pour surveiller le mouvement des navires fournies par le FMI sur les activités portuaires (https://portwatch.imf.org/), ou des outils de renseignement de source ouverte comme celui conçu par BellingCat qui utilise l'imagerie satellite du radar à synthèse d'ouverture (SAR) et non les systèmes AIS qui peuvent être usurpés ou interrompus pour détecter les navires non coopératifs dans les petits ports (Voir au-delà des nuages: A Guide to Bellingcat's Ship Detection Tool - bellingcat). - Avec un soutien financier de l'AGD, éventuellement pour une utilisation conjointe avec les forces de sécurité intérieure et d'autres agences gouvernementales, des services de données pourraient être contractés pour: accéder à l'imagerie satellite de très haute résolution pour détecter les changements dans les zones frontalières difficiles d'accès et mieux cibler et organiser les contrôles douaniers ; des bases de données globales sur le vrac et les conteneurs pour les opérations au niveau des transactions et l'accès aux quantités ; et l’accès à des plates-formes de données pour l'analyse des risques réservées aux agences gouvernementales. 113. L'AGD a mis fin à ses contrats d'inspection avant expédition (PSI). Cette décision a été prise pour se réapproprier l'analyse des risques et, plus généralement, l'analyse des données à des fins de contrôle. Les coûts d'abonnement à des bases de données ou à des services d'imagerie par satellite sont bien inférieurs des sociétés PSI. En outre, l'accès aux données, ainsi que la formation, sont également motivants pour les analystes de données et garantiraient leur engagement au service de l'AGD. 114. A la demande de l'AGD, ce rapport propose une séquence détaillée pour renforcer la capacité analytique de l’AGD par la création d’une cellule de réforme. Étape 1. Formalisation d'une unité de réforme douanière dotée d'une capacité d'analyse des données au sein de l'AGD. 115. Une unité de réforme douanière est créée par décision du ministre. Le texte officiel de sa création doit comprendre les éléments suivants: 1. Le rattachement de l'unité (au sein du département chargé des statistiques et de la recherche ou directement au bureau du DG, l'objectif principal étant que l'unité ait un accès facile au DG). 2. La composition et les qualifications minimales du personnel (il est important que l'unité soit composée d’une part de spécialistes de la donnée et d’autre part de douaniers expérimentés pour guider les analyses et interpréter les résultats). 3. Conditions d'emploi (il est important que le personnel de cette unité qui bénéficiera d'une formation spécifique et donc d'un investissement de la part de la douane, reste en poste pendant un nombre d'années déterminé et qu'il bénéficie de primes spécifiques). 38 Étape 2. Sélection des membres de l'unité. 116. La sélection provisoire du personnel devrait se faire à la suite d'une enquête interne identifiant les douaniers possédant des qualifications. Cela ne devrait pas empêcher les douaniers déjà identifiés par la direction générale de postuler par le biais de l’enquête, mais cette enquête permettra à d'autres spécialistes d’être sélectionnés pour participer à l'étape suivante de la formation. Etape 3. Formation des spécialistes. 117. Le personnel sélectionné serait formé aux outils de la science des données (langage R ou Python, logiciel de visualisation Tableau et de reporting). Cette formation pourrait se dérouler en trois étapes: Sous-étape 3.1. Les futurs spécialistes sont formés en ligne à partir de la formation à distance DATAFID sur la science des données appliquée à la douane, dirigée par l'Institut des Hautes Etudes en Développement Durable du Centre Universitaire de Clermont Auvergne (France), avec la coopération de l'OMD et le soutien d'Expertise France. 45 A l'issue de cette étape, seuls les participants ayant atteint un score minimal au test passeront à la seconde phase de la formation. Sous-étape 3.2. Le personnel reçoit une formation de 4 semaines (face à face et continue), sans être affecté à d'autres tâches. Il devrait être possible de recruter des data scientists de la diaspora haïtienne comme formateurs. À la fin de cette étape, les formateurs soumettent un rapport à l'AGD qui décide de l'affectation finale à l'unité. Le processus de sélection donne de la valeur et du prestige à l'unité ainsi formée. Sous-stade 3.3. Après quelques mois d'activités, les meilleurs spécialistes peuvent bénéficier de la formation annuelle en présentiel de haut niveau dispensée par la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI) et l'École nationale de la statistique et de l'économie appliquée (ENSEA) à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Étape 4 (parallèle à l'étape 3). Préparation des conditions techniques. 118. L'AGD doit recevoir une mission d'expertise pour exploiter les données historiques du SYDONIA. Cette opération nécessite la mise en place de scripts ORACLE pour mettre les données historiques de déclaration sous une forme exploitable (précédemment, tables sad_spy et man_spy). 119. L'AGD acquiert un serveur (de faible capacité) pour stocker les données qui seront utilisées par l'unité. Il n'est pas nécessaire que ce serveur fonctionne en direct sur le serveur de production. 120. L'AGD met en place un script de réplication de la base de données de production vers le serveur de l’unité, afin que cette dernière dispose de données actualisées pour ses analyses. Étape 5. Activation de l'unité. 121. L'activation de l'unité est la phase la plus complexe. Au terme des quatre étapes précédentes, l'AGD disposera d'une équipe de spécialistes des données, mais les cadres supérieurs n'auront pas adopté le changement culturel en faveur d'une administration axée sur les données. Le risque, à ce stade, est que la demande d'analyse de données émanant de la direction soit faible, voire 45 https://ferdi.fr/projets/projet-datafid. 39 inexistante, et que l'analyse de données produite par les spécialistes soit mal appropriée. C'est pourquoi trois recommandations générales sont proposées pour cette phase: • Les cadres supérieurs de l'AGD devaient bénéficier d’une formation d'une journée sur les possibilités d'analyse des données, assurée par les membres de cette unité. Au cours de cette formation, les cadres devraient être encouragés à formuler leurs questions et les thèmes souhaités pour les analyses. • L'unité devrait être immédiatement mobilisée par le DG sur quelques sujets spécifiques (détection des secteurs de fret à haut risque, détection des mauvaises pratiques, analyse de l'impact de certaines mesures douanières, analyse des recettes mensuelles, etc.). • Il est important d'établir un "rituel" mensuel entre le DG, les cadres supérieurs de l'AGD et l’unité, au cours duquel les questions relatives aux procédures et aux recettes sont analysées à l'aide des données et des analyses présentées par l’unité. 40 6. Bibliographie Banco Central de la República Dominicana. (2021). Estudio economico. Mercado fronterizo dominico- haitiano 2014-2018. file:///C:/Users/Cath/Downloads/Estudio-Dominico-Haitiano-2014- 2018%20(1).pdf. Baud, M. (1993). Una frontera-refugio: dominicanos y haitianos contra el Estado (1870-1930). Revista Estudios Sociales, 26(92). 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